
Chapitre 1 - Les relations d'âmes
S'il y a bien une chose qui est certaine, dans la vie, c'est qu'aucune famille n'est parfaite. Même si on s'entend parfaitement bien avec nos parents et notre fratrie, il viendra toujours un moment où on se disputera, que ce soit pour une chose grave ou parce que grand frère a décidé de piquer une frite dans notre assiette. J'ai appris, au fil des années, que c'était ça, l'amour. Des hauts et des bas, des disputes et des réconciliations. Autant pour l'amitié, l'amour que la fraternité. C'est comme ça, la vie, et il faut s'y faire.
Même quand on a envie d'étriper notre petit frère à mains nues. La seule raison qui me pousse à rester bien sage, c'est Sébastian qui me barre la route et le fait que je le sache beaucoup plus fort que moi.
- Morgan ! fis-je en élevant un peu la voix. Tu sais très bien qu'on va être en retard si on ne part pas dans cinq minutes !
La réponse que je récolte ? L'eau de la douche qui continue de couler. Morgan est le plus rapide de notre meute, et pourtant c'est lui qui trouve le moyen de nous mettre en retard au lycée. Il pourrait au moins daigner me répondre, songeais-je avec agacement.
- Et pourquoi tu le protèges, toi ? grognais-je à l'intention de mon aîné.
- Parce qu'il en a assez enduré ces derniers temps, et tu le sais très bien. Descends et va démarrer la voiture, Derek. Je vais lui parler et le faire sortir de là.
J'hésite un instant, puis hoche la tête en me disant qu'il a plus de chances que notre frère l'écoute que moi, surtout ces derniers temps. Il a raison, Morgan en a beaucoup sur le dos. Il y a quelques jours, sa meilleure amie a subit un grave accident de voiture. Il était mort d'inquiétude a passé des heures et des heures à son chevet, à l'hôpital, pendant que nous devions nous contenter de rester assis dans la salle d'attente. Je ne sais même pas pourquoi les médecins l'ont laissé entrer dans sa chambre, à vrai dire, mais je ne m'en plaindrai pas. Rester dans une salle d'attente, obligé de patienter après les médecins, ça l'aurait rendu cinglé.
Ce qui m'inquiète le plus, en fait, ce n'est pas même ça. Summers est très forte, et il sait pertinemment qu'elle va s'en sortir. Ce qui ne cesse de me tourner en boucle dans la tête, c'est plutôt ce qu'il s'est passé quelques heures avant qu'il soit mis au courant de l'accident, quand on était encore au lycée. Il est venu me voir à mon casier, blanc comme un linge, et m'a demandé comment on faisait pour aider quelqu'un qui refusait d'admettre avoir besoin de cette aide. J'ai bien essayé de lui demander ce qui n'allait pas, mais il s'est refermé comme une huitre en moins de deux et je n'en ai plus entendu parler depuis. Sur le coup, j'ai cru qu'il voulait parler du père toxicomane de Summers, Erick, mais dans la mesure ou il le déteste du plus profond de son être, j'ai vite écarté cette hypothèse.
Isaac, dès qu'il me voit sortir de la maison, me sourit en se jetant sur ses jambes.
- Les autres arriveront bientôt, signalais-je en refermant la porte.
Aussitôt cette phrase prononcée, il perd son sourire et fait la moue, me faisant rigoler. Depuis quelques semaines, il se prépare pour aller au lycée aussi vite que s'il partait pour son havre de paix. Résultat : il se retrouve toujours obligé d'attendre après nous tous.
- Tu pourras aller voir ton chéri très rapidement, ne t'inquiète pas, fis-je. Allez, viens, Sébastian m'a demandé de démarrer la voiture en attendant.
- Pourquoi Morgan est aussi long ? râle mon meilleur ami en me suivant tout de même.
- Oh, tu sais... Je crois qu'on peut le laisser prendre un peu d'air, pour quelques jours, soulignais-je en refoulant un vent d'inquiétude.
- Ouais... J'imagine, soupire Isaac.
La porte de la maison s'ouvre et ma petite sœur, Cora, nous rejoint joyeusement en déclarant qu'elle va aller au zoo, aujourd'hui. C'est une sortie scolaire organisée par l'école, pour un quelconque projet d'arts plastiques. Quoiqu'il en soit, depuis qu'elle est au courant, elle est plus impatiente que jamais.
