21 juillet 1969
« Planet Earth is blue, and there's nothing I can do »
De multiples sons flottaient dans l'atmosphère lors de cette moite nuit de juillet, venant alors effleurer les tympans du jeune homme qui somnolait le plus paisiblement du monde sur le vieux canapé au tissu rêche arborant un rouge défraîchi - un velours râpeux ayant perdu sa douceur depuis bien trop longtemps - et qui ornait son modeste appartement. Une main glissée à l'arrière de son crâne et l'autre reposant sur son estomac, le musicien se laisser bercer par la mélopée de la ville mêlée aux murmures de la nuit qui était tombée voilà plusieurs heures déjà. Des éclats de voix provenant du bar au pied de l'immeuble réussirent à atteindre le troisième étage où se situait l'appartement ainsi qu'à s'infiltrer au travers des moustiquaires de fortune - trouées pour la plupart - tirant par conséquent le brun de ses songes en raison de l'indiscret volume sonore avec lequel les fêtards s'esclaffaient. Se mêlant aux rires ponctuant le demi-sommeil du musicien, des voitures passaient régulièrement sous les fenêtres, avec une telle rapidité qu'on pouvait se questionner sur l'état d'ébriété des chauffeurs tandis que, de temps à autre, une sirène entêtante de police hurlait au loin, si cela ne se déroulait pas dans une rue adjacente. Toutefois, l'ensemble de ces sons ne constituaient en réalité qu'un arrière plan résonnant bien plus mélodieusement que le grésillement du vieux poste de télévision étant branché sur la chaîne d'information nationale et qui prédominait, voir masquait tout autre son, bien que le volume de l'électroménager de fortune n'était guère élevé.
Ayant quitté ses draps quelques heures auparavant afin de terminer sa nuit sur le piteux divan en raison de la chaleur de ce mois d'été qui rendait l'air irrespirable et empêchait quiconque de trouver le sommeil, le virtuose avait ouvert en grand les deux fenêtres de la pièce principale - faisant office de salon comme de cuisine - laissant alors un subtil courant d'air venir effleurer la moiteur de sa peau. La caresse alizée était d'une exquise douceur et, en raison de la fine pellicule de sueur recouvrant le pâle épiderme de l'assoupi, elle paraissait alors d'autant plus salvatrice. Toutefois, bien que cette brise demeurait bien plus rafraîchissante que le piteux ventilateur qu'il avait trouvé dans la rue voilà quelques semaines auparavant et qui peinait à cracher le moindre souffle en raison de l'état délabré des hélices du petit objet, le jeune homme commençait à sérieusement songer qu'il ne pourrait trouver le sommeil en cette étouffante nuit de juillet. La causeuse n'aidant pas, elle n'était définitivement guère confortable et bien trop petite par rapport à son mètre quatre-vingt-deux, il se tournait et retournait dans tous les sens possibles sur les encombrants coussins du sofa, puis se stoppa net dans ses mouvements lorsqu'il sentit un souffle tiède effleurer son visage.
- Sasuke !
Plissant légèrement ses paupières demeurant closes jusqu'ici, l'interpellé n'eut besoin de distinguer quoi que ce soit pour comprendre qui venait de murmurer son nom - après tout, ils ne vivaient qu'à deux dans cet appartement - et lâcha un léger grognement un guise de réponse. Cependant, et ce même malgré la pénombre de la pièce qui n'était baignée que de la pâle lueur émanant de l'écran pixelisé, le brun perçut avec netteté les iris aquarelles de sa bien aimée où scintillait une lueur d'exaltation qui se miroitait dans l'éclat brut de sa rétine. En ouvrant un peu plus les yeux, il put distinguer avec une précision accrue les traits fins constituant le doux visage de la jeune femme, ainsi que le franc sourire ayant fleuri sur les lèvres rosées. Elle s'était accroupie au pied du canapé, à hauteur du visage de son amant, et laissait ses phalanges courir dans la chevelure ébène de ce dernier avec une tendresse infinie afin de le tirer définitivement de sa somnolence.
- Sasuke, poursuivit la jeune femme en chuchotant avec véhémence. Viens voir ! Regarde la télé, quelqu'un va atterrir sur la lune !
