16 août 1969 - partie une
« Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route »
Avant de commencer ce chapitre, j'aimerais juste vous parler de quatre petites choses :
1 - volume warning pour le média au dessus
2 - je m'excuse pour le temps que j'ai pris pour publier ce chapitre, le problème c'est que je peux rien vous promettre pour la suite, j'essaierai de faire au mieux (et croyez moi je suis dégoutée car j'ai consacré beaucoup de mon temps à cette histoire, mais promis je la finirai !)
3 - n'oubliez pas d'aller checker les musiques dans la première partie de cette histoire !! Goûts musicaux de qualité assurés
4- et pour finir, je voulais vous prévenir qu'au delà du fait qu'il soit assez long, ce chapitre peut paraître répétitif, voir lassant mais comme l'explique Mohrt à propos du livre Sur La Route de Kerouac dont je me suis foooortement inspirée pour rédiger ce qui va suivre - et qui nécessite donc les mêmes explications :
« Il est possible que certaines pages de Sur La Route paraissent monotones. Nul doute que leur auteur n'ait voulu traduire, précisément, la monotonie et la fatigue engendrées par quatre mille kilomètres de route. De cette lassitude, de cette monotonie du décor - pompes à essence ; restaurants pour routiers aménagés dans de vieux wagons de chemin de fer ; « symboles blancs » des panneaux de signalisation - naît une sorte de fièvre. La répétition des images et des mots, des noms de villes et des copains quittés, retrouvés, des États traversés et retraversés d'Est en Ouest et du Nord au Sud, des mêmes scènes d'ivrognerie, des mêmes obsessions, crée un effet voulu de lassitude, une courbature du corps et de l'esprit, une migraine qui nous font sentir l'immensité de l'espace américain »
Bonne lecture :)
La foule en frénésie, les hurlements débordants, les nuées d'applaudissements acharnés ; derrière ses pupilles d'encre et le pâle stoïcisme empreint sur ses traits, Sasuke semblait rêver. Un demi-million de personnes se tenaient face à lui, n'attendant plus qu'il ne délivre la plus envoûtante des mélodies avec son instrument de prédilection.
Le temps semblait suspendu au bord de ses lèvres et sur le bout de ses doigts alors qu'il s'apprêtait à faire glisser ses phalanges agiles sur le manche de la guitare pendue au bout de la sangle enlaçant son dos et sa nuque. Tout était d'une sensualité et d'une tension sans pareil ; il sentait alors que le moindre de ses mouvements pourrait faire exploser la foule trépignante, la foule impatiente, la foule languissante. Des hauteurs divines de la scène sur laquelle il dominait, le virtuose caressa de ses transperçantes iris de jais cette véritable horde affamée d'âmes en quête de satiété que, lors de cette irréelle fraction du temps, lui seul semblait pouvoir assouvir.
A cet instant, il avait le monde à ses pieds.
Et à présent qu'il venait de goûter à cette sensation, ô grand jamais il ne souhaiterait l'oublier.
×
10 jours auparavant.
Bethel, Etat de New York.
Telle était la destination qu'espéraient atteindre deux êtres en quête de trois jours de paix et d'amour ne se déroulant nul part ailleurs qu'au festival de Woodstock. Souligné de deux traits d'un noir profond sur leur carte, le nom de la ville d'arrivée apparaissait comme l'étape ultime d'un pèlerinage que le duo ne faisait qu'entamer.
L'une rêveuse, l'autre artiste, ils symbolisaient à eux deux l'état d'esprit dans lequel tout festivalier ayant mit les voiles vers l'Est demeurait.
Les deux amants comptaient traverser l'Amérique dans toute sa largeur afin de débarquer en terre promise en moins d'une semaine ; toutefois, sachant pertinemment que le voyage allait s'avérer plus compliqué que prévu, ils quittèrent les terres californiennes avec une dizaine de jours de marge et jamais ils n'eurent prit plus sage décision au vue de toutes les péripéties qu'ils allaient s'apprêter à traverser.
Adressant un dernier au revoir de la main au San-Francisco si cher à leur cœur, le duo entama dès le petit matin le périple en roulant à pleine vitesse sur les interminables routes bétonnées de l'Ouest, et ce grâce au frère du musicien qui leur avait plus que généreusement laissés emprunter son vieux cabriolet flamboyant d'un écarlate plus éclatant encore que la plus sanguinolente des tomates - mais qui crachotait cependant une quantité de fumée noirâtre bien trop imposante pour ne pas s'inquiéter - sans se soucier le moins du monde du fait qu'ils n'avaient sérieusement guère prit assez de précautions. Près de trois milles kilomètres étaient censés défiler sous les roues de leur voiture, du moins c'est ce qu'ils songeaient naïvement car, étant partis sur un coup de tête et avec les moyens du bord, ils s'apprêtaient très rapidement à payer les frais de leur spontanéité.
