Digression I : Réemploi de JdR
Comme beaucoup d'auteurs de fantasy je suppose, je me suis essayé au jeu de rôle. Et comme beaucoup d'auteurs je suppose, j'étais « préposé maître de jeu ». La tâche est fastidieuse et parfois ingrate, demande un investissement assez considérable en temps (si on veut un bon résultat), mais requiert des talents assez similaires à ceux de l'écriture et permet de raconter des histoires à un public privilégié. Le procédé a en outre un résultat direct, pas besoin d'écrire pendant des mois, d'attendre que quelqu'un veuille bien en lire le produit, pour finir par dire un truc aussi laconique que « c'est pas mal ». Non, ici, les joueurs le vivent et réagissent instantanément. Un bon exercice pour un auteur, donc.
À plusieurs reprises déjà, j'ai pu constater que certains auteurs récupéraient leur travail de maître de jeu pour le transposer dans une œuvre littéraire. Je ne juge pas ! C'est vrai que c'est tentant et rentable, l'univers étant déjà créé, voire même les personnages. On a peut-être envie de partager son travail avec un public plus étendu, et l'inverse est vrai également, dans un monde où il est tellement difficile de trouver des lecteurs, les anciens joueurs seront peut-être intéressés de découvrir le monde de leurs mésaventures au travers d'une prose rafraîchissante.
Je sais cela et je ne porte pas de jugement, car j'ai moi-même employé ce procédé. Je suis fainéant (je ne m'en cache pas, mais peut-être l'ignoriez-vous encore), et cela m'a permis d'économiser du temps sur la conception de mon background. Mais c'était une erreur. Et si j'écris ce petit article aujourd'hui, c'est éventuellement pour vous éviter de m'imiter et d'investir un temps précieux (et éventuellement important) dans un projet bancal pour de mauvaises raisons.
Les bonnes raisons de se lancer dans le réemploi de JdR :
Évidemment, si vous prenez la plume uniquement parce que vous désirez étendre la perspective de votre univers rôlistique, si votre but est d'écrire des histoires pour vos joueurs, et eux seuls, s'il s'agit de textes d'ambiance pour émailler vos parties ou d'un background à faire lire avant de jouer... Bien entendu, dans ce cas foncez ! Écrivez tout ce que vous voulez sur ou autour de votre campagne de jeu.
Les raisons pour lesquelles il vaut mieux éviter le réemploi de JdR :
Je m'adresse surtout aux jeunes auteurs, dans le but de leur éviter de perdre du temps comme je l'ai fait.
-L'intrigue : il s'agit du pire réemploi possible. Surtout, évitez de raconter les frasques de vos aventuriers préférés. Premièrement, une intrigue de JdR ne s'écrit pas tout à fait comme une histoire, car on doit laisser une marge de manœuvre aux joueurs, car il est des suspenses qui ne fonctionnent qu'avec un lecteur, pas avec une table de jeu, et aussi parce qu'il est des situations plutôt complexes (voire gênantes) à jouer, je pense notamment aux romances.
Ensuite, rien de pire pour un lecteur qui ne connaît rien à votre univers de campagne que de découvrir une succession de péripéties aussi linéaires que régulières, sans l'emphase littéraire appropriée. À chaque session, il vous faut votre dosage de rebondissements et d'action, ce qui n'est pas forcément vrai, du moins pas avec cette constance, en littérature. Et notamment, le point de vue ne s'éloigne jamais des personnages joueurs.
Enfin, en tant que maître de jeu, vous avez beau régir votre intrigue dans les grandes lignes, vous n'êtes néanmoins pas seul maître à bord. Vos joueurs vont prendre des décisions, orienter l'histoire, et les joueurs sont des gens bourrés de défauts (là je sens que je vais peut-être me mettre du monde à dos). Mais regardons les choses en face :
-Le joueur n'a pas votre talent inégalé de conteur, son perso sera donc probablement moins bien écrit que si c'était le vôtre.
