JULES : C'est ce que tu vas dire quand on te demandera de faire un discours à notre mariage ? « Je suis incroyablement heureuse mais on peut toujours être plus heureux qu'on ne l'est » ?

NORA : Tu sais quoi ? Oui je vais dire ça ! C'est la vérité après tout. Je pense que dans la vie on doit être dans une dynamique de progrès constant. Si là, maintenant, tous les deux, on est au sommet de notre bonheur, alors à quoi s'attendre pour l'avenir ? A quoi aspirer ? Tu crois qu'on n'a plus rien à espérer ? Que les choses ne peuvent qu'empirer ? Tu crois qu'on va passer notre vie à redoubler d'efforts juste pour que les choses restent telles qu'elles sont ? Parce que pas moi ! Je crois qu'on est immensément heureux, et qu'on va passer notre vie à chercher à l'être encore plus. A des moments on le sera plus, et à d'autres moments, inévitablement, on le sera moins.

JULES : Moi je pense qu'à chaque moment on sera heureux différemment. Qu'on va passer notre vie à expérimenter différents bonheurs. Et que ça n'a pas de sens de quantifier et de comparer. Que si on cherche à se demander à quel point on est heureux, et à comparer différents moments pour savoir si on a progressé ou régressé, alors on efface toute la richesse de l'expérience.

NORA : Maintenant voilà j'ai menti à cause de toi ! J'ai dit que j'allais dire ça dans mon discours mais maintenant je ne peux pas. Parce que ton idée est meilleure que la mienne ! Maintenant je ne crois plus en la mienne. Et je ne peux pas parler de la tienne parce qu'elle ne vient pas de moi.

JULES : Je te l'offre si tu veux.

NORA : Pour mener notre vie je veux bien accepter ce présent. Mais pour le discours non. Je trouverais bien autre chose à dire. En fait le bonheur c'est comme les gens : il y a des façons d'être différentes, et ça n'a pas de sens de chercher à définir ce qui est « mieux » ou « moins bien ».

JULES : Oui voilà exactement ! Tu peux dire ça dans ton discours.

NORA : Non ce serait de la triche. C'est juste ton idée à toi formulée différemment. En plus dit juste comme je l'ai dit, sans le contexte, c'est probablement incompréhensible.

JULES : De toute façon je suis sûre que tu as déjà préparé ton discours.

NORA : Non. Je ne voulais pas écrire de discours parce que je préfère dire spontanément ce qui me viendra. Et je me disais, je ne sais pas, ce n'est pas comme si j'allais pouvoir maintenant trouver les mots pour exprimer mes émotions par rapport à un événement qui n'a pas encore eu lieu. Ça n'a pas de sens. Je n'ai pas encore ressenti cette émotion je ne peux pas préparer les mots pour la décrire. Bien sûr je n'ai pas pu m'empêcher d'y penser quand même. Mais je n'ai rien trouvé à dire que tu ne saches pas déjà. Je suppose que le discours est pour les invités de toute de toute façon ; plus que pour toi. Mais bon c'est fou quand même ! Je ne peux même pas te dire à quel point je t'aime, ou à quel point je suis heureuse, ou pourquoi je t'aime ou pourquoi je suis si heureuse. Je ne peux pas te le dire, sauf en disant des choses que je t'ai déjà dites mille fois.

JULES : Je suis désolée de te décevoir Nora, mais ça ne concerne pas que ton avis sur moi et notre relation. Je connais quasiment toutes tes idées par cœur.

NORA : En même temps si ce n'était pas le cas je n'aurais pas à faire de discours. Vu qu'alors je ne voudrais pas t'épouser.

JULES : Merci bien !

NORA : Ben quoi ? Si tu ne connaissais pas toutes mes idées ça aurait été parce que tu ne voulais pas m'écouter, ou parce que tu ne retenais rien de ce que je racontais. Tu crois que j'ai envie de passer ma vie avec quelqu'un que je saoule ? Ou même avec quelqu'un qui ne me connaît pas ? Par contre j'ai bien envie d'avoir de nouvelles idées ! Mais en ce moment je ne peux pas ; je n'ai pas le temps de penser avec tous les préparatifs du mariage. En fait, ça m'exaspère parce que tout ce que je ressens, c'est à quatre-vingt pour-cent du stress. Je n'ai de la place pour rien d'autre. Je ne me sens pas différente, ou plus heureuse que d'habitude. Alors qu'on va se marier !