CHAPITRE 2
Le coeur est trompeur
Cove observait l'inscription au dos de la carte « Le rôle principal vous irez à la perfection ». L'écriture ronde et sombre appartenait à ce Ryker, sans aucun doute. Pensait-il la séduire ainsi ? Cove se sentait offusquée. Mais une part d'elle se laissait tenter par ce rôle...
Sora releva la tête en entendant ses deux amies entrer en râlant. Les bribes de la conversation lui indiquaient que - comme souvent - Avery tentait de dissuader Cove. Sora reposa sa cuillère en bois et croisa les bras.
— Qu'est-ce que vous avez encore, toutes les deux ?
Avery jeta sa veste sur une chaise de la cuisine, Cove fit de même.
— Avery veut m'empêcher d'être la vedette d'une pièce de théâtre ! Pourtant elle sait que j'en ai tout le charisme, expliqua Cove en tirant la langue à son amie.
— Je veux surtout t'empêcher de te faire rouler, c'est pas sur le devant de la scène qu'il veut te mettre ce mec.
Sora se retint de rire devant l'air grave de Cove. Avery elle se penchait sur la marmite fumante qui trônait sur la table, le liquide bleuâtre reflétant sa peau noire et ses yeux en amandes. Sora lui donna un coup de cuillère en bois.
– Pas touche, c'est une potion.
Avery leva les mains, en signe d'innocence et s'assit sur le bar en bois vert de la petite cuisine.
– Désolée. Et désolée aussi Cove, je trouve juste ce mec louche... mais tu serais superbe dans un rôle principal, je n'en doute pas.
– C'est trop gentil, s'exclama Cove en allant enlacer son amie. Moi aussi je le trouve louche ce mec. Même leur nom de troupe, « La troupe Ensorcelée » c'est nul...
La jeune blonde regarda la carte une dernière fois, analysant l'écriture, la gravant dans son esprit. Elle devait se méfier. Sans réfléchir plus que ça, elle jeta la carte dans la cheminée, laissant les flammes lécher le carton plastifié. Les lettres rondes se transformèrent doucement en un amas de cendre.
Lorsque la dernière braise avala le papier, Sora fronça les sourcils. Ce nom de troupe était nul -certes- mais surtout bien trop étrange pour être détruit de la sorte. Elle sentait une piste à creuser.
— Non ! s'écria-t-elle, trop tard.
— Quoi ? Tu veux un rôle toi aussi, demanda Avery.
— Pas du tout, j'ai juste un mauvais pressentiment. On nous fait venir ici, on assiste à une reproduction d'un procès de sorcière hier soir et maintenant un mec de la « troupe Ensorcelée » veut que Cove, une sorcière, soit le rôle principal d'une pièce ?
Avery et Cove échangèrent un regard. Leur amie était toujours en train d'imaginer le pire. Mais là, quelque chose leur murmurait qu'elle avait peut-être raison.
— Maintenant que tu le dis...
La jeune blonde rongea ses ongles manucurés, coupable. Elle omit de préciser comment la carte s'était retrouvée dans son sac...
— Ça avait l'air d'un habitué, si ça se trouve demain il sera encore là, proposa Avery.
— Ou alors on cherche sur internet.
Cove s'approcha à son tour du chaudron et renifla la vapeur qui en émanait. Une odeur de lavande, de coton, et de peur.
Sora jouait nerveusement avec son bracelet. Les breloques en forme de cerisier lui rappelaient le Japon, ses terres et sa grand- mère. La jeune femme concoctait des tas de potions, tantôt tirées de son grimoire familiale, tantôt de son imagination. Mais elle avait toujours du mal avec les potions occidentales.
— Tu fais une potion de protections hydrauliques ? Tu voulais espionner Troy ou tu voulais localiser Gladice sans nous le dire ?
— Vous ne m'écoutez pas ! Depuis hier je vous rabâche que ce n'est pas normal qu'elle ne soit pas là et qu'elle ne donne aucun signe de vie, excepté ce message bizarre. Je voulais me rassurer... et vous prouver que quelque chose cloche.