- Si seulement j'avais un téléphone pour prendre des photos des loups... ajoute-t-elle d'une voix triste en m'offrant son regard de chaton.
- Bien essayé, rigolais-je en venant lui replacer une mèche derrière son oreille. Tu connais la règle de maman et papa. Pas de téléphone avant quinze ans.
- Pfff, souffle-t-elle en commençant à bouder, se glissant à l'arrière de la voiture avec Isaac. Je suis sûr que grand frère Isaac il voudrait, lui.
- Oui, mais Maman Suprême a déjà dit non, ma puce, fait-il tendrement.
Je les rejoins à l'intérieur pour aider mon pauvre frère adoptif à convaincre notre sœur que ce n'est pas grave, de ne pas avoir de téléphone. Depuis qu'elle a vu les filtres Instagram à travers les photos de Sébastian prises par Jake, notre autre frère adoptif, elle en veut absolument un. Elle harcèle d'ailleurs notre mère, depuis quelques temps, mais celle-ci s'avère être très patiente.
J'en viens aux explications. Il y a dix ans, Isaac et Jake n'avaient pas encore été adoptés par notre famille. Le premier à rejoindre la fratrie a été Jake, à peine deux mois après ma première rencontre avec Stiles. Mon père est parti à San Francisco pour un voyage d'affaires ; Sébastian et Jake en ont profité pour venir avec lui afin de rendre visite à leur amie d'enfance, Savannah, mais pendant leur séjour, un horrible accident est arrivé. Savannah est décédée et la mère de Jake, horrifiée et désireuse de protéger à tout prix sa réputation d'actrice, a abandonné son fils entre les mains de mes parents.
Quelques années plus tard (il y a deux ans, plus précisément), je me suis rendu compte que le père d'Isaac était violent avec lui. Il arrivait souvent au lycée avec des ecchymoses dans le visage, voire des traces de coupures, comme si était tombé tête la première sur un miroir cassé. Chaque fois que je lui posais des questions à ce sujet, il me répondait par une autre question, faisant toujours tout pour éviter d'en parler. Évidemment, quand j'allais chez lui, son père devenait un homme exemplaire et aimant, mais je n'étais pas dupe. Et puis, un beau jour, il s'est fait assassiner ; la police a pris Isaac comme suspect numéro un et, après un petit moment, quand ma mère a réussi à l'innocenter, elle a décidé de le prendre sous son aile. Elle a même cédé à sa demande quand il lui a demandé de le mordre et il est donc devenu un loup-garou, lui aussi.
J'ai donc deux frères en plus de ceux que j'avais déjà, et j'en suis très heureux. Même eux ne l'ont jamais regretté.
C'est alors que Morgan et Jake arrivent à leur tour en se disputant, un peu comme tous les matins. Mon petit frère se glisse à l'avant, sur le siège passager, en ignorant ses cheveux blonds encore dégoulinants. Quant à Jake, il lui lance un regard offusqué.
- Mais c'est ma place ! râle-t-il.
- Ton nom n'est pas écrit sur le siège, réplique Morgan en lui offrant son plus joli sourire. Allez quoi, t'es toujours devant, ajoute-t-il en faisant la moue.
Le rouquin lâche un long soupir d'exaspération, mais accepte tout de même de venir nous rejoindre à l'arrière, m'obligeant à me coller tout contre Isaac pour qu'il ait de la place. Le prochain à arriver se trouve à être notre chauffeur, Sébastian, qui traine un sac à dos ainsi qu'une veste avec lui. En entrant, il jette ceux-ci sur les genoux de notre cadet, me faisant prendre conscience que ce sont en fait ses affaires à lui, qu'il a dû oublier à l'intérieur. Ces derniers temps, mon frère a tendance à oublier beaucoup de choses sans le vouloir.
Je ne suis donc pas surpris qu'il rougisse honteusement en le remerciant tout en se penchant pour déposer ses affaires à ses pieds. Suite à quoi il retrouve toute sa bonne humeur et se tourne vers nous avec un grand sourire.
- De quoi vous parliez ?
- On expliquait à Cora pourquoi elle ne peut pas avoir de téléphone, expliquais-je.
Notre sœur déplore aussitôt être suffisamment vieille pour en avoir un et qu'elle veut seulement pouvoir prendre des photos de Sébastian avec les filtres Instagram. Laissez-moi préciser qu'elle n'a que huit ans et qu'elle ne sait pas même encore faire la différence entre un ordinateur et une tablette.
