Pendant ce temps, à la table des mariés, une autre personne se lève, une autre voix s'élève.

JULIETTE : A ma table on m'informe que c'est à mon tour de faire un discours de témoin. Alors je vais vous raconter une petite histoire. Vu que les discours ce soir semblent placés sous le signe de l'honnêteté semi-blessante (ce qui, après tout, est parfaitement approprié quand on est au mariage de Nora et Jules), je vais, en toute sincérité, vous raconter la première fois où j'ai été un peu trop sincère avec Jules. Trop sincère d'après moi, pas forcément d'après lui. En fait lui il s'en fichait. C'est ça qui m'a blessée le plus je crois : qu'il ait exprimé si honnêtement sa totale et complète indifférence. Mais je crois que je commence par la fin. C'était le jour où Nora nous a présenté Jules, à moi et d'autres amis. Monsieur à peine arrivé, il a trouvé malin de proposer ce qu'il appelait « le jeu des vérités » : jeu qui n'avait rien de très original, mais qui avait tout de gênant. Je n'ai rien contre l'honnêteté, mais je n'ai pas non plus envie d'être parfaitement transparente avec un inconnu, ou de le laisser m'interroger sur tout et n'importe quoi. Je comprends qu'il recherche l'honnêteté. Et puis c'est aussi ce que Nora fait. Sauf qu'elle elle le fait différemment, moins directement. J'ai toujours ressenti que je pouvais dire tout ce que je voulais à Nora : n'importe quand, même si c'était personnel ou gênant ou juste pas forcément intéressant. Elle te donne l'impression que tu peux dire tout ce qui te passe par la tête. Simplement parce qu'elle c'est ce qu'elle fait de dire tout ce qui passe dans la sienne. Mais jamais elle ne va poser des questions, être indiscrète, faire sentir une curiosité déplacée. Bien sûr si je lui raconte quelque chose elle posera des questions pour mieux comprendre. Mais elle sent quand elle s'approche d'un terrain glissant et qu'il ne vaut mieux pas forcer les confidences. Alors que Jules, lui, s'en fiche royalement. A force on le connaît, on prend l'habitude, et puis maintenant on est à l'aise avec lui alors ce n'est plus gênant. Mais au début ça m'a fait un choc. Alors quand au bout d'une demi-heure de son jeu idiot il m'a demandé ce que je pensais de lui, je ne me suis pas privée pour dire la vérité. Je lui ai dit que je ne l'appréciais pas du tout, que son jeu était malvenu, que je ne me sentais pas à l'aise. Et que je n'aurais jamais imaginé Nora avec quelqu'un comme lui : que je l'aurais plutôt vue avec quelqu'un de plus sérieux, de plus retenu, de plus conscient de lui-même, et de plus attentionné pour les autres. Et vous savez ce qu'il m'a répondu ? Il m'a dit : « D'accord. Pas de problème. Tu pouvais dire dès le début que tu ne voulais pas jouer, je ne me serais pas vexé. » Et Nora ? Elle a été prise d'un fou rire et, entre ses multiples gloussement j'ai cru comprendre quelque chose comme : « Ca me fait toujours rire quand les gens pensent savoir mieux que moi ce qui me convient. J'adore ça quand je commence à mieux comprendre la façon dont vous me voyez. » Maintenant ça fait cinq ou six ans, alors j'ai pu mieux connaître Jules. Pendant ce temps il a abandonné son jeu des vérités. Il dit qu'il n'en avait besoin qu'avec les inconnus, et moi je dis qu'avec les inconnus c'est justement là que c'est parfaitement inapproprié. Pendant ce temps j'ai réalisé que je l'avais peut-être jugé un peu trop sévèrement. Et surtout j'ai réalisé à quel point Nora et lui allaient bien ensemble après tout. Et je ne pourrais pas l'imaginer là avec qui que ce soit d'autre aujourd'hui. D'ailleurs, si j'avais pu l'imaginer, elle ne m'aurait pas demandé d'être leur témoin. Et tout compte fait, heureusement que Jules s'en fichait de ce que je pouvais bien penser de lui, sinon il n'aurait probablement pas accepté que je le sois.

VANESSA : C'est moi qui vais être morte de rire.

FLORIAN : Pourquoi ?

VANESSA : Cette fille est parfaitement incapable de différencier les causes des effets.