En premier lieu, il y eut le contexte d'une rencontre. Tournée des festivals. Concerts inédits entre des rappeurs qui avaient d'abord décidé de se réunir en visio Skype. La raison de ce choix ? Faire connaître le rap français et tous les messages que ses défenseurs se devaient de transmettre par une forme de poésie peu connue. La subtilité était devenue une nouvelle arme.

Ken Samaras, Nekfeu, Nek le Fennec ou le Fennec tout court, fut le premier à proposer ce projet à son groupe, le S-Crew. De nature convaincante, son plan s'était naturellement étendu à son collectif l'Entourage. Certains s'étaient montrés d'accord avec l'idée, d'autres non.

Dès le départ, il y eu donc lui, 2Zer, les frères Akrour, Deen Burbigo, Sneazzy et Alpha Wann. Ils lancèrent l'appel un an plus tôt par leurs réseaux et tout de suite, d'autres rappeurs leur avaient favorablement répondu, comme Eddy de Pretto, Roméo Elvis, BigFlo et Oli et Lomepal.

Puis, surprise, deux autres frères trouvèrent cette ébauche comme opportuniste. Dans le sens que depuis le début de leur carrière, ils n'étaient présents sur scène que grâce à leur communauté. C'était l'occasion ou jamais d'entretenir leur image secrète et toutes les questions qui en découlaient. Par exemple, pourquoi commencer à faire une tournée avec d'autres rappeurs ?! Par cet argument précis, un frère persuada l'autre.

Ce dernier s'appelait Tarik Andrieu, ou Ademo pour celles et ceux qui ignoraient encore qui se cachait derrière ce blaze. Avec Nabil, N.O.S, ils formaient le groupe PNL. Succès inégalable. Alors pourquoi se lancer dans cette aventure ? Le défi, le goût du risque, l'envie de nouveau.

Finalement, tous mirent six mois pour se rencontrer. Mais comment organiser deux mois de concerts intenses - entre artistes qui ont chacun des exigences -, les répétitions et surtout la vie en général ? Or, dès le départ, tout fut très clair.

C'était l'intérêt de côtoyer de tels hommes, des artistes aussi ambitieux : ils savaient ce qu'ils voulaient et surtout ce qu'ils ne désiraient pas. Alors, en un rien de temps, la tracklist fut établie, puis la scène, les musiciens, les lumières, les accessoires... Et pour ce qui était du quotidien, chacun resterait dans son bus.

Quand tout cet aménagement fut enfin conclu à un mois du premier show, Tarik Andrieu pensa finalement qu'une fois de plus, il avait bien fait de faire confiance à son frère.

Il pensait tout ça alors qu'il se trouvait dans les coulisses, à quelques minutes de la fin du show. C'était l'une des règles qu'il avait fixé avec son frère aux autres : passer en dernier. Deen Burbigo, Sneazzy et Alpha Wann venaient de quitter la scène. Ne restaient donc que Nekfeu et le reste du Crew. Pourtant, en coulisses, les autres - qui étaient déjà passés - s'éternisaient dans l'ombre de la structure métallique. Ademo décida de s'avancer, pour se concentrer, jusqu'à...

« Mec, tu devrais regarder au premier rang mais tout à ta gauche, tu verras une meuf... Indescriptible. Déjà, elle s'est mise bien sur les côtés pour qu'elle ait la place de bouger. Elle chante et surtout, le regard qu'elle nous a lancé à tous... Ça fait du bien de voir des personnes comme elle car on est tous d'accord là-dessus : on la trouve charmante, surtout quand elle semble vivre nos paroles, qu'elle connaît d'ailleurs par cœur. ». Deen et son habitude à vouloir analyser les gens. Ademo ne le comprenait pas, ne les cernait pas.

Comme toujours, il se sentait différent, en marge, même si tous ces artistes avaient une passion en commun qui les faisait vivre : le rap. Ce dernier avait changé : partager ses sentiments était devenu le crédo numéro un, même si ce n'était pas chose facile pour le premier des frères Andrieu, alors que Nabil avait beaucoup plus de facilité à se confier. Il dut penser tout ça en une seconde, parce qu'il devait répondre à Deen, au moins par un hochement de tête. Ce qu'il fit. Puis, geste qui le rassurait toujours, son frère s'approcha de lui. C'était le signal, notamment parce que les remerciements du Crew se firent entendre. Le second indice fut le noir complet.

Quand il entrait en scène, il oubliait tout. Même si la musique et les paroles représentaient son mal-être. Mais ce soir-là, tout fut différent. Parce que même aujourd'hui, il ne saurait même pas expliquer la raison pour laquelle il regarda à gauche de la scène.

Oui, elle était là. Dans les 1m65 environs et au premier regard, il se dit qu'elle ne correspondait pas aux belles Vénézuéliennes qu'il avait pu côtoyer. « Ici, on est en France mon frère et crois-moi, certaines françaises en valent vraiment le coup. ». La voix de son frère lui donnant ces conseils raisonna dans sa tête, alors qu'il venait de finir son couplet.

Alors, il se déplaça de son côté discrètement. Elle avait les yeux chocolats. La crinière rousse ramenée en un chignon vite fait, avec des fossettes rebondies comme il le fallait. Malgré la nuit - grâce aux spots -, il put même voir ses quelques taches de rousseur sur son nez. Elle était habillée d'une salopette qui dévoilait ses courbes. Est-ce qu'il la trouva désirable ? Oui.

Et pas que à ce qu'il venait de voir. Il se maudit de s'avouer que Deen n'avait pas tort. Elle connaissait toutes les paroles qu'elle chantait les yeux fermés. Parfois, elle restait accoudée contre la barrière mais la plupart du temps, elle dansait. Comme si elle était seule sur terre. Et à ce moment-là, il sentit dans son cou des frissons, une sensation indescriptible dans le ventre et il n'arriva pas à détacher son regard d'elle.

Nabil finit la chanson, puis de nouveau, la scène fut plongée dans la pénombre. Mais au lieu de suivre son frère à l'arrière du plateau, il resta planté sur scène.

Le public mit longtemps à s'évacuer. Jusqu'à ce qu'il ne reste que très peu de festivaliers, dont elle. Les autres membres étaient descendus dans la fosse. Pas lui car elle venait de croiser son regard. Explosion. Cœur, cerveau et le système qui ne répond plus.