La lune et le ciel
Art by Willow (d'après la signature), trouvé sur Pinterest
Cette nuit là, il fit bien plus froid. Nuage de Craie eut un sommeil agité. Une énième fois, il se réveilla en sursaut, la fourrure ébouriffée, le cœur se débattant contre la pénombre qui l'enveloppait.
Il était terrifié.
Dans le ciel, la lune n'était qu'à moitié pleine. Quelques étoiles osaient se montrer çà et là. Nuage de Craie se demanda si elles étaient amies avec la lune ou jalousaient sa lumière.
Tous dormaient. Plus personne ne montait la garde, mais le jeune chat ne s'en inquiéta pas. Son regard glissa vers l'arbre proche d'eux, où se trouvait la chouette la dernière fois qu'il avait fermé les yeux. Elle était partie, délaissant elle aussi son poste. Il était seul.
Seul.
Est-ce que la lune se sentait seule, parfois ? Est-ce qu'elle avait peur, la nuit ?
— Tu ne peux pas avoir peur, tu es si jolie, souffla Nuage de Craie.
Le vent lui répondit, murmurant dans un langage lointain, inconnu et familier à la fois. Il se glissa dans sa fourrure, l'ébouriffa, le caressa, l'entoura. Avec ce soutien, le novice se sentit plus fort, plus apaisé aussi.
Quelques pas plus tard, le chat se retrouva devant une source. Il se pencha, observant son museau brun, ses yeux jaunes brillants. Que devait-il penser de cela ? Il était loin de pouvoir égaler la beauté de la lune ; qui le pouvait ? Nuage de Grenade, peut-être. Nuage de Rapace et Nuage d'Ombre aussi, étaient jolies. Il les aimait, toutes les trois.
Au fil de ses pensées, Nuage de Craie prêta de moins en moins d'attention à son environnement. Doucement, comme un jeune oiseau, il prenait son envol. D'abord, il lui fallut ouvrir ses ailes, les découvrir. Puis, il s'exerça à contrôler leurs mouvements. Après une hésitation inconsciente, fébrile, il se jeta dans le vide. L'instant d'après, le vent le rattrapait, l'enveloppait et le guidait. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il n'était plus près de la source, mais dans son monde, dans sa bulle, loin de tout. Le vent se glissa dans les feuilles, les faisant rire aux éclats, puis alla chatouiller l'eau d'un petit ruisseau. Nuage de Craie s'amusa des taquineries de son ami.
Là où il se trouvait, les couleurs se mélangeaient, la poésie se promenait, la douceur et la joie papotaient.
Là où il se trouvait, personne n'était. Il n'y avait que lui, Petite Craie, Nuage de Craie, Museau de Craie. Après tout, c'était son monde. Son petit paradis à lui. Son jardin secret.
— Nuage de Craie ? Qu'est-ce que tu fais ?
Tout s'effaça. Le novice cligna des yeux. Il était de nouveau près de la source, à quelques pas du campement. Il faisait toujours nuit.
Il n'était plus seul.
Nuage de Rapace, assise près de lui, observait le ciel. Son ami se demanda ce qu'elle pouvait bien lui trouver, à lui qui était si sombre, si inquiétant, si noir. Il ne posa cependant pas la question à voix haute. Après tout, lui aimait bien la lune, sa camarade pouvait très bien admirer le ciel.
— Tu crois que le ciel peut mourir, un jour ?
La question soudaine de la petite chatte surprit Nuage de Craie. Il prit son temps pour trouver une bonne réponse, qui ne serait pas trop bête.
— Je ne pense pas. Ou alors, s'il peut mourir, ce sera dans longtemps. Il doit avoir une très longue vie, le ciel. Plus longue que les arbres, plus longue que la terre, plus longue que la pierre. C'est presque comme s'il était immortel, mais ce n'est pas possible, parce que rien n'est éternel.
— À mon avis, le ciel est déjà très vieux. Tu crois qu'il nous regarde ?
— Je ne sais pas. Il peut regarder le monde entier. Pourquoi il nous regarderait, nous ?
Nuage de Rapace fronça le museau, pensive. Elle se releva et passa un rapide coup de langue sur son poitrail.
— Parce qu'on mérite d'être vus.
— Pourquoi ? Les autres aussi, méritent d'être vus.
— Oui, tout le monde.
— Mais le ciel ne peut pas regarder tout le monde, si ?
— Alors, peut-être qu'il ne regarde personne. Peut-être qu'il ferme les yeux et qu'il se dit que comme ça, il n'embêtera personne. Peut-être que le jour, la lumière du soleil l'ébloui et que pendant la nuit, c'est la lumière de la lune qui lui fait mal.
Le mâle inclina la tête, puis tourna son regard vers la lune. Il espéra qu'elle ne blessait pas trop le ciel et que celui-ci saurait un jour lui dire d'arrêter de briller, juste un moment.
— Tu crois que le ciel voudra bien rouvrir les yeux pour nous dire bonjour ?
La sœur de Nuage de Grenade demeura silencieuse un moment, les yeux fermés, comme si elle voulait se mettre à la place du ciel.
— Peut-être qu'il n'a pas besoin de nous voir. Peut-être qu'il sait qu'on est là et ça lui suffit.
Le vent se leva de nouveau, venant emmêler leur fourrure, danser autour d'eux, faire chuchoter les feuilles et les herbes. Cela fit sourire Nuage de Rapace, qui redressa le museau, pour mieux profiter des bourrasques joueuses.
— Si ça lui suffit, ça me suffit aussi, annonça finalement Nuage de Craie.
Il se leva à son tour, donnant le signal. Il était prêt à rentrer. Cette fois, il pourrait s'endormir sans problèmes, rassuré parce que le ciel veillait sur lui, même s'ils ne se voyaient pas.
À petits pas, il se dirigèrent vers les autres, sans se presser. Ils ne voulaient pas briser le silence mystérieux de la nuit. En essayant de ne pas faire de bruit, ils se blottirent l'un contre l'autre pour ne pas craindre le froid. Leurs souffles ralentirent, leurs corps se détendirent, leurs yeux se fermèrent.
Au moment où ils s'endormaient, la chouette revint de sa chasse. Dans un battement d'ailes, elle se posa sur sa branche habituelle, blottie contre le tronc de l'arbre qui l'abritait, ses grands yeux brillant dans la nuit.
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