| 𝟐 | ℛ𝓪𝓹𝓹𝒆𝓵𝓵𝒆-𝓽𝓸𝓲 𝓵'𝓪𝓾𝓫𝒆 - 𝟐/𝟐
Bonne lecture !
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Octavius ouvrit la porte de sa maison dans une colère noire.
Il aurait pu avoir la surprise de découvrir l'intérieur, seulement il ressemblait tout autant à l'extérieur : saccagé, brisé, sale, il savait reconnaître une maison d'après fête quand il en voyait une. Il n'était parti qu'une petite semaine, pour affaire, mais apparemment cela avait largement été suffisant. Combien de personnes étaient venues ? Combien avaient fait la fête dans son salon ?
Il posa sa valise en bas de l'escalier pas loin de l'entrée puis s'avança pour regarder les dégâts : en vérité il s'en fichait pas mal, ce n'était pas lui qui allait nettoyer. Il avait largement les moyens d'engager une entreprise de nettoyage et même de racheter chaque meuble de sa maison. Non, ce qui le rendait furieux, c'était plutôt que cette maison était quand même la sienne, pourtant il n'en avait même plus l'impression.
– Salomé ?
Allongée sur le canapé sur salon, du maquillage coulé plein le visage et une robe moulante remontée le long de ses hanches, elle grimaça dans son sommeil. Il s'avança jusqu'à pouvoir la secouer un peu, évitant les toutes les saletés qui se trouvaient au sol.
– Salomé, debout. Maintenant.
Cette fois, ce fut ses yeux qu'il découvrit alors qu'elle se tournait dans sa direction. Il s'assit sur la table basse, fasse au canapé, et croisa les jambes.
– La princesse se réveille ?
– Qu'est-ce que tu fous là ? grogna-t-elle en couvrant ses yeux. Tu devais pas partir pendant une semaine ?
– Ça fait une semaine. T'es encore bourrée ou quoi ?
Parfois, il avait l'impression de s'être marié à une gamine. Ils avaient pratiquement le même âge, et à un peu plus de trente ans Octavius n'avait plus aucune envie de faire la fête tous les week-ends comme un adolescent. Il voulait de la tranquillité, rentrer chez lui et retrouver un cocon dans lequel son boulot n'existerait pas.
Mais c'était bien trop demandé, il avait fini par le comprendre.
– Qu'est-ce qui s'est passé, ici ? Combien de personnes t'as invité ?
– Je sais pas. Quelques-unes. On s'en fout.
Elle se redressa lentement, les yeux rouges et injectés de sang. Le jour perçait agressivement dans le grand salon clair, et elle passa une main dans ses cheveux emmêlés.
– Je vais ranger, t'inquiète pas.
– Des gens sont entrés dans ma chambre ?
– C'est notre chambre, putain. Et j'en sais rien, je crois pas.
Ce qui voulait dire oui. Octavius soupira et pinça l'arête de son nez en sentant poindre une migraine. Il avait bossé toute la semaine, presque jour et nuit, et venait tout juste de descendre de l'avion. Ce n'était pas ce qu'il avait espéré en rentrant.
– Ça sera ma chambre et ma maison tant que ce sera moi qui paiera les factures.
Elle grimaça et releva vers lui un regard courroucé. Pour seul argument, elle leva sa main gauche et lui mit son alliance sous le nez.
– Tant qu'on sera marié, ça restera aussi ma maison.
– Ne me tente pas, grogna-t-il.
Il se leva en essayant d'ignorer le bordel ambiant, mais c'était trop dur. Il aimait que chaque chose soit propre et à sa place, et là c'était trop.
– Alors quoi, tu vas repartir ? Comme d'habitude, c'est ça ta solution au problème ?
– Donc t'es bien consciente qu'il y a un problème.
Il était marié depuis plus de cinq ans, et Octavius se demanda vaguement si les choses pouvaient être pire.
– Bien sûr qu'il y a un problème !
Elle se releva en chancelant et s'approcha de lui. Son regard était encore plus noir de colère que le sien ne devait l'être. Elle empestait et Octavius renifla avec dédain.
– Tu sais très bien quel est le problème, merde. Tu crois vraiment que si t'étais là j'aurais besoin de faire ça ?
– Oh, on va se la jouer comme ça ? Le cliché de la pauvre petite épouse malheureuse ? Tu sais très bien que c'est des conneries.
Elle secoua la tête et se mordit la lèvre. Son regard brillait.
– Pour toi tout est toujours des conneries ! C'est pas parce que toi tu te sens jamais seul que c'est pareil pour les autres ! Est-ce que une fois dans ta vie y'a eu autre chose que ton putain de boulot pour toi ?
Il leva les yeux au ciel.
– Ne m'énerve pas.
– Sinon quoi ? Tu vas me virer de là ?
Octavius serra la mâchoire. Pendant une période, il avait adoré cette femme et son rire adorable, sa capacité à passer pour une dure à cuire et à s'enfiler des verres de champagnes dans les fêtes un peu mondaines. Ils s'étaient retrouvés un soir accoudés à la même fenêtre, et avaient discuté pendant des heures. Quelques mois plus tard, il la demandait en mariage, persuadé d'avoir trouvé la femme de sa vie.
