NORA : Toi tu dis ce que tu penses ! Mais eux, non ; c'est pas ça ! A toi ils vont te dire ce ce qu'ils pensent de Trucmuche, et à Trucmuche ils vont dire ce qu'ils pensent de toi. Mais ils ne vont pas te dire ce qu'ils pensent de toi, et ils ne vont pas dire à Trucmuche ce qu'ils pensent de lui.

JULES : C'est vrai qu'on peut les entendre énoncer des points de vue complètement contraires, en fonction des personnes qu'il y a autour d'eux.

NORA : Ils savent bien que je les trouve hypocrites. Mais au fond je ne les juge pas. Je les comprends. C'est juste qu'ils ont tellement besoin d'être adaptés, de se sentir acceptés, de montrer qu'ils partagent quelque chose avec ceux qui les entourent. Et forcément, dans le monde tel qu'il est, faire des commérages reste un incontournable pour être adapté. Et ce n'est clairement pas le choix qu'on fait toi et moi, encore heureux ! Mais je comprends malgré tout que d'autres puissent le faire.

JULES : Je sais que tu les trouves hypocrites, que tu penses qu'ils sont faux, que c'est du conformisme. Mais moi je crois qu'ils pensent vraiment chacune des choses qu'ils disent. C'est juste qu'ils choisissent quelles pensées partager ou non en fonction du contexte.

NORA : Je ne dis pas qu'ils ne pensent pas ce qu'ils disent. Ils le pensent mais ils ne le pensent pas vraiment. Ils le pensent sur le moment. Mais on dirait que jamais ils ne prennent le temps de réfléchir seuls à ce qu'ils pensent vraiment eux dans l'absolu. Comme s'ils n'avaient pas un avis propre. Bien sûr il y a des choses sur lesquelles ils ont leur avis propre. Enfin pas vraiment : il y a des choses sur lesquelles ils ont la vérité, la vérité scientifique et objective. Mais pour ce qui est du jugement, disons qu'il est fluctuant. Des opinions ils n'en ont pas de propres. Et pourtant ils ne se privent pas d'en énoncer à tout bout de champ. Pour les abandonner aussitôt la conversation finie.

JULES : Alors que toi, tes opinions tu y tiens comme à des joyaux et tu les collectionnes dans un coffre bien scellé.

NORA : Et même que je les taille pour en faire des bijoux appelés livres. Mais oui, je crois que c'est pour ça qu'ils n'ont pas l'impression de se trahir, même en disant une chose à Trucmuche et son contraire à Machin. Moi clairement je ne pourrais pas. Quand je dis quelque chose c'est que je l'ai pensé : je l'ai soupesé et je le crois vraiment. Ça ne veut pas dire que je le penserais toujours, mais au moment où je le dis je le pense sincèrement, moi, indépendamment de ce que pensent les autres.

JULES : Ou sinon tu l'enrobes de formules pour bien qu'on comprenne qu'il s'agit d'une idée en germe, que tu as des doutes, que tu crois, que peut-être, qu'éventuellement, hypothétiquement, tu n'as pas encore fini d'étudier la question mais il se pourrait que tu ait l'impression, ou en tout cas c'est comme si,...

NORA : C'est clair que ça fait tout de suite moins bonne impression que d'énoncer avec confiance et sans doute possible que Machintruc est un imbécile.

JULES : C'était pas Trucmuche ?

NORA : Trucmuche et Machintruc sont tous les deux des imbéciles, ainsi que 90% de la population aux yeux de Florian et Vanessa.

JULES : T'es sûre que tu ne les juges pas plus durement que moi ?

NORA : Je crois que je vais me sentir mal quand ils vont arriver. Du coup je me sentirais forcée de leur dire que je pense qu'ils jugent les gens trop sévèrement et qu'ils ne prennent pas assez la peine de développer leurs propres opinions.

JULES : Et que ce sont des hypocrites.

NORA : Non, ça ce n'est pas la peine. Je le leur ai déjà dit.