Avery se leva et alluma une bougie.
— Tu as raison, on aurait dû t'écouter. On voulait juste croire naïvement à des vacances... Met la bougie au-dessus du chaudron. Il faut de la lumière pour que l'image se reflète.
Sora écouta les conseils de son amie et plaça la bougie au-dessus de sa préparation. Le feu valsait, endiablé, et le liquide se mit à bouillir au rythme de la flamme. Les bulles s'agitaient, éclaboussant le napperon ; puis le reflet flou de leur chef apparut. Ligotées à une chaise, éclairées par une ampoule grésillante, se tenaient Gladice et deux autres femmes.
Sous la surprise et la peur, Sora laissa tomber la bougie, brisant ainsi le sortilège. Laissant l'image de Gladice s'éloigner.
— Demain je t'achète une paire de chaussure pour me faire pardonner... déclara Cove, inquiète.
L'après-midi s'installait doucement. Dans le cottage, la peur et l'angoisse flottaient entre les murs, valsaient avec le feu et bouillaient avec la soupe. Cove touillait le potage de légumes, la tête ailleurs. Sa petite voix intérieure lui reprochait de ne pas avoir écouté Sora, d'avoir négligé son instinct d'espionne, et surtout celui de sorcière.
Quand la fumée crachotait une odeur de citrouille et de carotte, la jeune blonde servit ses deux amies. Elle devait encore leur parler de tour de magie qui avait glissé la carte dans son sac.
Avery feuilletait le journal de Natwood, un quotidien aussi petit et loufoque que la ville. Tous les articles parlaient d'Halloween, des fêtes à venir ou de recettes de saison. La jeune femme soupira en tournant les pages. Pas d'avis de recherche, pas d'article sur la disparition de Gladie. Rien.
Sora arriva, un carton dans les mains, un chapeau de sorcière sur la tête. Elle posa la boîte au milieu de la table, manquant de la faire tomber, et sourit fièrement à ses amies. Maintenant qu'elles lui étaient redevables, elle comptait bien se venger.
– Ce sont vos déguisements pour la soirée d'Halloween. J'ai déjà choisi le mien.
Avery et Cove ouvrirent le carton, curieuses. Avery saisit le premier costume, une boule de feutrine vert fluo aux manches palmées. La jeune femme grimaça en voyant l'enorme trou pour y passer sa tête.
– Hors de question que je me déguise en crapaud !
– C'est pas un crapaud mais une grenouille, c'est super mignon, se moqua Sora.
Cove rigola aussi, arrachant un grognement à Avery. Celle-ci sortit le deuxième costume, un hot-dog géant aux allures de dessin animé qui avait sûrement appartenu à une chaîne de fast-food. L'odeur était pire que le visuel.
– Jamais de la vie, s'exclama la jeune blonde. Et toi tu vas te déguiser en sorcière c'est ça ? Plutôt mourir que de me montrer en public dans ce déguisement.
– Pas ma faute, c'est tout ce que j'ai trouvé.
La moquerie s'installa sur son visage.
– Je croyais qu'on n'y allait pas, à cette soirée. Pourquoi tu as changé d'avis, demanda Avery.
– Parce que, comme je le dis depuis le début, y a quelque chose de louche. Et si on veut savoir qu'est-ce qui est arrivé à Gladice, une fête de village est le meilleur moyen pour récolter des informations.
Cove laissa le costume tomber au sol et tapa du pied.
– Espérons que quelqu'un accepte de nous adresser la parole avec des costumes aussi ridicules !
– J'en doute pas.
Sora sourit, moqueuse, à ses amies avant d'aller ranger le carton. Il y avait d'autres déguisements dans le sous-sol, beaucoup d'autres même. Des robes médiévales, baroques, des uniformes... la jeune femme se doutait bien du pourquoi.
– Alors on part en mission, demanda Avery. C'est bizarre d'habitude c'est Gladice qui nous donne les informations et les gadgets...
