30 août 1970
« Waiting for the summer rain »
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Les deux heures du matin approchaient à grands pas à l'instant où Sasuke céda la scène au groupe suivant, laissant les musiciens l'accompagnant et l'immense foule venue assister à ses prouesses musicales dans un flou des plus total à la suite de sa prestation qui s'était achevée de manière on ne peut plus inattendue. En effet, après à peine une trentaine de minutes de concert, le virtuose avait quitté l'estrade sans un mot à l'égard de ses compagnons de scène, sans un regard pour les centaines de milliers de festivaliers réunis sur l'île britannique de Wight, et ce - pour couronner le tout - en plein milieu d'une chanson qu'il ne s'était même pas donné la peine d'achever. Il avait, dans la plus grande des nonchalances, ôté la sangle de sa guitare pour la laisser mollement tomber à terre - laissant alors les amplificateurs diffuser dans toute la plaine le bruit assourdissant de l'instrument impacter le sol - et ainsi abandonné son public, ses compagnons de route, et cette place sur scène pour laquelle il avait pourtant toujours été destiné.
Tout d'abord en état de choc, nul festivalier n'osa prononcer mot, et ce une dizaine de secondes durant. Le temps semblait avoir été suspendu, une incompréhension flottait dans l'atmosphère. Puis, progressivement, le silence se mua en murmures, entraînant la prise de conscience.
Il était parti.
Cet artiste qui, depuis son apparition à Woodstock l'année dernière - comparable à une intervention divine dans le tohu-bohu des enfers - avait vu son nom traverser l'océan, si bien qu'on parlait de lui d'un bout du globe à l'autre. Ce virtuose attendu dans les plus grands évènements musicaux situés aux quatre coins du monde. Ce mélomane pour lequel tous s'étaient démenés afin parvenir à cette terre promise qu'était ce festival, pour lequel tous avaient patienté une année durant de le voir apparaître en tête d'affiche. Cet être les ayant tous fait espérer. Pour rien.
Il était parti, oui. Et la déception était incommensurable.
Des huées commencèrent à émerger de part et d'autre du public. Dans un premier temps individuelles, ces manifestations de colère ne tardèrent pas à se diffuser au travers des spectateurs, et ce fut bientôt l'entièreté de la foule qui protesta contre le Uchiha. Tous ignoraient les raisons ayant poussé le brun à partir ainsi, mais aucun ne se priva de faire savoir sa colère, prétextant pour certains qu'ils n'avaient pas fait tout ce chemin pour « assister aux caprices d'un petit con» , scandant pour d'autre que le succès lui montait déjà à la tête. De leur côté, les organisateurs du festival s'arrachaient les cheveux pour tenter de trouver une solution à cette catastrophe et leur tension augmenta d'un cran lorsque les premières bouteilles en verre et pierres trouvées à même le sol se mirent à pleuvoir sur la scène. De plus en plus déchaînés, les festivaliers jetèrent sur l'estrade le moindre objet leur tombant sous la main dans le but de démontrer leur furie, et les musiciens qui étaient restés derrière leur instruments furent contraints de quitter les lieux, la boule au ventre et la rage au cœur.
Lui aussi fulminant, Sasuke se dirigeait d'un pas hargneux vers un endroit plus calme, le plus éloigné de la scène possible, et ricana cyniquement en se faisant la réflexion que ces personnes le huant étaient les mêmes l'ayant acclamé une année auparavant, le soir où il avait possédé Woodstock. Cette même bande d'hypocrite ayant assisté à sa prestation et qui, depuis un an à présent, l'idolâtrait, l'avait élevé au rang de génie, de porte parole de sa génération, de sex-symbol inaccessible. Bien trop rapidement, il était devenu une bête de foire, le paria des journalistes et le fantasme d'une jeunesse incomprise. Tout ce dont il n'avait jamais voulu, n'ayant souhaité au départ rien d'autre que de faire de la musique sa vie.
Le Uchiha marchait tête baissée, les mains enfoncées dans les poches de son blouson de cuir, loin de cette foule bien trop dense à son goût. Il s'enfonçait dans l'encre de la nuit, bercé par le froissement de l'herbe fraîche sous ses semelles et le bruissement des branches valsant subtilement au gré de la brise nocturne. La lune était pleine et l'atmosphère bleutée lorsque le brun finit par s'asseoir sur le haut d'une bute, dos contre un arbre, visage caressé par ce mélange délicieux des sombres nuances de la nuit et des lueurs lointaines de l'estrade.
« C'est officiel, plus de cinq-cent-milles personnes sont présentes sur l'île de Wight pour ce festival. »
Loin de la foule s'amassant devant la scène où une voix anonyme venait de s'élever, le brun quitta de ses iris vitreuses le firmament nocturne pour la horde de festivaliers agglutinés devant l'estrade ayant été remise en ordre.
