Chapitre 23
« Je sais que tu ne pourras pas m'oublier. Tu essaierais, encore et encore, mais toujours, la culpabilité te rattrapera ! Moi, je ne t'oublierai jamais ! Tu m'entends, Palkia ? »
Elle se réveilla en sueurs dans son lit, le cœur battant à tout rompre et les membres tremblants. La déesse regarda rapidement autour d'elle mais il n'y avait aucune ombre étrange dans sa chambre ni aucune présence. Seulement elle et son anxiété chronique. Palkia essaya de reprendre son calme en respirant profondément. De longues minutes passèrent durant lesquelles le vide se fit dans sa tête, toutes les pensées parasitent disparurent petit à petit, laissant la sérénité la submerger. Tout allait bien, elle était en sécurité, elle ne risquait rien dans ses appartements de Vestigion.
« Je ne t'oublierai jamais ! »
La voix résonna à nouveau et elle se retourna en panique. Il n'y avait personne. Quelques larmes de fatigue coulèrent sur ses joues. Ce n'était plus possible, elle était épuisée. Elle ne dormait plus depuis que Giratina avait essayé de la recontacter. Il avait réveillé plus que jamais les souvenirs qu'elle essayait désespérément d'oublier, cette époque à l'ère céleste où le bonheur marchait encore à ses côtés. Maintenant, c'était le chaos et elle ne se sentait plus en sécurité nulle part.
Dialga avait essayé de l'aider. Depuis cette époque, il ne cessait de prendre de ses nouvelles, de la contacter pour lui proposer de passer un moment ensemble. Et Palkia le repoussait. Elle avait fermé les yeux sur cette main tendue et avait fermé la porte à son plus ancien ami. Il avait pourtant continué sans relâche, vraiment désintéressé, mais elle ne pouvait pas le voir. Dès que la déesse regardait dans ses yeux, c'était Giratina qu'elle revoyait et cela brisait son cœur.
Quand le dieu de l'autre-monde l'avait recontacté, la panique l'avait envahi parce qu'elle ne savait pas quoi faire. Elle était partagée entre plusieurs sentiments pour ce personnage et elle n'arrivait pas à faire le tri. Palkia avait finalement décidé de se confier au maire de Vestigion. Sazh la connaissait bien et il avait un côté calme qui lui permettait de se poser pour réfléchir à des solutions, même pour les problèmes les plus complexes. Lui, il pourrait lui prodiguer des conseils.
« - Sazh, qu'est-ce que je dois faire ?
- Eh bien... Giratina est mauvais non ? Pour qu'Arceus l'enferme...
- Ce n'est pas si simple. Il n'a pas toujours été... C'est juste qu'il souhaite se venger maintenant.
- Hum, un dieu blessé par les siens. C'est triste.
- Mais je ne sais pas si je dois reprendre contact avec lui. Je lui ai fait tant de mal.
- Et il vous en a fait aussi non ? J'ai l'impression de le lire dans vos yeux.
- Cela n'a pas d'importance, Sazh. Je ne sais pas ce que je dois faire.
- Hum, c'est une situation qui m'échappe, dame Palkia. Je crois que vous devriez demander de l'aide à un autre dieu. J'aurais peur de vous mener sur le mauvais chemin.
- Tu as raison. Merci, Sazh, je vais chercher conseil auprès d'un des miens.
- Et n'oubliez pas, je vous suivrai jusqu'au bout, quel que soit le camp choisi. »
Ces derniers mots, Palkia en tint bien compte dans le futur. Elle prit congé de son maire et se mit à songer à quelle personne elle pourrait rendre visite. La région de Sinnoh ne manquait pas de divinité, elle ne devrait pas tarder à trouver quelqu'un à contacter. La solution la plus logique demeurait Dialga qui ne cessait de lui tendre la main. Pourtant, elle n'avait aucune envie de se tourner vers le dieu du temps, même si cela semblait évident. Elle devait trouver un autre dieu en qui elle avait confiance et qui ne lui ferait pas penser aux événements du passé. Plakia finit par trouver la personne parfaite. Elle annonça aux habitants de Vestigion qu'elle s'absentait pour une courte visite et partit pour un petit voyage vers le nord-est de sa région.