– Cette fois on va devoir se débrouiller toute seule, déclara Cove. Et j'ai ma petite idée par où commencer.
Après la soupe, des cartes et des gadgets magiques plus tard, les trois amies établissaient enfin un plan. Sora pianotait sur son ordinateur, lançant sa playlist en bruit de fond. Les premières notes de Duvet s'élevaient dans les airs, berçant les trois espionnes.
Cove traçait des lignes sur la carte du village et Avery confectionnait des préparations à base de plantes et de pierres. Le cliché parfait des sorcières, pensa-t-elle. Mais être une sorcière ne s'était jamais résumé à cela pour elle.
— Il sert à quoi ce gloss ?
— Il sert à savoir où se trouve la dernière personne que tu as embrassée, expliqua Cove.
Avery posa les petits sachets d'herbes sur la table et se frotta les mains.
— C'est pratique ça...
— Pour notre plan, oui. Répondit Sors en souriant.
Cove attendait patiemment, assise sur l'un des bancs miteux du parc municipal. D'ici, elle voyait le toit du gazeebo. La carte professionnelle gisait au fond de sa poche, lourde, pesante.
Le sentier était décoré de lampions et de fantômes en cartons cloués aux arbres. La lune gardait un œil sur eux, réchauffant l'air d'une lumière argentée.
Un peu plus loin, la silhouette svelte de Ryker avançait vers Cove. Mains dans les poches, les épaules baissées, comme s'il ne voulait pas venir ici, la nonchalance émanait de tout son être. Ce qui irrita la jeune sorcière.
Elle envoya un message à ses amies ; le plan pouvait commencer.
Ryker s'assit sur le banc et sortit un petit livre de sa poche. La couverture noire et blanche abordait le nom de la ville, Natwood, en grand. Cove fronça les sourcils.
— Tu es nouvelle ici, alors je me suis dit que ça t'aiderait à mieux connaître la ville. Il y a une partie histoire et origine et un glossaire à la fin qui regroupe tous les endroits sympas.
Cove échangea sa crainte pour un sourire.
— C'est gentil. Et tu m'offres la première visite guidée ?
— Yep, c'est l'idée.
Ryker souffla dans ses mains pour les réchauffer. Sa barbe était plus courte que la dernière fois, ses cheveux plus sages. Et il portait l'un de ses blousons en cuir noir, avec une capuche grise accrochée au col. Il ne ressemblait plus à l'homme assis au bar du Seet.
— Et si tu aimes la visite... Tu pourrais accepter d'auditionner pour ma pièce. Ça serait un moyen de me remercier.
Cove se releva et sourit au jeune homme. Il tombait dans le piège, sans s'en rendre compte.
À l'autre bout du village, Avery avançait nerveusement vers le café vintage. Elle avait supplié ses amies de la laisser s'occuper de cette partie de la mission, la seule raison étant le serveur mignon du Seet.
Les citrouilles sculptées l'observaient entrer à l'intérieur de l'établissement. La même musique l'accueillit, mais pas le même serveur.
La déception s'emparât de la jeune femme et se dessina sur ses traits. La serveuse de l'autre côté du bar le remarqua et soupira.
— Jake vous a aussi laissé son numéro ? Je vais le chercher, il est en pause.
Avery bafouilla, laissant la serveuse disparaître derrière un rideau délavé menant à la cuisine. Alors il s'appelait Jake ? Et il donnait son numéro aux clientes ? Il ne l'avait pas fait avec elle. Le cœur d' Avery se pinça et son ego en prit un coup.
— Salut euh.... Lili m'a dit que tu voulais me voir ?
— Euh...je n'ai jamais dit ça mais...
— Maintenant que je suis là, laisse-moi te servir. Tu veux boire un truc ? C'est la maison qui offre.
La jeune femme ne pouvait cacher sa déception. Ni sa curiosité.
— Alors tu donnes ton numéro à toutes les filles qui passent ?