«Une des raisons de cette affluence est sur scène actuellement. Veuillez accueillir The Doors ! »
L'océan déchaîné qu'était la nuée dense de spectateurs semblait apaisée, les remous dissipés, les vagues éclatantes tues ; l'entrée impérieuse du chaman et des virtuoses magnifiant sa poésie avait imposé un retour au calme dans cette furie marine qui n'était dorénavant qu'une eau calme, aux apparences sommeillantes, mais à l'esprit pourtant à vif - le guitariste d'auparavant les ayant marqués au fer rouge - parée à l'entrée en scène du groupe de légende, et du poète de légende.
On l'appelait The Lizard King. Il s'apprêtait à passer l'intégralité du concert à envoûter le public de sa voix aux octaves d'un grave des plus obnubilants. Une nonchalance mêlée à un faramineux magnétisme transparaissait au travers de ce chanteur aux longs cheveux bruns et à la barbe proéminente qui, auparavant déambulait sur la scène qu'il avait fait sienne entre deux couplets, n'était dorénavant devenu qu'une statue de pierre. Un chef d'œuvre de la Grèce antique taillée dans le plus beau mais le plus massif des marbres. Les fêlures se faisaient de plus en plus visibles, prêtes à briser. Il paraissait toutefois impossible à détrôner, et semblait parti pour ne pas bouger d'un millimètre de tout le concert, se concentrant sur le micro glissé au creux de ses deux mains pour y souffler des mots empreints de sous entendus salaces ou de mysticisme.
Le groupe était baigné d'une lueur rougeâtre émanant du seul spot dont il disposait pour s'éclairer, accentuant l'intimité, la sensualité et le spiritualisme déjà présents dans leurs langoureuses mélodies.
De son côté, ne pouvant contempler quoi que ce soit tant il était loin, Sasuke se contenta d'écouter ce qu'il était capable de percevoir de sa place. De la mince peau de ses paupières, il voila ses globes oculaires où des veines écarlates venaient fendiller le blanc laiteux de son œil en raison de l'accablante fatigue qu'il ressentait, et reposa l'arrière de son crâne contre le tronc d'arbre derrière son dos. Un soupir s'évada de ses pâles lèvres, exprimant une lassitude, un dépit, un désespoir qui n'aurait pu être qu'éphémère si il avait pu voir cette nuit-là.
Voir l'homme qui était sur scène. Comprendre au travers sa gestuelle et de ses yeux clos qu'il était loin d'être seul dans son tourment. Le poète s'appuyait sur le pied de son micro comme pour se retenir de s'écrouler, une cigarette fumante glissée entre deux phalanges, et la silhouette affaissée.
Il était un monde où les deux artistes auraient pu se rencontrer, se jauger, se comprendre. Leurs iris vitreuses et leurs pupilles dilatées se seraient percutées, puis les mots seraient venus tout seuls. Un poème, un air de guitare, une discussion derrière un verre, un aveu entre deux cigarettes, tant d'opportunités auraient pu s'offrir à eux pour les tirer de leur solitude.
Mais le destin en avait décidé autrement, et jamais les deux hommes ne s'adressèrent ne serait-ce le moindre mot.
L'herbe tendre de la nuit courant sous les doigts du Uchiha était fraîche, ce qui le tira de sa rêverie, étant jusqu'ici totalement envoûté par la mélopée des Doors. Tirant une cigarette minutieusement disposée dans un paquet qu'il conservait précieusement sur lui, le brun tenta d'allumer le bâtonnet de tabac de son briquet préhistorique, le musicien se demandait même si le petit objet n'avait pas assisté à la domestication du feu - si encore il n'en était pas à la cause - des centaines de millions d'années auparavant tant il était vieux, mais en vain. Grognant en constatant que de simples étincelles, bien trop insuffisantes pour embraser quoi que ce soit, tentaient de s'échapper du briquet, le fumeur dut se rendre à l'évidence : le briquet avait définitivement rendu l'âme. S'apprêtant à jeter l'objet dans un élan rageur loin de lui, le brun fut stoppé avant qu'il n'esquisse le moindre mouvement par une flamme qui jaillit soudainement à quelques centimètres de son visage. Surpris, il eut un mouvement de recul, et put percevoir avec un peu plus de netteté l'origine de la mèche de feu ayant surgit de nul part, découvrant ainsi un visage qui, étrangement, ne lui était pas entièrement méconnu. Ses traits baignés par la lueur orangée du briquet qu'il tenait d'une main, le nouvel arrivant fixa le brun avec un sourire déconcertant sur les lèvres ainsi qu'une lueur bien trop vive dans l'azur envoutant de ses iris au creux desquelles lotissaient des pupilles dilatées par on ne saurait dire quelle substance. C'est ainsi que Sasuke réussi à mettre un nom sur les traits égayés de celui étant venu perturber son instant de tranquillité : Naruto.