Dans cette zone de Sinnoh se trouvait une immense île totalement détachée du continent, un lieu sauvage particulièrement dangereux. De nombreux pokémons vivaient ici et il s'agissait d'espèces extrêmement fortes. Peu d'humains avaient su s'adapter à ces terribles conditions et pourtant, un petit village avait réussi à s'installer au nord de l'endroit, au pied du mont Abrupt. Pour honorer leur capacité d'adaptation, ils avaient baptisé ce lieur l'aire de survie. Malgré leur localisation, ils vivaient sous la protection d'un dieu, celui que Palkia était venue voir.
Elle le trouva au pied du mont Abrupt, en compagnie de son maire. Ce dernier se nommait Tiz et il était un véritable aventurier, un pionnier qui ne cessait d'explorer les alentours de l'aire de survie. Sa tenue montrait quelqu'un prêt à partir à n'importe quel moment pour une randonnée sur un volcan. Ses cheveux châtains grisés étaient coiffés par le vent et il posa un regard étonné sur la déesse qui arrivait, avec des yeux marron. Il était plus petit que la moyenne et son visage demeurait fermé, parce qu'il n'exprimait sans doute pas aisément ses sentiments.
Juste à côté de l'humain que Palkia ignora se trouvait le dieu local, Heatran, le seigneur des volcans. On aurait pu s'attendre à une personne terrifiante avec un tel titre mais le dieu dégageait au contraire une aura sympathique et un grand calme semblait l'entourer. La divinité possédait des yeux marron tout comme son maire, mais sa chevelure rappelait la lave, un doux mélange de brun et d'un roux sulfureux. Heatran possédait également une petite barbe qu'il ne laissait jamais pousser beaucoup et qui accentuait ses traits fins. En apercevant Palkia, il sourit doucement car la déesse était une amie de longue date.
« - Bonjour Palkia ! Je ne m'attendais pas à ta visite !
- Déesse de l'espace, s'inclina le maire Tiz avec déférence.
- Bonjour Heatran. Dis-moi, pourrions-nous nous entretenir un moment tous les deux ? »
Le dieu hocha la tête et le maire s'en alla sans prononcer un mot. Il ne semblait pas particulièrement mécontent, il acceptait juste la situation. Heatran invita Palkia à venir s'asseoir à ses côtés sur une large pierre qui se trouvait là et il la laissa raconter son histoire. La déesse de l'espace ne tarda pas à parler de Giratina qui avait tenté de reprendre contact avec elle et des cauchemars qu'elle avait depuis ce moment. Le dieu des volcans l'écouta avec intention. Il connaissait la situation du passé et n'avait pas donc pas besoin de poser beaucoup de questions, ce qui arrangeait son interlocutrice.
« - Eh bien, il semblerait que notre bon vieux Giratina n'ait pas apprécié ce qu'Arceus lui a fait.
- Tu veux dire, ce que Dialga et moi lui avons fait.
- Pal, tu sais bien que c'était un ordre du Créateur. Tu ne pouvais rien faire.
- J'aurais pu refuser. Je m'en rends compte maintenant. Et je ne sais plus Heatran, je ne sais plus où se trouve le bien et le mal. Et je crois que j'ai peur de le revoir...
- Tu crains qu'il soit fâché contre toi ?
- Oui... Tu sais, je ne l'ai jamais détesté. Et je suis perdue.
- Pour le moment, as-tu le moyen de rester neutre dans cette guerre ?
- Plus pour longtemps. Vestigion devra choisir son camp et je ne veux pas me tromper.
- Sache que quoi que tu fasses, je te soutiendrai, ma belle. Notre localisation nous a permis de ne pas nous mêler à cette histoire, mais nous te soutiendrons.
- Même si je devais choisir son camp à lui ?
