Chapitre 4
Cette histoire de Paradis ne s'annonce pas comme une promenade de santé. Ça m'apprendra à rendre service aux gens, à être polie, payer mes impôts à temps, ne pas stationner sur les places réservées aux handicapés. Si j'avais su, j'aurais vécu de manière un peu plus libérée. Enfin, je dis ça, mais j'imagine qu'on est quand même mieux ici qu'en Enfer. Quelle ingrate je fais, n'est-ce pas ? Vous devez penser que je ne mesure pas ma chance. Je sais bien que je devrais être en train de profiter, de m'amuser. Au lieu de ça, j'enchaîne les conneries et je m'accroche aux souvenirs de mes derniers jours sur Terre.
Vous pensez qu'il y a des psys au Paradis ? Des bénévoles peut-être ? Je demanderai à Jeannette, elle doit savoir ce genre de choses. Encore faut-il qu'elle accepte de m'adresser la parole à nouveau.
Armée d'un gâteau, je frappe à sa porte. Rien de mieux qu'un bon moelleux au chocolat pour amadouer quelqu'un. Pas de réponse. Hormis des bruits de pas sur le parquet grinçant.
— Jeannette. Je t'entends. Allez, ouvre. Je suis désolée.
Je sens qu'elle va me laisser sur le palier un bon moment. Ok, je l'ai peut-être mérité. Mais je ne compte pas passer la journée à essayer de me faire pardonner. Je dois mener l'enquête sur le mystérieux beau gosse. Je sens que c'est la seule chose qui m'empêchera de penser à Raphaël.
— Si tu n'ouvres pas, je vais chanter toute l'après-midi sur ton paillasson et tout l'immeuble va te détester. Ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ?
Bruit de verrou. J'ai gagné.
— Tu es une véritable plaie, dit-elle en ouvrant sa porte. Je ne sais pas ce que tu fais ici. Ils ont dû commettre une erreur sur ton dossier.
— Je te remercie, dis-je en lui tendant mon plat.
Une fois assise sur son canapé de designer, tasse de thé fumante en main, elle s'adresse à moi.
— Alors, tu es venue t'excuser de ton comportement abject d'hier soir ?
— C'est fort comme adjectif, tu ne trouves pas ?
Jeannette fronce les sourcils en reposant sa tasse sur la table basse en marbre rose. Bien entendu, il y a des sous-verres dorés pour ne pas l'abîmer.
— C'est que je suis encore nouvelle ici, dis-je. J'ai du mal à intégrer les codes de...
— Tu n'as surtout pas envie de t'intégrer, me coupe-t-elle. Tu dois penser que ta vie sur Terre était tellement géniale, que nous ne sommes que des voisins ringards...
— Pas du tout. C'est juste... que j'ai du mal à me faire à mon nouvel environnement. Je me sens assez perdue à vrai dire.
— Comment s'appelle-t-il ?
— Qui donc ?
— Celui à qui tu penses sans arrêt.
— C'est si évident ? dis-je en soupirant. Raphaël. On venait de se fiancer, et puis on a eu un accident de voiture. Une plaque de verglas, un pont et hop.
Jeannette fait la grimace.
— Qui conduisait ? me demande-t-elle.
— Raphaël.
— Et lui, qu'est-ce qu'il devient ?
— Il vient de se marier, dis-je en essuyant une larme sur ma joue.
Jeannette lève les yeux au ciel en soupirant.
— Il a refait sa vie en plus ? Ce n'était pas le bon pour toi, voilà tout.
— Je ne peux pas lui en vouloir. Il est encore jeune. À sa place, j'aurais probablement agi de la même manière.
— Vu ton état, j'en doute. Tu serais plutôt entrée au couvent.
Sa remarque me fait rire.
— Ah, voilà. C'est mieux comme ça. Un sourire, enfin !
— Tu as raison, à partir d'aujourd'hui, je vais essayer de reprendre ma vie en main. Enfin, tu vois ce que je veux dire.
— C'est la bonne décision. Et puis ce n'est pas comme si tu avais le choix.
— Comment ça ?
