Chapitre 2 : Princesse
« Putain mais c'est vachement bon. T'es vraiment trop forte ! Merci beaucoup pour tout ce que tu as fait, t'es vraiment la meilleure ! Merci Tarik de l'avoir invité la première fois ! ». Deen venait de souffler ses bougies et avait déjà englouti une part de gâteau.
Comme à leur habitude, le lendemain midi, ils étaient tous réunis à table. Les rappeurs qui n'avaient pas été présents avec elle pour l'aider découvrirent peu à peu avec stupeur la gigantesque table se remplir des pâtisseries.
Les frères Akrour, Ken, lui et elle s'étaient finalement couchés à l'aube. Ils avaient ainsi dire très peu dormi, et même s'ils refusaient de se l'avouer, ils étaient fiers. Surtout lui, parce qu'il lui avait découvert une résistance qu'il ne lui connaissait pas. Et pendant qu'il était encore en train de l'observer, il avait remarqué qu'elle avait gardé son collier. « Tu veux de l'aide ? ». Le prétexte qu'il avait trouvé était le bon. Elle commençait à couper de manière égale des parts.
« Oui, merci. Ça te dit de me passer les assiettes et ensuite de les distribuer à ce que chacun m'aura demandé ? ». Elle avait dit ça avec le sourire, comme toujours. Et lui, pour acquiescer, se contenta d'hocher la tête. « Tarik, qu'est-ce que je te sers ? ». Sa voix avait changé. Elle était plus douce, presque mielleuse, câline. Il était vraiment en train de perdre la tête.
« Ce que tu prends. ». Alors, elle mit deux assiettes côte à côte et leur servit une crêpe et une gaufre recouverte de ganache au chocolat avec chantilly.
« Merci. ». Et quand il goûta, il sentit une explosion de saveur. « Deen, ça me fait chier de t'avouer que t'as raison. ». Tous se retournèrent vers lui et elle le regarda avec reconnaissance.
« Et quand je pense qu'en plus, dans 15 minutes, y'a le match de l'Algérie et que vous n'allez pas faire un effort physique de l'aprèm... ». Elle pensait vraiment à tout. Mais à ses paroles, son frère, Jason, Fabrice, Deen et lui relevèrent brusquement la tête. Il se regarda : il devait absolument revêtir le maillot algérien. Mais l'appel de la bouffe fut trop intense. Il se régalait.
D'ailleurs, Deen partit dans le bus chercher les affaires, en prenant soin de piquer le reste de la brioche. « Eh ! Pas de bouffe dans le lit, ce n'est pas toi qui va faire les lessives ! », se surprit-il à déclarer. Mais elle tourna la tête vers lui : « C'est toi qui dit ça... ».
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Alors que le match allait bientôt commencer et qu'ils étaient installés, elle toqua à la porte, même si elle était attendue. « Vas-y, rentre, mais dépêche, c'est bientôt l'entrée des joueurs sur le terrain. C'est vrai que tu ne connais rien aux règles ? ». Mékra, toujours dans la finesse.
« Tu m'écoutes quand je parle ? Je vous ai déjà dit que je suis plutôt rugby. J'adore la moto même si je ne sais pas en faire et sinon, la liste complète de mes passions est simple : musique, lecture, écriture et voyage. ». C'était une de ses grandes qualités : elle était curieuse. « Tarik, ça te dérange si je me mets à côté de toi ? Au moins, je suis sûre d'être placée la plus loin des insultes qui vont être proférées contre l'arbitre... ». Son ton de voix était redevenu délicat, même si elle fut interrompue par le grognement des gars. Heureusement, elle n'était pas susceptible et pour le leur prouver, elle leur fit un clin d'œil.
Quant à lui, il ne réfléchit même pas et poussa son frère vers la droite pour qu'elle ait assez de place entre lui et le mur. Elle grimpa sur le lit et il se surprit de lui tendre la main pour l'aider.
C'était la première fois qu'elle se couchait auprès de lui. Il se fit violence de détourner ses yeux d'elle. Il avait envie de passer sa vie à l'observer, pour mieux la connaître.
