Chapitre 14
Terrakium continuait tranquillement son chemin, bien loin de la ville d'Amaillide où il aurait dû retourner après sa réunion avec les autres mousquetaires. Maintenant, ils étaient au nombre de quatre, avec le petit Keldeo en plus. Cela promettait du bon pour l'avenir. Le dieu de la force avait toutefois écourté sa présence avec eux, essayant de se montrer aussi courtois que possible. Ni Cobaltium ni Viridium ne devaient se douter de ses intentions et de sa destination. Ils avaient beau être ses compagnons de toujours, ses meilleurs amis en un sens, jamais il ne pourrait partager avec eux cette terrible aventure. Pour cette fois, il devrait rester seul.
« Je ne veux pas vous impliquer dans mes histoires. »
La vérité, c'est que Terrakium avait peur mais pas pour lui-même. Cela valait mieux si les autres mousquetaires ignoraient tout de son voyage. Cela les protégeait, autant que cela protégeai bien d'autres gens. Le dieu de la force se concentra sur la route et poursuivit son chemin, dans la région de Kalos. Pourtant, il était normalement originaire d'Unys. Si quelqu'un le surprenait, Terrakium aurait beaucoup de mal à expliquer ce qu'il venait faire ici dans le contexte actuel. Tout le monde penserait qu'il agissait pour le camp de Rayquaza ou celui de Giratina. Qui pourrait croire qu'il servait seulement ses propres intérêts et qu'il ne voulait pas les révéler ? Personne.
Sous ses yeux, la ville de Romant-sous-bois s'étendait dans toute sa beauté. Une mystérieuse magie y régnait, un charme particulier qui plaisait au dieu de la force. Prenant sa forme humaine, ce dernier prit une large cape ainsi qu'un bandeau afin de se déplacer sans être vu. Jamais il ne se mêla à la foule, préférant rester dans l'ombre des maisons et longer les ruelles désertes. Ce n'était pas son genre de se montrer discret, lui si solaire. Cependant, Terrakium savait produire des efforts lorsque la situation l'exigeait. Lentement, il poursuivit sa route, plus silencieux qu'une ombre.
Ses pas le conduisirent finalement au bâtiment principal de Romant-sous-bois, son objectif depuis le début. Hésitant, Terrakium ne savait pas trop où se poster. Devait-il grimper dans l'arbre ou rester en bas ? Pénétrer à l'intérieur demeurait proscrit, quelqu'un ne manquerait pas de le repérer, à commencer par le légendaire des lieux. Le dieu se trouvait déjà chanceux d'avoir réussi à masquer sa présence jusque-là. En observant les alentours, il repéra une branche qui lui donnerait une bonne vue sur les environs, ainsi qu'une cachette idéale. Terrakium entama donc sa cession d'escalade.
Même pour un dieu, certaines choses du quotidien n'avaient rien de facile. Escalader un arbre discrètement posait bien des problèmes à la divinité de la force qui jura entre ses dents à de multiples reprises. En persévérant, il parvint toutefois à rejoindre sa destination et à trouver son équilibre. La branche craqua un peu mais tint bon, malgré le poids de ses muscles. Même sous forme humaine, un dieu ne pouvait totalement cacher ses origines sacrées. Une fois qu'il eut trouvé une position à peu près confortable, Terrakium commença à observer les alentours avec attention.
« Il doit être par ici. »
De sa branche, il pouvait observer sans être vu, caché par les nombreuses feuilles. Un seul endroit était découvert mais cela impliquait d'escalader un rocher pour l'apercevoir. Terrakium se sentait donc plutôt en sécurité et essayait de ne pas penser à la manière dont il devrait redescendre. Chaque chose en son temps. Le dieu possédait une vue imprenable sur différents étages du bâtiment en face de lui, dont la plus grande terrasse. Son attention se concentrait sur celle-ci, persuadé qu'il était que la personne qu'il était venu voir apparaîtrait là. Trop concentré, il remarqua à peine le bruissement dans les branches toutes proches. Ce devait être un passerouge, il y en avait des milliers à Kalos. Toutefois, quand une main se posa sur son épaule, il tressaillit et manqua de tomber de la branche. Le dieu de la force se ressaisit et se retourna, quand un doigt se posa sur sa bouche.
