Chapitre 9
Le morceau qui venait de se lancer s'intitulait « Pour une aube nouvelle », un air bien connu à Johto et propice aux danses de couple. De nombreux duos s'enlaçaient sur cette chanson, certains essayaient de persuader leur âme-sœur, d'autres s'éloignaient bien vite de la piste de danse pour échapper à tout contact. Quoi qu'il en soit, cette chanson ne laissait personne indifférent. Les musiciens et les chanteurs donnaient tout leur potentiel afin de se montrer digne de leur rôle.
« Courage, courage, après la nuit noire viendra l'aube et nous pourrons tout recommencer. »
Alors que les paroles pleines d'espoir résonnaient, une ombre apparut au milieu du brasier. Depuis la danse d'Ho-oh, personne n'était retournée dans cette zone, considérée comme sacrée. Seul le dieu de la journée possédait ce droit pendant le festival du printemps et ce n'était de toute évidence pas lui puisqu'il se tenait un peu plus loin, enserrant la déesse de la vie dans la tendresse de ses bras. Le protecteur de Rosalia s'arrêta face à cette apparition, étonné, et bientôt, tout le monde n'eut d'yeux que pour la forme noire au milieu du cercle de flammes. Même les musiciens finirent par arrêter de jouer et la cité tomba dans un silence inquiétant.
« Qu'est-ce que c'est ? » murmura Ho-oh tout bas.
L'ombre noire prit forme humaine et alors, Cipher apparut. Sa peau pâle n'avait rien à envier au blanc de sa longue chevelure brillante. Ses yeux maquillés faisaient ressortir son regard doré, empli de mystères, tout comme sa personne en général. De taille moyenne, il portait un masque noir cachant le bas de son visage. Une grande cape de voyageur le recouvrait, jaune avec une grande bande rouge dans le bas, entourée de deux bandes bleues. Un haut vert et marron ainsi qu'un pantalon de monte complétaient le tableau, de même qu'une paire de bottes basses. Aux jambes et à la taille, Cipher avait placé des bandages, sans qu'on ne sache pourquoi. Des gants laissant voir ses longs doits achevaient la description du personnage. Tout le monde se montrait perplexe car personne ne savait qui il était, cet inconnu surgit de nulle part. Pour cause, il ne s'était jamais affiché devant aucune personne présente ici, pas même un légendaire. Sous son masque, on devinait un sourire et il attendait au milieu des flammes que quelqu'un daigne lui adresser la parole.
« - Qui est-ce ? murmura Xerneas à l'attention de son cavalier.
- Je n'en sais rien, avoua Ho-oh à voix basse, mais cela ne me dit rien de bon.
- Que faisons-nous ? demanda Rayquaza, s'approchant du maître de Rosalia.
- Je vais lui parler, déclara le dieu de la journée. Ce n'est peut-être qu'un malentendu.
- Comme toi, je pense que tu ne crois pas à une telle alternative, répliqua le dieu de l'atmosphère.
- Ray, je sais que tu es le plus puissant d'entre nous, mais c'est ma ville.
- Bien sûr, Ho-oh, je ne retire en rien ton autorité. Sache que si tu as besoin, je suis à ta disposition.
- C'est bien aimable, mon ami. »
Il n'existait pas une véritable hiérarchie entre les légendaires. Cependant, tous admettaient que le plus fort d'entre eux n'était autre que Rayquaza. Le dragon vert gagnait ainsi une place privilégiée dans l'esprit de chacun, pokémon comme humain. Même s'il savait que le fond de sa pensée n'était pas mauvais, Ho-oh ne pouvait tout simplement pas le laisser prendre le contrôle de la situation. Le dieu de la journée ne pouvait pas paraître faible dans sa propre ville alors que son propre festival battait son plein, ce n'était même pas envisageable. Replaçant son kimono dignement, il s'avança vers les flammes et dévisagea le nouveau venu, priant que rien de fâcheux ne se produise.
« - Etranger, bienvenue au festival du printemps de Rosalia ! Qui es-tu ?