C'est ce que chacun avait fait depuis qu'elle avait rejoint le groupe. Mais contrairement aux autres, Tarik s'était surtout rendu compte qu'elle leur enseignait inconsciemment à devenir des hommes meilleurs.
Ken était celui qui passait le plus de temps avec elle. Ils parlaient des heures de littérature, de rimes, de punchlines et parfois pudiquement d'amour. Il allait beaucoup mieux.
Théo était celui qui l'écoutait le plus. Ainsi, ils avaient fait un deal : si ce dernier fumait moins souvent de spliffs, elle commencerait le sport. A eux deux, ils avaient déjà perdu 10 kilos.
Deen était celui qui la faisait plus rire. Ils s'éclataient en répétitions avec le vocodeur, reprenant pitoyablement le duo Céline Dion – Jean-Jacques Goldman. Ils brillaient de leur joie.
Sneazzy était celui qui regardait le plus souvent ses gestes, surtout quand elle cuisinait. « Une recette, c'est comme un album : il faut que tu la travailles encore et encore. ». Pari réussi.
Eddy était celui qu'il l'admirait le plus. Il croyait qu'il le faisait secrètement mais quand tous deux parlaient de culture et d'art, surtout scénique, leurs yeux scintillaient d'envie.
Roméo était celui qui avait retrouvé le plus d'inspiration grâce à elle. Il s'était notamment remis à peindre après une période de blanc, et proposait déjà ses toiles comme futures pochettes.
Antoine était celui qui se découvrait encore. Par exemple, lorsqu'il lui avait appris à faire du skate, il fut surpris de sa patience qu'il ignorait avoir jusqu'à lors.
Alpha, quant à lui, avait doublé son sens du partage en acceptant de lui prêter des sapes. En remerciement, elle mettait tous les jours ses sweats, ses T-shirts, ses casquettes...
Enfin, Tarik savait que secrètement, elle avait une préférence pour les trois fratries : lui avec son frère, les Akrour et les Ordonez. Parce qu'il avait remarqué les regards doux qu'elle leur portait. Il était sûr qu'elle devait avoir un frère ou une sœur mais comme toujours, c'était Nabil qui lui avait posé la question. Et pour la première fois, tous avaient vu son regard mélancolique : « Oui, j'ai un frère mais je n'ai pas avec lui cette fraternité qui vous unit. ».
Alors, elle essayait de trouver une autre complicité qu'elle comprenait tant. Avec Florian et Olivio, ils étaient de la même génération donc tous les trois avaient pas mal de passions en commun, dont celle d'apprendre de l'autre à jouer du piano, de la batterie et de la trompette.
Chez les frères Akrour, elle cherchait plus une forme de protection. Autant l'un que l'autre n'était pas très démonstratif mais quand elle voulait découvrir quelque chose d'eux, ils l'intégraient dans leur cercle. « Apprenez à vous faire confiance les uns entre les autres. ».
Enfin, concernant la relation que Nabil avait avec elle, la situation était inédite : jamais de sa vie Tarik ne l'avait vu autant intentionné. Elle avait fait de lui un homme apaisé.
Et lui alors ? « Tu es celui qui l'aime le plus. Et ce qu'elle t'a appris est simple : aimer. ». Sa conscience lui parla tout à coup, mais dont il prit le soin de lui faire un bras d'honneur.
Elle leur était indispensable, plus précisément pour lui. Parce que c'était toujours elle qui les attendait dans les coulisses à la fin du concert pour les réconforter, elle qui leur avait imposé un nouveau style de vie totalement bénéfique et surtout, elle était bien plus qu'elle ne le pensait.
« Oh, Tarik, je te parle ! ». La voix grave que son frère ne prenait presque jamais le surprit. Nabil était pourtant assis à sa droite. Suivaient Deen, Framal et enfin Mékra.
« Mmm... Oui, le son dédié à l'Algérie est prêt. ». Il n'avait jamais besoin de faire répéter son frère. Ils étaient liés l'un à l'autre. Et de toute façon, Nabil ne pouvait que parler de sons et de foot avec les Akrour.