Morgan sourit et se redresse pour tendre son propre téléphone à notre jeune sœur. Comblée, elle le prend avec un grand sourire et l'écoute attentivement lui expliquer comment elle doit utiliser l'appareil photo pour que ça fonctionne. Elle s'y met immédiatement, laissant Isaac réprimander le blond, qui se contente de hausser les épaules avec un sourire narquois.
- JAJA T'AS DES PAPILLONS SUR LE VISAGE ! crie alors ma sœur.
Je grimace, refoulant mon envie de gémir de douleur, en ignorant comme je le peux le marteau qui vient de frapper mon cerveau à plein régime. J'avais un peu mal à la tête avant même de monter en voiture ; maintenant, j'ai l'impression que ma tête va exploser.
- Moins fort, ma puce, j'ai mal à la tête, fis-je en massant mes tempes.
Morgan se tourne vers moi pour me narguer, mais il se stoppe avant même d'ouvrir la bouche et perd son sourire en écarquillant les yeux, regard fixé sur mon visage. Je fronce les sourcils, surpris par sa réaction, et remarque qu'il devient légèrement blême, comme s'il repensait à une chose qui l'a terrifié.
- Ça va, Derek ? fait-il en fronçant les sourcils.
Je ne comprends pas ce qui ne cloche pas. Je lance un rapide coup d'œil dans le rétroviseur pour examiner mon visage, mais je n'y vois rien d'anormal. J'ai encore deux yeux, deux oreilles, un nez, une bouche et des sourcils. Je ne vois vraiment pas pourquoi Morgan semble aussi inquiet.
- ... Oui... fis-je en fronçant les sourcils. Pourquoi ?
- Parce que t'es aussi pâle qu'un mort, signale Isaac en se mettant lui aussi à me dévisager.
Surpris, je me penche à nouveau pour regarder mon reflet. Je suis un peu plus pâle que d'habitude, c'est vrai, mais pas au point de mériter une place dans la morgue du Memorial Hospital, tout de même.
En croisant le regard de Sébastian dans le rétroviseur, j'entrevois ses intentions.
- C'est non, je ne rentre pas, fis-je d'un ton catégorique. Non, je ne rentre pas ! répétais-je en le voyant se préparer à me répondre. C'est sûrement juste un jeu d'ombre et de lumière. Je me sens bien, pas besoin de paniquer. Et puis on ne peut pas être malades, pas vrai ?
J'essaie de me rassurer moi-même, je l'admets. C'est faux. Je ne me sens pas bien. Depuis ce matin, j'ai la migraine, j'ai froid, j'ai même la nausée. Je pensais que c'était simplement le stress, parce que je sais qu'en allant au lycée, je verrai Stiles. Mais finalement, peut-être que c'est plus grave que ça.
Je secoue la tête. Non, c'est tout bonnement impossible. Je suis un loup-garou, je ne peux pas être malade. Il n'y a aucune raison de s'inquiéter.
- Tu viens de dire il y a une seconde que tu as mal à la tête, fait Morgan.
Suite à quoi il se penche vers moi et pose la main sur mon front. Elle est tellement gelée qu'elle me donne encore plus la migraine, ce pourquoi je le repousse aussitôt en criant que sa main est froide. Il fronce les sourcils, l'inquiétude restant marquée sur son visage.
- Mais t'es brûlant... avance-t-il avec hésitation, glissant ses mains tremblantes dans les poches de son jean.
- Je vais bien, je vous assure, dis-je en me demandant si j'y crois moi-même. Écoute, Morgan, si jamais je commence à me sentir mal une fois au lycée, je te promets que je te préviendrai, d'accord ?
Il hésite, puis il hoche la tête en soupirant, se replaçant sur son siège en attrapant sa veste pour la mettre sur ses genoux et la serrer avec ses poings, comme si cette distraction pouvait être suffisante pour le rassurer.
- Tu as intérêt à le faire, grommelle Isaac. Sinon je vais t'assassiner.
- Morgan, sort de ce corps, fis-je en dévisageant le bouclé.
- Mmmh.