Cependant, pour l'heure, ils profitaient le plus insoucieusement du monde de leur première journée de voyage qui se déroulait sans le moindre accroc ; cheveux au vent et radio tournant à plein volume, ils avaient ainsi traversé la Californie et le Nevada en un temps record. Les plaines ocres parsemées de brindilles asséchées par les températures de feu avaient constitué le décor au travers duquel ils s'étaient aventurés toute la journée durant, avec comme la plus agréable des compagnies le vent chaud de l'Ouest chatoyant leur épiderme et l'azur éclatant du ciel, où il n'y avait le moindre nuage, les couvant de son aura réconfortante. La frénésie de la jeunesse, de la découverte, l'aventure, l'inconnu faisait pulser leur organe vital avec hystérie. Ils se sentaient plus qu'invincibles alors que le compteur de vitesse de la Chevrolet frôlait les deux-cents kilomètres/heure, faisant alors rugir le moteur du véhicule dans un grondement presque effrayant.
Toutefois, dès que la nuit pointa le bout de son nez, les deux aventuriers finirent par ironiquement tomber en panne une poignée de minutes seulement après avoir franchi la frontière de l'Utah. Se retrouvant alors sans ressource, au beau milieu du désert et avec l'opaque stratosphère nocturne comme seule compagnie, le couple s'était par conséquent préparé à passer la nuit à la belle étoile - ou plus exactement dans l'inconfort des sièges de la vieille voiture qui était allée bien au delà de ses limites - jusqu'à ce qu'un autre couple de voyageurs les embarque dans une décapotable à la carrosserie écaillée de toute part et aux pare-chocs dans un tel état qu'on se demandait de quelle façon ils pouvaient encore tenir sur le capot. C'est avec culpabilité qu'ils abandonnèrent donc l'automobile, Sasuke se promit tout de même de contacter son aîné dès qu'il trouverait une cabine téléphonique, n'ayant dans tous les cas guère le choix en raison de la fréquentation irrégulière - pour ne pas dire existante - de cette petite route perdue au beau milieu des canyons qu'ils avaient empruntée.
Maniant le volant comme un véritable taré, le terme demeurait on ne peut plus correct, le chauffard les ayant recueillis réussit l'exploit de rallier Salt Lake City en approximativement une heure, ce qui aurait prit une quarantaine de minutes supplémentaire en général, tout en hurlant - pour couvrir le rugissement du moteur et le sifflement du vent - une multitude de péripéties tellement invraisemblables qu'elles semblaient inventées de toutes pièces, tandis que sa compagne, installée à l'arrière avec Sakura, se penchait entre les deux sièges avant afin de participer à la conversation avec la même véhémence que son mari - offrant alors un contraste des plus comiques avec la taciturnité du brun qui se retrouvait alors obligé de faire la conversation avec ces deux énergumènes, Sakura l'ayant abandonné pour somnoler sur la banquette arrière. L'exquise brise de la nuit, dont la fraîcheur procurait une sensation que seule la saison estivale semblait pouvoir apporter, fouettait de plein fouet leurs visages déformés par l'ivresse du whisky et de la vie.
Une fois arrivés à la destination promise aux deux voyageurs, le conducteur et sa femme repartirent à toute allure, laissant alors les deux vagabonds en plein milieu du centre ville, titubants, et se demandant comment ils pouvaient encore être en vie après une telle virée. Après s'être remis de leurs émotions, ils se dirigèrent vers une cabine téléphonique se situant sous un lampadaire courbé au dessus du bitume et qui dégageait une lueur jaunâtre aux nuances paraissant comme presque sales, afin que le brun puisse passer un coup de fil à son aîné. Il se mit alors en quête d'une poignée de pièces pour payer les frais de communication, et quelle ne fût pas sa surprise lorsqu'il constata que ses poches étaient vide de toute monnaie. Tapotant les replis de son blouson de cuir ainsi que de son pantalon en daim, Sasuke ne mit que peu de temps à comprendre la gravité de la situation en constatant qu'il ne ressentait ni le froissement des billets ou le métal froid des pièces sous ses doigts, et cracha alors d'un ton crispé :
- Ils m'ont piqué le fric ces enfoirés.