- Même si tu devais choisir son camp. Tu es si gentille, Palkia, je ne peux pas croire que tu choisirais le mauvais côté. Je te fais entièrement confiance. »
Pour appuyer ses propos, le dieu des volcans sourit et posa sa main sur son épaule. Cela rassura la déesse de savoir qu'il y avait quelqu'un qui la soutiendrait. Il ne lui avait pas apporté les réponses qu'elle attendait mais il l'avait écouté et lui avait donné son soutien. Dans le fond, c'était ce dont elle avait besoin. Heatran ne doutait à aucun moment d'elle et Palkia ne lui avoua donc pas qu'au fond de son cœur de déesse, elle était persuadée qu'elle allait choisir le mauvais chemin, parce que son esprit perdait de la force qu'elle possédait dans le passé, à mesure que ses souvenirs prenaient le dessus.
« Je ne t'oublierai jamais, Palkia ! »
Le dieu de la journée avait l'impression de ne rien faire et pourtant de n'avoir aucun temps pour lui, tant les journées défilaient à toute allure. Il recevait de nombreuses personnes, parfois extérieur à Rosalia, et donnait son avis sur les procédures de défense à mettre en place pour protéger la région de Johto. Chaque ville venait consulter le dieu du jour afin de valider son plan d'action. Pour le moment, les attaques restaient globalement extérieures mais les récents événements de Kanto faisaient trembler les humains et les légendaires. La guerre était plus proche que jamais.
Il aurait aimé prendre le temps de s'occuper d'autres choses, par exemple d'anticiper la prochaine fête du printemps pour qu'elle soit grandiose, mais hélas, il ignorait si un tel événement pourrait avoir lieu. Ho-oh ne chômait pas pour être présent auprès des habitants et des humains en général mais il avait l'impression de délaisser les personnes qui comptaient pour lui et cela l'attristait. Pourtant, il devait bien l'admettre, il ne possédait pas de se trouver sur plusieurs endroits à la fois. Même le trio Suicune-Enteï-Raikou lui paraissait plus distant et pourtant, ils se voyaient régulièrement. Chacun devait toutefois veiller sur une partie de Johto et cela leur prenait du temps, si bien qu'ils pouvaient moins se réunir.
Lugia n'avait pas donné de signe de vie et sa ville ne semblait pas partie en guerre. Le dieu de la journée aurait aimé reprendre contact avec elle mais ses obligations l'en empêchaient. Il aurait voulu lui dire à quel point il était heureux qu'elle ait bien voulu venir à la dernière fête du printemps et qu'il s'en voulait qu'elle ait été gâchée de la sorte. La déesse de la nuit voudrait-elle l'écouter ? Il était probable que non mais il aurait tout de même aimé laisser parler son cœur.
« Tu me manques, petite sœur. J'aimerais que tu me pardonnes... »
D'autres points d'inquiétude demeuraient dans son esprit, mais il ne pouvait en parler à personne. Ho-oh était un dieu, un des plus grands, et il ne pouvait se permettre de montrer le moindre signe de faiblesse, surtout pas devant les humains. Pour tout le monde, il était un être avenant, toujours positif et empli d'une immense empathie, mais dans le fond, personne ne savait ce qui se cachait derrière son regard brillant. Personne ne connaissait les sombres pensées qui l'habitaient et les angoisses qui le rongeaient de plus en plus, à part bien sûr...
« Ho-oh ? »
En entendant la voix, il eut l'impression de renaître, comme si la neige tombée sur son cœur venait de fondre instantanément. Le dieu releva les yeux pour croiser le regard de sa chère et tendre Xerneas. Sous sa forme humaine, elle semblait abattue, et de ce qu'il savait, elle avait vécu des moments difficiles. Cela l'avait rendu malheureux de ne pas avoir pu la soutenir mais maintenant, elle était là. Avec douceur, Ho-oh s'approcha d'elle et sans un mot, il la prit dans ses bras. Il avait terriblement besoin de sentir sa présence contre lui et elle ne le repoussa pas, bien au contraire. Pendant un long instant, ils s'étreignirent sans se parler. Il n'y en avait aucun besoin.
« - Xerneas... Je suis terriblement désolé, finit-il par dire.
- Je sais mais tu avais tes responsabilités. Je ne t'en veux absolument pas.
- Moi, je ne pourrais pas me pardonner aussi aisément. Comment ai-je pu te laisser seule alors que tu vivais des choses aussi horribles ?