« Tahia, tahia PNL, Tahia, tahia Djazaïr... », fredonna-t-elle. C'était l'un de ses grands défauts : elle chantait faux. Mais au moins, elle savait parfaitement reproduire toutes les mélodies.
Tout à coup, tous redevinrent silencieux : le coup de sifflet indiquant le début de la rencontre retentit. Et pendant le reste du match, lui et elle ne parlèrent pas. Juste parfois, elle demandait quelques explications courtes, comme pour comprendre la règle du hors-jeu.
A son goût, la première mi-temps passa beaucoup trop vite. Les autres se levèrent pour aller chercher des rations de bouffe et d'alcool légers. Sauf elle, qui prit soin de lui indiquer ce qu'elle allait faire : « J'avais lancé une lessive de blanc et elle a dû largement finir. Alors soit tu me laisses passer, soit je te marche dessus. ». En réponse, il se leva automatiquement pour la suivre.
Alors qu'elle était en train d'enlever les vêtements blancs de la machine, il avait l'impression que ses habits blanchissaient paradoxalement au fur et à mesure qu'elle les lavait.
Pendant qu'elle étendait son pull qu'il avait mis pour cliper Au DD, celui avec le M rouge, elle se mit à fredonner : « Et sur ton pull, je broderai M, pour que nos sangs se mêlent au vent, mon ADN. ». Elle croisa son regard et sourit. Étrangement, il ne reconnut pas l'air et les paroles.
« Qu'est-ce que tu racontes encore ? », l'embêta-t-il. Puis, il eut un geste qui le surprit : il étendit lui-même son autre pull qui lui avait aussi servi pour le clip, celui au col et aux manches bariolés.
« Je te dis tout. Mylène Farmer. Tu devrais écouter la version live, la chanson est très douce. Elle m'émeut parce que... Non laisse-tomber, oublie. ». Il détestait quand elle devenait muette.
Mais il décida de ne pas renchérir sur sa réponse, parce qu'il sentait que son cœur était à la limite d'entendre des choses qui le pousseraient à tout lui avouer et ainsi à se dévoiler. « De toute façon, tu nous as déjà chantées en répèt toutes les chansons d'amour qu'elle a écrit. », essaya-t-il de se plaindre. Mais il n'était pas crédible car il adorait la voir danser parfaitement les chorégraphies. Elle l'épatait à se dévoiler devant les gars et surtout de ne pas avoir peur.
« Eh ! Je te rappelle que tu chantes aussi bien que moi ! En parlant de scène, je vais laver mes Converses. Tu veux que je fasse pareil avec les tiennes ? ». En pensant à ces chaussures blanches mi-hautes, il se mit à sourire car il se souvint de première fois qu'ils avaient mis cette paire le même jour d'un geste totalement indélibéré. Ils avaient une étrange connexion.
« Nan, t'inquiète, elles sont tellement poussiéreuses que je préfère en acheter d'autres plutôt que tu te fasses chier à essayer de retrouver le blanc d'origine. », dit-il en continuant de participer aux tâches, alors qu'il n'avait pas l'habitude de le faire. Elle avait vraiment une influence étrange sur lui.
« En parlant de cette couleur, j'ai remarqué que tu la portais souvent... Tu mets aussi de manière fréquente des salopettes, tu tiens tes joints habituellement de ta main gauche mais par contre, c'est toujours ta jambe droite que tu plies quand tu te calles contre un mur. ». Elle avait prononcé tous ces mots en une seule traite, sans même reprendre son souffle.
« J'ai fait de la prison. Pour trafic de stupéfiants. Je suis loin d'être un mec clean. Même si depuis le premier soir, j'ai l'impression de te connaître. Pourtant, pour une raison que j'ignore encore, tu m'échappes. Tu crois que je ne te vois pas rester en retrait par rapport à nous ? C'est quoi ce regard mélancolique que tu portes quand on essaye de te parler de ton passé ? Tant que tous les deux, on ne se sera pas tout dit, on ne pourra jamais construire quelque chose. ».
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