Lançant un regard interloqué à son compagnon de route, la jeune femme vérifia avec précipitation le contenu de leur unique besace de voyage qui demeurait, effectivement, vidée de tout bien essentiel à leur excursion - c'est-à-dire la totalité des dollars qu'ils avaient difficilement récoltés afin d'entamer cette expédition vers l'Est avec un minimum de moyens et des cigarettes - ne leur laissant alors qu'un vieux pull en émail que la jeune femme avait emporté par précaution, sachant pertinemment que les nuits dans le désert seraient rudes et quelques autres vêtements de fortune. Voyant que Sakura commençait progressivement à paniquer - il faut dire qu'ils se trouvaient sans le sou, au beau milieu d'un état où ils n'avaient jamais foutu les pieds - le brun sortit l'unique billet vert qu'il leur restait, ce dernier ayant été glissé au préalable dans sa bottine par précaution, en lui assurant qu'ils réussiraient à aller au bout de leur expédition, et ce malgré la pauvresse de leurs ressources.
Toutefois, n'ayant d'endroit où pouvoir loger - ni assez d'argent pour se payer le luxe de dormir à l'hôtel - les deux amants passèrent alors la nuit à errer dans les rues de la capitale de l'Utah, tendant le pouce dès qu'une voiture les éblouissait de ses pleins-phares alors qu'ils longeaient une route dans le but de trouver un endroit un minimum convenable pour souffler un peu, n'ayant guère envie de tester le confort du trottoir. Déjà bien lessivés en raison de leur journée passée à voyager, le fait d'être ignorés par les rares conducteurs achevait de les épuiser autant moralement que physiquement.
C'est ainsi qu'au petit matin, après avoir été tirés de leur sommeil - peu réparateur, il faut dire qu'ils avaient fini par somnoler sur l'inconfort d'un banc - par le soleil orangé pointant à l'horizon et l'atmosphère matinale qui vint picoter leur épiderme de son aura rafraîchissante, ils s'accordèrent un petit déjeuner de roi dans l'objectif de compenser la périlleuse nuit venant de s'achever et redonner des couleurs à leurs mines cernées. Installés à la table d'un véritable dinner datant de la décennie précédente, où on pouvait y retrouver le typique carrelage noir et blanc, les banquettes rouge vif, et un juke-box murmurant un classique des années cinquante, le couple sentit leur regard luire à l'instant où la serveuse déposa face à leurs pupilles affamées deux assiettes où lotissait une part de tarte aux pommes encore tiède, accompagnée par la plus généreuse des quantités de crème glacée qu'ils eurent vu et qui, dégoulinant en raison de la douce chaleur de la pâtisserie, détrempait la pâte sucrée en créant une véritable mare de glace vanillée fondue au fond du plat. L'arôme se dégageant du festin vint emplir leurs narines de sa subtile odeur réconfortante et sucrée, ainsi, savourant ce premier vrai repas comme il n'en avait pas dégusté un depuis un certain temps déjà, le duo s'accorda à penser qu'ils n'avaient rien mangé d'aussi délicieux - la principale raison étant surtout que la faim leur faisait perdre toute objectivité vis-à-vis de la nourriture. Les pommes étaient fondantes à tel point qu'elles se volatilisaient une fois en bouche, l'épaisse pâte brisée demeurait cuite à point - tout juste dorée - et la glace à la vanille possédait une des plus délicieuses saveurs de ce monde ; c'était si bon qu'ils auraient pu en pleurer.
S'abreuvant par la même occasion de grandes quantités de café - noir, ce qui fit grimacer Sasuke habitué à sucrer l'élixir amère à outrance - dans l'objectif de recharger leurs batteries du mieux qu'ils pouvaient, les deux voyageurs sentaient l'espoir refaire peu à peu surface en leurs âmes vagabondes qui, épuisés par cette nuit des plus périlleuses, avaient sérieusement songés qu'ils n'arriveraient pas à destination ; la route commençait à les forger.
Alors qu'ils continuaient à remplir leurs estomacs criant de moins en moins famine, tout en planifiant un moyen de poursuivre leur périple, un homme vint prendre place à leurs côtés. Il dégustait l'exact même festin qu'eux, si ce n'est qu'à la place du café il avait préféré s'abreuver d'une liqueur fortement alcoolisée - et ce, même malgré l'heure plus que matinale - tout en entamant le plus naturellement du monde une discussion à propos de poésie bohémienne à laquelle Sakura s'intéressa instantanément. Le brun observait la jeune femme et cet inconnu sorti de nulle part débattre à propos d'un sujet bien trop futile à son goût, alors, voulant couper court à toutes déblatérations inutiles, il demanda de but en blanc au nouvel arrivant si il avait une voiture et surtout s'il pouvait les laisser monter avec lui. La rosée lui lança un regard entendu, signifiant qu'elle allait s'apprêter à mettre le sujet sur la table avec un peu plus de subtilité que le tact légendaire du brun, mais, à la surprise générale, le voyageur solitaire accepta - pas perturbé le moins du monde par le ton employé par le musicien.