- Oh, je ne serai pas le bienvenu très longtemps, se moqua l'homme mystérieux. Je sais qui tu es. Dieu de la journée hein ? Eh bien, je suis Cipher. Un être humain banale. »
Le ton était sarcastique et méprisant, n'importe qui pouvait le ressentir. Ce n'était pas ce qui embêtait le plus Ho-oh. Sans comprendre pourquoi, il pensait que la dernière affirmation n'était pas réelle. Cipher ne pouvait pas être un humain banal, il se dégageait de lui une aura étonnante. Le dieu de la journée ne parvenait pas à mettre le doigt dessus mais ce personnage ne lui plaisait pas. Les autres légendaires s'étaient rapprochés, guettant la réaction du maître de cérémonie. Ho-oh savait qu'il n'avait pas le droit à l'erreur, son comportement serait analysé, pouvant lui apporter des alliés comme des ennemis. Sa sœur le regardait aussi et cela changeait beaucoup de paramètres. Sa forme humaine adopta une posture fière et il essaya de se donner une assurance qu'il ne possédait pas.
« - Eh bien Cipher, ton entrée me questionne pour un humain.
- Oh ça ? Ce n'était qu'un petit artifice digne d'un magicien de bas étage.
- Un magicien aux performances correctes alors. On dirait que tu as reçu une aide extérieure.
- Cela se peut, grinça l'homme en repoussant sa chevelure d'un mouvement de la main négligé.
- Quelle plaie, murmura quelqu'un dans la foule. Il fait chier lui.
- Il ne peut pas partir qu'on recommence à s'amuser ? souffla quelqu'un d'autre.
- Trêve de bavardages, s'exclama Ho-oh, l'oreille attentive aux commentaires précédents. Dis-nous pourquoi tu es là. Vois-tu, toutes les personnes présentes ici souhaitent s'amuser et une telle interruption n'est pas bienvenue.
- J'espérais bien vous interrompre mais ce n'est que le début. »
L'étranger défia la foule du regard et bien peu d'humains pouvaient le regarder dans les yeux. Même pour les légendaires, cela se révélait difficile. Une flamme brûlait au fond de sa pupille, une force endormie, une colère sourde. Que voulait-il exactement ? Tout le monde se posait la question. Cipher était ravi de l'effet qu'il produisait, sa mise en scène se révélait diablement efficace. Sans mentir, cela occupait sa soirée et il était le seul de tout Rosalia à s'amuser désormais, quel privilège ! Mais il ne mentait pas : son apparition n'était que le début. Maintenant, tout allait s'enchaîner.
« Légendaires et humains, inutile de vous faire attendre plus longtemps. Je viens porter un message de la part de mon maître, le dieu de l'autre monde, le grand Giratina. »
Cipher savoura l'effet que ses mots provoquèrent sur l'assemblée. D'abord survint un silence de surprise, le temps que chacun comprenne ce qu'il venait d'annoncer. Puis ce fut la panique totale. Les humains se mirent à piailler, littéralement, créant un brouhaha assourdissant. Les légendaires se montrèrent plus mesurés dans l'ensemble, échangeant des regards inquiets les uns envers les autres. La peur se lisait sur de nombreux visages. Cipher nota cependant que certains ne paraissaient pas déçus et songea qu'il s'agissait là d'alliés potentiels. Tout se passait pour le moment comme prévu, quelques mots suffisaient pour semer un véritable chaos.
Ho-oh essayait de garder son calme et de ne pas se laisser submerger par la situation, même si son cerveau menaçait de surchauffer. Ce que venait de dire cet homme n'avait pas de sens. Giratina le dieu de l'autre monde ne pouvait pas être encore sur cette terre. Le dieu de la journée se rappelait très bien que le noble Arceus l'avait emprisonné dans une dimension spéciale, afin d'endiguer sa trop grande puissance, du moins selon ce qu'on lui avait dit. Les détails, Ho-oh n'en avait jamais entendu parler, il aurait fallu questionner le dieu des dieux ou certaines divinités de Sinnoh absentes de Rosalia. En tout cas, Giratina ne pouvait exister dans cet univers, c'était impossible. A moins que... Les rouages de l'histoire s'étaient mis en marche. Quoi qu'il en soit, ce Cipher allait leur apporter davantage d'informations. Ho-oh réalisa qu'il devait y avoir une mise en scène derrière tout cela.