Je me tourne vers Morgan, constatant rapidement qu'il ne m'a pas écouté, regard perdu dans le paysage des arbres. J'hésite un instant à lui dire quelque chose, puis je prends la décision de le laisser tranquille. Je sais qu'il a très mal dormi, hier. Il était avec un ami, mais sa présence a l'air à l'avoir plus épuisé qu'autre chose. Je ne sais même pas qui était cet ami ; il s'est éclipsé avant que je ne me réveille, et Morgan ne m'a pas donné plus de détails que ça.
- Bon, euh... Comment va Stiles ? demandais-je, incapable de supporter le silence plus longtemps.
- Et c'est moi l'obsédé par mon petit-ami ? fait Isaac, outré.
Je rougis fortement à cette comparaison, cachant mon visage dans mes mains en les faisant tous rire.
🐺🐾🐺
Vers onze heures, je commence à me sentir de plus en plus mal. Ma tête me tourne, je tremble de l'intérieur, j'ai horriblement froid et j'ai de plus en plus mal à tout mon corps. Mais je ne dis rien, me contentent de rester au soleil pour lire tranquillement, assis sur un banc dans la cours. Je peux sentir mon corps vaciller de gauche à droite, mais je me force à focaliser toute mon attention à ma lecture. Je n'ai dit à personne que j'allais mal, et j'ai bien l'intention de passer au travers de la journée sans anicroches.
- Salut Derek ! fait une voix tandis que quelqu'un s'installe à ma gauche.
Je lève les yeux et aperçoit le sourire rayonnant de Luke. Je lui rends son sourire en le laissant m'arracher mon livre pour le fermer et le remettre dans mon sac. Suite à quoi il place sa casquette à l'envers sur sa tête et appuie ses coudes à la table derrière nous, regardant le ciel bleu comme si de rien n'était avec un sourire tranquille. C'est exactement ce qu'il a fait, le jour de notre rencontre, à notre première année de lycée. Isaac venait de partir rejoindre Scott, et en voyant que j'étais seul, il est venu me rejoindre naturellement, sans se poser de questions. Depuis, on est toujours restés très bons amis. Il est un peu devenu mon meilleur ami, depuis qu'Isaac est mon frère adoptif.
- T'es seul et triste, constate-t-il en faisant éclater des bulles de chewing-gum. Qu'est-ce qu'il y a ?
- C'est une longue histoire et je n'ai pas du tout envie de te pourrir la journée, soupirais-je en allant m'allonger dans l'herbe.
- Tu vas cuir, sous le soleil, relève l'amateur de planches à roulettes.
- Je ne suis pas un vampire, marmonnais-je en fermant les yeux, appréciant grandement cette chaleur sur mon corps.
Ce dernier me dit, en moins d'une dizaine de secondes, que la chaleur est tout sauf une bonne idée en étant à trente-huit de température. Je me remets à trembler et je sursaute en me relevant pour aller à l'ombre, tentant comme je le peux de contrôler mes spasmes. Mon ami se redresse et fronce la tête, sourcils froncés, inquiet par ce brusque changement d'humeur.
- Tu vas bien ?
- Euh... Ouais, c'est juste que t'avais raison. Je... Il fait un peu chaud.
- S'il fait chaud, alors... Comment tu expliques les tremblements ?
Comment lui mentir sans qu'il ne le remarque ? C'est impossible. Je mens très mal, surtout à mes proches. Je fais planer mon regard tout autour de la cour, comme pour vérifier que personne ne nous écoute. Je vois alors, près du lycée, Isaac, Scott et Stiles, en train de rire et de se parler comme si c'était le plus beau jour de ma vie. Le simple fait de regarder Stiles aussi heureux me fait chaud au cœur et je me sens me détendre légèrement. Jamais, de toute ma vie, je n'aurais que tomber amoureux puisse être aussi grisant et aussi effrayant à la fois. Si je le regarde de loin, je souris d'une façon idiote et je me sens bien, mais s'il s'approche de moi, je perds mes moyens, je panique et je pars.
Stiles croise mon regard et me sourit ; je rougis aussitôt en trouvant le moyen de trouver mes chaussures absolument magnifiques.
- J'ai attrapé froid, c'est rien, soupirais-je en passant une main sur mon front.
- Tu devrais rentrer chez toi, Derek. Tu es hyper pâle, tu trembles de froid sous le soleil...
- Je ne veux pas rentrer chez moi. Si je le fais, je vais me faire harceler par ma famille. Je tiens encore debout. Et, de toute façon, on a un examen de chimie, tout à l'heure. Ça va aller, tu verras.