Ainsi, ils purent au plus vite mettre les voiles de Salt Lake City et s'autorisèrent à lâcher un soupir de soulagement alors que, au travers de la vitre arrière du véhicule, ils apercevaient les massif rectangles bétonnés des immeubles de la capitale se fondre dans le décor montagneux des plaines de l'Utah, avant de définitivement disparaître.
Au volant, le quarantenaire contait sa vie sur la route, ses péripéties bohémiennes et ses trips poétiques. C'était un des derniers rescapés de la beat generation comme il n'y en avait plus, forgeant alors l'admiration de la jeune femme qui, en tant qu'hippie, ne pouvait que s'inspirer de son style de vie éphémère et spontané. Sa vie semblait avoir été une suite ardente de rencontre, de voyage, de beuverie, de folie avec des compagnons de route tous plus fous les uns que les autres. Il avait vécu pleinement, entourés par de véritables dynamites brûlant à l'idée de vivre à tel point qu'il s'était presque entièrement consumé, et se retrouverait à présent aussi amer que la cendre de ce tabac froid qu'il fumait. A l'heure actuelle, il arpentait les terres américaines à la recherche d'un certain Neal - qu'il appelait à certains moments Dean, comme si il semblait lui même oublier le nom de l'homme qu'il poursuivait - mais la façon dont il expliquait cela était emplie d'une telle amertume, le ton de sa voix lorsqu'il évoquait l'homme en question résonnait si maussadement que les deux voyageurs se demandèrent si le porté disparu était toujours en vie - si encore, il existait réellement.
Le poète les largua dans une petite ville du Nebraska, non loin de Grand Island, mais, là encore, ils stagnèrent un certain moment. Toutefois, ce ne fut cette fois-ci non pas une seule nuit qu'ils passèrent à voguer sans trop savoir où aller, mais bien deux journées entières, le temps pour l'aiguille de faire quatre fois le tour du cadran. La ville était déserte, un véritable néant sur la carte de l'humanité, où ne résidaient que de petits vieux zieutant au travers de leurs persiennes défraîchies par le temps le duo de voyageurs errant et sans le sou, ainsi qu'une poignée de commerces où les employés passaient leurs journées à somnoler derrière le comptoir.
Il leur restait encore cinq états à traverser pour arriver à destination ; sachant que le festival commençait dans exactement six jours, ils disposaient alors d'un peu moins d'une semaine pour atteindre la côte Est. Bien que cela constituait une marge assez confortable, le musicien commençait à réellement perdre patience, et ce même soutenu par l'enthousiasme de la rosée qui, malgré la fatigue qui l'assaillait, gardait espoir et prenait même un certain plaisir à faire face à ces multiples péripéties en compagnie de son cher et tendre.
Cependant pour cette fois-ci, les deux vagabonds furent contraints de débourser une grande partie de leurs précieux dollars restant afin de passer pour la première fois depuis quatre jours une nuit dans un véritable lit, notamment Sakura qui - bien moins habituée à enchaîner les nuits blanches que le brun - somnolait de plus en plus et enchaînait les siestes sur l'épaule de son compagnon de route, d'autant plus que la faim tiraillant leurs entrailles n'aidait guère à les garder au meilleur de leur forme. Un motel des plus piteux constitua alors le toit sous lequel ils passèrent la nuit la plus réparatrice de leur existence, bien que l'endroit n'avait rien de rassurant.
D'un côté, au travers des carreaux - n'ayant visiblement pas été nettoyés depuis belle lurette - qui constituait l'unique fenêtre de la pièce décorée avec le plus grand des mauvais goût, s'infiltrait l'inquiétante lueur du néon aux vives couleurs du motel qui ne cessait de clignoter - envoyant alors des sortes de flashs dans la pénombre de la pièce. De l'autre, les draps râpeux demeuraient d'une propreté douteuse, provoquant un frottement des plus désagréables dès que leurs parcelles de peaux découvertes effleuraient le tissu, tandis qu'une fine pellicule de poussière recouvrait les meubles grignotés de toutes parts par les termites ; mais la cerise sur le gâteau concernait la vieille moquette d'un bleu hideux qui était tachetée ci et là d'un liquide poisseux, bien trop semblable à de l'hémoglobine aux yeux du couple qui n'avait aucune envie de savoir ce qu'il s'était déroulé dans la pièce par le passé. Toutefois, la malpropreté des lieux ne fût qu'un futile détail pour eux tant la fatigue les assaillant était conséquente, et ils s'endormirent dès l'instant où ils déposèrent leur visage contre l'oreiller, et ce jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil s'infiltrent au travers des persiennes bancales qui pendouillaient au bout des cordes les reliant aux tringles fixées à la va vite sur l'encadrement des fenêtres.