« - Le dieu de l'autre-monde est prisonnier de sa dimension, répliqua aussi calmement que possible le dieu de la journée.
- Plus pour très longtemps. Mon maître est victime d'une terrible injustice mais petit à petit, ses chaînes se briseront et bientôt, il sera de retour.
- Pourquoi nous annoncer cela alors ? s'étonna Rayquaza, se permettant d'intervenir. Est-il devenu si bête pour nous annoncer son retour ou souhaite-il que nous l'en empêchions ?
- Se dressera-t-il contre les ordres d'Arceus ? trancha Ho-oh, rappelant son statut d'interlocuteur, ne niant pas la pertinence de son collègue d'Hoenn.
- Oh non. Les rouages de l'histoire tournent, vous devez déjà le savoir.
- Les rouages, songea la divinité du jour. Encore eux.
- Si mon maître veut revenir, c'est à cause de la prophétie. »
Encore, Cipher laissait planer une information avant de se taire un instant. Le brouhaha reprit, certains légendaires vinrent rejoindre ce chœur. Les prophéties n'étaient pas monnaie courante. En réalité, Ho-oh n'en connaissait qu'une et cela ne lui plaisait pas. Un frisson traversa son échine humaine et il eut très envie de reprendre sa forme de légendaire. Cependant, ce n'était pas le moment. Il devait rester maître de ses émotions. Toutefois, voyant la panique qui gagnait la foule, la divinité de Rosalia jugea bon de faire parler plus vite ce Cipher. Il se complaisait trop à laisser les informations filtrer au compte-goutte. De toute évidence, semer le chaos était son but.
« Donne-nous cette prophétie alors ! »
La voix d'Ho-oh se voulait aussi impérieuse que possible. Hors de question de se laisser dominer par un simple humain, quand bien même il avait l'air d'être beaucoup plus que ce qu'il annonçait. Cipher sourit à nouveau sous son masque et déclama la prophétie d'une voix mielleuse, presque comme une moquerie jetée à la face du monde. Tout le monde buvait ses paroles.
« L'enfant qui séparera hommes et dieux
Celui qui se dressera contre le Créateur des cieux
Naîtra une nuit au ciel étoilé au cœur de l'hiver
Le froid extrême sera une preuve du chaos supplémentaire
Fils des deux camps, un mélange interdit
Si personne ne l'arrête, tout sera fini. »
L'humain laissa encore un silence après sa déclaration. Ho-oh réalisa que cette prophétie était une autre version d'une qu'il connaissait déjà, mais d'un point de vue tout à fait différent. Cipher rendait l'enfant démoniaque avec cette version. En y repensant, le dieu de la journée réalisa qu'il avait déjà entendu ces mots mais murmurés par de rares humains, généralement marginalisés. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Une peur qu'il ne comprenait pas lui nouait les entrailles et son regard se porta inconsciemment sur son maire. Fira avait l'air si petite et pourtant, elle se tenait droite, digne organisatrice du festival. Ho-oh ressentit une bouffée de fierté, même si ce n'était pas le bon moment. Quelque part dans la foule, un frisson glacé remonta dans le dos de Suicune. Cette prophétie, elle la connaissait mieux que quiconque, les deux versions également. Cependant, elle restait persuadée que la véritable version, celle provenant du dieu en personne, n'était pas celle que ce Cipher venait de débiter. Par chance, Ho-oh connaissait aussi cette bonne version et il la récita de sa belle voix grave.
« Un jour viendra où s'entre déchireront
Humains et dieux, certains tomberont
Pourtant un jour l'élu, un simple enfant
Arrivera dans un monde devenu dément
Et la lame cachée d'Arceus, il brandira
Et lui, le demi-dieu, avec l'espoir la paix ramènera. »
La foule comprenait bien qu'il s'agissait d'un affrontement de deux prophéties. A priori, une seule pouvait être réelle, puisque l'enfant ne pouvait pas détruire le monde et ramener la paix. Cet aspect paraissait terriblement contradictoire. En revanche, tout le monde ne pensait pas que la version d'Ho-oh était forcément la bonne, contrairement à ce que les apparences laissaient présager. En effet, fallait-il forcément croire le légendaire et non l'humain ? Pour certains, le rapport de force faussait leur jugement. De plus, Giratina ne possédait pas que des ennemis. Le dieu de l'autre monde ne manquait pas de sympathisant, même après une longue disparition de la scène principale. Dans le public, des personnes débattaient et les avis allaient autant dans un sens que dans l'autre. Le festival du printemps prenait la tournure d'un duel entre deux partis politiques.