« N'aies pas peur. »
L'inconnue n'en était pas une. Terrakium prit sur lui de ne pas hurler en reconnaissant Shaymin, la déesse de la nature. Elle était bien loin de sa région de Sinnoh, mais il ne prit même pas la peine de lui demander ce qu'elle faisait là, ni pourquoi elle se trouvait sur la même branche que lui. Cela tombait sous le sens : son voyage possédait le même but que le sien. Montrant qu'il s'était calmé, Terrakium sourit et elle lui rendit son expression avec douceur. Même si de nombreux lieux de distance les séparait en temps normal, ces deux-là se connaissaient bien. Ils avaient dansé ensemble au festival de Rosalia, cela n'avait échappé à aucun de leurs confrères. La profondeur de leur relation, en revanche, n'était pas affichée au grand jour. Rares étaient ceux qui en avaient conscience.
« - Tu crois que nous pourrons l'apercevoir aujourd'hui ?
- Soyons patients, répondit-elle avec pragmatisme. Il finira par se montrer. »
Ils attendirent encore, collés l'un à l'autre. La position n'était pas confortable mais elle leur permettait de conserver leur équilibre, tout en profitant pleinement de la présence de l'autre. Cette sensation de chaleur leur plaisait et les deux dieux ne s'en plaindraient pas. L'amour entre la nature et la force se révélait ici, sur cette branche d'un arbre de Romant-sous-bois. Shaymin posa sa tête sur l'épaule de Terrakium qui posa une main sur son épaule. Ce moment de tendresse dura encore longtemps.
Soudain, il apparut enfin.
Sur la terrasse du balcon, deux formes sortirent. Il s'agissait de la déesse de la beauté, Diancie, sous forme humaine, ainsi que son maire, Lyon. Les deux divinités cachées retinrent leur souffle en dévisageant l'humain. Ses traits fins, son habit sobre, sa belle chevelure dorée, son air sérieux et sa voix calme, tout en lui attirait leur attention. Shaymin et Terrakium le regardèrent tant qu'il se trouvait sur la terrasse, se tenant sur leur branche dans une immobilité totale. Puis, le maire et la déesse rentrèrent de nouveau dans le bâtiment. Peu après, les deux observateurs descendirent de leur arbre dans le silence, puis quittèrent la ville dans un silence total. Ils se retrouvèrent dans un coin sauvage de la périphérie, afin d'échanger. Ils en avaient besoin.
« - Tu ne trouves pas qu'il a encore grandi ? déclara soudain Shaymin.
- C'est impossible, cela fait déjà un moment qu'il est adulte.
- Quand-même, j'ai l'impression qu'il est un peu plus grand à chaque fois qu'on le voit...
- Toi aussi tu avais besoin de revenir le voir ? s'enquit avec douceur Terrakium.
- Bien sûr ! Avec cette prophétie, j'ai... j'ai peur pour lui. J'aimerais retourner voir Diancie, lui dire que je veux le reprendre à mes côtés... Mais ce n'est pas possible n'est-ce pas ?
- Si nous retournons voir Diancie... Autant le désigner tout de suite.
- Je sais bien. Maudite prophétie ! Qu'elle soit maudite pour toujours ! »
Des larmes envahirent les yeux de Shaymin qui eut un geste rageur dans l'air. Même si une plante s'était trouvée à portée de main, jamais elle n'aurait pu agresser la nature alors qu'elle la représentait. Terrakium comprenait cette impuissance puisqu'il la partageait. Alors, avec toute la tendresse qu'il éprouvait pour cette belle déesse, et il en avait à revendre, le dieu de la force la prit dans ses bras et la serra contre son cœur de toutes ses forces. Shaymin se blottit contre lui et leurs cœurs se mirent à battre à l'unisson tandis que leurs êtres ne formaient plus qu'une seule entité.
« - Je suis désolée, Terra... Je m'en veux d'être si faible.