C'est l'esprit bien reposé que les deux voyageurs quittèrent le vieux motel pour rejoindre la route principale où ils entamèrent une nouvelle journée d'auto-stop, le problème n'étant cependant guère que les conducteurs refusaient de s'arrêter, mais qu'il n'y en avait tout simplement pas ; quelle idée avait eu le poète de les lâcher un pleine campagne du Nebraska. Comme il faisait bien trop chaud pour tenter de reprendre la route à pied, les deux êtres ne purent rien faire d'autre que patienter, assis sur le bord de la route, à l'abri sous un saule pleureur les protégeant de la chaleur estivale. Et ce, des heures durant. La chaleur commençait sournoisement à jouer avec leurs nerfs, la faim à les tirailler, le chant des cigales à les assommer et l'attente à les faire bouillir.
Toutefois, par miracle et après de trop nombreuses heures à espérer, un van d'un jaune éclatant déboula au loin sur la route. Bondissant sur leurs pieds, les deux auto-stoppeurs quittèrent l'herbe tendre sur laquelle ils avaient élu domicile jusqu'ici pour s'avancer sur le bord de la voie goudronnée, et Sakura ne put s'empêcher d'effectuer de grands gestes empressés avec ses bras pour être absolument certaine d'attirer l'attention du véhicule s'approchant. Béni par le ciel soit-il, car le van s'arrêta à leurs côtés et la porte arrière s'ouvrit sur une joyeuse bande de vingtenaires entassés à l'arrière ; alors, une jeune femme à l'interminable chevelure blonde les apostropha :
- Vous allez où ?
- Vers l'Est ! s'écria presque Sakura, tendue à l'idée que l'opportunité de continuer leur voyage ne leur passe sous le nez. On va à Woodstock !
Un radieux sourire vint illuminer le visage de la belle blonde qui, d'un geste, les invita à monter avec eux et le duo ne se fit pas prier pour grimper avec empressement, tout en bénissant les divinités d'avoir mit sur leur chemin ces âmes charitables venant de les recueillir. Une fois installés, bien à l'étroit - ce qui fit légèrement grincer des dents au taciturne ayant l'habitude d'apprécier la solitude plus que la norme - les discussions s'entamèrent avec entrain. On fit rapidement connaissance, pour finir par - une bonne heure durant- s'extasier sur le fait que le festival approchait à grand pas. Alors en plein conversation, le duo détailla l'habitacle du regard et réalisa que le véhicule demeurait en bien moins bon état qu'il n'en paraissait à l'extérieur ; ce qui les amusa plus qu'autre chose, la rosée s'esclaffant même en désignant le plafond au dessus de leurs têtes où un trou béant lotissait.
- Vous venez voir un groupe en particulier ? s'enquit d'une voix infiniment douce une brunette aux yeux cristallins.
Sakura hocha vivement la tête tandis que ses iris se mirent soudainement à briller d'une lueur miroitante d'impatience, en proclamant toute l'admiration qu'elle éprouvait pour Joan Baez ou Jefferson Airplane, et qu'elle trépignait d'impatience de les voir sur scène. Tous approuvèrent d'un hochement de tête, enchaînant en proclamant des louanges pour un certain Jimi Hendrix, ventant la virtuosité de Grateful Dead ou exprimant l'envie de révolte qu'insufflait The Who ; la musique avait prit sa place dans les pensées et mots de chacun, comme une aura divine qui plongea alors le groupe de festivaliers dans un état d'euphorie et d'impatience.
- Et vous ? Vous traversez l'Amérique pour voir quelqu'un ? s'enquit la rosée.
- On a un ami qui va jouer samedi avec son groupe, mais lui est déjà sur la côte Est donc on a prévu de tous se rejoindre là-bas, expliqua un jeune homme à la chevelure rousse.
- Naruto, on arrive ! hurla un brun à la coupe au bol, alors qu'il avait sorti son buste par la petite ouverture sur le toit du van pour ressentir à pleine puissance le vent fouetter son visage avec toute l'ardeur du monde.