— Il y a quelques années, une jeune fille a occupé ton appartement. Disons qu'elle ne s'est pas acclimatée à la vie ici... et un matin, elle a disparu.
— Disparu ?
— Oui, on ne l'a jamais revue. Elle a été tout bonnement expulsée...
— Où ça ? Dans un autre quartier ?
Jeannette murmure :
— Non, elle a été envoyée... de l'Autre Côté.
— De l'Autre...
— Chuuuut, me coupe-t-elle.
Je hoche la tête en me demandant de quoi elle parle. Est-ce le nom qu'elle donne à l'Enfer ?
— Ils peuvent faire ça ? Je veux dire, renvoyer des gens ?
— Oh, ils ont tous les droits, tu sais !
Jeannette m'a tellement perturbée par sa révélation sur son ancienne voisine, que j'en ai oublié de la questionner sur MBG. Je ne pensais pas qu'on pouvait réellement se faire renvoyer. C'est fou cette histoire, non ? Vous y croyez, vous ? À mon avis, elle a dit ça pour me faire peur. Enfin, j'espère.
En attendant, il faut absolument que j'aille rendre mes livres. Sinon, je risque un nouveau blâme. Et qui sait ce qu'il adviendra de moi si cela devait arriver ? Je n'ai pas forcément envie de le découvrir. Vous, peut-être. J'imagine que cela serait très divertissant. Perso, je préfère essayer de me fondre dans la masse pour le moment. Le Paradis, ce n'est pas si mal finalement.
Je dépose mes romans dans le bac de retour, à côté d'un ouvrage intitulé : « Le Guide du bon jardinier ». Un nouveau hobby, voilà ce qu'il me faut. Ça m'éviterait de tourner en rond. Qu'est-ce que vous me conseillez ? Pas du tricot, évidemment. Cuisine ? Hum, pourquoi pas. Je n'étais pas trop mauvaise de mon vivant, mais pas un cordon bleu non plus. Œnologie ? Pas mal, mais ça risquerait de me créer des ennuis. Je me connais, je ne suis pas du genre à recracher. J'ai toujours considéré cela comme un véritable gâchis. Sport ? Même pas en rêve. Je n'ai jamais été de celles qui vont se tuer à la salle, et ce n'est certainement pas maintenant que je vais commencer.
Non, je ne suis pas difficile. On croirait entendre ma mère. Peut-être qu'il faut simplement que je m'en tienne à la lecture et au cinéma pour le moment. C'est déjà pas mal, me direz-vous. Va pour le rayon thriller alors.
Certains titres appellent ma main, puis souvent, la quatrième de couverture me dissuade. L'attirance pour un livre, c'est comme pour un mec. Parfois, ça ne s'explique pas. Il y a une sorte d'alchimie qui fait que c'est celui-là qu'on attrape à ce moment-là et pas un autre. Sa vue nous séduit. Sous les doigts, son papier nous fait frissonner. On s'imagine en sa compagnie, quel genre de soirée va-t-il nous offrir ? Et puis on le respire, et c'est l'amour fou.
No way. Serait-ce le mystérieux beau gosse, là-bas ? Le voilà, mon nouveau hobby.
Le pas plus léger qu'un félin près à sauter sur sa proie, je me dirige dans sa direction. Rayon Romances. Intéressant. Serait-il adepte d'histoires d'amour, ou passait-il par là pour m'observer ?
Personne. Ni dans le rayon d'avant, ni celui d'après. J'aurais juré l'avoir vu pourtant. Mon esprit me jouerait-il des tours ?
— Bonjour, Juliette, dit une voix derrière moi.
Je fais volte-face.
— Ah, dis-je, déçue. Encore toi.
— Je voulais m'excuser pour hier, dit Jérôme.
— Écoute, soupiré-je. On va arrêter ce cirque tout de suite.
— Pardon ?
— Il ne se passera jamais rien entre nous, Jérôme. Je ne sais même pas pourquoi tu t'obstines à me parler. On n'a rien en commun.
— Je... Oui, tu as raison. C'est juste que...