– Tu sais quoi ? Oui, je vais te virer de là. Va prendre tes affaires et dégage de là.
Sur le moment, il sut qu'elle n'avait pas compris. Son visage plein de colère se figea, puis tout s'évapora pour ne laisser qu'une stupeur sincère.
– Quoi ?
– Tu m'as entendu. Je vais partir voir des amis, et je ne serais de retour que demain matin. Quand je reviendrai, tu seras partie. Je ne veux plus te voir.
Ses jambes nues se mirent à trembler et elle secoua la tête.
– Non.
– Salomé, c'est pas une proposition. Pour l'instant, je ne veux plus te voir. Tu retournes chez ta mère, tu vas à l'hôtel ; tu fais ce que tu veux mais pour le moment tu dégages.
Elle secoua sa tête encore davantage et recula, marchant sans faire attention sur tout ce qui polluait le carrelage blanc du salon.
– Non, tu – tu ne peux pas me faire ça.
– Quoi, c'est l'argent qui te dérange ? Je te paye l'hôtel, je m'en fous pas mal. Mais je ne veux pas te voir dans ma maison.
Mais elle continua et essuya des larmes sur sa joue, étalant encore un peu le maquillage.
– Je reviendrais, hein ? Tu me laisseras revenir ? Je suis ta femme, Octavius, tu ne peux pas... tu ne peux pas juste me dégager comme ça.
Il soupira et tourna les talons, prenant à nouveau le chemin de l'entrée. Sa valise était encore là.
– Tu ne peux pas partir comme ça ! Il faut qu'on parle, il faut qu'on en discute on doit –
Octavius s'en fichait, il voulait juste partir. Attrapant sa valise, il ouvrit la porte à la volée :
– Quand je serai rentré demain, tu ne seras plus là. Salomé, ne me force pas à appeler des hommes pour te mettre dehors.
Elle pleurait à chaudes larmes, ce qui le fit grimacer. Quand finalement il claqua la porte derrière lui pour retourner à sa voiture, sa valise lui parut plus lourde et le chemin plus long.
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L'aube approche et Octavius Vasilis ne sifflote plus.
Le vent souffle encore plus fort, et cette fois des nuages noirs et épais guettent l'horizon et menacent son abri. Il secoue ses jambes, rapidement, et fixe le vide sous ses pieds. Il a mal à la tête, il a froid, et à présent il se sent vraiment épuisé.
Il a envie de terminer rapidement.
Avec un geste lent, il attrape son téléphone et le déverrouille. Ignorer toutes les notifications est bien plus simple qu'il ne l'aurait cru, et quand il ouvre son application de messagerie son regard se lève et se perd dans le ciel.
Il trouve ça dommage qu'en ville on ne voit pas les étoiles.
Ses doigts pianotent d'eux-mêmes sur l'écran, quelques secondes à peine. Quelques phrases, le plus important. Quand Octavius Vasilis a terminé, il ne se relit même pas et appuie sur « envoyer ». Une fois fait, il lâche tout et son smartphone hors de prix chute à son tour dans le vide.
Il ne l'entend pas s'écraser en bas.
Pendant quelques secondes il ne fait rien. Il observe, des cernes plein les yeux, la ville qui commence à s'agiter, et se dit qu'il a encore un peu de temps avant le lever sur soleil. C'est tout ce qu'il veut voir, le lever du soleil. Après c'est terminé.
Avec une respiration tremblante, il attrape la dernière pièce et la tient du bout des doigts. Les bras tendus ainsi, elle a paraît plus claire qu'elle ne l'est : c'est la plus grande des trois, celle qui lui est spécialement réservée. La seule qui compte, si vraiment il veut être honnête.
Une voiture passe en contre bas, la musique à fond et les vitres ouvertes.
Octavius Vasilis inspire, serre la pièce contre lui, l'embrasse une dernière fois, puis la lance en l'air. Il dit :
– Faites que Will' me pardonne un jour.
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Inconnu [6h57] : Tu as toujours été le seul, et j'aurais certainement dû m'en rendre compte avant. Je t'aime. Merci pour tout. Sois heureux, William.
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L'étreinte ne dura qu'un court instant : Octavius passa la porte, entoura ses épaules de ses bras, respira son odeur et se colla pour sentir sa chaleur. La seconde d'après, William le repoussait sèchement, la respiration sifflante.
Il avait l'air en colère.
– Arrête tes conneries.
Octavius voulut lui demander « qu'est-ce qui ne va pas ? » il aurait voulu lui dire « pourquoi tu me regardes comme ça ? » il aurait voulu lui dire « s'il te plaît juste quelques secondes, embrasse moi et après on parlera ».
Mais il se contenta de le regarder avec des yeux tristes et une cravate de travers. Il avait mal à la gorge.
– Will' ?
– Tais-toi. Non, c'est bon. C'est fini, j'en ai marre.