- T'as plus de feu ? s'enquit le jeune homme d'une voix éraillée, sans lâcher ne serait-ce une seule seconde le virtuose du regard.
Il se rassit convenablement contre le tronc en acceptant la flamme qu'on lui tendait, approchant avec tout de même une certaine méfiance son visage claire de la source de chaleur, et inspira une bouffée de tabac alors que l'extrémité de sa cigarette rougissait sous le contact incandescent de feu. Recrachant une exhalaison grisâtre, le brun remercia le blond d'un hochement de tête, quand bien même ce dernier s'était installé à ses côtés sans demander son reste, ce qui agaça le taciturne habitué à savourer un instant de solitude après chaque montée sur scène - surtout lorsqu'elle s'achevait de cette façon.
- Encore toi.. finit par simplement souffler le Uchiha.
- T'exagères, ça fait plus d'un an qu'on s'est pas vus ! répliqua instantanément le blond ce qui fit hausser un sourcil au brun, surpris de constater que le chanteur se souvenait de leur dernière et unique rencontre, mais cessa de se questionner quand le blond poursuivit d'un ton railleur : Je compterais presque les jours sans toi, tu sais.
La remarque fit rouler des yeux au guitariste qui redirigea son attention vers le bâtonnet bicolore entre ses doigts.
- J'ai plus de clopes, bouda l'Uzumaki en tâtonnant les poches de son pantalon, avant de jeter un regard entendu au guitariste.
- Désolé c'était ma dernière, mentit le brun en tapotant le bâtonnet de son index afin de laisser la cendre consumée rejoindre les mégots jonchant d'ores et déjà le sol.
D'un sourire amusé, le nouvel arrivant au teint hâlé se rapprocha subtilement de lui, faisant en sorte que leurs épaules entrent en contact, afin de lui susurrer au creux de l'oreille dans un souffle tiède :
- Sasuke joue pas à ça avec moi, tu peux bien m'en filer une, non ?
Ignorant la demande de l'impertinent, l'interpellé se contenta de donner un léger coup d'épaule au blond pour le repousser.
- Alors, c'était pas ton jour ou quoi ? ne put s'empêcher de déclarer le chanteur en faisant référence à la trop brève prestation de l'artiste, à moitié taquin, à moitié sincèrement intrigué par ce qui avait pu traverser les pensées du Uchiha.
Le brun haussa simplement des épaules dans un froissement de tissu, même lui ne savait pas. Tout ce dont il se souvenait, c'était en avoir eu marre et, n'étant guère enclin à supporter ce qu'il ne lui plaisait pas, il avait ainsi quitté la scène. C'est tout. Un caprice de star diraient certains. Du moins cette explication restait plausible lorsque l'on se voilait la face, sans chercher à comprendre ce qui peut emmener un musicien à abandonner son public. Un silence s'immisça entre les deux artistes, seulement bercé par la mélodie hypnotique de The End ayant démarré en fond.
- Tu voudrais même pas me filer une taffe ? insista à nouveau le blondinet, ce qui commençait à sérieusement taper sur les nerfs du brun.
Lâchant un simple bougonnement en guise de réponse, Sasuke se concentra sur le bâtonnet bicolore qu'il tenait pincé entre son index et son majeur en contemplant les obnubilantes courbes formées par ses exhalaisons, puis reprit une nouvelle bouffée de tabac. La fumée vint caresser la chair humide de sa langue ainsi que les parois de son palais avec la plus grande des voluptés, avant de venir s'infiltrer au cœur de sa gorge consumée par l'innombrable quantité de tabac qu'il avait inhalé tout au long de son existence. Il laissa l'émanation destructrice voyager dans les tréfonds de sa trachée, effleurer l'entrée de ses poumons, puis la laissa remonter jusque dans sa bouche, pour finir par légèrement entrouvrir ses pâles lèvres afin d'expirer une volute grisâtre s'évaporant progressivement dans l'atmosphère. Toutefois, avant que la fumée ne se dissipe entièrement dans l'air déjà bien chargée en nicotine et toutes autres substances, le blond rapprocha son visage du musicien qui - sans pour autant reculer cette fois-ci - le dévisagea d'un mauvais œil, et inspira les quelques résidus de cette brume toxique continuant de voleter autour du brun. De ses iris d'un azur bien plus brut encore que celui des cieux, le jeune homme au teint hâlé quémanda une nouvelle dose et patienta alors, toujours figé à proximité du Uchiha. Ce dernier comprit le message, et, bien qu'hésitant, il finit par placer à nouveau la cigarette entre ses fines lèvres afin d'inhaler une nouvelle bouffée de tabac qu'il recracha avec langueur, faisant en sorte que la fumée stagne un certain moment entre leurs deux visages. Subtilement, le chanteur s'avança d'avantage vers la provenance de cette exhalaison et entrouvrit lui aussi sa bouche afin d'accueillir la brume toxique dans son corps, en prêtant une minutieuse attention aux quelques minuscules centimètres le séparant de l'homme au teint translucide. Se délectant de l'incompréhension que semblait ressentir le virtuose face à cette proximité, le jeune homme finit par lascivement effleurer du bout des lèvres celles du brun qui n'esquissa pas le moindre mouvement, ses traits emprunts de son éternel stoïcisme.
Une fraction de secondes durant, le Uchiha se sentit presque faillir alors que cet homme qu'il venait tout juste de rencontrer brisait toute pudeur, toute barrière de cette carapace qu'il se bâtissait pourtant au quotidien. La rencontre des chairs s'acheva à l'instant où le chanteur décida de cesser de poursuivre ce qu'il avait entamé, et se rassit alors dos contre le tronc du vieux chêne dans la plus grande des nonchalances, la commissure de ses lèvres tordues en un sourire jubilateur, laissant par la même occasion Sasuke dans une incompréhension totale. Ce dernier, après un instant de flottement durant lequel il fixa un point dans le vide, cligna brièvement des paupières afin de quitter le flou dans lequel ses pupilles ébènes se perdaient pour retrouver une vision claire et écrasa avec hargne sa cigarette sur l'herbe tendre - quand bien cette dernière était loin d'être consommée dans son entièreté. S'apprêtant à se lever pour s'éloigner au plus vite de cet endroit afin d'oublier ce qu'il venait de se dérouler, le virtuose fut stoppé dans son élan lorsqu'il perçu une sorte de cliquetis à sa droite. Il dirigea alors ses pupilles ébènes vers cette direction pour y découvrir le blond en train d'allumer un bâtonnet de tabac - prouvant qu'il lui avait mentit auparavant dans la plus grande des narquoiseries - tandis qu'une mine amusée avait élue domicile sur son visage doré. Quel emmerdeur, siffla le brun entre ses dents.
- Sasuke ?
Une douce voix féminine attira son attention et l'interpellé découvrit Sakura qui marchait vers lui d'un pas souple, ses pieds nus effleurant l'herbe fraîche avec une certaine hésitation en raison de la silhouette postée aux côtés de son bien aimé, et qu'elle ne reconnut pas directement. Dirigeant à son tour ses iris brut vers la nouvelle arrivante, le blondinet adressa un salut poli à la rosée qui le lui rendit, mais, intérieurement, ne put s'empêcher de rire doucement en comprenant que le brun avait été sur le point de succomber à ses charmes quand bien même il semblait encore avoir quelqu'un dans sa vie.
- Je m'inquiétais, je te trouvais pas, ça fait longtemps que je te cherch.. sa phrase s'essouffla progressivement, comme si elle se perdait dans ses réflexions alors qu'elle sondait le blond du regard et reprit : Naruto ?
Sasuke dirigea ses iris de givre - qui s'assombrissaient à vue d'œil - vers l'interpellé, mais, avant qu'il n'eut le temps de dire quoi que ce soit, la jeune femme poursuivit avec exaltation :
- Ca fait super longtemps ! Et je t'ai vu chanter tout à l'heure avec ton groupe, vous êtes toujours aussi incroyables !
Le chanteur remercia chaleureusement la belle, mais le brun ne vit dans ses paroles qu'une immense hypocrisie alors que le blond semblait voiler son véritable comportement, dont il avait eu un avant goût auparavant, derrière le masque de son sourire immaculé et de ses beaux mots. Se redressant sur ses deux pieds, le brun entraîna la jeune femme par le poignet loin du blond qui lui tapait suffisamment sur les nerfs, mais Sakura - ayant sans le moindre doute inhalé quelques substances douteuses - ne le remarqua guère, quand bien même elle demeurait une des seules personnes au monde à pouvoir comprendre les sentiments traversant le Uchiha à la moindre expression faciale.
Le Uchiha jeta un dernier coup d'œil à l'étrange énergumène toujours assis par terre, et ce dernier lui lança un clin d'œil alors que le saphir de ses iris scintillait même dans la pénombre nocturne, en sifflant un dernier :
- On se reverra Sasuke.
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Ce concert est littéralement ce que Sasuke est censé entendre en fond pendant ce chapitre :
https://youtu.be/J2pOoqDzEh8
allez checker les musiques que je mets dans le premier chapitre <3
bisous
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