Le musicien se redressa, non sans lâcher un soupir, du divan sur lequel il somnolait auparavant afin de s'asseoir entre les quelques coussins pour observer le petit écran avec une attention plus ou moins aléatoire. Sakura, au contraire, s'était assise directement sur le vieux tapis de velours aux motifs insolites ornant le sol, son dos en appui contre la causeuse, et ne lâchait guère, ne serait-ce une seule seconde, les pixels colorés du regard, bien trop enjouée par ce qu'il se déroulait. Étant tout de même amusé de voir sa belle dans cet état, le brun entreprit de récupérer une cigarette, qui n'avait pas été consommée dans sa totalité, plantée dans un cendrier débordant de macules tabagiques. Fouillant de ses pupilles la table basse où y régnait un bordel sans nom, un mélange de tasses au fond desquelles restait un fond de café froid, de documents en tout genre - passant de papiers administratifs des plus assommants aux partitions rédigées par le virtuose d'une main de maître - et de nombreux livres que dévorait la rosée à longueur de journée, le musicien finit par trouver l'objet de sa quête et tendit le bras avec difficulté afin de récupérer le vieux briquet lotissant à l'autre bout de la surface boisée.
Une fois le bâtonnet empli de substance addictive embrasé, le brun expira une fumée grisâtre en soufflant son exhalaison le menton levé vers le plafond, afin d'éviter d'enfumer la jeune femme, et la volute alla s'évaporer dans l'atmosphère du lieu, au milieu de tous ces foutus moustiques virevoltant depuis un bon mois déjà dans la pièce. Ça sentait l'été, et la fragrance n'étant pas seulement olfactive, on pouvait la ressentir de toutes les manières qu'il soit. La clope, l'air chaud et humide, les bars pleins, les tapages nocturnes, l'amour, les étoiles éclatantes, les joints et ces abominables nuits étouffantes ; c'est en analysant la sensuelle danse qu'exécutait la fumée qu'il venait d'exhaler que le brun se laissa envoûter dans cette douce exaltation que seule la saison estivale transmettait. Sentant qu'on lui tapotait le genou avec empressement, le guitariste s'extirpa de sa rêverie pour rediriger ses iris de jais vers le petit écran et contempla alors avec une attention plus particulière qu'auparavant le phénomène se déroulant sous ses yeux et qui était retransmit dans le monde entier. L'image était incontestablement flou et de piteuse qualité, mais on réussissait à y discerner un astronaute vêtu de sa fameuse combinaison blanche qui descendait avec patience la petite échelle aux neuf barreaux. Chacun de ses gestes semblait calculé, réfléchi, prémédité, et, après avoir patienté quelques instants, l'homme de l'espace se jeta de ce dernier mètre de hauteur le séparant de son lieu de réception pour y atterrir dans un flottement.
Il était 2h56 du matin, et pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, un homme venait de poser un pied sur la lune.
Instantanément, des cris s'élevèrent en nombre dans les rues, impactant leurs échos sur les parois bétonnées des immeubles et s'infiltrant au travers des rideaux de fenêtres qu'on laissait entrouvertes - réveillant par la même occasions les bambins paisiblement endormis qui ne se souciaient pas le moins du monde de ce qu'il se tramait au dessus de leurs petites têtes somnolentes.
Et pour couronner la beauté de l'instant, un air de guitare commença à, peu à peu, émerger dans l'atmosphère de la pièce. D'une douceur infinie, l'instrument enchaînait deux simples accords mais ce rythme demeurait d'un tel planant, comme hors du temps, qu'il transportait ses auditeurs au delà même de la stratosphère. Les amants se sentirent comme happés par ces harmoniques enchanteresses, quand bien même la chanson ne venait qu'à peine de commencer, et se laissèrent alors envoûter dans les limbes de leurs songes célestes, croisant même un astronaute perdu à tout jamais dans l'immensité de l'espace. Les notes voltigeaient puis pleuvaient sur les tympans des deux âmes réunies devant leur petit écran qui partageait, à cet instant, cette image d'un être humain effleurant l'astre lunaire avec, comme plus beau des ornements, la voix de Major Tom soufflant les premières paroles de Space Oddity.