Il tourna les talons, s'enfonçant dans l'appartement en laissant Octavius sur le palier. Il le suivit, bien sûr, car il ne pouvait rien faire d'autre. Son cœur battait à tout rompre.
– Will', s'il te plaît je –
Il essaya d'attraper sa main, mais William le repoussa si fort que sa tête cogna contre le mur. Octavius grimaça, et aperçut un instant une étincelle de remord dans ses yeux. Mais la seconde d'après la colère balaya tout et le visage furieux de William fut la seule chose qu'il vit.
– Ne me touche pas. Ne me parle pas, arrête de m'appeler, tu m'entends ?
Il secoua la tête, et se détourna à nouveau de lui pour aller dans le salon. Il mit entre eux la douloureuse distance du canapé, et se cacha presque derrière.
– Je ne suis pas comme ça, d'accord ? Je veux pas être ce mec-là.
William pleurait presque, et Octavius s'approcha à nouveau.
– Je ne veux pas être celui qui passe après tout le reste. Je mérite mieux, c'est clair ?
Il méritait mieux, ça, c'était sûr. Un petit appartement, un travail de coach sportif, un amant marié et souvent absent. Il aurait mérité la lune et les étoiles, et à la place il avait ça. Octavius comprenait. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher.
– Je ne serais plus ta roue de secours. J'ai supporté ça un temps, parce que je me disais que tu finirais par venir vers moi. Venir vraiment, en oubliant tout le reste.
Il essuya rageusement les yeux et pointa la TV d'un air accusateur.
– Mais ça ? Je te vois à la TV, avec ta femme vers qui tu finis toujours pas revenir, et tu leur déclares comme un abruti que t'es heureux dans ta vie. Que ta société marche bien et qu'être le PDG de l'une des plus grandes sociétés du pays est une fierté ?
Octavius avait l'impression que William se retenait de cracher par terre.
– C'est vers elle que tu vas quand ta foutue société te détruit la santé ? C'est vers elle, hein ? C'est à sa porte que tu sonnes à trois heures du mat' quand tu te sens seul ? C'est elle qui t'embrasse quand tu pleures comme un bébé en disant que tu te sens vide ? Enfin, peut-être bien que oui, après tout qu'est-ce que j'en sais ? C'est elle qui vit dans la villa immense d'Octavius Vasilis, pas moi ! C'est avec elle que tu partages ton lit et tes petits déjeuners ! Putain !
Il balaya la table basse de fureur et quelques revues allèrent s'écraser sur le sol. Un cendrier vola.
– C'est fini maintenant, c'est clair ? Je ne serais pas éternellement un second choix. Je t'aime, et je ne vais certainement pas me contenter de ça. Alors maintenant tu choisis.
Il releva la tête, et ancra son regard dans le sien. Octavius était terrifié. La pièce lui parut soudain minuscule, et son cœur battait bien trop fort. Il étouffait.
– Moi, ou tout le reste. Je m'en fous de savoir si c'est juste ou pas, je resterais pas ton petit secret. Tu la quittes pour de bon, sans te laisser amadouer par ses grands yeux de biche, et tu arrêtes de faire dans ton froc à la seule pensée que les journalistes puissent apprendre que tu baises avec un mec. Tu le dis à ta mère, tu le dis à tes amis, tu agis enfin comme un homme, et là on sera bon.
Octavius se mit à pleurer aussi, le souffle court.
– Réponds-moi tout de suite. Octavius putain, réponds-moi.
Il ne pouvait pas faire ça. Donner une réponse serait perdre quelque chose. Il ne pouvait pas.
– Octavius !
Il secoua lentement la tête, et le temps s'arrêta. Non. Il n'en avait pas le cran. Il ne l'aurait jamais.
– Will', je –
– Ne m'appelle pas comme ça.
– Je ne peux pas, je...
– Tais-toi.
– Je t'aime, croassa-t-il. Tu le sais, mais je –
– Tais-toi ! La ferme, tu te tais !
Il traversa la pièce et la seconde d'après, le poing de William s'abattait sur sa joue. Le côté droit de son visage sembla exploser, et Octavius tomba à la renverse, se cognant à nouveau contre le mur.
– Dégage d'ici ! beugla-t-il en lui attrapant le bras. Dégage de chez moi !
Il le tira de toutes ses forces et Octavius ne résista qu'un petit peu. Sonné, il se laissa jeter sur le palier, les yeux pleins de larmes. Quand leurs regards se croisèrent une dernière fois, Octavius ne respirait plus.
Sa gorge serrée et le cœur à l'agonie, il chuchota à nouveau des excuses. William resta sourd et grimaça en retenant un sanglot.
– Ne reviens plus jamais ici, c'est compris. C'est terminé. Même si tu changes d'avis, je m'en fiche. Je vais passer à autre chose, et ça sera trop tard. Si tu te pointes, j'appelle les flics.
Puis il claqua la porte et Octavius Vasilis se recroquevilla sur lui même en posant une main sur sa bouche.
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L'aube est là.
Le soleil se lève, le vent souffle.
La ville bruyante l'avale tout en entier, et le toit retrouve son silence.
On n'entend plus que les sirènes des pompiers.
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Des bisous !
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