« - Alors, quelle version de la prophétie faut-il croire ? Celle d'un grand légendaire ou d'un pauvre petit humain sans défence ? grimaça l'étranger.
- Cipher, pourquoi es-tu venu si ton seul but est de semer la discorde ?
- Semer la discorde ? Je dirais plutôt répandre les graines de la vérité. »
Encore une affirmation qui allait faire jaser. Ho-oh se demandait à quel point la suprématie des légendaires se briserait après une telle annonce. De son côté, Cipher savait qu'il était bel et bien venu semer la discorde mais cela l'amusait de jouer le rôle donné par Giratina. Selon ses critères, le jeu en valait la chandelle et le plan fonctionnait, puisque la foule commençait déjà à s'agiter. Maintenant, l'humain voulait aborder un autre aspect de sa stratégie, afin d'instaurer la peur dans le maximum de personnes. Il fallait seulement réussir à énerver quelqu'un. Cela semblait mal parti avec Ho-oh qui restait calme mais une autre divinité pourrait bien réagir, en actionnant le bon levier psychologique.
« - Dis-moi, dieu de la journée, comment peux-tu savoir quelle prophétie est la bonne ?
- Celle que j'ai entendu de la bouche d'Arceus ne peut me tromper.
- Pourtant, peut-être que les deux ne se contredisent pas. Peut-être qu'il s'agit d'un point de vue différent. Une prophétie qui arrange les légendaire, une autre les humains.
- Pourtant, ce n'est pas mon impression, Cipher. Les deux prophéties parlent d'un conflit. Le rôle du héros change, mais dans ma prophétie, c'est un héros.
- Un héros pas humain. Un héros lié aux dieux, répliqua-t-il, accentuant les mots.
- Rien ne le dit dans ma version, répliqua Ho-oh. C'est peut-être un humain.
- De toute façon, il est interdit aux légendaires et aux humains de se mêler, n'est-ce pas ? Alors un tel être ne devrait même pas exister non ? »
Cipher fut un peu déçu car personne ne s'énerva contre lui. En revanche, cette absence de réaction pouvait traduire deux options différentes. Soit personne n'était concerné par le sujet, soit certains cachaient des informations. Le sbire essayait d'observer les réactions mais il y avait trop de monde pour se montrer attentif à tous. Même les divinités étaient en trop grand nombre et trop réparties pour être analysées. L'humain attendit, pas très longtemps, que le dieu de la journée relance la conversation. Ses yeux affichaient une lueur plus froide qu'auparavant. Un bon signe ?
« - Tu es totalement fou, Cipher.
- Pas du tout. Je suis seulement le porte-parole de Giratina, lui qui a décidé d'écouter la prophétie et de se dresser contre cet enfant maudit !
- A supposer qu'il existe et que ce soit la bonne version, rappela Ho-oh.
- Mais ce serait mal de s'en prendre à Giratina alors qu'il ne veut que défendre le monde. »
Le piège se refermait petit à petit et la présence de nombreux témoins constituait un atout considérable. Giratina devenait impossible à attaquer. Même en ne s'accordant pas sur la version de la prophétie, le dieu de l'autre-monde affirmait sa position, en voulant protéger la paix dans le monde. Si une autre divinité ou même plusieurs tentaient d'attaquer Giratina, immanquablement, elles passeraient du mauvais côté. Bien sûr, Cipher savait qu'il ne le faisait pas de manière subtile, mais l'idée ferait son chemin dans la tête de bien des humains. Le doute s'installait mais ce n'était pas encore suffisant. Maintenant, la prochaine étape devait se produire.
« - Giratina n'est qu'un prisonnier, un souvenir de ce monde, répliqua Ho-oh.
