Chapitre 5
« Tu ne crois pas qu'avec cette sensation que nous avons tous, il ne serait pas temps de... de lui expliquer certaines choses de la prophétie ? »
La voix de Suicune tournait en boucle dans sa tête et cela l'énervait parce qu'elle avait totalement raison. Depuis quelques jours, plusieurs légendaires s'étaient mis à ressentir par moment un étrange pouvoir qui leur faisait peur. Quelque chose se réveillait, voire était déjà réveillé. La déesse du Vent du Nord était revenue le voir un soir en secret et lui avait fait part de ses craintes. Elle n'avait pas pu rester, mais son avertissement demeurait aux oreilles du dieu des humains. Ce dernier n'avait pu fermer l'œil de la nuit et le matin l'avait trouvé encore plongé dans ses pensées.
Les insomnies, il avait l'habitude, mais se montrer aussi indécis, ce n'était pas son genre. Mewtwo savait toujours quoi faire d'ordinaire. Même dans une situation d'urgence, son instinct lui dictait toujours la voie à suivre, comme lorsqu'il avait adopté Diamant par exemple. En revanche, pour ce qui était de dire la vérité, cela impliquait bien d'autres choses. Révéler la prophétie à l'adolescent voulait dire changer sa vie pour toujours, le conduire dans un monde où il n'était plus en sécurité nulle part, briser ses rêves avec violence et cela semblait injuste au dieu.
« Pourtant, tu n'as pas le choix. Il ne pourra pas vivre toute sa vie dans l'ignorance. »
La petite voix dans sa tête avait parfaitement raison. Alors un jour, il demanda à l'adolescent de le retrouver dans son bureau. C'était une pièce inutilisée tout en haut du manoir, la seule qui possédait un balcon, donnant sur la mer. Souvent, Mewtwo l'utilisait quand il avait besoin de réfléchir et il se disait que c'était un bon cadre pour une discussion sérieuse. Quand Diamant le rejoignit, il ne se doutait absolument de rien, il avait juste l'air content. Cela rendait la révélation encore plus difficile.
« - Papa, pourquoi tu m'as demandé de venir ici ?
- Je t'ai dit de ne pas m'appeler... Enfin, peu importe. Ce n'est pas facile à dire, mais c'est crucial.
- Ah oui ? C'est bizarre, tu n'as jamais été aussi sérieux.
- Parce que ça n'a jamais été aussi important. Est-ce que tu connais la prophétie d'Arceus ?
- Euh, non. Le Tout-Puissant a fait une prophétie ?
- Pas directement lui. C'est venu par un de ses messagers... On passe les détails, mais voilà le texte : Un jour viendra où s'entre déchireront humains et dieux, certains tomberont. Pourtant un jour l'élu, un simple enfant, arrivera dans un monde devenu dément et la lame cachée d'Arceus, il brandira. Et lui, le demi-dieu, la paix ramènera.
- Oh, je n'en avais jamais entendu parler.
- C'est à cause de moi, Diamant, j'ai... J'ai fait en sorte que tu n'en saches jamais rien.
- Mais pourquoi ? il y a un rapport avec moi ?
- Avant de t'en expliquer davantage, tu dois savoir qu'il existe une autre prophétie, un pendant à celle-là, la voici : L'enfant qui séparera hommes et dieux, celui qui se dressera contre le Créateur des cieux naîtra une nuit au ciel étoilé au cœur de l'hiver. Un froid extrême sera une preuve du chaos supplémentaire. Fils des deux camps, un mélange interdit. Si personne ne l'arrête, tout sera fini. »
Mewtwo se tut, laissant le temps à Diamant d'ingérer toutes les informations. C'était nouveau pour l'adolescent, forcément. Le dieu des humains s'était toujours arrangé pour ne jamais en parler à son petit protégé et que personne ne vende la mèche sur Cramois'île. Enfin, non, il n'en avait jamais parlé aux habitants ni même à la mairesse, mais lui-même n'avait jamais prêché la bonne parole d'Arceus à tort et à travers. Se recentrant sur la réalité, Mewtwo regarda Diamant droit dans les yeux. Le garçon ne réfléchissait plus et il attendait la suite de l'histoire à présent. Dévoiler les prophéties était une chose, les expliquer et faire le lien une toute autre, beaucoup plus compliquée. Même un légendaire ne savait pas trop quels mots utiliser pour aborder un sujet si important.
« - Alors papa, quel est mon lien avec tout ça ?