— Je suis désolée, le coupé-je. Je dois retrouver quelqu'un. Je te laisse.
À l'autre bout de la pièce, la porte de l'issue de secours se referme. Pas le temps d'apercevoir qui que ce soit. Mais je sais que c'est lui. MBG, j'en suis sûre. Je ne l'ai pas imaginé. Cependant, est-ce que poursuivre un bel inconnu dans un espace où je ne suis pas censée aller ne serait pas exactement le genre de chose qui m'attirerait des ennuis ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?
La tête dans l'entrebâillement de la porte, je tends l'oreille. Des bruits de pas résonnent dans la cage d'escalier. Un dernier regard derrière moi me confirme que Jérôme n'est plus là. Il n'y a personne d'autre d'ailleurs. Let's go. Bien entendu, je prends soin de laisser la porte légèrement ouverte derrière moi pour ne pas me retrouver coincée s'il fallait faire demi-tour. Pas bête la guêpe.
Où peut-il aller ? Pourquoi n'emprunte-t-il pas l'escalier principal pour redescendre ? Cette issue rejoint-elle un autre endroit ? Un genre de passage secret ? Je sens mon cœur battre plus fort. Déjà parce que je risque gros si on me trouve ici. Et aussi parce que je n'ai pas trop réfléchi à ce que je vais dire à MBG si je parviens à le rattraper.
Disons que dans ma tête, ça se passerait comme ça : en entendant des pas derrière lui, il se retournerait. Lorsqu'il m'apercevrait, un grand sourire s'afficherait sur son visage.
— Je me demandais si tu prendrais le risque de me suivre...
— Pour toi, je les prendrais tous...
Il s'approcherait de moi et chacun de ses pas ferait monter la température d'une dizaine de degrés. Je mordillerais ma lèvre inférieure et le regarderais me dévorer des yeux. Puis ce serait l'explosion. Nos corps l'un contre l'autre, nos langues entremêlées, mes doigts dans ses cheveux, ses mains... Bref, dans ma tête, pas besoin d'échanger plus que quelques mots.
Arrivée en bas des marches, toujours personne. Cœur qui soupire n'a pas ce qu'il désire, disait ma mère.
Oh, putain de merde, manquait plus que ça. C'est verrouillé. Tout ça pour ça. Je n'ai plus qu'à remonter. Un peu de cardio ne me fera pas de mal, hein ? Je vérifie quand même la porte du premier étage au passage, mais elle est fermée à clé elle aussi. Dix, neuf, huit, plus que trois marches et me revoilà sur le droit chemin. Mon cœur s'arrête soudain. Et ce n'est pas parce que MBG m'attend devant la porte. Elle est fermée ! Genre fermée pour de bon. J'ai beau la secouer, pas moyen de l'ouvrir. Et évidemment, il n'y a pas de fenêtre par laquelle m'échapper. Comment je vais sortir de là ? Attendre que quelqu'un passe par là pour me libérer ? Combien de temps avant qu'on s'aperçoive que j'ai disparu ?
Je ne vous l'ai jamais dit, mais je ne suis pas très à l'aise dans les espaces clos. Je reconnais qu'une cage d'escalier c'est déjà mieux qu'un ascenseur, mais rien que l'idée qu'il n'y ait pas d'ouverture sur l'extérieur me donne des sueurs froides. Mes mains sont moites, et mes oreilles bourdonnent. Reste calme. Tout va bien, tu es au Paradis. Il ne peut rien t'arriver. Je sens que je vais m'évanouir, il faut que je sorte d'ici coûte que coûte.
Quelle idée j'ai eue de me faufiler ici. Comme si je n'avais pas déjà assez de problèmes. Il faut que je suive la moindre idée à la con. Tout ça pour un mec qui n'existe peut-être que dans mon imagination. Je suis en train de perdre la boule, je le sens. J'ai la nausée et les murs se resserrent autour de moi. Il faut que je fasse quelque chose. Tirer la sonnette d'alarme incendie. Tant pis pour les conséquences.