- Lee, arrête de crier comme ça ! râla une brunette installée derrière le volant, et qui conduisait l'immense van avec autant d'assurance que d'imprudence - là encore, le couple ne put s'empêcher de se demander si ils allaient y laisser leur peau.
Toutefois, en observant ce que faisait le jeune homme survolté, la rosée ne put résister à la tentation et grimpa sur l'unique banquette du van de ses pieds nus et sortit, elle aussi, son visage, puis ses épaules par l'ouverture. En l'apercevant à ses côtés, ledit Lee l'aida à s'installer convenablement et tout deux s'esclaffèrent face à cette vision des plus exaltantes s'offrant à eux. La route glissait à toute allure face à leurs pupilles ébahis qui détaillaient le paysage champêtre avec émerveillement tandis que, sur le bitume, le van semblait absorber à toute vitesse les bandes jaunes peintes sur le goudron à intervalles régulières.
Des plaines infinies de pâturages voyant germer toutes sortes de verdures sur leurs terres fertiles recouvraient l'entièreté du sol jusqu'à la ligne d'horizon ; les teintes étant sublimées par le soleil frappant les épis de son incandescence, le manteau émeraude apparaissait alors comme un véritable joyaux aux yeux des deux êtres. Contrairement aux canyons de l'Ouest possédant des teintes ocres, des senteurs chaudes et où l'air n'était qu'une retranscription sensorielle de la sècheresse des sols, les plaines du Nebraska, et bientôt de l'Iowa, regorgeaient d'une végétation bien plus omniprésente. Les vallées respiraient la fraîcheur, l'herbe coupée et le foin en quantité ; des chevaux et d'innombrables bovins étaient occupés à mâchouiller ce festin de verdure étendu sous leurs sabots, sans prendre conscience de la splendeur du cadre bucolique dans lequel ils résidaient au quotidien.
Grâce à la vision périphérique offerte par le fait d'être perchée au dessus du toit du van, Sakura put même apercevoir à l'horizon les typiques et immenses granges peintes en rouge par les fermiers nord-américains et cette vision la fit sourire, émerveillée de voir ce genre de paysages pour la première fois étant donné qu'elle n'avait jamais quitté la côte Ouest de sa vie, et ce même malgré sa vingtaine passée. Elle se croyait dans un décor de cinéma, accompagnée par une bande d'inconnus tout droit sortis de nul part mais tombant cependant à pic, en direction d'une destination qu'elle n'aurait jamais ne serait-ce oser effleurer l'idée d'y aller, mais vers laquelle elle se dirigeait dorénavant avec l'homme qu'elle aimait le plus au monde et une immense joie tambourinant en elle.
Pour accentuer son émotion, lorsque de temps à autre le van croisait quelques habitants des petites villes et grandes plaines au travers desquelles ils voyageaient tous, une sensation indescriptible traversait la jeune femme. Eux restaient, mais elle bougeait. Ce sentiment de ne passer qu'en coup de vent dans ce décor pastoral où d'autres y étaient enracinés fit monter en elle une irrépressible sensation de liberté et de joie immense qui éclata dans un rire. Lee, dans le même état que la jeune femme, se mit lui aussi à s'esclaffer et tous deux partirent dans un fou rire incontrôlable et s'amusèrent même à saluer avec de grands signes, non pas par moquerie mais par simple amusement, les quelques fermiers qu'ils croisèrent en train de rentrer le bétail ou de cultiver leurs champs avant que le soleil ne se couche, salutations que la plupart leur rendirent avec un sourire en coin, nostalgiques de leurs jeunes années.
La météo différait aussi considérablement des déserts de l'Ouest. Il faisait chaud certes, mais lourd ; les peaux étaient moites et le ciel recouvert d'imposants nuages d'un gris tirant presque sur le noir. Ils semblaient avoir envahi l'espace aérien comme des corps célestes inconnus tant ils étaient massifs, irréalistes. Ce subtil mélange du soleil couchant et du ciel orageux apportaient à l'atmosphère une lueur qu'on pourrait qualifier de plombée. L'air était d'une lourdeur sans pareille, le ciel d'une opacité sans nom, mais l'astre orangé à l'horizon parsemait le bitume de tâche de soleil créées par les feuillages au travers desquels les rayons s'infiltraient. Cette lueur crépusculaire donnait à l'atmosphère une teinte orangée, aux apparences presque post-apocalyptique, mais qui n'était en réalité que la représentation physique de l'électricité subsistant dans l'air.
- Je suis musicien moi aussi !