- Eh bien... D'après la première prophétie, un jour, une guerre éclatera entre les dieux et les humains, mais pas nécessairement les uns d'un côté et les autres de l'autre. Ce sera sans doute plus complexe. Des signes montrent que cette période arrive à grands pas.
- Quels signes, papa ?
- Une sensation, un truc de légendaire. Tu ne comprendrais pas. Mais la suite de la prophétie dit qu'un jour, un enfant viendra nous sauver, mi-légendaire mi-humain, et il brandira l'épée cachée dans le temple d'Arceus. Je suppose que tu avais pu le comprendre tout seul.
- Oui, mais je ne comprends toujours par le rapport avec moi.
- Tu... Tu es probablement l'élu de cette prophétie, l'enfant qui brandira l'épée.
- Quoi ? Mais c'est impossible ! Pourquoi moi ?
- C'est une question à laquelle je vais avoir beaucoup de mal à répondre, Diamant. Vois-tu, nous n'avons pas de preuves tangibles, avec Suicune, mais... Nous savons que c'est toi.
- Alors Suicune aussi, elle sait que... Que c'est moi ?
- La vérité, c'est que... Je ne sais même pas par où commencer.
- Papa... Est-ce que tu peux me dire d'où je viens ? »
Un silence s'installa entre eux et pendant un moment, Mewtwo ne sut que répondre. Il n'avait pas réalisé que parler de la prophétie signifiait avouer tout le reste à son petit protégé. Jamais le dieu n'avait imaginé que cela serait si difficile. L'humain attendait, avec une patience incroyable. La vérité allait arriver, tôt ou tard, il lui suffisait de rester calme, de ne pas presser le légendaire. Cette journée promettait d'être spéciale, de marquer le début de sa nouvelle vie. Diamant n'avait jamais pensé que sa situation pouvait être bizarre aux yeux des autres. Il réalisait en cet instant beaucoup d'éléments sur son existence, des choses auxquelles il n'avait jamais pensé auparavant.
« - Tu es né à Kanto... sans doute dans la ville de Céladopole. Ta mère était une humaine... Je n'en sais pas tellement plus sur elle malheureusement, pas même son prénom.
- Oh... Et ensuite ? Pourquoi est-ce qu'elle... Pourquoi est-ce qu'elle ne m'a pas élevé ?
- Eh bien... C'est à cause de la seconde prophétie. Elle est apparue, sans qu'on sache vraiment d'où elle venait. En tout cas, c'est forcément un autre dieu qui l'a répandu, quelqu'un qui voit l'avenir car certains détails sont troublants. Sans doute notre ennemi.
- Notre ennemi ?
- Ce n'est qu'une supposition et j'en reparlerai plus tard. Toujours est-il que certains humains pensent que l'enfant ne sera pas le sauveur mais le destructeur.
- Je l'ai compris. Mais pourquoi moi alors ?
- Ta mère est une humaine mais ton père est forcément un dieu. Lequel, je ne le sais pas... Mais c'est sans doute pour cela que quand tu es né, ta mère a su que tu étais spécial... Mais certaines personnes de ton village, peut-être poussés par une autre divinité, le savaient aussi.
- Oh non... Mais comment ?
- Je ne sais pas comment hélas. Toujours est-il qu'ils ont... Ils vous ont chassé ta mère et toi. Jusque dans la grande forêt, au Nord d'ici, par-delà la grande mer. C'est là que Suicune t'a retrouvé.
- Mais et ma mère ? Que lui est-il arrivé ?
- Elle... Elle a donné sa vie pour te sauver. Alors, Suicune a senti que tu étais spécial et elle a décidé de te conduire jusqu'à moi. Outre que je suis le dieu des humains... ma solitude permettait de t'offrir un abri sûr, jusqu'à ce que tu sois prêt pour la prophétie.
- Prêt pour la prophétie ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
- Je ne sais pas si je dois t'en dire plus pour le moment...
- S'il te plaît, papa... S'il te plaît.
- Parce que tu comptes encore m'appeler ainsi même après tout ça ?
- Tu m'as élevé et peu importe, je sais que tu voulais me protéger. Alors dis-moi tout.
