Première Partie 3
La police ne put rien faire.
D'après eux, Isidro n'avait rien dit. Il se contentait de regarder autour de lui, les yeux écarquillés, désespéré, tandis qu'avec ses mains, il tentait de contenir son propre sang.
Les gens ne savaient pas ce qui s'était passé. Ce furent deux jeunes qui le trouvèrent, se débattant dans la mare de son propre sang, alors qu'ils allaient prendre le bus.
Vingt-huit jours avaient passé. Margarita n'avait toujours aucune nouvelle de son fils. Elle avait déjà veillé et enterré son mari, sans avoir pu lui dire adieu, anéantie par l'impact de tout ce qui s'était produit. Et elle avait déjà juré trente fois qu'elle donnerait son âme au diable si cela lui permettait de retrouver son enfant disparu.
— Ne dis pas ce genre de choses, Magos.
Remedios se signa d'un geste rapide.
— Imagine qu'il apparaisse pour de vrai.
— C'est justement ce que je veux.
Margarita planta son regard dans celui de son amie.
— Qu'il apparaisse, et je lui donnerai mon âme en échange de mon enfant. Je le jure.
— Mujer, arrête d'invoquer l'Ennemi et viens coller d'autres affiches, allez, dit Leonora, essayant de la convaincre.
Elles la fixèrent toutes les deux. Mais Margarita en avait assez de placarder le visage de son fils partout. Ce n'était pas seulement parce qu'elle avait l'impression que cela ne servait à rien. C'était aussi parce qu'à force de voir son enfant dans chaque coin de rue, elle ne le voyait plus avec elle. Et ça, ça faisait mal.
Où pouvait-il être ? Que lui faisaient-ils ? Qui l'avait enlevé ?
— Allons-y, Magos...
Magos posa le pot de colle sur la table, regarda ses amies dans les yeux sans vraiment les voir, fit demi-tour, marcha jusqu'à sa chambre et s'enferma.
Ses voisines, qui étaient déjà passées par là, ne la suivirent pas, ne l'importunèrent pas, ne cherchèrent pas à la convaincre. Elles prirent la colle, d'autres affiches, lui laissèrent en évidence une soupe de migas et sortirent placarder les annonces demandant toute information sur Luisito.
Quelques heures plus tard, Margarita sortit de sa tanière. Elle regarda la table, prit quelques affiches avec culpabilité, attrapa le pot de colle et se précipita dehors pour tapisser les rues. Elle décida de marcher une heure dans n'importe quelle direction avant de commencer à coller la photo de son fils perdu.
Ses pieds lui faisaient mal, elle avait déjà marché bien plus qu'elle ne l'aurait cru possible. Ses talons étaient fissurés, sa peau sèche se détachait par lambeaux à cause des callosités qui s'étaient formées, ultime défense de son corps contre l'épuisement. Un signal d'alarme, un cri d'alerte silencieux réclamant du repos.
Sur le dos de son pied, juste avant la phalange du petit orteil, une douleur, musculaire ou osseuse, lui fit comprendre que la structure même de son pied était en train de changer. Que ses marches interminables, jusqu'à la nuit tombée, étaient en train de la briser, à l'intérieur comme à l'extérieur. Mais lorsque, le soir venu, elle rentrait chez elle et retirait ses sandales ensanglantées, elle n'y prêtait même pas attention. Juste une grimace. Un frisson. Un gémissement peut-être, lui rappelant qu'elle était humaine. Ou qu'elle cessait de l'être. Puis elle s'écroulait sur son lit, sombrant dans un sommeil sans rêves, jusqu'à ce qu'une voisine vienne frapper à sa porte pour lui apporter de quoi manger.
Elle ne renonçait pas.
Margarita marcha plus d'une heure, comme elle s'était promis de le faire, et commença à coller les affiches de son fils. Les policiers avaient eu la gentillesse de les lui imprimer, elle n'avait eu qu'à acheter la colle et les coller là où elle jugeait bon.
Elle n'aimait pas recouvrir les autres affiches sur les poteaux. C'étaient souvent des annonces plus rudimentaires, des feuilles de papier ordinaires où l'on proposait des services : réparation de meubles, travaux de maçonnerie, installations électriques à prix modique.
Il y avait aussi des messages plus énigmatiques, et tout le monde devinait bien quels genres de services étaient offerts, rien qu'en regardant les noms des établissements qui les publiaient.
Mais parmi tous ces papiers placardés, il y avait toujours cette affiche étrange qui la poussait à s'arrêter un instant avant de la recouvrir :
« Théâtre Mystique. Seulement pour les désespérés.»
Elle la regardait, sans aucune émotion, simplement contemplative. Elle retenait son souffle, comme suspendue dans l'attente de quelque chose. Puis, réalisant qu'elle ne pouvait plus tenir, elle expirait, respirait à nouveau, collait son affiche par-dessus, et continuait. D'un poteau à l'autre, d'un arbre à une autre façade, à un autre mur, à un autre coin de rue.
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