- C'est pareil pour moi, Shaymin. Et pourtant, quelle ironie, je suis le dieu de la force.
- Si seulement cette prophétie n'existait pas !
- Hélas, nous ne pouvons savoir ce que pense Arceus et nous devons l'accepter peu importe à quel point c'est difficile. Nous n'avons pas le choix.
- Mais enfin, Terra, c'est notre...
- S'il te plaît, ne le dis pas. Ne le dis pas. Si quelqu'un t'entendait...
- Mais... c'est notre fils » lâcha-t-elle dans un murmure presque inaudible.
C'était la terrible vérité. Lyon n'était autre que l'enfant du dieu de la force et de la déesse de la nature. Sachant cette union interdite, ils avaient confié le bébé à leur amie Diancie, la déesse de la beauté. Le divin avait grandi comme un être humain ordinaire, sans aucun pouvoir étonnant. Pourtant, il avait uniquement du sang divin, mais on l'aurait plus facilement pris pour un sang-mêlé. Ce qui devenait embêtant, avec la prophétie ressurgie à cause de Giratina, puisque celle-ci indiquait clairement que l'ennemi à abattre était un mélange. Est-ce que Lyon comptait là-dedans ? Les deux divinités ne le savaient pas mais ils craignaient pour leur progéniture.
« Nous le protégerons. De loin et secrètement, mais nous le protègerons. »
Les paroles de Terrakium résonnèrent en Shaymin et elle hocha de la tête doucement, pour montrer son accord. Maintenant, le duo allait devoir se séparer à nouveau, avant que quelqu'un d'autre ne les surprenne ici. Ils reviendraient très certainement, pour regarder Lyon grandir sans pouvoir le chérir, sans pouvoir le serrer contre leur cœur et lui dire que ses parents l'aimaient plus que tout. Certaines lois d'Arceus leur paraissaient bien cruelles et incompréhensibles.
Au bord de l'eau, Jyo replaçait correctement sa canne à pêche. Cela faisait deux heures qu'il essayait d'attraper n'importe quoi, même un vulgaire magicarpe, mais de toute évidence, la chance n'était pas avec lui. Aucun pokémon ne voulait mordre à l'appât. D'un geste de la main, il recoiffa ses fins cheveux roux et réussit à les remettre en place. Ce succès fit pétiller ses yeux bleus, même si le gauche portait une cicatrice, une marque de griffure d'un pokémon sauvage. Jyo l'arborait aussi fièrement que ses poils aux jambes, comme un symbole de sa virilité. De ce qu'il savait, cela ne déplaisait pas aux femmes de Lavandia, la ville dont il était le maire. Un sourire lui vint à l'évocation des demoiselles de sa ville. Comment pouvait-il être encore célibataire avec un tel charisme ?
« Est-ce que je peux te parler ? »
La petite voix ne le fit pas sursauter. Elle avait le don de savoir approcher discrètement des gens sans leur faire peur. Jyo se retourna pour voir Jirachi, la déesse de la chance, sous sa forme humaine. La divinité possédait un corps d'enfant très jeune, qui donnait envie de la protéger, en tout cas pour le maire de Lavandia. Il supposait que c'était l'instinct paternel. Pour le reste, la demoiselle Jirachi possédaient de fins cheveux châtains qui lui tombaient sur les épaules, des yeux marrons qui dévisageaient le monde avec crainte et une petite taille qui la rendait mignonne. Même si c'était une déesse, il était difficile de ne pas lui affubler ce qualificatif.
« - Bien sûr dame Jirachi. Je suis toujours disponible pour toi.
- Tu es vraiment gentil, Jyo.
- Alors, que me veut ma petite fée de la chance ? »
Sans dire un mot, elle vint s'asseoir à ses côtés, le regard dans le vide. Jyo savait que c'était sa manière de procéder, de remettre de l'ordre dans ses pensées, et il ne chercha pas à la brusquer. A quoi bon ? Elle avait beau être une déesse, l'humain ne pouvait pas la considérer autrement que comme un enfant. Loin au-dessus d'eux, le libegon du maire tournait en rond, chassait les goélises et autres volatiles qui concurrençaient son maître pour la pêche. Jirachi observa un moment ce ballet aérien, avant d'oser enfin s'ouvrir à son confident de toujours.