Il est tout sauf convaincu, ça se voit. Mais il respecte tout de même mon choix et hoche la tête en soupirant, me disant qu'il est toujours là si j'ai besoin de lui.
- Oh, salut les gars !
Je me tourne et sursaute en constatant que Stiles est juste derrière moi. Bon sang, il est humain et il trouve le moyen de faire peur à un loup-garou. Je remarque tout, sauf lui. Mes pouvoirs devraient me permettre d'entendre son cœur, de sentir son odeur, de remarquer le moindre détail le concernant. Pourtant, on dirait que je suis aveugle, quand il s'agit de lui. Je ne peux pas entendre son cœur. Je ne peux pas connaitre ses émotions. Je ne peux pas savoir où il est allé, ni même savoir si les vêtements qu'il porte sont à lui ou s'il les a empruntés à Scott. C'est perturbant, mais j'ai fini par m'y habituer avec les années.
L'hyperactif pose son regard sur moi, faisant refluer le sang sur mes joues. Il ne sourit pas, il n'a pas du tout l'air dans son état normal. Il me fait seulement penser à un adolescent déprimé qui s'est levé uniquement pour ne pas rester à rien faire. Il est pâle et il a des valises sous les yeux. À vrai dire, il a l'air malade, lui aussi. Le voir comme ça me rend inquiet. Scott et Isaac aussi ont l'air inquiets, mais apparemment, ils n'osent pas lui en faire part.
- Ce... Ça va ? demandais-je.
- Si on peut dire ça, répond-t-il d'une voix monotone. Et toi ?
- Je... B-bah ça va...
- Mmmh.
Il s'apprête à dire autre chose, mais la sonnerie de l'école se fait entendre, me faisant sursauter. Puis je lui offre un grand sourire et lui dit que j'ai un examen et que je dois partir. Je n'aurais jamais cru être aussi soulagé d'aller faire un examen de mathématiques.
- Si tu me détestes, dis-le-moi en face.
Je stoppe net, surpris par ces paroles, et me tourne vers lui, constatant qu'il me mitraille du regard comme s'il était en colère. Luke, Isaac et Scott prennent la décision de nous laisser seuls et affirment qu'ils nous attendront près du lycée. Luke m'encourage brièvement du regard et m'ébouriffe les cheveux en passant, puis je me retrouve seul en face de Stiles, pour la première fois depuis une dizaine d'années.
- Je refuse que tu te serves de la sonnerie, de tes devoirs, de ta famille comme d'une excuse envers moi, Derek, fait Stiles d'une voix où pointe la frustration. Si tu me détestes au point de ne pas vouloir me parler, dis-le-moi et j'arrêterai d'essayer d'attirer ton attention.
- Je ne te déteste pas...
- Alors pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu trouves toujours une excuse pour m'éviter ? Si c'est parce que je connais ta vraie nature, honnêtement...
- Non, non, ce n'est pas ça. Je ne te déteste pas. Je... Je ne t'évite pas, Stiles... Enfin... Je t'évite, oui, mais... Pas parce que j'ai peur de ce que tu sais... Tu ne l'as même pas dit à Scott quand il est devenu comme moi. Tu as attendu qu'il l'apprenne de lui-même... Je... C'est pas ce que tu crois...
- Ce n'est pas ce que je crois. Non, évidemment... (Il rigole.) Ce n'est jamais ce que je crois. Même ce matin.
- De quoi tu parles ? m'étonnais-je.
Il hausse les épaules, me contourne et part vers le lycée, me laissant là, planté comme un arbre et perdu, sourcils froncés, en me demandant pourquoi il a l'air aussi en colère.
Je soupire longuement en entendant de nouveau la cloche, me souvenant que je dois aller en classe avant d'être en retard, puis tourne les talons pour me diriger vers l'entrée du lycée, où Luke m'attend en faisant distraitement bouger sa planche à roulettes avec son pied.
🐺🐾🐺
- Qu'est-ce que tu as fait, Derek ? soupire Deaton.
- Je n'en sais absolument rien, avouais-je en luttant contre mon envie de mourir. Si tu as l'intention de prendre ma température par la voie anale, préviens-moi, ajoutais-je avec un léger regard de reproche.
- Ce n'est pas ma faute, si je travaille dans une clinique vétérinaire, signale-t-il. Je reviens, je dois appeler mon prochain client et lui dire que nous allons devoir repousser son rendez-vous pour urgence familiale.