- Giratina sera un sauveur... Mais je vois que tout le monde ne le croit pas. Je suis un porte-parole... mais je peux me salir les mains ! »
Une dague surgit de la cape de Cipher et l'arme à la main, il fonça sur Ho-oh, sautant par-dessus le brasier. Le dieu de la journée ne réagissait pas, pris de cours. L'homme ne comptait pas le blesser mais il devait faire croire qu'il allait le faire, quand bien même il n'était pas assez fort. Alors qu'il se trouvait à quelques mètres, une flèche fendit l'air et se ficha dans son épaule, stoppant net sa course. La douleur le pénétra, lui donnant l'impression d'être vivant. Le tir venait de Lyanna, la mairesse de Méanville. Presque sa ville d'origine, Cipher en fut touché. D'un geste distrait, il arracha la flèche. L'homme ne saignait pas, ce que Ho-oh remarqua aussitôt.
« - Comment est-ce possible ?
- Tu ne sais rien de moi, dieu de la journée... Et moi non plus. »
Cipher allait reprendre son chemin vers sa cible lorsqu'un obstacle se mit en travers de son chemin. Il s'agissait de Groudon, le dieu de la terre. L'humain sourit sous son masque : parfait, il avait enfin réussi à mettre quelqu'un en colère. Dommage que ce ne soit pas quelqu'un d'autre, mais ce dieu d'Hoenn ferait bien l'affaire. La divinité de Vermilava se dressa de toute la hauteur de sa forme humaine, le regard agacé plus que réellement fâché.
« Ecoute, c'est pas contre toi, mais on est venu pour faire la fête. Ici, on n'aime pas les assassins, surtout quand ils s'en prennent à l'organisateur. Alors, disparais ! »
Usant de ses pouvoirs, Groudon souleva la terre autour de Cipher et l'écrasa comme une crêpe, sans plus de sommation. Comme ça, juste en un claquement de doigts. L'humain étrange venait d'être réduit au silence éternel. Sur le sol, on trouvait simplement un petit amas sanguinolent, le seul reste de ce qu'il avait été. Le dieu de la terre se retourna vers son confrère, pensant avoir bien agi mais sachant qu'il avait outrepassé ses droits. Le choc prenait Ho-oh qui fut incapable de parler le premier. Tuer quelqu'un aussi facilement, quelqu'un qui en savait autant et qui venait de déclencher un tel débat... Cela lui paraissait impossible. D'un côté, Cipher venait de tenter de le tuer et Groudon avait simplement agit pour le protéger, difficile de lui donner totalement tort. La soirée se finirait-elle uniquement sur des dilemmes impossibles ? Sur un meurtre de sang froid ?
« - Je n'aurais peut-être pas dû, Ho-oh, mais personne d'autre ne bougeait.
- Merci pour ton aide, j'imagine, souffla l'autre, pas trop fort. Mais j'aurais pu me défendre et il avait encore trop à nous dire.
- Il racontait n'importe quoi... Et personne ne devrait pouvoir menacer un dieu de la sorte, répliqua Groudon avec fierté. Nous ne sommes pas n'importe qui !
- Non, c'est vrai, nous sommes... Que... ? »
Les yeux du dieu de la journée s'agrandirent et Groudon se retourna. Sous les yeux de tout le monde, un miracle impossible se produisit. L'amas de chair sanguinolant se reformait et reprenait la forme humaine de Cipher, lentement mais sûrement. Personne parmi les divinités ne possédait une telle capacité de régénération. Cela tenait du miracle d'Arceus. Le dieu de la terre recula à nouveau dans le public et Ho-oh s'avança vers Cipher nouvellement reformé. L'étrange humain ne portait aucune marque de l'attaque de Groudon, pas la moindre cicatrice. Il semblait parfaitement vivant, n'étant pas une illusion. Cela n'avait aucun sens. Aucun sens.
« - Comment peux-tu être en vie ? lâcha le dieu de la journée.
- Je suis le serviteur de Giratina... Mais ça, c'est mon pouvoir personnel. Je ne peux pas mourir. Peut-être que je suis béni par le bon dieu et que je détiens donc la vérité.
- Tu mens... Il y a forcément une autre explication.