« - J'ai été contacté. Par Giratina cette fois.
- Encore ? Décidément, tu es recherchée par tout le monde, essaya-t-il de plaisanter.
- Je... J'aimerais bien en rire et me sentir importante... Mais je n'y arrive pas. »
La déesse parut sur le point de se mettre à pleurer, ce qui inquiéta Jyo. Patient, il se reconcentra sur sa pêche, tout en lui lançant des petits coups d'œil. Le maire connaissait la situation mondiale, mais il ne pensait pas que cela tournerait au vinaigre à ce point-là. On racontait que des armées commençaient à bouger un peu partout dans le monde, que certaines mêmes étaient entrées en action. Des rumeurs circulaient concernant la région d'Unys mais rien de certain. Jyo préférait attendre d'avoir des informations fiables avant de tout déballer à ses habitants. Cela ne servait à rien de les effrayer davantage, la situation était déjà suffisamment anxiogène comme cela.
« - Que lui as-tu répondu ?
- Non, bien évidemment ! s'emporta-t-elle. Pour qui me prends-tu ?
- Eh, ce n'est pas ce que je voulais... Pardon.
- Oh... C'est moi qui aies répondu trop vite, désolée Jyo. Je suis sur les nerfs.
- Cela ne te ressemble pas, Jirachi. Il t'a énervé à ce point ?
- Tout ce qu'il a dit, c'était uniquement pour me tenter, me conduire de son côté. Giratina veut uniquement mon pouvoir : celui de la chance.
- Mais tu ne le donneras pas, ni à lui ni à Rayquaza.
- Je ne veux pas participer à cette guerre. La sagesse m'inciterait à choisir le camp de notre voisin de Pacifiville mais... Même si ses intentions semblent plus louables... Il convoite aussi mon pouvoir.
- La chance peut changer le cours de la guerre, j'imagine.
- J'aimerais que mes pairs m'estiment pour autre chose que mon pouvoir. »
S'il mourrait d'envie de la prendre dans ses bras pour la consoler, Jyo se garda bien de commettre cet affront. Jirachi restait une déesse et elle voulait être respectée. Elle n'était ni une petite fille faible, ni un simple porte bonheur, mais bien une divinité comme les autres. Pourtant, on la traitait comme une gamine, aussi bien les habitants du village que les autres légendaires. Au contraire, Jyo s'efforçait de lui donner la place qu'elle méritait, même si ce n'était pas toujours évident. Comment permettre à un dieu de s'épanouir ? L'homme n'avait pas la réponse à cette question.
Dans sa tête, Jirachi revisualisait les deux rencontres. D'un côté, l'ombre de Giratina, de l'autre le grand Rayquaza, les deux chefs des camps opposés, tous deux avaient pris la peine de lui rendre visite. La déesse aurait dû se sentir honoré, mais cela la vexait cet intérêt soudain, qui ne survenait que lorsqu'on avait besoin de ses pouvoirs. Jirachi pouvait désigner le gagnant de la guerre, probablement, mais cela lui paraissait un fardeau bien trop lourd. Et si en plus elle choisissait le mauvais camp et se retrouvait puni par Arceus parce qu'elle avait influencé le destin contre sa volonté ? Une sueur froide coula le long de son dos rien qu'à cette pensée. Elle ne pouvait prendre une telle décision et user de ses pouvoirs n'importe comment. Le dieu suprême ne le tolèrerait pas.
« Je voudrais seulement savoir si tu veux t'engager dans ce combat. »
Avec son ton amical, Jirachi avait failli s'attacher au service de Rayquaza. Après tout, il venait de Pacifiville, qui se trouvait dans la même région que Lavandia. Arceus l'appréciait et selon toute vraisemblance, il représentait le côté bénéfique. Le dieu de l'atmosphère avait beau se montrer gentil et prévenant avec elle, tout ce qui l'intéressait, c'étaient ses pouvoirs et cela l'attristait grandement. Pourquoi ne lui rendait-il pas visite autrement ? Jirachi avait décliné poliment, déclarant qu'elle resterait neutre et il n'avait pas insisté, quittant les lieux d'une révérence distinguée.
