Elle s'était promis de rentrer dormir à l'hôtel mais passa pieusement la nuit chez lui. Lovée dans ses bras, elle se réveilla seule avec la lumière du jour. Il lui avait déposé une chemise à lui en guise de pyjama. Le cliché ultime que son cœur romantique apprécia cependant.

Elle glissa sa chemise impeccablement repassée, ça lui allait presque bien, s'attacha négligemment les cheveux (il ne s'agissait pas de faire trop sauvage non plus) et se leva. Après un court détour par la salle de bains, elle le trouva sur son téléphone avec un verre d'eau accoudé à l'ilot de la cuisine.

- Je ne savais pas si je devais te réveiller.

- Il n'est pas très tard, ça ira.

Elle fit le premier pas pour se lover dans ses bras et l'embrasser avec tendresse.

- Tu es au régime sec ? Dit-elle en regardant son maigre verre d'eau.

- J'ai appelé l'hôtel, ils vont livrer le petit déjeuner.

- Quel service quatre étoiles.

- Seulement deux.

Sujet sensible chez les cuisiniers. La quête des étoiles était pour certains l'objectif de toute une vie.

Le petit-déjeuner arriva et ils s'attablèrent comme des clients de l'hôtel et rirent avec complicité. La journée promettait d'être belle.

L'heure tournant, Daria dû s'arracher de cet endroit et se préparer en vue de reprendre son train. Il la conduit jusqu'à la gare. Arrivés au parking, il enfila ses lunettes de soleil, son bonnet, une grosse écharpe pour se dissimuler au mieux.

- Tu n'es pas obligé de sortir, dit-elle avec délicatesse.

- Je sors au moins tes affaires,

Il l'aida à soulever sa valise et lui posa à côté d'elle. C'était le temps du aurevoir, alors qu'ils ne s'étaient jamais vraiment dit « bonjour ».

Sans attendre, il la serra dans ses bras comme pour se rassurer. Dans son étreinte, elle lui glissa à l'oreille :

- Appelle-moi quand tu montes à Paris,

- Dans deux semaines, dit-il en la regardant, il voulait être sûr qu'elle était sérieuse dans sa proposition.

- Alors à dans deux semaines ?

C'était officiel, ils étaient en couple.

Des semaines passèrent. Il vint à deux reprises dans son petit appartement parisien. Daria passa tout au peigne fin afin de lui faire bonne impression et se rendit compte avec toutes ses attentions qu'elle était en train de tomber amoureuse. Un chef prestigieux et terriblement sexy, elle riait nerveusement rien que d'y penser.

Il vint la première fois et se moqua gentiment de la taille de sa cuisine. Se défendant quant à sa taille réduite, il se lança un défi que d'y cuisiner et rafla à nouveau son cœur avec des ravioles maison qu'il eut le triomphe de fabriquer sur à peine un mètre carré de plan de travail. Ils rirent beaucoup de l'aventure, lui ne se prenant que peu au sérieux dans le contexte, mais toujours avide de challenges, aussi culinaires soient-ils. Ils fêtèrent ensemble le demi-million de lecteurs de l'article qu'elle avait publié sur Glenn, qui satura en une demi-journée son carnet de réservation et ses réseaux sociaux de connexions.

La seconde fois, Glenn vint avec un bouquet de fleurs, tel un galant homme. Ils se firent livrer un repas, une brasserie chic et de bonne qualité, pour finir au lit tôt et n'en sortir que tard le lendemain. Ils profitèrent du Paris des amoureux, bien emmitouflés dans leurs manteaux pour préserver leurs identités et s'épargner le froid. Les mois qui suivirent, entre Courchevel et Paris, furent d'une douceur infinie.

Ils étaient de ces couples qui seraient quand même amis si les sentiments ne s'étaient pas invités entre eux. A rire souvent, de tout, de rien, mais surtout d'eux-mêmes, à partager les plaisir simples du quotidien et à affronter ensemble les obstacles, à grandir et évoluer avec un respect mutuel et une communication débridée, pour qu'aucun sujet ne soit passé sous silence.

De son côté à elle, la petite entreprise de rédaction grandit, et pour rejoindre sa désormais indispensable Agathe, elle recruta plusieurs graphistes, stylistes culinaires et rédacteurs pour l'aider dans ses démarches, en plus de développer un solide réseau chez les photographes et les agents spécialistes du milieu.

Glenn vint finalement s'installer à Paris. Ensemble, ils choisirent un appartement aux proportions équilibrées, comportant une digne cuisine pour lui et un lumineux bureau pour elle. Plusieurs fois par mois, ils partaient pour les Alpes afin qu'il puisse y piloter son restaurant.

Malgré qu'ils habitent ensemble, ils leur arrivaient de ne pas se voir pendant des jours, elle en tournage et lui en déplacement à l'autre bout du monde.

Alors qu'il revenait de l'une de ses formations, il s'invita dans les locaux de la rédaction TasteD. On fit signe à Daria que Glenn l'attendait.

Elle vint le chercher et fit agréablement surprise de voir son récent fiancé patiemment assis dans le hall, attendant son entretien tel un simple salarié.

- Bonjour ! Entonna-t-elle.

Il se leva et ils s'embrassèrent.

- Ça s'est bien passé ? La formation ? Ton vol ?

- Super, merci.

Il la suivit jusqu'à son bureau où il posa son sac de voyage dans un coin. Elle lui servit de l'eau pétillante.

- Qu'est-ce qui t'amène ?

- J'ai une grande nouvelle, dit le chef, enfoncé dans son fauteuil.

Elle le regarda.

- Ben alors accouche !

- Le restaurant l'Ouest de Bellerive m'a appelé. Ils veulent me recruter.

- Le chef s'en va ?

- Hum hum, acquiesça-t-il.

- Mais c'est super ! Et tu...

- Ils veulent une troisième étoile.

L'angoisse se saisit de lui.

- Une troisième étoile ?

Il lui confirma d'un regard, il était anxieux.

Elle s'assit près de lui.

- Tu n'as pas envie d'y aller ?

- Clairement pas sans toi, dit-il avec un calme tout relatif.

- Glenn, pourquoi te laisserais-je ?

- C'est en Provence, il faut que je sois sur place.

- L'agence se porte bien, regarde...

Il resta silencieux.

- Je ne sais pas si j'en suis capable, dit-il en se prenant le visage dans les mains.

- Hé, dit-elle en lui posant une main sur le dos, c'est ce dont tu as toujours rêvé, on te laisse ta chance, saisit-la !

- Tu ne comprends pas, trois étoiles c'est très prenant, c'est une vie de dévotion !

- Et ?

- Nous devions nous marier, ce n'est pas ce qui était prévu.

- Glenn, sourit-elle, on se mariera plus tard, ton étoile t'attend et comme tu le sais, les plats ne repassent pas, une opportunité comme celle-là c'est le rêve, c'est toi qu'ils ont appelé.

Il se leva en respirant profondément.

- Laisse-toi le temps de la réflexion... Si tu pars, je te suivrai, mariée ou pas.

Elle connaissait bien la sensibilité de Glenn dans les grandes situations de stress. Son calme olympien laissa place à une certaine vulnérabilité, mais il était un battant, au fond d'elle, elle faisait déjà ses valises.

Quelques jours plus tard, Glenn s'isola dans leur appartement pour passer un coup de fil important. Il en ressortit après près de trois heures d'appel.

- Alors ? Demanda-t-elle.

- Il me laisse carte blanche sur tout, sourit-il.

- On part en Provence ? Dit-elle en se levant vers lui.

- On part en Provence ! S'exclama-t-il en la prenant dans ses bras.