- Oui, eh bien, étant à moitié loup, je te confirme que se retrouver à la place du chien, ce n'est pas agréable. Et je n'ai jamais voulu venir ici, moi !
- Si tu bouges, je te plaque à la table et tu y resteras, grogne Sébastian, debout derrière moi.
Il n'est pas en colère. Seulement inquiet. Il travaillait quand le lycée l'a appelé pour le prévenir que j'avais fait un malaise en cours. Il est venu me chercher - je ne l'ai jamais entendu pousser autant de jurons - et il m'a directement emmené voir Alan Deaton, le vétérinaire de la ville et aussi l'émissaire (à la fois conseiller, ami et guérisseur) de notre meute. C'est un peu comme un docteur familial, un ami et un oncle tout à la fois, pour nous. Maman l'a d'ailleurs choisi pour être le parrain de Morgan. Ce n'est donc pas la première fois que je me retrouve sur sa table métallique. Seulement, la plupart du temps, je viens de me prendre une balle anti-loup-garou et je suis inconscient. C'est la première fois que je me retrouve ici en étant pleinement conscient, simplement malade.
Malade... Ce mot me semble étrange, maintenant que je sais que je le suis. La définition de ce mot est Qui souffre de troubles organiques ou fonctionnels ; qui est en mauvaise santé. Je suis un loup-garou. Si je me prends une flèche dans la jambe, je n'ai besoin que d'une heure ou deux pour être entièrement guéri. Les médicaments, les vaccins, l'alcool, absolument rien ne marche sur mon organisme parce que c'est toujours éliminé beaucoup trop vite. Pourtant, je suis malade. Un agent pathogène x est venu à bout de mes globules blancs et m'a rendu malade. C'est vraiment très perturbant et énervant.
- Donne-moi tes symptômes, s'il te plait, fait Deaton en revenant.
- Migraine, nausée, fièvre, spasmes, tremblements, perte de l'appétit, pertes de connaissance, énumère aussitôt mon grand frère sans même cligner des yeux.
- ... Non, mais est-ce que tu m'espionnes ? ! m'écriais-je, sachant que la plupart de ces symptômes sont survenus quand j'étais au lycée. Aïe, grognais-je ensuite face à la protestation de mon crâne.
- Je suis ton grand frère, c'est littéralement mon job de t'espionner. Et encore, tu es chanceux, Morgan il a un garde du corps avec lui dès que je suis en sa présence.
- Et pourquoi a-t-il droit à ce traitement ? soupirais-je en laissant Deaton prendre mon pouls.
- C'est encore un bébé, d'accord ?
- Il a seize ans !
- Seulement depuis un mois et c'est la prunelle de mes yeux, pas question que je le qualifie un jour d'autre chose qu'un bébé.
- Seigneur, si seulement tu m'aimais autant que lui. Je me sens rejeté, râlais-je pour le narguer.
Il ouvre la bouche pour me répondre, puis change d'idée et la referme en plissant les yeux. J'ai gagné le combat, pour une fois. J'ai raison, de toute façon.
- Tu n'es pas malade, déclare alors Deaton.
Même Sébastian fait les gros yeux en le dévisageant.
- Tu rigoles, j'espère ? fis-je.
- Non, je suis même très sérieux. Ce n'est pas une maladie. C'est toi.
- Je suis un loup-garou, pas un liseur de pensées, relevais-je.
- Je sais, je n'ai pas terminé. Tu veux bien me laisser parler, maintenant ?
- Comme tu veux.
- Derek, dis-moi... Est-ce que tu peux me dire que serait la vie sans la mort ?
Question piège ? Je ne sais pas qu'est-ce qu'il attend de moi comme réponse. De toute façon, je ne la connais pas. Que serait la vie sans la mort ? C'est une très bonne question. Je n'en sais rien. J'essaie un instant de m'imaginer un monde sans mort. Un monde où tout le monde serait immortel comme les dieux. Un monde où chacun d'entre nous finirait par se retrouver condamné à souffrir pour l'éternité. Un monde où la Terre ne nous supporterait plus et serait étouffée par notre constante présence. Parce que la mort n'existe pas.
- Je... Je ne sais pas, avouais-je.
- Et la mort sans la vie ?