« - Il ne veut que tes pouvoirs, se répétait-elle. Il se fiche de toi.
- Moi, je te donnerai la place qui te revient de droit, au sommet de la chaîne alimentaire. »
Un frisson lui revint lorsqu'elle entendit la voix de Giratina murmurer ses mots dans son esprit. Au moins, il n'essayait pas de se cacher derrière des grandes phrases comme Rayquaza, il jouait cartes sur table, ce qui l'effrayait davantage. La déesse de la chance n'avait pourtant été confrontée qu'à son ombre, un lambeau misérable de sa puissance. Elle n'osait imaginer ce que cela représentait de se tenir devant le dieu de l'autre-monde. Cela devait ressembler à ce qu'elle éprouvait face à Rayquaza quand il montrait sa forme légendaire, du moins elle le supposait.
« Tu ne pourras pas me rejeter bien longtemps. Tu n'auras pas le choix. »
Contrairement au poli dieu de l'atmosphère, le souverain de l'autre-monde conclût par une menace ses paroles, avant de disparaître parmi les ombres. Jirachi resta un moment silencieuse, se demandant si elle n'aurait pas dû accepter l'un ou l'autre, au moins pour protéger les habitants de Lavandia et Jyo. Toute seule, elle ne pouvait pas y arriver mais avec un soutien... La déesse secoua la tête : elle ne voulait pas prendre partie dans cette guerre. Le maire à côté d'elle parvint enfin à attraper un magnifique poissoroy. Il finirait rôti lors d'un grand banquet.
« - On dirait que la chance me sourit, si je peux m'exprimer ainsi.
- Jyo... Je resterai neutre. Peu importe où me mènera cette guerre, personne ne m'aura.
- Je comprends, Jirachi. Je le comprends mais je ne pourrais pas jurer de mon côté.
- Comment ça ?
- Les habitants voudront choisir un camp. Si quelqu'un nous attaque, nous devrons nous défendre. Tu es une déesse, nous ne sommes que des occupants de la terre, sans pouvoir.
- Je... Je n'avais pas envisagé cela. Mais... Tu sais déjà vers qui tu te tourneras ?
- Oui, répondit Jyo en soufflant. Je le sais déjà. »
L'homme n'ajouta rien de plus et commença à préparer le fruit de sa pêche. Jirachi n'avait pas réalisé que l'humain n'était pas aussi libre qu'elle, même si cela lui paraissait inconcevable. Jyo possédait bien plus de responsabilités, même si elle était la déesse de la chance. Lui se devait de veiller au bien des habitants de Lavandia, en tant que maire. Lorsque le libegon vint se poser aux côtés de son partenaire, ce dernier éclata de rire et un doux sourire apparut sur le visage de Jirachi. Elle n'était peut-être pas très forte, mais elle se promit de tout faire pour le protéger.
Le temps virait à l'orage sur Alola. La rumeur de la guerre s'était glissée sur ses nombreuses îles, mais pour le moment, Giratina et Rayquaza se tenaient encore loin de l'archipel. Bien sûr, ils avaient déjà des soutiens là-bas, mais la guerre ne préoccupait pas trop encore les populations. Du moins, la majorité des humains continuaient à vivre, se moquant bien du possible retour d'un ancien dieu banni. Cela ne leur permettrait pas de manger que d'en parler alors ils continuaient leur labeur. Toutefois, certains se sentaient quand même concerné par cet événement international.
Les tokos avaient décidé de se réunir sur une petite île déserte, trouvant ainsi un terrain neutre pour discuter. Ils n'étaient pas les seuls dieux mais comme leur rôle était de protéger l'île, d'en être les gardiens, ils ne pouvaient pas oublier les menaces extérieures. Tokorico, Tokopisco, Tokotoro et Tokopiyon, tout le monde avait répondu à l'appel, en restant sous leur forme légendaire, ce qui montrait le sérieux de la situation. Et ils n'étaient pas venus seuls.