- C'est passé maintenant. Ho-oh... Je regrette tellement. Pourquoi je ne l'ai pas vu ? Le maire d'Illumis, Scar... J'aurais dû me rendre compte qu'il allait aussi mal. »
Ils s'installèrent tranquillement et elle lui raconta ce qui s'était passé à Romant-sous-bois. La mort de l'homme qu'elle avait côtoyé pour gérer sa ville pendant des années représentait un immense traumatisme pour la déesse. Xerneas s'en voulait de ne pas avoir vu cette faille dans son esprit qui avait permis à Giratina de prendre le contrôle. Et ensuite, le pauvre Scar, trop horrifié par ses gestes, avait décidé de s'ôter la vie. La divinité de l'existence avait eu du mal en découvrant son corps et se maudissait encore de n'avoir pas sur le protéger.
« - Je ne suis même pas capable de garder un humain en vie, alors qu'il a toujours été à mes côtés. Est-ce que je mérite vraiment d'être la déesse de la vie ?
- La faute revient à Giratina. C'est lui qui a corrompu Scar. Nous sommes des dieux, Xerneas, mais nous ne pouvons malheureusement pas sauver tout le monde.
- Parfois, je me demande si nous pouvons sauver une seule personne. Mais, quelque part, ce n'était pas le pire de ce qui est arrivé à Romant-sous-bois.
- Pas le pire ? Il s'est passé autre chose ?
- J'ai voulu faire croire que c'était le pire pour moi, pour endormir les doutes, mais... J'ai aussi vu Lyon, le maire de la ville, mourir et... Tu sais qui il était ?
- Un être humain ? A moins que...
- Il était le fils de Terrakium et Shaymin. C'était un enfant interdit.
- Oh... Alors tu veux dire que... Giratina... Non...
- Si. Il chasse les enfants des divinités. Peu importe que ce ne soit pas des demis, comme la prophétie l'indique. Dans le doute, il veut tous les éradiquer. Tu vois ce que je veux dire ? »
Ho-oh accusa le coup un moment et garda le silence. Il ignorait totalement que Shaymin et Terrakium avaient eut un enfant. Cela ne l'avait pas empêché de connaître l'existence de leur relation mais il ne pensait pas qu'ils avaient franchi le pas interdit par le Créateur en personne. Et voilà que leur enfant, qu'ils avaient pourtant dû cacher avec toutes les précautions du monde, venait de perdre la vie, tout ça parce que Giratina avait décidé de se mettre en chasse à cause d'une prophétie. Un frisson parcourut le corps du dieu tandis qu'il pensait aux conséquences que cela impliquait.
« - Ma douce... Nous... Quelqu'un peut-il connaître notre secret ?
- Nous n'en avons jamais parlé à personne, pas même à quelqu'un de confiance.
- Le trio de Johto n'est pas au courant alors qu'ils me côtoient depuis toujours.
- Dans ce cas, c'est parfait. Personne ne doit jamais savoir ! Je... Je ne le supporterai pas.
- Ne t'en fais pas. Le secret de Fira sera bien gardé et puis, je l'ai toujours sous les yeux. Je ferai davantage attention à elle avec tes recommandations.
- Parfois, je regrette que cette interdiction nous empêche d'être à ses côtés. Heureusement, que d'une façon, tu as pu l'être, contrairement à moi.
- Si proche et si loin. Mais je protègera notre enfant, Xerneas. Je le jure. »
Le dieu de la journée prit la déesse de la vie dans ses bras et l'étreignit avec force tandis qu'elle profitait de la chaleur qui émanait de lui. Ho-oh se mit ensuite à chantonner, pour la rassurer mais aussi pour se rassurer lui-même. Sa voix s'élevait avec volupté dans le silence de sa tour et apportait aux deux divinités un grand calme dont ils avaient bien besoin. Personne ne connaissait leur secret et personne ne le connaîtrait jamais. Leur enfant secret était en sécurité.
Hélas, dans un recoin noir, une ombre entendit leur conversation et elle n'avait pas l'intention de garder cet important secret pour elle.