Cette fois, je m'imagine les Enfers de la mythologie grecque. Les champs Élysées, le pré de l'Asphodèle, les champs du Châtiment, le Tartare. Vides. Complètement vides. Sans la moindre once d'agitation, pour ne pas dire vie. Le royaume d'Hadès n'aurait aucun réel sens, si ce n'est regarder Cerbère courir dans les champs sans fin, sans but, sans avoir rien à faire, pour l'éternité. Parce que la vie n'existe pas. L'Enfer, le paradis, les Limbes, tout ça, peu importe notre façon de pensée, ce serait vide. Les arbres ne seraient plus là. Plus d'animaux, plus d'humains, plus d'insectes, plus de vie, plus de rien. La Terre ne serait plus qu'une espèce d'énorme roche tournant autour de cette boule de gaz gigantesque qu'est le Soleil.
- Je... Ne sais pas.
- Ils ont besoin l'un de l'autre. Est-ce que je me trompe ?
- Non. Tu as raison. La mort a besoin de la vie. La vie a besoin de la mort.
- Exactement. (Deaton me sourit avec bienveillance, fier que j'aie compris la morale de son histoire.) Maintenant, dis-moi ce qu'est le cœur sans ses deux ventricules travaillant ensemble, l'un avec les poumons, l'autre avec l'organisme, en constant échange ?
- Eh bien... J'imagine que ça revient à dire que la vie n'existe pas.
- Sauf pour la végétation.
- Oui...
- Qu'est-ce que le jour sans la nuit ? Qu'est-ce que la nuit sans le jour ? Tu remarqueras que toutes les choses qui marchent de paire ont besoin l'une de l'autre. Parfois, même dans une relation humaine. (Il pose ses yeux sur Sébastian, me faisant comprendre qu'il parle très certainement de Jake et lui.) Maintenant, Derek, dis-moi qu'est-ce qui constitue l'autre moitié de toi-même ?
Cette fois, la réponse m'apparait de façon tout aussi claire qu'une pièce de monnaie au fond d'une rivière à l'eau calme et limpide.
- ... Mon âme-sœur, murmurais-je. Stiles.
- Oui. Et vous entretenez une relation explosive depuis dix ans, maintenant.
- Comment ça, une relation explosive ? m'étonnais-je.
- Il essaie de te parler, tu l'évites comme la peste, alors même que vous partagez les mêmes classes et qu'il vient souvent chez toi pour être avec Isaac, qui se trouve à être le petit-ami de son meilleur ami. Vos âmes sentent la présence de l'autre et elles espèrent se trouver, mais pourtant, vous agissez tous les deux d'une façon qui vous détruit... Qui vous rend malades.
- Mais... Certains âmes-sœurs se détestent, fis-je.
- Oui, mais leurs âmes y sont destinées et cette relation est celle qui leur permet de vivre, même si ça peut sembler étrange. Ces relations d'âmes sont plutôt rares, tu sais. La plupart du temps, elles ont besoin d'amitié, de fraternité...
- D'amour, intervient Sébastian.
- ... Oui. D'amour, confirme le vétérinaire. Au fond de toi, Derek, tu sais pertinemment de quoi ton âme a besoin. Alors aide-la à l'avoir.
- Il pourrait me repousser.
- Son âme a besoin de toi. Il ne te repoussera pas, ne t'inquiète pas.
- Oui, enfin, il y a toujours une exception à la rège, murmure mon grand frère.
Deaton et moi le dévisageons pendant quelques secondes. Il se contente de hausser les épaules.
- J'ai fait littérature au lycée. Il y a toujours une exception à la règle quelque part. On ne peut pas tout contrôler. L'âme-sœur d'une règle est son exception.
- Mais de quoi tu parles ? fis-je en fronçant les sourcils.
Il cligne des yeux, comme désorienté, et rougit en passant une main nerveuse dans ses cheveux.
- Je vais prendre l'air. Derek, si tu bouges de cette table je viendrai te hanter après ma mort.
- Tu viendras me hanter après ma mort quoique je fasse.
- Oui, mais si tu bouges de cette table la première fois que je viendrai te voir tu auras tellement peur que tu mourras toi aussi. Tu verras, je t'attendrai sous ton lit avec un couteau de cuisine.
- Hé, espèce de...
- COUCHÉ !
Je me suis allongé sur la table.