Rey de Lili'i portait une robe et une grande cape, lui donnant un aspect beaucoup plus sérieux que d'ordinaire. Cela changeait grandement de son apparence habituelle, beaucoup plus légère. Même ses cheveux roses ne tombaient pas sur ses épaules, plaqués par un gel qui lui donnait un air plus strict. Ses yeux bleus gris laissaient entrevoir toute la douceur dont elle pouvait faire preuve, douceur que Tokorico adorait. Ici, le dieu du combat ne pouvait aucunement montrer son attachement à son maire. Cela ne lui attirerait que des ennuis, pour son plus grand malheur.
La déesse de l'amour, Tokopisco, avait ramené le maire du Village Flottant, un homme d'âge mûr répondant au nom de Minel. Ce grand loup de mer semblait plus vieux que son âge, peut-être parce que le vent du large l'avait abimé. Sa crinière brune tombait largement jusqu'à ses omoplates tandis que ses yeux bleus dévoraient le monde avec attention. Il avait toujours un petit sourire en coin, comme s'il était le seul à avoir compris une blague. Assez fin pour le reste, on devinait aisément que Minel avait passé sa vie sur la mer et les couleurs de son légendaire étaient bien assorties.
En provenance du village Toko, Yassim toisait le monde de toute sa hauteur, en compagnie du dieu de la médecine. Tokotoro appréciait ce solide gaillard très sportif. Ses jambes étaient plus grandes que son tronc, lui donnant une allure élancée. Ses yeux marrons ne parvenaient pas à détourner le regard de sa sublime barbe de trois jours, entretenue à la perfection. Lui aussi possédait une crinière brune, mais seulement sur le haut du crâne. Le maire avait rasé les côtés pour se donner un côté guerrier un peu sauvage qui lui seyait parfaitement. Son visage demeurait inexpressif.
Enfin, dernier être humain de l'assemblée, Géralt paraissait être un géant à côté de la petite Tokopiyon. Il était une véritable montagne de muscle qui semblait prêt à protéger son légendaire contre vent et marée. Son regard sombre paraissait sûr de lui, surplombant un sourire encadré d'une barbe rasée. L'homme possédait des cheveux très courts noirs, n'aimant de toute évidence pas les entretenir. Ses nombreuses cicatrices montraient qu'il avait déjà participé à quelques expéditions dans les parties reculées de son île et savait se battre. La lame à son côté n'était pas là pour faire jolie.
Les maires se regardaient avec beaucoup moins de connivence que les tokos. Les légendaires se connaissaient depuis si longtemps, ils étaient comme des frères. Pourtant, les fratries peuvent tout à fait se déchirer. Ils voulaient parler de la situation internationale, savoir quel camp prendre pour la guerre si elle venait à eux. Pour Tokorico, cela ne faisait aucun doute. La région d'Alola ne pouvait pas rester isolée, elle comptait bien trop de divinités sur un trop petit espace. Toutefois, un long silence s'installa alors que l'orage grondait au loin. Personne ne voulait commencer et l'ambiance s'alourdit subitement. En tant que chef officieux, le dieu du combat décida de se lancer.
« - Hum, je suppose que vous savez pourquoi nous sommes réunis ici ?
- Quelle entrée en matière, se moqua Tokotoro.
- Je n'ai pas eu d'autres idées, soupira Tokorico. Je suppose que tout le monde est au courant du festival de Rosalia et du retour du dieu de l'autre-monde ?
- Oui, confirmèrent les autres tokos, les yeux brillants.
- Un rappel pourrait être judicieux, intervint Minel.
- Il a raison, approuva Géralt. Nous autres, humains, nous ne savons pas tout.
- Fort bien. De plus, j'ai eu des informations du noble Solgaleo, déclara Tokorico.
- Vraiment ? Il ne nous a rien dit » souffla Tokopiyon.