- Un jour, tu devras te battre contre un dieu qui reviendra se venger de ce que le monde lui a fait subir : tu devras combattre la divinité de l'autre-monde. Giratina. »
Ce fut encore un moment de silence entre l'humain et le dieu. Mewtwo n'arrivait plus à regarder Diamant dans les yeux. Il n'avait jamais pensé que mentir pouvait faire aussi mal. C'était impossible qu'il puisse ressentir autant la présence de ses propres émotions, lui, si froid, et pourtant, c'était le cas. L'enfant s'était fait une place dans son cœur et il ne pourrait pas revenir en arrière. Maintenant, l'innocence était perdue pour toujours, jamais il ne pourrait revenir à cette époque bénie où un sourire suffisait à rassurer. Pour son protégé, le danger était devenu une réalité bien cruelle.
« - J'aurais dû t'en parler il y a longtemps, Diamant, je te demande pardon.
- Ce n'est rien, papa. Je crois qu'il va me falloir du temps pour... pour accepter tout ça. Mais je vais y arriver, je le sais. Pour le moment, cela ne me paraît pas réel.
- Tu es bien plus fort que je ne l'imaginais, mon fils.
- C'est parce que j'ai eu le meilleur des pères pour me protéger, sourit Diamant. Alors maintenant, j'imagine que je vais devoir m'entraîner plus sérieusement à l'épée ?
- En effet. Tu as deviné. Ton entraînement devient plus important que jamais.
- Et la lame, où est-elle ? Dois-je aller la trouver ?
- Ce n'est pas encore l'heure, la guerre n'a même pas commencé. Non pour le moment, nous devons juste nous concentrer sur ton entraînement. Le reste suivra plus tard.
- D'accord, je suis prêt à commencer alors ! »
Où trouvait-il cette force ? Le dieu des humains n'en avait aucune idée, mais il était très fier de son protégé. De son fils même, il osait l'appeler ainsi maintenant. Peu importait les dangers qui pourraient se dresser devant eux dans l'avenir, Mewtwo continuerait de protéger Diamant, cet humain qui avait débarqué dans sa vie à l'improviste mais qui n'en ressortirait jamais. Même les dieux peuvent avoir des émotions. Le légendaire de Cramois'ile se promit toutefois d'enquêter sur l'origine de la fausse prophétie, car il réalisait encore plus pleinement à quel point elle était étrangement précise. Un froid extrême, ce n'était pas une coïncidence avec Suicune qui avait gelé la mer. Qui pouvait voir le futur ainsi ? Mewtwo ferait tout son possible pour le retrouver.
Ho-oh se trouvait dans la grande salle en bas de la tour carillon, son lieu de réunion favori. Il avait même pris un violon, prêt à en jouer à tout moment. La musique ne viendrait peut-être pas, tout dépendait de l'ambiance. Sous sa forme humaine, le dieu de la journée avait convié ses trois partenaires. Parfois, certains utilisaient l'appellation sous-dieux, mais Ho-oh détestait ce terme. Cela désignait très mal la véritable nature de leur relation. En réalité, ils travaillaient tous ensemble pour le bien de la région, comme des égaux. Il avait simplement la juridiction d'une plus grande ville.
Tout d'abord, il y avait Suicune, la maîtresse d'Ebènelle, également sous sa forme humaine. Ses cheveux noirs lisses étaient si beaux et si différents de sa forme légendaire. Dans ses yeux brûlait un feu qui laissait transparaître sa véritable personnalité. Elle était absolument divine, sans mauvais jeux de mots. La déesse était entourée de deux légendaires, ses confrères : Raïkou, propre maire d'Irisia et dieu de la vitesse, ainsi qu'Enteï de Mauville, la divinité de l'endurance. On appelait ce trio les chiens légendaires, vulgairement, mais Ho-oh essayait de limiter ce surnom dégradant.
Sous sa forme humaine, Enteï était un homme très charmant, avec un sombre regard des plus mystérieux, glacé mais charmeur en même temps. Ses courts cheveux bruns mettaient en valeur sa peau légèrement cuivrée et sa petite barbe séduisante. Il était parfaitement assorti à sa belle Suicune et Ho-oh admirait la discrétion de leur couple. Le duo ne s'affichait jamais trop en public, seulement par des petits gestes, des regards secrets. Une belle harmonie se dégageait d'eux.
Raïkou était différent. Il semblait un peu plus vieux que les deux autres sous sa forme humaine, avec ses fins cheveux sombres mi-longs, ses yeux bleu clair qui donnaient l'impression qu'il était aveugle et sa peau presque aussi pâle que la neige. Il était le maire de sa ville, respecté par les siens et capable de s'occuper correctement de ses humains. Ho-oh l'appréciait beaucoup car il était sage, de peu de mots mais il ne parlait jamais pour ne rien dire. Il savait écouter mieux que quiconque.