— Pas du tout...C'est arrivé une fois et elle ne m'a jamais rappelé. J'avais écrit mon numéro sous la barquette de frites à emporter.
Avery fronça les sourcils. Sora avait parlé d'un truc noir sous les frites, du marqueur qui avait bavé sans doute. La jeune femme tilta : c'était le numéro de Jake. Si elle voulait sauter de joie, elle s'en empêcha. Déjà parce qu'elle était en public et ensuite parce que Jake avait peut-être laissé son numéro pour Cove ou Sora.
— Tes frites à emporter.
La jeune femme rougit.
— Désolée, l'huile a fait baver le feutre, c'était illisible.
– Tu m'aurais appelé sinon ? demanda Jake, gêné à son tour.
Avery lui sourit.
La nuit s'assombrissait, laissant la lune briller sur le bitume de Natwood. Accroupies sur les trottoirs, suspendus aux branches, les décorations d'Halloween volaient la vedette à l'astre argentée. Sora grimaça quand son regard croisa celui d'un vampire en plastique, la silhouette tenait une pancarte indiquant "Pizza pour Dracula, offre du mois".
La jeune femme s'arrêta un instant pour regarder les prix, lasse. Son téléphone n'affichait aucune notifications de Troy ; pas de messages ou d'appels manqués. Rien. Le petit ami en question se faisait plus rare que les fantômes qu'elles traquaient habituellement ou que Cove lors d'une session d'entraînement.
Guidée par sa faim, Sora entra dans la pizzeria. Assis à une table rouge et verte, un groupe de vieillards discutait tranquillement. Sora reconnut l'homme avec le mégaphone.
– Ma pièce ne va traumatiser personne, les gosses adorent les sorcières et ils seront content de connaître la légende des chasseurs de Natwood, expliqua le moustachu.
Une lueur jaune orangée mouvait autour de lui, elaçant chaque parcelles de son corps dodu. Ce détail n'échappa pas à Sora qui recula d'un pas, manquant de bousculer la serveuse derrière elle. S'excusant rapidement, la jeune femme fila à la caisse pour commander.
Une femme aussi âgé que désagréable l'écoutait à peine, mâchant un chewing-gum.
– Une pizza champignon avec supplément fromage à emporter, dépêche toi Tonio. Avec ça ?
– Rien... dites, c'est qui l'homme avec la moustache là, demanda Sora.
La caissière haussa les épaules, occupée à compter les billets que Sora venait de lui tendre.
– C'est Casimir Belmondar, le nouveau metteur en scène de la ville. A ce qu'il parait il a vécu ici depuis tout petit avant d'avoir voyagé en Europe. Tu parles, c'est du baratin. Ce vieux crouton à refuser de me donner le rôle de Sally, soit disant que j'avais pas l'aura d'une sorcière, pfff.
– L'aura d'une sorcière.
– Ouais, un truc du genre, bon allez petite va attendre ta pizza sur le côté, y a du monde qui attend.
Sora s'installa à une table, l'appétit l'ayant quitté. Cette histoire d'aura l'intriguait, et ce Casimir ne lui inspirait vraiment pas confiance. Pas du tout même.
Après un baiser chaste sur la joue, Ryker sourit à Cove. Il essuya la trace de gloss sur sa pommette et quitta le parc municipal.
Jake lui fit signe à Avery, après qu'ils aient conclu d'aller à la soirée du Seet ensemble.
Le moustachu tint la porte à Sora, qui lui lança un regard noir, avant de disparaitre dans les rues de la ville.
Les trois amies se retrouvèrent près du gazebo, un sourire sur les lèvres de chacune. Lorsque Sora ouvrit la bouche, sa voix fut masquée par une sirène, suivie d'une farandole de gyrophares. Les voitures d'ambulances et de police filèrent, des camionnettes de journalistes à leur trousse. Et déjà sur toutes les radios et tous les écrans TV, ont annonçait la mort suspecte du rôle principal de la pièce ; une certaine Allison Sanders.
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