NORA : C'est l'heure de se réveiller. Le café est servi.

JULES : Je croyais qu'on devait prendre le petit-déjeuner avec eux quand ils arriveraient ?

NORA : Comme si j'allais attendre jusqu'à dix heures sans un café.

JULES : Je sais bien. Je disais ça pour t'embêter. Il nous faut bien de l'énergie pour tout préparer. Quelles idées ils ont eu aussi de vouloir faire la route de nuit !

NORA : Ça leur permet de dormir dans la voiture. Ça évite d'avoir à soutenir huit heures de conversation d'affilé.

JULES : Je suis sûre que tu serais parfaitement capable de survivre à huit heures de conversation d'affilé. Je crois même que ça donnerait une conversation très intéressante.

NORA : Avec toi oui. Ou avec à peu près n'importe qui pour peu qu'on puisse parler vraiment. Pas avec un inconnu. Et par pitié pas à parler de tout et de rien : ce serait un véritable cauchemar ! Avec n'importe lequel d'entre eux je suppose que je pourrais. Mais avec trois à la fois c'est plus difficile quand même. Ça doit être épuisant. Mais ça serait probablement intéressant oui. En fait je me demande de quoi ils ont pu parler. Oh mince, maintenant je suis presque jalouse de ne pas avoir eu à faire huit heures de voiture !

JULES : Tu les as faites avec moi pour venir ici. Et tu n'as fait que dormir. Alors que c'était la journée !

NORA : Je ne dormais pas. Je somnolais. Je pensais. Parfois je m'endormais plus ou moins, mais jamais vraiment. Je laissais les pensées suivre leur cours. Je les laissais penser toute seules. Et c'est comme ça que j'ai eu l'idée pour mon nouveau roman ; alors je n'ai pas perdu mon temps.

JULES : Et moi tu m'as laissé conduire tout seul, sans compagnie. Pour ensuite, une fois qu'on était rentrés, passer une heure à me raconter tout ce que tu avais pensé toute seule.

NORA : Tu sais bien que je pense mieux toute seule. D'abord j'élabore ma pensée, et ensuite on peut en parler. Si je pense pendant que je parle je ne suis pas sûre de vraiment penser ce que je pense ; je ne vois que les incohérences. Je préfère d'abord décortiquer mes propres incohérences, et ensuite seulement pouvoir confronter mes idées aux tiennes. Je ne peux pas confronter trop d'idées à la fois. Je préfère d'abord confronter les miennes entre elles, c'est déjà bien assez. Une fois que j'ai une pensée qui me plait je suis prête à la confronter au monde extérieur et aux pensées des autres. Ensuite il faut que je pense de nouveau toute seule pour retravailler ma pensée en prenant en compte tout ce à quoi je n'avais pas pensé moi-même.

JULES : C'est bien compliqué d'être dans ta tête.