« - Cela me fait toujours plaisir de vous voir tous les trois réunis, sourit le dieu de Rosalia.
- Et cela nous plait également d'être réunis ici, admit Enteï en hochant la tête.
- Pourquoi nous avoir rassemblé cette fois ? demanda Raïkou. Pour la fête du printemps ?
- Les préparations ont l'air de bien se dérouler pourtant, remarqua Suicune.
- C'est vrai, mais un point ne fait jamais de mal avant le début. Je voulais avoir votre sentiment sur... eh bien selon vous, qui va venir cette année ?
- Oh, dans ce cas, ce ne sont que des suppositions et des... commérages, réalisa le dieu de la vitesse.
- Déjà, on peut commencer par région, déclara Ho-oh. Hum, notre voisin Kanto par exemple ?
- Quasiment personne ne viendra, sauf sans doute notre chère Mew, intervint Suicune. Je doute que le trio des oiseaux vienne cette année encore. Ne parlons même pas de Mewtwo.
- Tu as raison, dame du vent du nord. Et à Johto ? Vous venez tous n'est-ce pas ?
- Bien sûr, Ho-oh, nous ne te ferions pas l'affront de t'ignorer, sourit Enteï. Celebi devrait venir aussi.
- En revanche, je crains que ta sœur ne se présente pas, comme absolument tous les ans.
- Je sais, Raïkou, soupira le dieu de la journée. Je continue d'espérer, mais sans doute pour rien hélas. Mais bon, continuons plutôt. Hum... Pour Hoenn, je pense que ce cher Rayquaza viendra.
- Il n'y a aucun doute, approuva Suicune. Je me demande si Kyogre et Groudon viendront tous les deux cette année ou seulement l'un des deux. C'est variable.
- Tout dépend de leur entente du moment, répondit Raïkou. En tout cas, on est pratiquement certains que les messagers Latios et Latias viendront. Les autres...
- Non, j'ai peu d'espoir pour quiconque d'autre sur Hoenn, réfléchit Enteï. Ce n'est certainement pas les regis qui vont venir, pas plus que leur chef de Sinnoh.
- Tiens, passons à Sinnoh maintenant. Je pense que Caïn, le représentant d'Arceus viendra, déclara Ho-oh. Enfin, s'il est encore envie. Il se fait âgé après tout.
- Shaymin viendra probablement et au moins une partie du trio des émotions, compléta Raïkou. Hum, peut-être la déesse des rêves aussi.
- Dialga ne viendra sûrement pas cette année, il n'a jamais le temps.
- Enteï, très spirituel, soupira Suicune. Mais je crois qu'on peut déjà passer à Unys.
- Décidément, cette fête attire moins de monde avec les années, soupira le dieu de la journée. Je suppose que le trio des mousquetaires viendra. Kyurem s'est déjà excusée pour cette fois.
- Victiny répondra sûrement présent, c'est un brave petit, annonça Raikou. Et pour le reste... Nous ne sommes jamais à l'abri de surprises, mais j'en doute.
- Meloetta viendra aussi, intervint Suicune. Elle aime trop faire la fête pour oser en rater une.
- Bon ensuite, pour Kalos, la belle Diancie viendra sans doute, réfléchit Enteï. Oh, bien sûr, il y aura la dame Xerneas... N'est-ce pas, messire Ho-oh ?
- Oui, oui, pas la peine de me le rappeler.
- Est-ce que notre patron serait donc gêné ? sourit la seule déesse présente.
- Pas du tout... Et enfin la dernière région, Alola, voyons, qui pourrait venir...
- Le patron ne voudra jamais l'admettre, souffla Enteï, faisant sourire les deux autres.
- Je vous entends, mais revenons à Alola. Solgaleo viendra certainement et sa consœur Lunaala aussi. Ce sont des habitués de ma fête. Peut-être un autre dieu encore.
- Quand Lunaala vient, Magearna suit souvent, fit remarquer Raïkou. Et... nous avons fait le tour des régions. Ce n'est pas comme si Arceus allait venir en personne.
- Non, le Tout-Puissant ne fait pas le déplacement pour des sujets si triviaux. Quoique, il peut prendre n'importe quelle forme, peut-être nous fait-il des surprises parfois, souffla Ho-oh.
- C'est vrai, comment savoir à quoi s'attendre avec lui ? soupira à son tour Suicune.
- Eh, vous oubliez qu'il a tout l'univers à gérer quand-même, ce n'est pas rien.