- Allez, tu pourras bientôt sortir, rigole Deaton en attrapant mon poignet. Je vais te prévenir, il n'y a aucun moyen de te guérir, sauf celui de régler les choses avec Stiles, d'accord ? Ce que je vais te donner va seulement t'aider à te rendre jusqu'à lui pour lui parler sans t'effondrer. C'est de l'aconit jaune, tu ne risques rien. Mais ça va faire un peu mal.
Je hoche la tête en ravalant une boule de nervosité, le laissant m'injecter la seule chose qui ait le moindre effet sur mon corps dans une veine de mon poignet. L'aconit jaune est le seul médicament qui marche, sur nous, les loups-garous. Comme toutes les autres substances, il est éliminé très rapidement, mais comme l'aconit est normalement une plante toxique à notre espèce, ça aide aussi notre loup à guérir, d'une certaine façon. De l'aconit normal pourrait nous tuer, en revanche.
- Et si... Et si je ne lui parle pas ? demandais-je.
- Pourquoi me demandes-tu ça ?
- Parce que je ne sais pas quoi lui dire. Il pense que je le déteste. Et, honnêtement, je pense que lui aussi me déteste, maintenant...
- Tu ne le détestes pas et il ne te déteste pas, Derek. Il est seulement blessé parce que tu l'ignores et que lui tente de t'atteindre. J'ai déjà été adolescent, moi aussi. Je sais ce que c'est de ne pas savoir quoi dire. Mais bon, pour répondre à ta question... Les choses deviendraient de pire en pire. Vous dépéririez de plus en plus, vous seriez de plus en plus malades. Ça finirait par vous atteindre mentalement et l'autodestruction serait la prochaine étape. Un peu comme... Un cancer.
- À quel stade je suis ? râlais-je.
- Stade un. N'attend pas d'être au stade quatre, Derek. Donnez-vous une chance. Va seulement lui dire bonjour. Le reste viendra tout seul. Je suis sûr que tu pourras trouver le courage de le faire. Et, dans le pire des cas, si tu ne veux pas le faire au lycée, tu peux demander à Isaac de l'inviter chez vous. Au fond de toi, je suis certain que tu veux le faire. Oublie ta peur l'espace de trois minutes et donne-toi la force de faire une folie. Tu y arriveras. Bon. Comment tu te sens ? Tu veux essayer de te redresser ?
- Oui, pourquoi pas...
- Pas trop vite, me préviens-t-il en m'aidant à le faire.
Pendant quelques secondes, la pièce tourne autour de moi, puis le tout se place et je constate avec soulagement que je me sens beaucoup mieux. Ma tête me fait encore un peu mal et j'ai toujours un peu de fièvre, mais je ne tremble plus et je n'ai plus la nausée. Personnellement, ça me suffit amplement.
- Voilà. Maintenant, va trouver Stiles et dis-lui bonjour de ma part, d'accord ?
- Quoi, alors... Je lui dis bonjour, et... Ensuite ?
- Ensuite, tu laisses l'eau couler. Allez, va rejoindre Sébastian. Il doit t'attendre dans la voiture.
- Oui, tu as raison. Merci, Deaton. Pour tout.
- C'est mon rôle, rappelle-t-il avec un sourire. Et, en plus, ça me laisse une petite pause avant mon prochain patient, alors tu n'as pas besoin de t'excuser pour le dérangement. Bonne journée.
- Bonne journée, Deaton.
Une fois dans la voiture, je prends une grande inspiration en regardant droit devant moi. Sébastian, lui, continue de fixer le vide sans but précis. Il m'a l'air... Concentré. Nostalgique, peut-être.
- C'était quoi, cette petite scène ? finis-je par demander.
- Rien, soupire-t-il. Allez, je te ramène au lycée, ajoute-t-il d'un ton sans détour.
Puis il démarre la voiture.
❤️🧡💛
Et voilà, le chapitre 1 est terminé ! Je vais être honnête, j'aurais dû le finir beaucoup plus rapidement, mais j'ai eu une idée à la dernière seconde et j'ai dû modifier pas mal de choses. Désolée pour l'attente.
Certaines choses ont changé par rapport à la version initiale (c'est bien à ça que sert une réécriture, non ?), et j'espère que ça vous a plu malgré tout ! N'hésitez surtout pas à me dire qu'est-ce que vous en avez pensé !
On se revoit bientôt (je l'espère) pour le chapitre 2 !
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