- Peut-être bien... Mais sachez que je ne peux pas mourir, peu importe à quel point on me détruit. Sachez que mon maître Giratina protègera quiconque le rejoindra. Ma puissance n'est rien comparé à la sienne. Après tout, je ne suis qu'un humain banal. »
A ces mots, Cipher éclata de rire et il disparut dans une brume noire, la même ombre dans laquelle il était apparu. Cela sentait à plein nez la marque du dieu de l'autre-monde pour ce dernier effet. La nuit retrouva alors son calme et son silence. Le festival du printemps avait perdu toute sa saveur, plus personne ne voulait s'amuser. Le calme demeura pendant un long moment, puis le chaos s'empara de Rosalia. Des gens couraient dans tous les sens, certains pour rejoindre leurs proches, d'autres pour aller débattre avec d'autres. Certains fuyaient les lieux tout simplement, afin de regagner leur ville. Les différentes divinités avaient bien du mal à gérer la situation, ne sachant pas comment réagir elles-mêmes. Cipher avait bien joué son rôle.
« C'est un cauchemar, je vais me réveiller. »
Ho-oh se tenait toujours debout devant le foyer, l'air hébété. On venait de tenter de l'assassiner. On venait de gâcher son festival du printemps. On venait de lui donner l'air faible. Plus rien n'allait. Cette année représentait le pire fiasco qu'il aurait pu imaginer. Des pensées tournoyaient en boucle dans sa tête, il n'arrivait pas à arrêter le processus. Le maître de cérémonie savait qu'il devait se ressaisir. Rayquaza s'approcha de lui et posa une main sur son épaule, le regard grave. La demande muette valait bien plus que des mots. Cette fois, le dieu de la journée hocha la tête, acceptant son aide pour aider à un retour au calme prompt.
« Reprenez-vous ! »
La voix d'Ho-oh résonna dans la ville avec force et calme, parvenant à se faire entendre au-dessus de toute l'agitation. Une bonne partie de la foule se calma et se retourna vers le maître des lieux, prête à écouter ce qu'il avait à dire. La présence de Rayquaza aux côtés du dieu de la journée aida probablement à lui donner en crédibilité. La divinité de l'atmosphère possédait ce pouvoir, celui de rendre plus important quiconque se tenait à ses côtés. Maintenant, il ne fallait pas dire n'importe quoi et bien choisir les mots. Les autres légendaires attendaient cette annonce au tournant.
« - Nous n'allons pas nous laisser impressionner par les paroles d'un étranger, reprit Ho-oh. Son but était de semer le trouble dans nos cœurs, ne le laissons pas gagner.
- Il a quand même soulevé un problème intéressant, nota Mina, la mairesse du Grand Arbre d'Alola. Cette prophétie ne peut exister en deux versions.
- Le retour de Giratina devrait nous inquiéter davantage, intervint Cobaltium.
- Ce sont des problèmes qui devront retenir notre attention, assura le dieu de la journée. Toutefois, ce Cipher essaye de nous diviser et nous devons en tenir compte davantage. Avec qu'il arrive, nous étions prêts à nous amuser toute la nuit. Allons-nous laisser cet étranger nous arrêter ?
- Il est capable de revenir à la vie, rappela Hana, la mairesse de Cimetronnelle. Jusqu'à preuve du contraire, aucun dieu n'est capable d'un tel miracle !
- Arceus le peut, rappela Caïn, le prêtre de Célestia. Notre maître à tous est capable de miracles.
- Pourquoi aurait-il donné ce pouvoir à un type comme Cipher alors ? souffla Dana, le maire d'Amaillide. Ce pouvoir est clairement abusé.
- C'était peut-être une illusion, hasarda Victiny, avant de se taire.
- Cette scène n'avait aucun sens, murmura Lunaala.
- Cessons de nous questionner ainsi » intervint Rayquaza.
Le dieu de l'atmosphère calma toutes les discussions d'un coup et reporta toute l'attention sur lui. Le charisme naturel de la divinité majeure d'Hoenn faisait des merveilles. Son statut de légendaire le plus puissant faisait son effet. Ho-oh se sentait mis de côté, mais si son confrère parvenait à calmer la situation, c'était tout ce qui comptait. Certains humains qui allaient s'enfuir arrêtèrent et revinrent près du foyer afin d'écouter Rayquaza. Ce dernier se plaça de manière centrale sur la grande place de Rosala. Des murmures de critiques finirent malgré tout par s'élever.
