Première Partie 1
Margarita se déconcentra soudainement.
Ce matin-là, en particulier, elle avait l'estomac noué et les pensées bouillonnantes. C'était cela, son étourdissement. Un flot chaotique d'images et de souvenirs, de douleurs anciennes, de rêves inachevés...
Mais quelque chose —ou plutôt quelqu'un— l'aidait toujours à continuer, à aligner ses pensées avec ses paroles et avec ses actes.
Luis.
Luisito.
Son fils.
Ils venaient de partir.
Ce matin-là, lorsque le chant du coq l'éveilla et qu'elle entrouvrit à peine les yeux, elle vit la brume glaciale s'infiltrer sous la porte et ramper jusqu'à sa chambre.
C'était comme de la fumée.
Si ce n'était pas pour le froid mordant qui l'empêchait de bouger, elle se serait levée pour vérifier qu'il n'y avait pas d'incendie. Car cela ressemblait à de la chaleur, à de la fumée... Au feu, de l'autre côté.
Mais non.
Le froid implacable lui confirma que si elle osait bouger ne serait-ce qu'un peu, si elle osait étendre une main ou un pied, elle ne rencontrerait que les draps glacés, brûlants de givre.
Cela ne pouvait signifier qu'une chose : il n'y avait pas de feu, là-dehors. Seulement la langue gelée du brouillard du matin, qui léchait tout sur son passage avant de disparaître.
Margarita tourna les yeux vers la fenêtre.
De l'autre côté, tout semblait plongé dans une obscurité totale.
Mais son regard de femme des champs, son esprit forgé par la forêt, son corps modelé par la montagne, lui permirent de percevoir de légères veines bleutées, comme de subtiles touches de pinceau maculant un ciel encore noirci par la nuit qui refusait de s'en aller.
« Cocorico. »
En un battement de cils, à peine eut-elle détourné le regard vers son mari, le ciel se constella de nuances grises et de bleus plus clairs.
Les nuages.
Le fruit d'une palette céleste qui ne relevait déjà plus de la nuit.
Elle ne voulait pas bouger.
Le froid était insoutenable.
Le givre à l'extérieur et la chaleur à l'intérieur embuèrent la fenêtre. Peu à peu, tout devint flou, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un gris opaque, un gris obscur qui les recouvrait, les préservait de tout ce qui pouvait exister dehors.
Elle ne voulait pas bouger.
Elle ne voulait pas se lever.
Elle aurait aimé être plus fatiguée pour pouvoir se rendormir.
Elle aurait souhaité que ce ne soit pas si tôt.
Elle aurait voulu se lever tard.
Elle ne voulait pas bouger.
À ses côtés, il grogna.
Non pas contre elle. Contre le matin.
Lui non plus ne voulait pas se lever.
Elle attendit.
Elle savait ce qui allait suivre.
Son mari se redressa et laissa ses pieds pendre hors du lit. Il chercha... chercha quelque chose avec les pieds.
Il trouva.
Elle entendit un coup du bout du pied.
Le son d'un talon ou d'un orteil qui poussait un objet sous le lit.
Il grogna à nouveau.
Puis il se pencha et, de la main, rapprocha un urinal contre le mur.
Il se leva, sortit son sexe et commença à pisser là, juste à côté du lit.
Il visa à peu près juste.
L'odeur forte de l'urine fraîche se mêla à celle de la nuit. Presque imperceptiblement, Margarita ouvrit la bouche, cherchant l'air, comme un poisson hors de l'eau.
Isidro secoua son sexe.
Il resta immobile, nu, le membre encore en main.
Comme s'il hésitait sur la suite à donner aux événements.
Mais la routine eut raison de lui. Plutôt que de le ranger dans son pantalon, il détacha le cordon de tissu qui maintenait son bas de toile, et le laissa tomber au sol.
Il ne retira pas sa chemise.
Margarita avait déjà les yeux fermés bien fort.
Il s'agenouilla sur elle, à califourchon, et l'embrassa avec maladresse, d'un baiser brutal, rugueux.
Il était impossible pour elle de faire semblant de dormir.
Si elle n'avait pas déjà été éveillée, le simple fait de l'avoir sur elle l'aurait réveillée d'un coup.
Elle répondit à son baiser...
Mais en pensant à l'odeur de sa bouche.
En pensant au puanteur de l'urinal.
Il se détacha d'elle et lui sourit.
Margarita le fixa, impassible.
Elle pensa, sans le dire : « Tu veux vraiment faire ça maintenant ? »
Elle jeta un regard furtif à la fenêtre couverte de givre.
—Moi, je vais te réchauffer.
Margarita se déconcentra soudainement, encore une fois.
Elle repensa à Isidro, à la manière dont il lui avait fait l'amour à l'aube.
Elle sentait encore son odeur sur elle.
Elle sentait encore le nectar de son désir couler entre ses jambes.
Elle pensait aussi à Luisito, qui n'avait presque rien avalé au petit-déjeuner. Il avait à peine bu un demi-verre de lait et croqué deux bouchées de pain. Une conchita. Celle qu'il s'était privé de manger la veille au soir, la gardant précieusement pour le matin.
Elle pensait à sa famille.
Idées. Souvenirs.
Pensées.
Tout s'écrasait dans son esprit.
Et elle détestait ça.
Elle était une femme pratique.
"À ce que je suis venue faire, Chencha."
Mais quand ses pensées se mettaient à tourbillonner ainsi dans son cerveau, elle savait, à ce stade de sa vie, que ce n'était pas bon signe.
Quand ses parents étaient morts — chacun à leur tour — elle n'avait pas cessé de penser à eux, de les voir dans son esprit toute la journée.
Comme si sa tête était devenue un cinéma diffusant le film de leurs vies.
Et ce n'est que lorsqu'on était venu l'avertir qu'elle avait appris qu'ils étaient morts.
Il en avait été de même avec sa cousine Eustolia.
Ce matin-là, son esprit n'arrêtait pas de la ramener à leur enfance, aux bêtises qu'elles faisaient ensemble, aux fêtes, aux kiosques où elles se promenaient, à son mariage...
Puis, soudain...
Trois coups à la porte.
Toc. Toc. Toc.
Sa cousine était morte.
Margarita se déconcentra soudainement, encore une fois.
Mais elle ne voulait pas.
Parce que cette fois, c'était différent.
Ce n'était pas seulement parce qu'il s'agissait de son mari et de son fils.
C'était parce que jamais encore elle n'avait ressenti cela pour deux personnes en même temps.
Margarita se déconcentra soudainement, encore une fois.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Luisito, Isidro.
Margarita se déconcentra soudainement, encore une fois.
Toc. Toc. Toc.
—Non...
Sa voix n'était qu'un souffle.
Ses jambes se dérobèrent sous elle.
Elle s'effondra, la poule toujours entre les mains, incapable de lui tordre le cou pour le bouillon du déjeuner.
Toc. Toc. Toc.
La mort.
Elle aurait juré que c'était la mort qui frappait à sa porte.
Au loin, des cris.
Des voix.
Des voix qui s'accumulaient dehors.
Toc. Toc. Toc.
—Qui... qui est-ce... ?
—Magos, cours !
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