- Heureusement que tu es là pour nous le rappeler, Enteï. Bon, le point est fait.
- Chef, vous ne voulez pas nous jouer un petit air ?
- Oh, Suicune, je ne sais pas si... Quoique, j'ai écrit une chanson récemment, et j'ai besoin d'un public test, avant de la jouer pour la première fois...
- Est-ce que c'est une chanson pour Xerneas ? demanda Enteï.
- Non, pas cette fois. Je crois que je lui en ai déjà écrit assez, même si rien n'est trop beau pour ma belle. Hum, non, cette fois, c'est une chanson pour ma petite sœur. »
Le trio se tut et attendit patiemment que leur leader se mette à jouer. L'oiseau du jour prit son violon, joua quelques notes puis se lança totalement. Les chiens légendaires l'écoutèrent entamer une mélodie terriblement mélancolique qui parlait de temps qui passe et de regret, d'une personne qui en avait laissé partir une autre, comprenant seulement à cet instant qu'elle l'aimait. C'était beau et très personnel, Ho-oh semblait oublier qu'il existait un monde autour de lui quand il chantait. Il devenait alors plus sincère que jamais et révélait sa véritable personne, quelqu'un d'une très grande sensibilité. Il avait beau être un dieu, il n'était pas dépourvu d'émotions. Quand il s'arrêta de jouer et de chanter, ce fut comme si un sortilège venait d'être rompu, un dur retour au réel.
« - Alors, qu'est-ce que vous en avez pensé ? demanda Ho-oh, anxieux.
- C'était vraiment très beau, déclara sans détour Enteï.
- Il y avait beaucoup d'émotions et de sincérité, compléta Suicune.
- Cependant, ce n'est pas à nous de l'entendre, déclara Raïkou. Ta sœur le doit.
- Je le sais, mon vieux. Seulement, elle... Elle refuse même de me voir, désormais. »
En cet instant, il s'approcha de la fenêtre la plus proche du rez-de-chaussée et regarda le ciel avec une grande tristesse dans les yeux. Le trio ne savait pas quoi faire pour le consoler. Il n'y avait sans doute rien à faire. Peut-être auraient-ils pu aller parler à Lugia, la convaincre que son frère l'adorait et n'avait jamais voulu lui faire de mal ? Non, ce n'était pas possible. Il existait une sorte de barrière infranchissable entre les oiseaux et les chiens légendaires. Chacun avait son patron, chacun restait de son côté, et c'était ainsi. L'ordre ne pouvait être chamboulé aussi aisément, surtout quand on leur avait appris à obéir presque aveuglément depuis leur création.
Au moins, tout semblait prêt pour accueillir prochainement la fête du printemps à Rosalia. La mairesse Fira avait tout fait pour transformer la ville, lui donnant un cadre encore plus enchanteur que d'ordinaire. Les deux tours brillaient plus que jamais et le printemps tout proche rendait l'atmosphère chaleureuse. Ho-oh avait hâte de revoir certains de ses confrères, d'autant plus sa dame Xerneas qui avait peu l'occasion de passer, avec les problématiques qu'elle devait régler dans sa propre région. Pourraient-ils vraiment vivre côte à côte un jour ? Rien n'était moins sûr, hélas, mais le dieu du jour avait terriblement besoin de rêve et d'entretenir son espoir. Dans la poche de son habit, il posa la main sur une pierre, un cadeau de sa soeur, datant de l'ère céleste. L'objet était supposé les aider à communiquer de loin, mais depuis de longues années, il restait muet. Peut-être qu'il se réveillerait un jour, qui sait.
Kyogre était terriblement ennuyée. Elle vivait dans la merveilleuse ville d'Atalanopolis, une cité cachée au cœur d'un cratère sur une île isolée, accessible uniquement par voie aérienne ou sous-marine. C'était un lieu qui jouissait d'un grand calme et dont les habitants vivaient un peu isolés du monde, sans être malheureux. En effet, ils pouvaient tout de même voyager, la déesse des océans les aidait, notamment pour favoriser le commerce et l'essor de la ville. Kyogre appréciait cette protection naturelle qui évitait toute attaque non préparée contre les siens, offrant un bel abri.
« Bonjour très chère ! »
Sauf contre Groudon évidemment. Le dieu de la terre se plaisait à lui rendre visite quand il le pouvait, de préférence en la surprenant. Kyogre le détestait pour cela et essayait de se montrer indifférente. C'était ce qui blessait le plus l'égo du dieu, mais elle se révélait souvent une piètre actrice. Alors, la déesse le recevait dans son palais, au cœur de la Grotte Origine, lieu où elle se retirait. Il avait osé prendre sa forme humaine si insolente, avec ce sourire carnassier et cette grande crinière noire. Il venait à chaque fois seul, comme une provocation supplémentaire de sa puissance.