Attirés par les bruits extérieurs de plus en plus indiscrets, le couple gagna finalement la fenêtre béante pour s'y accouder à deux afin de laisser la fraîche brise de la nuit caresser leurs traits engourdis par la fatigue de l'heure tardive mais aussi pour contempler un des plus beaux spectacles que l'humanité avait à offrir. De tous les appartements voisins, qu'ils se situent dans le même immeuble que les deux êtres ou dans celui de l'autre côté de la route, une multitude de couche-tard s'étaient réunis sur leurs balcons respectifs pour se joindre à l'enthousiasme émanant de toute âme présente en ces lieux, à cet instant là.
Sur la terre ferme, quelques étages plus bas, l'entièreté des noctambules avaient quitté le bar dans lequel ils étaient occupés à faire la fête juste auparavant pour accaparer une grande partie du trottoir et de la route goudronnée. Ayant disposé des haut-parleurs ci et là sur le bitume afin de faire profiter à la totalité du secteur de leur exaltation, ce n'était plus seulement des vieux postes de télévision qu'émanait la chanson de Bowie, mais de chaque enceinte ayant été câblée à la va vite par deux-trois fêtards à la vue un peu trouble. Space Oddity résonnait à présent dans tout le quartier, et personne n'y trouva rien à redire. Les occupants du bar entamèrent des slows maladroits, bien que certains préféraient s'y mettre à trois ou quatre, offrant un spectacle des plus comiques - notamment lorsqu'ils tanguaient tous dans l'exact même rythme en raison des quelques grammes d'alcool dans le sang - tandis que, perchés du haut de leurs balcons, familles, amis, voisins profitaient tous ensemble du moment et du bonheur demeurant d'une telle présence qu'il en devenait palpable. Sakura ne put s'empêcher de sentir l'émeraude de ses iris s'embuer face à cette vue des plus touchantes, profondément émue en voyant tout ces inconnus se réunir sur le trottoir ou le balcon du voisin pour partager, le temps d'une chanson, la joie d'être réunis pour un évènement historique dont on parlerait encore durant des décennies. La nostalgie de pouvoir se dire « on était là ».
Sasuke aussi, bien qu'il demeurait bien moins émotionnel que sa bien-aimée autour de laquelle il avait, par la même occasion, enroulé ses bras tant la sensibilité dont elle faisait preuve l'attendrissait, ne pouvait qu'admettre le fait qu'il vivait, sans le moindre doute, un des instants les plus légers de son existence. Le menton reposant sur la chevelure rosée de son amante, le mélomane plongea son regard aux nuances nocturnes dans la noirceur du firmament où scintillaient les plus sublimes des parures célestes.
Malgré le halo lumineux qu'émettait la ville de San Francisco en raison des innombrables lampadaires ou commerces encore ouverts, créant alors une sorte d'aura jaunâtre, l'éclat brut de l'empyrée surpassait tout autre source de lueur de part sa suprématie obscure. Aucune pollution lumineuse n'arrivait à entacher cette véritable toile sur laquelle une infinie quantité d'encre épaisse avait été coulée, et où on avait sporadiquement dispersé des joyaux célestes.
Le 21 juillet 1969 fut d'une infinie douceur.
x
Je vais pas vous mentir, je suis très mitigée par ce chapitre. J'arrive plus trop à écrire en ce moment ; ce qui est frustrant car j'écris cette histoire depuis deux mois quasiment, j'en vois presque le bout mais j'ai une grosse baisse de motivation par rapport à l'écriture depuis peu. La plupart des futurs chapitres sont pourtant presque terminés, et les autres sont bien bien avancés, mais pouah rien que faire une relecture me demande un immense effort ptdrr.. Je voulais tenter de publier celui-là en espérant que ça me remette dans le bain :,)
Promis je terminerai cette histoire (c'est sûr à 3000% vu que les derniers chapitres sont mes préférés et les mieux rédigés, c'est juste au milieu que ça rame)
Allez j'espère que la lecture vous aura quand même plu, je vous promets rien pour la date de publication du prochain chapitre qui va être fort long (j'ai du le couper en deux partie) mais il arrivera, il arrivera
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro