Chapitre 5
Quel temps de merde. Il fallait qu'on me balance en pleine cambrousse anglaise sous l'averse la plus vicieuse que vous n'avez jamais vue. Sans parapluie, of course. Je ne sais même pas exactement où je me trouve. Ni à quelle distance se trouve le village de Keswick. Je suis certaine que Pierrot est en train de se taper une barre, là-haut. Il l'a fait exprès à tous les coups. Pourquoi m'épargner ? Déjà qu'il me fait la fleur de me donner une chance de récupérer ma vie. Je ne devrais même pas oser râler, n'est-ce pas ?
J'attrape ma valise. Les vaches aux premières loges du spectacle désolant que je dois offrir. Imperméables à ma mauvaise humeur, elles continuent de brouter tranquillement, comme s'il était normal pour elles de voir quelqu'un apparaître de nulle part.
Les champs s'alignent les uns après les autres, sertis de leurs murets en pierres grises. La pluie devient un peu moins drue, et je me prends à apprécier la balade, malgré le froid. Les pensées défilent comme les kilomètres. Je n'ai même pas eu le temps de dire au revoir. Vous pensez que Jeannette va me regretter ? Elle m'a probablement déjà remplacée par la nouvelle occupante de mon appartement. Quelqu'un qui mérite vraiment sa place au Paradis et qui ne se fera pas renvoyer comme une malpropre. Et MBG ? Je secoue la tête. À tous les coups, je l'ai imaginé. Et puis, il n'aurait jamais remplacé Raphaël.
Mon Amour, j'arrive. Bientôt, nous serons réunis. J'ai tellement hâte de revoir son visage, de sentir son odeur, de toucher sa peau. Une semaine. Une semaine pour changer mon destin. Est-ce seulement faisable ? Peut-il tomber amoureux de moi aussi facilement dans tous les univers ? Quelle question, évidemment. Nous sommes faits l'un pour l'autre. Une semaine. Pff. Donnez-moi une seconde, que nos yeux se croisent, et il sera à moi. Pour toujours.
Enfin, j'arrive à un arrêt de bus. Pile quand les dernières gouttes finissent de tomber. Trois stops jusqu'à ma destination. Prochain bus dans vingt minutes. Ça aurait pu être pire. J'attrape le premier t-shirt que je trouve dans la valise et tente de m'éponger le visage et les cheveux.
Vous n'imaginez pas mon degré d'impatience à l'idée de me retrouver en face de Raphaël dans quelques minutes. Ok, dans une heure, peut-être un peu plus, mais on s'en fout. Vous vous rendez compte ? Je vais le revoir ! Je suis de retour sur Terre ! Je suis vivante (pour l'instant). De l'air entre et sort de mes poumons. Du sang coule dans mes veines. On n'apprécie jamais à sa juste valeur le miracle de la vie avant d'être mort.
Le crissement des freins du bus me sort de mes pensées.
— Vous montez ?
Enfin, je pense que c'est ce que le chauffeur m'a demandé car je n'ai rien compris à son accent. Il me regarde comme si je venais d'atterrir d'une autre planète. Ce qui n'est pas si loin de la vérité, je vous l'accorde.
Je m'installe derrière une mamie qui a un peu trop abusé d'autobronzant et d'eau de parfum vanillée bon marché. À peine le bus a-t-il démarré qu'elle se retourne vers moi. Je sens que je vais regretter de ne pas m'être assise tout au fond, à côté du mec qui ronfle.
— Vous allez où ? me demande-t-elle en appuyant son bras sur le dossier de son siège.
— Keswick.
— Où ça ?
— Kes-wick, dis-je en parlant plus fort.
— Ah, vous voulez dire « Kezik » ?
Je hausse les yeux au ciel.
— Oui, sûrement.
— Vous êtes là pour les vacances ou le travail ?
Je vous trouve bien curieuse, madame. Un truc de vieux, faut croire. Ils n'ont que ça à faire après tout, discuter avec la moindre personne qui prendra le temps de leur accorder deux secondes d'attention. J'ai trente minutes à tuer, alors pourquoi pas divertir mon audience.
— Ni l'un, ni l'autre. Je viens récupérer mon ex. Enfin, c'est pas vraiment mon ex, mais bref. Je suis là pour retrouver l'homme de ma vie.
Elle semble si enthousiaste, qu'on dirait que je viens de lui annoncer qu'il allait pleuvoir des billets de banque. Enfin un sujet croustillant. Ça doit changer des gens qui lui disent qu'ils viennent randonner et s'émerveiller devant les seize lacs du Lake District.
— Ce ne devrait pas être difficile. Il faudrait qu'il soit aveugle pour vous dire non.
J'aime bien les petites mamies, finalement.
— C'est compliqué.
— Comment ça ?
— Il a... eu un accident de voiture. Il ne se souvient plus de moi.
La voilà qui se frotte les mains. Elle doit se croire en plein feuilleton télévisé.
— Incroyable ! Enfin, je veux dire, ma pauvre. C'est terrible.
— Oui, surtout qu'on devait se marier. Et maintenant, je repars de zéro.
— Il ressemble à quoi ?
— Il est parfait, soupiré-je. Mais surtout, il est attentionné, gentil. Et on peut compter sur lui.
— C'est bien beau tout ça, et tu as raison c'est important aussi, mais est-ce qu'il te fait rire ? Est-ce qu'il te pousse à te dépasser, à donner le meilleur de toi-même ? Et surtout, est-ce que c'est un bon coup ?
Le vieux monsieur assis deux rangs plus loin lui jette un regard désapprobateur. Nous pouffons de rire. Elle se rapproche de moi pour me faire une confidence.
— Quand j'étais jeune, je suis sortie avec un mec... Matthew, il s'appelait. Il était venu passer ses vacances chez sa tante. Un véritable dieu grec, et une bête au lit. On vivait chaque jour comme le dernier. On buvait, on dansait jusqu'au bout de la nuit. J'ai vécu le meilleur de tous les étés. Puis, la vie a repris son cours. On ne s'est jamais revus, mais je ne l'ai jamais oublié. C'est drôle, hein ?
Sa question n'appelle pas de réponse. Elle reste perdue dans ses souvenirs, sourire aux lèvres, comme s'il venait de passer devant elle en lui faisant un clin d'œil évocateur. Son visage s'illumine. Elle n'est plus cette mamie fripée qui discute avec une inconnue dans le bus, elle redevient cette jeune fille dévorée par la passion, le sang brûlant dans ses veines. C'est beau et c'est triste en même temps. Elle n'a pas fait sa vie avec cet homme, mais il l'a marquée pour toujours. Comme Raphaël m'a marquée. Et pour moi, il est encore temps de contrecarrer les plans de la vie. Et cette fois, je n'échouerai pas.
— Kezik, annonce le chauffeur.
— Bonne chance, ma belle, me dit ma voisine de bus. J'espère que tu retrouveras ton grand Amour.
Moi aussi. Moi aussi.
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