« Attention, sois sage, sinon Darkrai viendra te chercher cette nuit ! »
Voilà ce qu'on répétait sans cesse aux enfants turbulents pour qu'ils fassent leurs devoirs, qu'ils finissent leurs assiettes ou qu'ils aillent se coucher sans faire d'histoire. Ses phrases prenaient d'autant plus de sens aux alentours de Voilaroc, parce que c'était la ville où résidait justement la déesse des cauchemars. Elle ne sortait pas souvent de ses appartements et on apercevait simplement une forme furtive derrière les fenêtres. Ainsi, les habitants ne la connaissaient pas très bien et ils continuaient à faire vivre les rumeurs, voir à les amplifier.
Cela décourageait la déesse locale qui aurait aimé jouir d'une meilleure réputation, comme celle de sa consœur, la belle Crescelia, la gardienne des rêves. Toutefois, son caractère timide ne l'aidait malheureusement pas à apparaître davantage et à se montrer plus avenante auprès des habitants de son territoire. Quand elle entendait ce qu'ils pensaient d'elle, Darkrai avait envie de s'enfermer dans ses appartements pour toujours et de disparaître dans les draps de son lit. Parfois, en regardant le ciel nocturne, elle pleurait en se demandant pourquoi on l'avait choisi pour ce rôle.
Il y avait un seul humain qui la connaissait réellement mais qui n'arrivait pas à montrer aux autres qu'elle était une belle personne. Il s'agissait du maire de Voilaroc, un ancien du nom de Kern. Largement dégarnie sur le dessus de son crâne, il arborait quelques cheveux blancs sur les côtés de ses oreilles et une grande barbe blanche qui lui donnait un air incroyablement sage. Ses petits yeux sombres scrutaient le monde avec intérêt, d'autant qu'il n'avait pas une très grande taille. C'était un humain avec une très grande douceur et Darkrai l'appréciait.
« - Kern... Pourquoi est-ce que j'ai si mauvaise réputation ?
- Parce que vous ne vous montrez pas ! Les gens ont généralement peur de ce qu'ils ne connaissent pas et c'est exactement le cas pour vous, déesse.
- Hum... Pourtant, toi tu me connais et tu n'arrives pas à leur dire.
- Mes mots n'arrivent pas jusqu'à eux. Les vôtres auraient plus d'impact !
- Mais s'ils ne m'apprécient pas, même en me connaissant ?
- On ne peut pas plaire à tout le monde... mais vous ne pouvez pas savoir avant d'avoir essayé. »
En ponctuant ses phrases d'un sourire, il avait donné envie à Darkrai de déplacer des montagnes. Elle se souvenait très bien ce jour-là, elle était remontée et pleine de motivation, d'envie de rencontrer les habitants de Voilaroc. Ce jour-là, la déesse s'était faite aussi belle que possible, revêtant une grande robe bleue qui scintillait comme un lac sous la lune. Sa longue chevelure blond pâle était coiffé en natte et elle avait essayé d'éclaircir le contour de ses magnifiques yeux bleus. Son maquillage lui permettait de créer un personnage plus doux et moins terrifiant. Alors, Darkrai était sortie et elle avait presque aussitôt croisé un groupe d'enfants. Parfait, voilà des personnes qu'elle pouvait aborder afin de changer leur vision. Elle était pleine d'espoir.
« Attention ! La déesse des cauchemars ! Fuyons ! »
Elle se rappelait des cris et de la peur qu'elle avait lu sur leurs visages, une véritable terreur qu'elle ne pourrait pas effacer avec des mots doux et du maquillage. Ces enfants étaient conditionnés à croire qu'elle était une véritable menace pour eux et elle ne pourrait jamais les aborder. Plutôt que de poursuivre, elle était rentrée précipitamment dans ses appartements, tout son espoir envolé. Darkrai avait passé le restant de la journée à pleurer et aucun mot de Kern n'avait pu atteindre son cœur. Il fallait se rendre à l'évidence : pour tous ses enfants, elle n'était qu'un monstre.