-Le joueur prend souvent des décisions absurdes, soit qu'il n'a pas compris le génie de votre intrigue alambiquée, soit qu'il lui prend la soudaine envie de rajouter un peu de rococo à votre trame si bien ficelée.
-Le joueur n'est pas forcément un acteur qui maîtrise toutes les ficelles du rôle qu'il joue et prend parfois des décisions qui contredisent la nature de son personnage, entachant sa crédibilité.
Tout ça pour dire que, si jamais vous désirez véritablement transposer le génie qui vous a inspiré votre intrigue au format roman, il va falloir tellement réécrire l'ensemble pour produire un minimum de qualité et d'harmonie, que le travail sera au moins aussi laborieux que si vous vous lanciez dans un truc totalement neuf. Je dis au moins, car je pense en fait que c'est bien plus de travail de faire le grand écart entre « coller à l'intrigue originale » et « rafraîchir ce qui est nécessaire » que de démarrer une histoire neuve et sans contrainte.
-Les personnages : bon je l'ai déjà évoqué et vous l'aurez compris, les personnages, c'est pas franchement un bon réemploi non plus. Pourquoi ? Parce que les personnages ne sont pas votre création, ils sont la création d'un joueur, et les joueurs sont des gens bourrés de défaut... ^^
Et c'est normal, on ne peut pas exiger de tout le monde d'avoir une imagination débordante et des concepts de persos sympa plein la tête. À moins bien sûr que vous ne jouiez avec les membres de votre club d'écriture de sagas de fantasy époustouflantes et qu'ils soient tous de formidables auteurs très inspirés. Et même dans ce cas, petit MJ veinard, l'harmonie ne sera pas forcément au rendez-vous, ces personnages ne seront pas ceux que vous auriez imaginé vous-même, peut-être même certains se ressembleront-ils. Bref, c'est une contrainte dont vous vous passeriez, surtout si vous avez à cœur de rester fidèle aux bébés de vos joueurs.
-L'univers : là, bien sûr, c'est une autre histoire. Bon, ça vaut si vous avez créé votre univers vous-même, bien entendu, sinon vous rentrerez dans la catégorie « fanart ». Mais réemployer un univers qui vous plaît, sans forcément vous encombrer de la trame et des personnages de votre campagne, c'est la manière la plus rentable de faire du réemploi.
Cela vous permettra d'économiser de longues heures de traitement du background et d'évoluer dans un monde qui vous est déjà familier, donc d'autant plus aisé à retranscrire et à enrichir de détails. Évidemment, on écrit parfois le monde en fonction de l'histoire à raconter, mais rien ne vous empêche de réaménager le monde de la campagne pour qu'il corresponde mieux à l'histoire que vous désirez raconter. Le boulot sera de toute façon moindre que de tout élaborer depuis zéro.
S'il y a un danger, ce sera peut-être celui de la foison. C'est particulièrement vrai en fantasy, lorsqu'on crée un monde pour jouer, on a tendance à le parsemer de mystères à élucider, de trésors à découvrir, de ruines cachées à déterrer et de décors variés et hauts en couleur. Vous pourriez dès lors être tenté d'inclure toutes ces magnifiques trouvailles dans votre histoire pour tirer parti du boulot abattu et ainsi, malheureusement, obtenir un effet rococo (qui est parfois si cher aux joueurs) non désiré.
En conclusion :
Vous constaterez que les inconvénients sont plus nombreux que les avantages. Il y a peu de bonnes raisons de réemployer et peu de gain à faire. En plus, ce n'est pas du tout une assurance de faire de vos joueurs vos premiers lecteurs, vous pouvez me croire.
Résistez à la tentation. Ça peut faire peur, mais démarrer un livre de rien est plutôt une bonne idée, qui vous laissera toute latitude pour vous exprimer. D'après mon expérience, la créativité s'accommode mieux d'une page blanche.
Mais en fin de compte, quel que soit votre choix, je ne peux que vous souhaiter tout le succès possible dans vos démarches.
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