« - Alors tu penses que nous devons arrêter de réfléchir ? s'étonna Groudon.
- Certes non. Nous devons toujours nous interroger sur le monde qui nous entoure. En revanche, il est des vérités inébranlables. Dans mon cas, je tiens à officialiser ma position dans cette affaire. »
La foule retint son souffle. Rayquaza connaissait son importance et il était inutile de faire preuve de fausse modestie. Depuis toujours, Arceus lui avait donné une mission de protection du monde et possédait un lien privilégié avec ce maître de l'atmosphère. Sa forme légendaire et ses pouvoirs lui donnaient d'immenses responsabilités, bien plus grandes que celles d'Ho-oh, simplement maître de sa région. Qu'une telle sommité annonce sa position par rapport à cette affaire, cela pouvait entraîner un changement qui actionnerait un nouveau rouage de l'histoire.
« - Ce Cipher a annoncé le retour de Giratina, expliqua Rayquaza. Nous ne savons pas encore si c'est vrai mais je suppose que nous autres, légendaires, avons tous ressenti un changement dans l'air ces derniers temps. Je me trompe ?
- En effet, approuva Shaymin, appuyée par d'autres. Quelque chose est différent.
- Peut-être que Giratina a changé, reprit le dieu de l'atmosphère. Je n'ai pas la prétention de le connaître, mais je doute que le grand Arceus l'ait enfermé dans une autre dimension pour rien.
- Il était trop puissant, intervint Ho-oh. Peut-être que le talent de Cipher vient de là.
- Exactement et dans ce cas, nous devons nous méfier. L'attaquer en premier ne serait pas une bonne chose, admit la divinité. Mais si une guerre devait éclater, si Giratina devait menacer la paix de ce monde, je me dresserai contre lui. Peu m'importe la prophétie. »
Ainsi, Rayquaza venait de tracer une ligne. Il existerait désormais deux camps : celui de Giratina et le sien. Le message était très clair. Ce n'était pas une déclaration de guerre mais cela revenait au même. En revanche, là où le dieu de Pacifiville avait été intelligent, c'était de ne prendre partie pour aucune des deux prophéties. Ce débat restait secondaire par rapport à un possible retour du dieu de l'autre monde. Néanmoins, la question reviendrait immanquablement se poser plus tard.
Dans la foule, un bon nombre soutint Rayquaza, par quelques cris d'encouragement et des poings levés. D'autres se montraient neutres, ne sachant pas trop quoi penser de cet enchaînement d'événements bien trop rapide. Quelques-uns se retirèrent pour quitter Rosalia ou simplement discuter de leur point de vue sur la situation. L'unanimité n'allait pas pour le dieu de l'atmosphère, il fallait être bien fou pour le penser en écoutant les rumeurs. Personne n'avait encore assez de recul pour avoir les idées claires, il ne s'agissait là que de réactions à chaud.
« - Tsss, quel merdier, grommela Hatori de Mauville.
- Maintenant, il va falloir choisir un camp, supposa Enteï, son légendaire, non loin.
- Pas tant que la guerre n'est pas officiellement déclarée, mon vieux, répliqua son humain. Mais cela ne saurait tarder. Je doute que ce Cipher soit une menace en l'air.
- Si Giratina se montre, nous saurons l'accueillir » assura la divinité de l'endurance.
De nombreuses discussions naissaient ainsi, entre légendaires et humains, à différents endroits de Rosalia. Les oiseaux légendaires de Kanto s'étaient rassemblés vers Lugia, afin de savoir ce qu'elle comptait faire. Ils se demandaient si venir ne constituait pas une erreur de leur cheffe et la déesse de la nuit se posait la même interrogation. Ho-oh s'en rendit compte lors d'un rapide coup d'œil dans sa direction et il sut qu'il devait agir. La fête ne pourrait pas reprendre dans de telles circonstances, mais le dieu de la journée se devait de clore le festival par une note positive.
