— Bienvenue au Lake View Hotel. Je m'appelle Maisie. Que puis-je pour vous, Miss ?

Hum. Comment expliquer à cette jeune fille que je suis un fantôme en sursis qui cherche son ex, qu'il n'a aucune idée de qui je suis et que je n'ai qu'une semaine pour le faire tomber amoureux de moi sinon...

— Je voudrais une chambre, s'il vous plait.

Commençons par le début.

— Très bien, Miss. Il ne nous en reste qu'une seule. Vue sur le lac. Cela vous convient-il ?

— C'est parfait, merci.

— Nous allons attendre votre conjoint pour que je vous montre la chambre, si vous le voulez bien.

— Pas besoin, il n'y a que moi.

— Ah. Bien sûr. Je suis confuse, Miss... Veuillez pardonner ma maladresse.

— Ne vous inquiétez pas, la coupé-je. Je ne dois pas être la seule célibataire de l'hôtel quand même, si ?

Elle va forcément me parler de Raphaël et se faire un plaisir de jouer les entremetteuses. Ce soir, elle nous proposera un petit whisky sur la terrasse face au lac. Very romantic. Demain matin, je renverse mon chocolat chaud sur lui. Je l'accompagne à la douche et hop, problem solved. J'ai gagné mon billet de retour sur Terre.

— Je crois bien que si, dit-elle.

— Pardon ?

La réceptionniste a l'air terriblement gênée. Et mon pauvre cœur est sur le point de rendre l'âme. Again.

— Vous êtes notre seule cliente solo, Miss.

La déception doit se lire sur mon visage car Maisie s'empresse d'ajouter :

— Nous organisons une petite animation ce soir au bar de l'hôtel pour accueillir nos nouveaux arrivants. Vous êtes la bienvenue, bien entendu.

Ce n'est pas possible. Il doit y avoir une erreur. Pierrot avait pourtant dit...

— Est-ce qu'il y a un dénommé Raphaël, un Français, qui serait arrivé hier ou aujourd'hui ? demandé-je.

— Je n'ai pas le droit de divulguer l'identité de nos clients, Miss. Vous comprendrez.

Il s'est bien gardé de me donner tous les détails. Ce fils de... J'affiche un sourire démesuré pour ne pas perdre la face.

— On y va, Miss ? La vue de la chambre est magnifique, vous verrez.

À peine Maisie a-t-elle refermé la porte derrière elle, que je m'affale sur le lit. La couette, aussi moelleuse qu'un sticky toffee pudding, m'engloutit presque autant que les ténèbres qui m'appellent. Il me semble entendre Lucifer susurrer mon nom tellement ma mission me semble désormais impossible. Si Raphaël est dans cet hôtel, il n'est pas célibataire. Et s'il n'est pas là... Où est-il ?

Dépitée, je ressors de ma chambre pour aller noyer ma détresse au bar de l'hôtel. Je me laisse la soirée pour m'apitoyer sur mon sort et demain, à l'attaque. Même si je dois passer la ville entière au peigne fin, je te trouverai, Raphaël. Il le faut.

— Deux shots, s'il vous plaît.

Le barman semble attendre que je précise ma commande.

— Ce que vous avez de plus fort.

Quelque chose qui me fasse déconnecter. Tac. Tac. Bruit des verres sur le comptoir. Allez, deux de plus. Un feu s'allume en moi et je reprends déjà courage face à la montagne à gravir. Je sais que je peux le faire.

Un bref coup d'œil autour de moi me confirme les paroles de la réceptionniste. Il n'y a que des couples dans cet hôtel. Pierrot a quand même le sens de l'humour on dirait. Noir et à mes dépends, mais humour quand même.

Je me demande ce que l'hôtel a prévu comme animation. Un cocktail ? Un spectacle ? Un dernier verre et je déguerpis avant que ça ne commence. Je n'ai pas envie de m'afficher devant tous ces amoureux.

Les premières notes d'une chanson résonnent tout à coup dans le bar. C'est mon signal. Il est temps de remonter. Attendez, mais je connais cet air. Do do doop dum. Do do doop do doop da dum. Mariah Carey, Always be my Baby. J'adore cette chanson. L'enceinte grésille et le temps de réaliser ce qu'il se passe, un projecteur est braqué sur moi. Les mains devant les yeux, je vois tous les regards tournés vers moi, et les gens m'applaudir. Maisie dépose un micro dans ma main et m'indique l'écran qu'elle vient d'allumer.

Soirée karaoké. Ah, non, non. Non, merci. Je fais un signe de la main, mais Maisie me pousse vers le centre de la pièce. Quel traquenard. La musique repart au début, et l'alcool prend le contrôle de mon corps. Les gars, vous n'êtes pas prêts pour la prestation que je vais vous faire.

Alors que j'entame la première phrase de ma voix la plus suave, une silhouette arrive dans la pénombre. Je crois que je vais m'évanouir, ou bien me faire dessus, je ne sais pas. C'est Raphaël ! Je n'en crois pas mes yeux, mais il est bel et bien là. Seul en plus !

Donne tout ce que t'as ma belle, c'est le moment de l'éblouir. En plus les paroles collent parfaitement à notre histoire : « Nous ne faisions qu'un, et il me semblait que tu serais à moi pour toujours... et je sais dans mon cœur que notre amour ne mourra jamais ».

Raphaël s'assoit au bar, dos tourné. Ah ouais, tu veux la jouer comme ça ? Très bien, je vais mettre le paquet pour attirer ton attention. Je pousse la voix, j'ajoute des vibes, je me déhanche. Je ne me reconnais pas. Cependant, ça semble fonctionner car il se retourne pour me regarder. Mode Gilda on. Sans les gants ni la robe fourreau, mais j'avance de table en table, l'air de rien, me rapprochant de ma cible. Les gens sont dans l'ambiance, Raphaël sourit. Je me sens au top.

Et là, c'est le drame. Mon estomac se contracte. Combien de shots j'ai bu déjà ? Je respire un grand coup mais la nausée ne disparaît pas. Vite, il faut fuir. Je ne peux pas vomir en plein milieu de mon numéro. Et surtout pas face à Raphaël. D'ailleurs où est-il ? J'ai dû fermer les yeux deux secondes pour tenter de reprendre mes esprits. Il ne peut pas avoir disparu. Tant pis, de toutes façons si je ne m'éclipse pas immédiatement, je suis foutue. Trouver Maisie, rendre le micro, atteindre les toilettes à temps.

— Putain.

Fuck, fuck, fuck. Mais qu'est-ce qu'il foutait derrière moi avec sa bière pleine ? Raphaël à l'air furieux. J'ai à peine le temps d'admirer ses pectoraux moulés par sa chemise trempée, que mon estomac se contracte à nouveau. Pas le temps de s'excuser. Mieux vaut passer pour une malpolie que de repeindre ses chaussures en plus de sa chemise. Dans quel pétrin je me suis mise, mon Dieu ? Ça m'apprendra à noyer ma peine dans l'alcool.

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