Groudon se considérait en couple avec Kyogre, mais pour elle, c'était plus compliqué. Forcément, ils formaient un duo, lui la terre, elle la mer... Mais leur relation s'arrêtait là. Elle ne voulait pas être charnellement avec lui et même si parfois, elle arrivait à le trouver sympathique, cela s'arrêtait là. La déesse avait décidé de revêtir sa forme humaine à son tour, une grande silhouette bronzée aux cheveux blancs toujours tressés de manière compliquée. Son regard bleu contrastait avec les yeux rouges de son rival. Elle tâchait d'avoir l'air aussi sûr d'elle que possible.
« - Groudon, quelle surprise, soupira-t-elle, le regard volontairement méprisant.
- Pourtant, nous ne vous attendions pas, seigneur de la terre. »
Celui qui venait de parler, c'était Nathaniel, le maire d'Atalanopolis, un humain tout ce qu'il y a de plus humain. A vrai dire, Kyogre méprisait un peu les humains, les trouvant faibles et futiles, toujours à courir après des rêves impossibles dans leur courte mortalité. Celui-ci n'échappait pas à la règle et pourtant, elle le trouvait différent. Est-ce que c'était à cause de ses courts cheveux en bataille bleu comme la mer ? De ses yeux de la même couleur que les vagues du large ? De sa cicatrice sur l'épaule, liée à un accident de bateau ? De son air élégant en toute circonstance ? Ou tout simplement parce qu'il n'arrivait pas à cacher qu'il était fou amoureux d'elle ? Elle-même ne savait pas très bien quels sentiments elle éprouvait pour Nathaniel. Dans le fond, elle préférait ne pas savoir.
« - Que voulez-vous, j'aime tant venir vous voir ! Tu as bonne mine, Kyogre. J'espère que tu ne passes pas trop de temps dans cette grotte, ce serait mauvais pour ton teint.
- Je ne crois pas avoir besoin de tes conseils de beauté. Pourquoi es-tu venu ?
- Parce qu'il faut forcément avoir une raison pour vouloir venir te voir ?
- Répondez, répliqua Nathaniel, le regard furieux.
- Oh, si même l'humain s'énerve, où allons-nous !
- Nathaniel a raison. Réponds-moi plutôt que de te perdre dans tes propres paroles.
- Oh, d'accord. Je suis venu me renseigner sur ta venue à la fête du printemps.
- Eh bien tu repartiras bredouille, je n'ai pas encore décidé.
- Allons, organisée comme tu es, ma chère, je ne peux pas croire que tu n'aies pas...
- Groudon, je n'ai pas encore décidé. »
Elle avait cessé d'utiliser ce ton poli pour devenir véritablement froide, comme l'eau tout au fond de l'océan. En temps normal, elle pouvait le supporter mais cette fois, il dépassait les bornes. Kyogre en avait assez de devoir supporter un tel être dans sa vie, fut-il un dieu. Qu'avait-elle fait à Arceus pour mériter ce destin ? La divinité de la terre semblait comprendre qu'elle camperait sur ses positions et il cessa donc de se comporter comme un enfant. Il le faisait pourtant à merveille quand il le voulait.
« - Je suis navré de t'avoir fâchée, Kyogre. Sache que j'y vais de mon côté.
- J'en prends note, Groudon. Maintenant, tu peux quitter ma ville.
- Belle journée, conclut abruptement Nathaniel.
- Ah la la, la bonne humeur règne ici, c'est terrible ! »
Groudon se mit à rire, mettant ses deux interlocuteurs mal à l'aise. Il les fixa un instant de ses yeux rouges, comme des rubis, puis s'en alla et quitta l'île, utilisant des moyens connus de lui seul et des dieux. La déesse soupira de soulagement, sentant un poids en moins sur ses épaules maintenant qu'il était parti. Elle n'avait jamais réalisé à quel point leur situation était devenue conflictuelle et à sens unique au fil des années. Pourtant, elle ne le détestait pas. Elle ne le supportait plus et c'était tout à fait différent. Nathaniel s'approcha de Kyogre et s'inclina devant elle, un parfait gentleman. Elle aurait souhaité se montrer plus proche de lui mais elle se le refusait, pour de nombreuses raisons.