Un bruit strident retentit dans tout le bâtiment. Les mains sur les oreilles, je me recroqueville assise sur une marche, au bord de l'évanouissement. Je n'arrive plus à respirer. Vite, que quelqu'un me sorte de là.
— Évidemment, Mademoiselle Duchêne. Qui d'autre ?
Mon compte est bon.
— Vous pouvez ouvrir les yeux. Vous êtes dehors, à l'air libre. Reprenez vos esprits.
Lentement j'ouvre un œil, puis l'autre. Les battements de mon cœur retrouvent un rythme plus ou moins normal, et ma respiration se calme peu à peu.
— Je suis désolée, je ne voulais pas...
— Enfreindre à nouveau le règlement ? me coupe-t-il.
Je baisse la tête.
— Je vous avais pourtant prévenue.
— Donnez-moi une dernière chance, s'il vous plaît. Je vous promets...
— C'est impossible. Comprenez bien que si tout le monde agissait de la même manière que vous, je passerais mes journées à jouer au baby-sitter. Ce n'est pas mon rôle.
— Vous allez me renvoyer ?
— En effet, vous ne pouvez plus rester au Paradis.
Oh non. Il va me transférer de l'Autre Côté, comme l'ancienne voisine.
— Cependant, nous avons une proposition à vous faire. Nous vous offrons la possibilité de retourner sur Terre.
Je le regarde avec des yeux ronds. J'ai dû mal entendre. C'est trop beau pour être vrai.
— Évidemment, il y a des conditions.
Nous y voilà. On n'a rien sans rien, même au Paradis.
— Nous pouvons vous renvoyer sur terre, sept jours exactement avant votre mort.
— Je peux revivre la dernière semaine de ma vie ? On parle bien de mes vacances en Angleterre avec Raphaël, n'est-ce pas ?
— Il sera là, en effet.
— Génial. Qu'est-ce que je dois faire du coup ? Essayer d'échapper à la mort ?
— Je vous en prie, il ne s'agit pas d'un thriller. Je vous donne une semaine pour retrouver le chemin de l'Amour Véritable. Si vous réussissez, vous pourrez continuer votre vie sur Terre. Ainsi, je n'aurais plus à m'occuper de votre cas.
— L'Amour Véritable ? Avec Raphaël à mes côtés, c'est mission accomplie, dis-je en souriant.
— Hum. Détail qui a son importance : il ne saura pas qui vous êtes.
— Pardon ? Qu'est-ce que vous voulez dire ?
— Dans cet univers alternatif, vous ne vous êtes jamais rencontrés. Il n'est jamais venu à la soirée chez votre amie Alix.
Clairement la mission se corse. Raphaël, un inconnu à séduire ?
— Ah. Et vous ne pouvez pas me renvoyer dans un univers où on est déjà ensemble ?
Pierre croise les bras. J'ai ma réponse.
— C'est court sept jours pour tomber amoureux, dis-je.
— Je ne vous ferai cette offre qu'une seule fois, c'est à prendre ou à laisser.
— Et si jamais je n'y arrive pas ? S'il ne retombe pas amoureux de moi ?
— Ne parlons pas de choses fâcheuses. J'ai confiance en vous. Vous saurez retrouver le chemin de l'Amour Véritable.
Qu'est-ce que je risque à tenter ma chance ?
— Alors, quel sera votre choix ?
S'il y a bien une chose que j'ai toujours été, c'est joueuse. Tous les étés, je me réjouissais d'aller au casino. Et ce n'était pas pour la vue mer. Mais voir la boule rouler sur les chiffres, sentir le suspense monter en misant ; les lignes tourner et les symboles s'aligner, les pièces jaillir de la machine ; ça me mettait particulièrement en joie. Alors ce n'est pas la mort qui va changer quoi que ce soit. Si j'ai le moindre espoir de récupérer ma vie et mon grand amour, je dois tenter le coup. Tant pis si ça ne fonctionne pas et que je finis on ne sait où.
— Je choisis de retourner sur terre.
— Vous en êtes sûre ?
— C'est mon dernier mot Saint Pierre.
___
Juliette va-t-elle réussir sa mission ?
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