Cela faisait bien longtemps que ce jour terrible s'était produit mais elle y repensait régulièrement. Darkrai se trouvait devant son miroir à brosser sa chevelure, un rituel qui la calmait. Pour chasser ce souvenir et retrouver de l'énergie positive, elle repensait à son cher Cobaltium. Que faisait-il dans la région d'Unys ? Elle revoyait son doux sourire flotter dans ses pensées et cela la rendit heureuse. C'était peut-être ridicule pour une déesse, mais cela lui importait peu.
« Darkrai ? »
La voix la tira de ses pensées et elle eut un sursaut. Pourquoi avait-elle l'impression de la connaître ? Ce n'était pas Kern et personne d'autre ne s'aventurait aussi loin dans ses appartements. Ce n'était pas non plus Cobaltium, elle aurait tout de suite reconnut sa voix. Crescelia venait rarement sans se faire annoncer auparavant et c'était une voix beaucoup trop caverneuse pour que cela soit celle de la déesse. Mais qui ? En regardant dans le miroir, elle se figea quand une ombre apparut derrière elle. Darkrai avait beau être la déesse des cauchemars, elle avait l'impression qu'on venait de la piéger dans son propre pouvoir. Lentement, la silhouette se rapprocha d'elle et juste à côté de sa tête apparut une divinité sous une apparence spectrale mais qu'elle reconnut aussitôt.
« - Giratina... Que fais-tu ici ?
- Darkrai... Pourquoi n'as-tu pas écouté mes appels ? Je t'ai demandé de me rejoindre.
- Ce n'est pas mon souhait. Je n'ai pas envie d'être à tes côtés.
- Vraiment ? Pourtant, j'imagine que les humains t'ont fait du mal.
- Ils ne me connaissent pas, c'est tout. Sors de ma ville maintenant.
- Non... Pas avant de t'avoir montré quelque chose.
- Disparais, souffla-t-elle, la peur commençant à envahir son esprit. Je ne veux rien voir.
- Je dois te montrer que les dieux aussi peuvent te faire du mal. »
Et dans un ricanement, la forme spectrale du dieu de l'autre-monde se volatilisa dans les airs. Darkrai reprit sa respiration peu à peu et essaya de se raisonner. Bonville, le fief connu de Giratina, se trouvait à peu de distance de Voilaroc, ce qui lui permettait de la contacter plus facilement. Toutefois, qu'il apparaisse seulement sous cette forme intangible, cela signifiait qu'il n'était pas revenu, qu'il n'avait pas ses pouvoirs et qu'il ne pouvait pas lui faire de mal. Après quelques instants, elle parvient à retrouver sa maîtrise. Dans le miroir, il n'y avait plus qu'elle.
« Darkrai... »
Une nouvelle fois, quelqu'un l'appela mais ce n'était pas Giratina cette fois. La voix semblait étouffée, provenir d'une pièce plus éloignée. La lumière naturelle de sa chambre s'assombrissait, alors que c'était encore la journée. Que se passait-il ? Même le sol semblait tanguer sous ses pieds. Etait-elle victime d'un sort ? Ou alors c'était seulement un rêve ? Non, si elle dormait, Darkrai le saurait. Même si la panique regagnait à nouveau son cœur, elle prit une profonde respiration et se le va. Peut-être que Kern était en danger, elle devait aller voir.
« Darkrai... »
Cette voix, elle avait l'impression que c'était le beau timbre de Colbaltium mais cela semblait en même temps différent. En sortant de ses appartements, elle déboucha sur un couloir anormalement noir pour cette heure de la journée et malgré les fenêtres ouvertes. La lumière paraissait même grésiller à certains moments. Qu'avait fait Giratina ? Soudain, elle entendit des rires en provenant du petit salon, tout au bout du couloir. Pas à pas, elle avança dans cette direction. Elle entendait son cœur qui battait à tout rompre lorsqu'elle poussa la porte de la pièce.