« - Devons-nous l'empêcher de revenir, ma dame ?
- Non, c'est inutile. Il trouvera toujours un moyen. Ainsi est Groudon.
- Je vois bien que cela vous fait du mal alors si jamais je peux faire quoi...
- Cela ne te regarde en rien, Nathaniel. Nous sommes des dieux.
- Pardon, je ne cherchais pas à m'immiscer dans une querelle divine.
- Je le sais bien. Désolée, je suis sur les nerfs en ce moment.
- Ne vous excusez pas, dame Kyogre, vous n'aurez jamais besoin de le faire avec moi.
- Tu es bien prévenant. Nathaniel... Tu sais pour la fête du printemps ?
- Oui, dame Kyogre, que voulez-vous faire à ce sujet ?
- Je crois que nous allons nous y rendre. Prépare tout, et vite. Je sens que cela sera instructif cette année et mon intuition m'a rarement trompé. »
Elle ne disait pas que dans le fond, elle n'avait absolument aucune envie de s'y rendre, que cela le dégoûtait au plus haut point de revoir Groudon. Cependant, elle ne pouvait nier son instinct qui la poussait vers l'avant et lui commandant de répondre à l'invitation d'Ho-oh. Même si cela ne lui plaisait guère, elle ne comptait pas repousser ce sentiment. Nathaniel s'inclina face à elle, effectua un baisemain parfait puis se retira non sans avoir plongé son regard dans le sien. Il l'aimait de tout son cœur, cela crevait les yeux, mais elle ne pouvait rien lui rendre en retour, c'était la règle. Et puis, la déesse des mers avec un simple humain ? Non, elle avait encore de l'ego.
« Allez, joue-nous encore ce petit air rapide ! »
Tokorico soupira et reprit sa mandoline, pour jouer à nouveau cet air qu'il connaissait si bien. Le dieu du combat avait invité les trois autres à tokos dans sa propre grotte, pour passer un moment avec eux, seulement entre divinités. Cela leur arrivait parfois et c'était agréable d'oublier les humains pendant un moment. Chaque fois, ils changeaient le lieu et c'était au tour du maître de Lili'i de recevoir. Cela ne lui déplaisait pas de faire la fête avec ses égaux. Tokorico avait prévu beaucoup d'alcool et des petites spécialités de son île à grignoter. La soirée promettait d'être incroyable, surtout avec les trois invités, des légendaires qui avaient également revêtus leurs formes humaines.
Tokopisco était la déesse de l'amour et venait du Village Flottant, au sud de l'île de Poni-poni. Elle était très sportive, avec des cheveux courts bien coiffés de la couleur du ciel, assortis à ses yeux. Sous son petit nez s'affichait souvent un grand sourire, presque maternelle. Elle restait la plus sage concernant l'alcool, même si elle commençait déjà à avoir des couleurs rouges sur son visage. La déesse prenait son rôle très au sérieux, surtout celui de protectrice de sa ville en vérité. Elle n'avait jamais été très porté sur l'amour, du moins pour autant que Tokorico savait. Qui pouvait vraiment savoir ?
Le toko de l'île d'Ula-ula n'était autre que Tokotoro, le dieu de la médecine. Parfois, le légendaire du combat se demandait s'il n'aurait pas dû échanger son rôle avec son collègue du Village Toko, cela semblait lui correspondre beaucoup plus. Les pensées d'Arceus étaient bien étranges. Même le physique humain de Tokotoro le rendait plus intimidant que Tokorico. Outre son impressionnante musculature et sa grande taille, il portait une courte crinière blonde, des yeux bleus, une barbiche bien entretenue ainsi qu'un gros nez. Sa moue boudeuse était légendaire, comme sa passion pour l'alcool.
Enfin, la dernière n'était autre que Tokopiyon, la déesse des voyages, la petite fée de l'île d'Akala et de la ville de Konikoni. Pour cette fois, elle tenait parfaitement son rôle, puisqu'elle adorait l'idée de partir à l'aventure, même si elle restait prisonnière de son rôle. La jeunesse était imprimée sur ses traits, alors pourtant qu'elle avait le même âge que les autres. Sa peau était bronzée, tandis que ses cheveux frisés montraient un brun chocolat et ses yeux étaient bleus, tout comme les autres. Même si sa forme humaine était plus petite que les autres, elle ne manquait ni de qualité ni de cœur, c'était certain.
« - Tu joues toujours aussi bien, Rico, s'amusa la déesse de l'amour.