Oubliant son intervention, le dieu du combat entreprit de raconter tout ce qu'il savait concernant le festival de Johto et l'annonce du retour de Giratina. Certains trouvèrent cela ennuyeux car ils connaissaient la majorité des éléments, mais tous prirent la peine d'écouter. La prophétie arriva sur le tapis et intéressa le groupe, comme un enfant apprécie une histoire avant d'aller s'endormir. Toutefois, ils oublièrent bien vite le sujet, n'ayant rien à y apporter. Personne ne savait quel était la bonne prophétie et même si elle venait d'Arceus, ce n'était pas leur priorité pour le moment.
« - Maintenant, nous sommes tous au point, souffla Tokotoro après le long récit.
- En effet, sourit Rey. Merci à toi.
- Ce n'était rien. Mais comprenez-vous l'urgence de la situation ?
- Nous la comprenons, Tokorico, déclara Tokopisco. Cependant, arrête-moi si je me trompe mais... Le but de notre réunion d'aujourd'hui est de choisir notre camp n'est-ce pas ?
- C'est mon souhait en effet. Nous devons rester unis et...
- Une minute, le coupa Tokotoro. J'comprends l'idée mais j'aime pas trop choisir ça en public, comme ça, sans réfléchir. C'est du perso, la politique ! »
Un malaise s'installa instantanément. Tokorico n'avait pas pensé rencontrer de difficulté. Non, à aucun moment, il ne l'avait envisagé. Pour le dieu du combat, le chemin semblait déjà tout tracé. Tout le monde irait directement rejoindre le camp de Rayquaza, sans faire d'histoire, tout comme ce bon vieux Solgaleo, même s'il l'avait seulement laissé entendre. Tokorico comprenait que son confrère n'aimait pas prendre de telles décisions conjointement et garder sa liberté, il entendait aussi son envie de ne pas dévoiler toutes ses pensées. Toutefois, quelque chose le faisait tiquer, un rien qui le dérangeait et remontait le long de son échine sous la forme d'un frisson terrible.
« - Je vois, déclara finalement Tokorico. Il est normal que chacun puisse émettra des objections et faire part de ses craintes à tous. Mais... le choix n'est-il pas tout tracé ? Je m'en veux de déclamer des évidences, mais il me semble que...
- Nous ne devons pas aller trop vite, déclara soudain le maire de Konikoni.
- Géralt, souffla Tokopiyon, surprise de son positionnement.
- Oui, reprit l'homme. Nous ne devons pas croire qu'un camp est tout blanc et l'autre tout noir. Cela pourrait bien être l'inverse en vérité. Ne nous hâtons pas. »
Le maire du village Toko approuva ses propos d'un hochement de tête, de même que le dieu de la médecin. Tokorico ne comprenait pas. Comment pouvaient-ils ne pas voir l'évidence même de la situation ? Giratina incarnait le mal, lui le dieu déchu banni par Arceus. Cela tombait sous le sens et il ne pouvait en être autrement. Rey lui lança un regard plein de doutes il essaya de la réconforter. En vérité, c'était lui-même qui avait besoin d'aide. Soufflant un coup, le dieu du combat décida de reprendre plus tranquillement et de manière plus directe son discours.
« - Nous pouvons nous accorder sur le fait que Giratina a été banni.
- Certes, Rico, mais pour quelle raison ? déclara Tokotoro.
- Parce qu'il menaçait le monde, répondit Tokorico sur le ton de l'évidence.
- Non. Parce qu'il était trop puissant. Il n'avait rien fait de mal et il a été banni. Tu comprends où je veux en venir maintenant ? Le bien et le mal, ce ne sont que des concepts.
- Attends, tu ne veux pas dire que Giratina serait un être immaculé ? s'étonna Tokopiyon.
- Et pourquoi pas ? grinça le dieu de la médecine.
- Cela irait à l'encontre de tout ce qu'on a appris, intervint Tokopisco.
- Oh, ce ne serait pas la première fois qu'Arceus nous mène en bateau. »
Pour la première fois, Tokorico réalisa la différence qui existait entre lui et Tokotoro, celle qu'il n'avait jamais vu. Peut-être n'avait-il pas voulu la voir. Contrairement à lui, le dieu de la médecine ne craignait pas de remettre en cause les fondements même de leur univers, quitte à accuser le Créateur en personne. C'était courage de sa part, mais il allait bien trop loin. Le dieu du combat ne pouvait imaginer une seule seconde que le grand Arceus ait pu les noyer à ce point dans le mensonge. N'étaient-ils pas des dieux, presque ses égaux ? Non, il ne pouvait pas les traiter ainsi.
« - Arceus a toujours été juste avec nous, répliqua Tokorico. Sans lui, nous ne serions rien.
- Qu'est-ce que tu en sais ? riposte Tokotoro. Il nous cache les grandes vérités de l'univers. Je suppose que tu sais pour la faille qui menace de s'ouvrir ? Ton cher Solgaleo a dû t'en parler...
- Comment as-tu su ? s'exclama le dieu du combat.
- Il n'y a pas que le dieu du soleil qui possède des yeux. »
La faille en question se trouvait au-dessus de l'archipel. Les humains la remarquaient à peine mais pour les légendaires, elle était flagrante. C'était comme si l'espace et le temps se distordaient en un endroit pour ouvrir un passage. Mais vers où ? Solgaleo et Lunaala s'en inquiétaient, car ce n'était pas la première fois que cela arrivait. La conversation dériva sur le sujet, avec les maires qui essayaient de rationnaliser le phénomène. Finalement, les légendaires conclurent que ce n'était que l'éclat d'un astre sur la mer qui créait cet étrange reflet. Toutefois, aucun toko n'était totalement dupe. Le sujet serait à prendre au sérieux, dans le futur, mais sans tenir compte de l'avis des humains. Ceux-là auraient bien assez de la guerre à gérer.
La guerre justement. Tokorico relança le sujet de conversation, essayant d'expliquer sa prise de position pour le camp de Rayquaza. Chaque argument lui semblait tellement évident qu'il se demandait pourquoi il prenait la peine de les expliquer. Tokopiyon et Tokopisco abondaient dans son sens, ainsi que Minel et Rey. Toutefois, les deux autres humains se laissaient plus facilement séduire par l'argumentaire de Tokotoro. Se rebeller contre dieu, cela ne manquait pas de charme. Ainsi, la discussion se poursuivit des heures durant, alors que l'orage se rapprochait de plus en plus.
Lorsqu'il rentra chez lui en compagnie de sa mairesse, Tokorico était trempé jusqu'aux os. Il aurait pu s'abriter mais il n'avait pas pris la peine de le faire, trop abattu par ce qu'il était advenu du conseil. Sa peine l'avait conduit à prendre sa forme humaine et il errait comme une âme en peine sur le chemin qui le ramenait à Lili'i. Rey le regardait avec les yeux humides, comprenant à quel point cet échec lui tenait à cœur. Le dieu du combat avait eu beau exposer ses plus beaux arguments et sa logique la plus imparable, il s'était révélé incapable de convaincre tout le monde.
« - Tu sais... Je crois que tu devrais laisser un peu de temps à Tokotoro. Il finira par entendre raison.
- Rey... Il est tellement borné. Jamais il ne changera d'avis.
- Aujourd'hui, peut-être. Mais demain est différent. Il pourra...
- Non, soupira la divinité. Je n'avais jamais remarqué qu'il détestait Arceus à ce point. Est-ce qu'on peut vraiment passer autant d'années à côté de quelqu'un sans le connaître ?
- Hélas, oui. Parfois, on peut découvrir des gens sous un autre jour, souffla-t-elle doucement, avec empathie. Même au sein de sa propre famille.
- Tu as raison, Rey. Je suis découragé, murmura-t-il en posant la tête sur son épaule.
- Tokorico, je..., commença-t-elle, posant une main chaleureuse sur son épaule.
- S'il te plaît. Laisse-moi rester juste un peu. »
La mairesse ne répondit pas et le rapprocha davantage d'elle, comprenant qu'il avait besoin de son soutien plus que jamais. La pluie les trempait mais elle les cachait tout autant du regard des autres. En cet instant, la transgression des interdits n'avait aucune importance pour Tokorico. Il profitait de l'instant présent et verrait bien demain.
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