Une voix s'était élevée dans l'habitacle embaumé par les effluves de chanvre du van, et Sakura descendit alors de la banquette pour se rasseoir aux côtés de son bien-aimé qui ne semblait pas réellement à l'aise. Depuis un bon moment, en effet, on assaillait le pauvre Uchiha de questions qui, avant même de pouvoir formuler une phrase complète, se faisait couper dans sa réponse par quiconque avait une remarque à faire. Cette fois-ci, c'était un brun aux joues marquées de deux traits rouges qui n'avait pu s'empêcher de réagir lorsque le virtuose avait déclaré jouer dans un groupe. Un sourire fier courbait les lèvres du nouvel intervenant, mais ses ardeurs furent rapidement calmées :
- Tu n'as appris que trois accords pour essayer de draguer, rétorqua un énième jeune homme posté à ses côtés dans la plus grande des indifférences, le regard masqué par d'opaques lunettes de soleil et les mains plongées dans les poches du blouson reposant sur ses épaules - accoutrement surprenant étant donné la chaleur du mois d'août.
Quelques rires cyniques et remarques salées pleuvèrent par la suite sur le prétendu guitariste qui se défendit tant bien que mal auprès de ses amis, en vain, puis les discussions s'enchaînèrent de bon train. Et ce même lorsqu'un violent orage éclatèrent au dessus de leur tête - les forçant tour à tour à gérer le flux de l'eau s'infiltrant au niveau du trou béant sur le toit - ni même lorsqu'ils tombèrent en panne et furent contraints de se mettre à dix pour pousser le van en direction de la station essence la plus proche, ou encore moins lorsque la conductrice se rendit compte qu'elle avait prit la mauvaise sortie et qu'elle ne dirigeait absolument pas dans la bonne direction - trajectoire rapidement modifiée par son copilote qui reprit le volant.
La journée s'était écoulée à une vitesse hallucinante, plus furtivement encore que l'allure à laquelle ils avaient roulé de longues heures durant sous le coup de volant imprudent de la brunette et, à présent, la joyeuse bande de festivaliers se voyait dans l'obligation de s'aligner en rang d'oignon à même le sol, pour ceux n'ayant pas eu la chance d'accéder à l'unique banquette du van, afin de se reposer quelques heures durant sous la voûte céleste glissant sous leurs yeux - l'orage s'étant dissipé, le firmament était dorénavant nu de tout nimbus, seulement vêtu de son indétrônable parure séraphique. L'astre lunaire semblait les suivre ; le van roulant pourtant à une vitesse relativement élevée - quoique bien moins précipitée que tous ce que le couple avait pu voir jusqu'ici - cela ne semblait guère perturber la lune qui conservait l'exacte même distance entre elle-même et le véhicule, et ce depuis l'instant où elle était descendue des hauteurs célestes invisibles au commun des mortels pour plonger dans le bain nocturne de l'empyrée sublimé d'innombrables corps célestes.
A l'avant du véhicule, les deux pilotes de compétition se laissaient guider par les phares jaunâtres du van et l'épaisse lueur bleuté du satellite nocturne. Puis soudainement, dans le silence de la nuit où seul le ronronnement du moteur avait osé s'exprimer jusqu'ici, quelqu'un entama une chanson. Les deux voyageurs fraîchement recueillis, ne connaissant alors que trop peu les inconnus les ayant pris sous leur aile, ne purent mettre un nom sur la voix cristalline fredonnant ces paroles que tous connaissaient. À la doucereuse voix s'ajouta une deuxième qui mêla à la mélopée son octave inférieur, suivie de près par tous les autres occupants du van. Cette nuée mélodieuse résonna à l'intérieur de l'habitacle comme la plus douce des berceuses, semblable une association de la clarté de carillons soutenus par la suavité des voix plus graves.
- C'est une jolie chanson, finit par lâcher Sakura après quelques minutes de silence qui - loin d'être dérangeantes - soulignaient la quiétude faisant battre le cœur de tous les occupants du van.
- La plus belle que je connaisse, lui répondit la voix féminine ayant entamé la mélopée, dans un souffle empreint du sourire courant ses lèvres.
Et c'est dans la douceur de l'instant que tous s'endormirent.
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Les têtes se secouaient, les corps s'entrechoquaient et les baisers coulaient sur les peaux humidifiées par les flots pleuvant des cieux et transformant le sol terreux en véritable marécage. D'innombrables opiacés circulaient entre les mains des festivaliers, glissant sous leurs langues ou venant enfumer leurs trachées, lorsqu'ils ne les faisaient pas directement couler dans leurs veines, si bien que parmi l'immense foule, il ne devait plus y rester une seule personne un minimum lucide.