« Darkrai... Les dieux aussi peuvent te faire du mal. »
La voix de Giratina résonna dans son esprit lorsqu'elle découvrit le spectacle qui s'offrait à elle. Cobaltium se trouvait effectivement là, sous sa forme humaine et dans sa sublime tenue du festival de Rosalia. Il était incroyablement beau. A ses côtés se trouvait Crescelia, elle aussi sublime sous son apparence humaine, dans une longue robe aux couleurs pastel. Darkrai aurait dû être heureux de voir ces deux personnes qu'elle aimait et pourtant elle retint un cri de douleur car les deux divinités se tenaient enlacés et s'embrassaient, sans se soucier de sa présence.
« Tu vois ? Ce sont tous les mêmes. Ils ne t'aiment pas. »
Cette fois, elle n'avait pas vraiment besoin de la voix de Giratina. Toute raison quitta son esprit alors qu'elle prenait sa forme légendaire, sombre comme la nuit. Elle concentra toute l'énergie de sa rage en une sphère ténébreuse qu'elle lança en direction du couple. Crescelia s'évanouit dans les airs avant l'impact mais elle vit le regard surpris de Cobaltium qui la regardait, comme s'il ne comprenait. Des larmes coulaient sur le visage de Darkrai. Puis, il y eut une explosion.
« - Darkrai !
- Pourquoi est-ce que tout le monde m'abandonne ? »
Quand le souffle de l'explosion se dissipa, la déesse des cauchemars eut l'impression de se réveiller après une longue hibernation. Le monde semblait redevenu cohérent, le sol avait arrêté de tanguer sous ses pieds et la lumière ne lui jouait plus de mauvais tour. Tout paraissait redevenu normal. Et quand elle regarda le corps qui était au sol, un cri monta dans sa gorge. Ce n'était pas Cobaltium. Cela ne l'avait jamais été. Dans un bain de sang, elle venait de tuer elle-même Kern. Pourquoi n'avait-elle pas compris ? Le dieu de l'autre-monde pouvait lui faire du mal mais elle n'avait pas voulu le croire et elle en payait le prix. Valait-elle vraiment mieux ? Une forme spectrale réapparut et Giratina se matérialisa à nouveau, un sourire mauvais.
« - Je t'avais dit que les dieux peuvent te faire du mal.
- Tu... Tu m'as trompé...
- Mais c'est toi qui as commis l'acte. La déesse des cauchemars, incapable de discerner la réalité d'une illusion. Est-ce que tu vraiment mieux que moi ? »
Elle ne lui répondit pas. Il n'y avait rien à dire. Dans le fond, elle savait que c'était la faute du dieu de l'autre-monde. Il l'avait trompé en usant d'une illusion. Toutefois, une part de son esprit se demandait si ce n'était pas elle le monstre, elle qui venait d'agir beaucoup trop rapidement, en perdant son sang-froid parce qu'elle n'arrivait pas à faire confiance aux gens qu'elle aimait.
Dans la grande île d'Akala de l'archipel d'Alola, Ho'ohale était un lieu de commerce plutôt actif. Bien placé sur une baie remarquable, le port pouvait abriter de nombreux navires et se trouvait sur une route très fréquenté, ce qui facilitait les échanges. La mairesse Einhéria veillait à développer correctement tous ses aspects, sans oublier l'agriculture et aussi les défenses de la ville. Si la guerre n'avait pas beaucoup attaqué l'archipel, elle ne souhaitait rester sans préparation. Les tensions entre les quatre tokos ne lui plaisaient pas particulièrement, de ce qu'elle en savait.
Einhéria jouissait de sa jeunesse, elle avait à peine dépassé la trentaine. Ses longs cheveux blonds cascadaient le long de ses épaules même si elle en avait noué une partie en chignon afin que sa vision ne soit jamais dérangée. Ses yeux possédaient la couleur d'une noix de coco, ce qui contrastait avec sa peau d'une pâleur incroyable. Cette fois, elle devait rendre visite au dieu des lieux. Il se trouvait souvent le long de la côte, tout au bout de la baie. Il aimait rester seul et réfléchir de longues heures durant, alors Einhéria savait toujours où aller le chercher.