- C'est que je m'entraîne tous les jours ou presque. Alors forcément, avec tant d'années de pratique, ça finit par venir. Vous pourriez faire exactement la même chose.
- Si on en avait envie, grommela Tokotoro. Mais ce n'est pas trop notre truc la musique, conclut-il en se servant à nouveau un verre d'un alcool bien fort.
- Pour le moment en tout cas, sourit Tokopiyon. Cela viendra peut-être. Surtout si tu n'as plus envie de nous divertir lors de nos soirées. C'est peut-être lassant, après tout.
- Oh non, je ne m'en lasse pas, rassure-toi, Piyon, sourit le dieu du combat. Mais je suppose que vous n'êtes pas venus juste pour m'entendre jouer un petit air, je suppose.
- Oh non les gars, rigola le dieu de la médecine. C'est l'heure d'un jeu à boire ! »
Eh voilà, c'était l'heure ! Chaque fois qu'il y avait une réunion entre eux, il y avait donc un peu d'alcool et donc forcément, des jeux. C'était leur tradition, bien que cela reste totalement secret. Arceus le savait probablement, lui qui voyait tout, mais il n'avait heureusement jamais rien tenté pour leur interdire cela. Ce que le Tout-Puissant n'interdisait pas ne pouvait donc pas être mauvais. A chaque fois, l'un des tokos proposait un nouveau jeu, afin de ne jamais refaire la même soirée. Pour cela, ils s'inspiraient volontiers des amusements des humains, avec toujours de bonnes idées.
« - Bon alors, c'est quoi cette fois ? demanda Tokopiyon.
- J'ai pensé tout simplement à un « vérité ou bois » !
- Comme c'est original, Toro, soupira Tokopisco. Tu es plus inspiré d'habitude.
- Parfois, la simplicité c'est aussi bien, déesse de l'amour. Tu as peur de révéler un secret ?
- Non, pas du tout. Je suis partante. Totalement partante.
- Moi aussi, approuva la déesse des voyages, sirotant tranquillement son verre.
- Dans ce cas, allons-y ! s'exclama Tokorico. Qui commence ?
- J'ai eu l'idée, c'est moi, sourit le dieu de la médecine. Alors Pisco, vérité ou boissons ? Dis-moi si tu es amoureuse de quelqu'un ?
- Oh par le Tout-Puissant, soupira la déesse de l'amour, en buvant un grand verre.
- Je suis déçu, gronda Tokotoro. Je pensais enfin savoir le grand secret de Tokopisco.
- A mon tour, déclara la légendaire du Village Flottant. Et toi Tokotoro, aimes-tu quelqu'un ?
- Il faut dire « bois ou vérité », souffla Tokopiyon avec un petit rire.
- Ah oui. Bois ou vérité alors ?
- Eh bien, je suis navré de te décevoir mais je n'ai personne dans ma vie. Personne, personne.
- Oh, il va falloir que je règle cela, soupira Tokopisco, bien ivre maintenant. Après tout, je suis la déesse de l'amour, c'est mon rôle de gérer cette affaire.
- Déesse de l'amour, même pas capable de dire la vérité... Hum, voyons si le dieu du combat est plus loquace. Alors Rico, amoureux ? Bois ou vérité ?
- Oh, souffla timidement Tokorico, en buvant avidement une belle gorgée.
- Quoi, mais non, toi aussi ? C'est incroyable, si même notre chef s'y met, soupira Tokotoro.
- Alors, je vais te poser la même question, Tokopiyon, s'exclama le maître de Lili'i. Boire ou vérité ?
- Je suis désolée, mais non. Il n'y a rien de mon côté. Bien, à mon tour ! »
Ils continuèrent ainsi à s'amuser toute la nuit et jamais aucun humain ne vint les déranger. Tokorico n'avait pas voulu révéler la vérité concernant les sentiments qu'il éprouvait pour Reiju, la mairesse de Lili'i, c'était trop dangereux. Peut-être que Tokopisco cachait ses sentiments pour quelqu'un elle aussi, ce qui expliquait sa préférence pour son verre plutôt que de répondre à la question. Cela la regardait après tout. Les autres n'étaient peut-être pas sincère ? Après tout, ils n'avaient aucune obligation de dire ce qu'il y avait vraiment dans leur cœur. Tokorico oublia un peu tout ça et profita de la soirée. Ce qu'il ignorait, c'est qu'il n'y aurait plus d'autres soirées de ce genre avant bien longtemps.
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