Sasuke observait ces corps se mouvoir avec une imprévisibilité des plus surprenantes ; la plupart étaient dotés d'une grâce quasiment inexistante, offrant alors le plus saisissant des contrastes avec la beauté empreinte dans chaque geste exécuté par d'autres. Il contemplait cet amas d'âmes ne partageant plus qu'un unique esprit, perché à des années lumières d'ici, après avoir été envoûté par toutes sortes d'hallucinogènes. Il scrutait du regard ces longs cheveux virevoltant au gré des mouvements, ces pieds nus frappant la terre humide de cette fin d'après-midi, ces mains délicates tenant celles plus robustes d'un inconnu pour une danse improvisée. La brun détaillait cette nudité caressant les corps épris d'amour et de musique de la foule ; elle paraissait immense, cette foule : impressionnante, ravageuse mais d'une tendresse inattendue. Elle se mouvait, ondoyait tel une vague dévorant l'écume des pensées du virtuose, emportant tout sur son passage. Cet unisson l'engloutissait dans les abysses de la mélodie, étouffant ses pensées sous la doucereuse voix de la chanteuse, le noyant dans des contrées si lointaine que seule les harmoniques décadentes de la chanson jouée pouvaient l'y emmener.
Telle était l'euphorie flottant dans l'atmosphère de Woodstock et, malgré sa lucidité douteuse, le guitariste ne pouvait qu'être transporté dans la grande beauté de l'instant. Sa belle à lui, quand à elle, ressurgit sans crier gare d'entre deux corps de la foule, un grand sourire ornant ses lèvres rougies et un rire légèrement hystérique faisant chantonner ses cordes vocales. Posant un pied devant l'autre, elle tanguait alors qu'elle s'approchait du jeune homme, un verre d'on ne savait trop quoi dans chaque main. Se laissant tomber aux côtés du brun, la rosée lui tendit le récipient d'un geste maladroit en raison de son état d'ébriété, renversant au passage un soupçon du douteux élixir qui coula le long du verre et vint goutter sur la main du musicien.
- Tu étais où ? questionna le jeune homme.
En guise de réponse, la jeune femme pointa du doigt un amas de festivaliers s'avançant vers eux et, parmi ces silhouettes, le musicien reconnut une poignée des généreuses âmes les ayant recueillis dans leur van quelques jours auparavant ; toutefois un nouveau visage qu'il ne connaissait guère venait de faire son apparition. Un sourcil haussé, le mélomane balaya de ses iris de givre les traits rieurs sublimés par le sourire charmeur et le teint doré du nouvel arrivant, et comprit sans qu'on ait eu besoin de faire les présentations qu'il s'agissait du fameux personnage dont on lui parlait depuis quasiment une semaine déjà.
- Alors c'est toi le fameux Sasuke ?
À peine le groupe d'amis venait d'arriver à leur hauteur que le jeune inconnu aux mèches dorées avait pointé le musicien assis au sol du doigt, le surplombant avec fierté par le fait qu'il se tenait debout. L'interpellé se contenta d'hocher laconiquement la tête, en se relevant de l'herbe tendre pour se mettre à la même hauteur que les autres, et le chanteur frappa dans ses mains, satisfait, avant de rentrer directement dans le vif du sujet :
- Écoute, je vais pas perdre de temps. On m'a dit que t'avais un groupe et que tu te débrouillais pas trop mal à la guitare. Nous on monte sur scène ce soir vers vingt trois heures, si tu me fais une petite démo tout à l'heure, je pourrais possiblement t'arranger un coup pour que tu montes sur scène avec nous !
Il désigna un mouvement de tête l'immense estrade située au bas de la butte et où se déroulait la prestation de Santana - un groupe dont, à l'époque, personne n'avait jamais réellement entendu parler mais qui, sans que quiconque n'en ait réellement conscience, était en train de donner la meilleure performance de leur vie. En écoutant le jeune groupe sur la scène se donner corps et âme à leur musique, le brun prit conscience que d'ici quelques heures il pourrait se retrouver à leur place, et de l'opportunité que cela représentait. Après tout, avoir l'occasion de performer devant un demi-million de personnes, cela n'arrivait pas tous les jours. Discrètement, le blond lui lança un regard pétillant mêlé à son sourire ravageur, puis, après s'être avancé à ses côtés, il se pencha subtilement vers son oreille pour lui souffler d'une voix délicieusement éraillée :
- Alors ça te tente, Sasuke ?
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I NEED TO KNOW, est ce que ce road-trip vous a plus ou est ce que la longueur du chapitre s'est TROP faite ressentir ? Je vous laisse me dire :,)
Chapitre à suivre..
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