Effectivement, Marshadow se trouvait bien là où elle l'attendait. Sous sa forme humaine, il ressemblait à un bel homme de grande stature. Malgré son rang divin, ses cheveux semblaient toujours en bataille, mêlant des mèches brunes et grises, ce qui rendait difficile d'estimer son âge. Ce n'était pas un humain donc ce n'était pas très pertinent d'essayer de connaître l'âge d'un être qui existait déjà à l'ère céleste. Ce qui impressionnait toujours Einhéria, c'était la beauté de son regard, ses yeux verts qui semblaient avoir tout vécu et qui avaient la couleur de belles émeraudes.
« - Alors, dieu de l'hiver, on est en méditation ?
- Oh, Einhéria... Il se passe quelque chose en ville ?
- Non, rien de particulier. Enfin, maintenant que tu en parles, j'ai aperçu un phénomène étrange sur la plage du nord. On aurait dit une...brèche.
- Oh. Dans ce cas, allons voir cela. Solgaleo et Lunaala m'ont dit de nous méfier des brèches. »
Le dieu et l'humaine marchèrent en direction de cette fameuse plage, dans le silence. Marshadow semblait toujours perdu dans ses pensées, soucieux et anxieux. Cela faisait déjà un moment que la mairesse le voyait se comporter ainsi et elle avait envie de comprendre d'où venait ce changement soudain, cette tristesse dans ses yeux. Il avait beau être un dieu, il restait aussi un fervent allié de la ville et elle ne comptait pas l'abandonner.
« - Marshadow... Tu veux bien me dire ce qui te tracasse en ce moment ?
- Je pensais que tu le savais déjà. Tu ne l'as pas vu ?
- Qui ? demanda-t-elle, incapable de comprendre.
- Tu n'as vraiment pas vu le jour où Giratina est venu me parler ?
- Oh... Non, je croyais que c'était quelqu'un d'autre. Il voulait...
- Que je sois dans son camp, oui. Il m'a dit que je serai incapable de protéger les miens sans son aide.
- Eh bien, je pense qu'il a tort !
- Je n'en suis pas si sûr. Cette histoire de brèches ne me dit rien qui vaille. »
Einhéria aurait voulu continuer à lui montrer que ce maudit dieu de l'autre-monde avait tort mais elle sentait qu'il n'était pas prêt à écouter. Peut-être que l'analyse de la brèche pourrait l'aider, d'une façon ou d'une autre ? Elle avait bien envie d'y croire en tout cas. Sur la plage, la mairesse attira son attention sur ce qu'elle avait trouvé, dans un coin proche d'une paroi rocheuse. La brèche se tenait là, fine et encore fermée, comme prête à s'ouvrir. Ce qu'il y avait derrière, personne n'en savait rien. Les dieux Solgaleo et Lunaala avaient demandé à chacun d'être vigilant et de les prévenir.
« - Hum... C'est bien une ultra-brèche. Mais elle n'a pas l'air dangereuse pour le moment.
- Que devons-nous faire, Marshadow ?
- Je crois que je vais contacter Lunaala au plus vite... »
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que la brèche vola en éclats. Une immense créature en sortie, vif comme l'éclair. Marshadow reprit sa forme légendaire, petite mais terriblement puissante, et il laissa ses pouvoirs repousser l'inconnu dans la brèche. Cela ne dura qu'une fraction de seconde mais cela lui parut une éternité. La brèche reprit son apparence, un peu plus large toutefois. Le dieu de l'hiver pensait que tout allait bien... Puis il se rendit compte qu'Einhéria était touchée.
« Oh... Je sens que ça va nous gâcher la journée. »
Elle s'effondra dans les bras de Marshadow qui reprit aussitôt forme humaine. La mairesse était salement blessée et il n'y avait pas besoin de médecins pour le diagnostic. Pourquoi l'avait-il laissé s'approcher aussi près d'une brèche ? Etait-il stupide à ce point ? Le dieu de l'hiver sentit son cœur devenir encore plus froid tandis que les mots de Giratina revenaient à lui.
« Tu ne pourras sauver personne si tu n'acceptes pas mon aide. »
Tandis que la pauvre Einhéria rendait son dernier soupir dans ses bras, Marshadow se demandait si c'était ainsi que Giratina finirait par avoir tous les dieux dans son camp, en usant de la culpabilité.
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