« Vous tous, commença-t-il. Je suis navré de la tournure que prennent les événements. Sachez que je soutiens totalement Rayquaza dans cette affaire, inutile de le cacher. »
Cela le faisait paraître plus faible, comme tapis dans l'ombre du dragon vert, mais il s'en moquait bien. Afficher la réalité lui paraissait plus important que sauver sa réputation. Ho-oh ne souhaitait pas afficher son opinion sur les prophéties en revanche. Cela ne lui paraissait pas pertinent de le faire, alors que tout le monde doutait, peut-être même des éléments de sa région. Lui-même ne savait pas quoi croire et il avait besoin de temps. Plus que de temps, là, maintenant, il avait besoin d'être apaisé. Voilà ce qu'il pouvait offrir à ses invités : un moment de détente.
« Nous avons été durement éprouvés ce soir et pourtant, nous nous tenons encore debout. C'est le plus important. Je sais que la fête ne peut reprendre après une telle interruption, mais je souhaiterai apaiser les esprits par une chanson de ma composition, si vous me le permettez. Arceus ne me pardonnerait pas de vous laisser repartir ainsi, le cœur tourmenté. »
Un murmure d'intérêt parcourut la foule. Si Ho-oh était réputé pour sa manière de danser, sa voix mélodieuse habituellement réservé à quelques privilégiés faisait également rêver. De nombreux légendaires se tinrent prêts à l'écouter et une majorité d'humains les suivit. Dédaignant les convenances habituelles pour ce genre d'événements, le dieu de la journée reprit sa forme divine, celle d'un oiseau aux couleurs chatoyantes et au regard pur comme le ciel du matin. Ouvrant grand ses ailes comme un défi au firmament nocturne, il se mit à chanter.
« Il en va ainsi, tu as besoin de la lumière quand il fait nuit, du soleil par une tempête de neige et surtout, tu as besoin d'elle lorsqu'elle est partie. »
La chanson qu'il entonnait venait de son cœur. Ho-oh l'avait écrite pour sa petite sœur, Lugia. Les paroles évoquaient tous les sentiments qui l'avaient traversé depuis que la déesse de la nuit ne voulait plus le voir ainsi que tous les regrets qui le tourmentaient. La chanson mélancolique présentait un effet apaisant incroyable sur les cœurs et de nombreuses personnes eurent les larmes aux yeux en écoutant. D'autres se sentirent plus légères. La déesse du chant Meloetta ne put résister à chanter avec le dieu de la journée, apportant une nouvelle touche d'émotions au silence de la nuit.
« Tu as besoin d'elle, mais tu sais qu'elle est partie. »
Lugia écoutait les paroles et savait très bien que la chanson s'adressait à elle. Chaque note supplémentaire la faisait enrager, chaque mot chanté la mettait dans une rage folle parce qu'elle arrivait à faire preuve d'empathie pour son frère. C'était tout simplement insupportable et intolérable, il ne méritait pas qu'elle soit compatissante après ce qu'il lui avait fait. Était-ce réellement de la faute d'Ho-oh ? Rien que l'apparition de cette question lui donnait envie de vomir. Epuisée mentalement, la déesse de la nuit s'en alla d'un pas rageur, suivie par les oiseaux légendaires.
« - Nous devons vraiment partir maintenant ? se plaignit Sulfura.
- Fais ce que tu veux, tu es assez grand, cracha-t-elle.
- Nous devrions peut-être attendre la fin de la chanson, suggéra Filly le maire.
- Démerde toi comme tu veux ! souffla-t-elle, la voix glacée. Moi je rentre. »
Ho-oh vit que sa petite sœur quittait Rosalia et il ne sut quoi en penser. Est-ce que ses sentiments avaient réussi à franchir la barrière de son cœur ? Rien n'était moins sûr. Le festival du printemps s'achevait dans une ambiance étrange, jamais il n'avait connu un tel dénouement. Cela porterait certainement un coup à la prochaine édition mais le dieu de la journée savait que c'était loin d'être le plus important. L'apparition de ce Cipher et ses paroles changeraient le monde. Les rouages étaient actionnés, les camps tracés grâce à l'intervention de Giratina. Maintenant, il fallait attendre de voir qui ouvrirait les hostilités. Ce n'était même pas une possibilité mais une certitude. Le monde allait trembler jusque dans ses fondations les plus solides et ce jour marquait le début officiel d'une période sombre.
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