Après ma dispute insensée avec Drew, je suis restée enfermée dans ma chambre tout le reste de la soirée, et de la nuit, m'excusant auprès des autres de ne pas partager leur dîner en prétextant ne pas me sentir très bien.

Ce matin, comme je l'avais promis à Sophia, je les ai accompagnés sur les pistes, ou plutôt au bas des pistes. Je me suis installée au salon du refuge, devant l'immense cheminée. Sans que ça ne m'étonne vraiment, j'ai appris que Jules connait le propriétaire du refuge, Bruno, un français tombé amoureux de nos montagnes, et qui s'est fait une joie de me proposer les meilleurs services. Je ne suis pas difficile alors sa tâche n'a pas été trop dure. Je lui ai juste demandé de pouvoir rester sur ce canapé, tranquillement en face de la cheminée, à lire mon livre avec une tasse de chocolat chaud. Durant toute la matinée, il s'est assuré que ma tasse soit toujours pleine et chaude, une attention que je trouve très gentille, mais il va finir par me dégoûter si j'en bois autant.

À l'heure du déjeuner, mes amis m'ont rejoint puis ils sont repartis tous ensemble juste après. Je n'ai pas adressé un mot ni un regard à Drew depuis hier soir. Nous avons dû voyager dans la même voiture, mais j'ai réussi à convaincre Sophia de monter avec moi. Elle a essayé de discuter avec Drew, mais il ne faisait que répondre par monosyllabes. Il ne lui a pas fallu longtemps pour arrêter d'essayer de le faire parler. De mon côté, je me suis assurée de rester naturelle et enjouée avec tout le monde, comme les jours précédents, comme je l'ai toujours été, plus ou moins. Lui montrer que je vis très bien sans ses interruptions charnelles est pour moi la meilleure façon de me venger pour ce qu'il m'a dit hier soir. Si je ne lui apporte rien, je veux lui montrer que lui non plus ne m'apporte rien. Même si ce n'est pas tout à fait vrai. J'ai adoré le temps que nous avons passé ensemble et j'ai adoré discuter et plaisanter avec lui, mais si cette dispute a révélé sa vraie nature, alors je ne regrette pas de ne plus avoir affaire à un type aussi blessant et susceptible.

—  Bonjour, dit une voix grave et douce à côté de moi.

Je sursaute, arrachée à mes pensées. Un homme au charmant sourire pointe le canapé où je suis assise.

—  Je peux me joindre à vous ? il demande en brandissant un livre dans sa main.

Je regarde le canapé, puis je le regarde lui.

— Oui, bien sûr.

Je lui adresse un petit sourire et retourne à ma lecture.

— Ça fait un moment que vous êtes là, il dit en ouvrant son livre mais je sens qu'il me regarde.

En levant les yeux vers lui, je vois que j'ai raison. Ses cheveux blonds sont coupés si court qu'ils dégagent pleinement la vue sur ses yeux bruns et chaleureux.

— Je vous ai déjà aperçu ce matin, il ajoute.

— Oh. Euh... oui.

Je ne sais pas quoi lui dire. Il a l'air gentil, même séduisant. Les paroles de Sophia me reviennent en tête. Il faut que je laisse les gens m'approcher. Je dois arrêter de repousser tout le monde à longueur de temps. J'inspire profondément et lui souris sincèrement.

— Vous étiez déjà là ce matin ? je demande pour avoir l'air de vouloir faire la conversation.

Il se détend d'après le mouvement lent de ses épaules et se laisse un peu aller vers le fond du canapé. Son charmant sourire atteint ses yeux.

— Oui, je suis ici avec des amis.

— Et ils vous ont aussi laissé seul pour aller faire du ski ? je demande dans l'espoir que le premier truc qui me passe par la tête pour lui faire la conversation soit un tant soit peu crédible.

Il fronce les sourcils puis je crois qu'il comprend que je parle de moi et rit.

— Non, c'est plutôt moi qui les ai abandonnés. Ils sont au bar, quelque part, à vider des bières.

— Et vous ne videz pas de bières vous ? je demande étonnée en pointant sa tasse de café du menton.

Il la regarde puis la dépose sur la table basse. Il n'a pas vraiment l'air du genre à passer son temps à vider des bières toute la journée dans un refuge de montagne, je dois l'admettre. Bien que je ne sois pas certaine qu'il y ait vraiment en genre qui le clame haut et fort. Mais cet homme, dans son pull gris au-dessus d'une chemise au col parfaitement repassé et portant un jean qui ne montre aucun pli, est loin d'être l'image du buveur de bière invétéré.

— Et bien... je les accompagnais, mais j'ai vu que vous étiez encore là, alors...

Il agite à nouveau son livre qu'il a refermé et m'adresse un sourire penaud.

— C'était juste une excuse pour venir me parler, je conclu.

Je devrais trouver ça nul comme approche, mais en fait je trouve ça plutôt mignon, et son petit sourire désolé me fait craquer. Voyant que je n'ai pas l'air de vouloir le fuir, il me tend la main.

— Ethan.

Je lui serre la main et lui répond.

— Tess.

— Enchanté.

J'ai l'impression de me retrouver soudain dans un de ces films romantiques et ridicules de noël. La fille seule avec son livre qui se fait aborder par le beau gosse en vacances. Après il va me dire tout un tas de trucs qui vont me faire battre le cœur un peu plus vite, je vais le trouver charmant, séduisant et sexy, et après un déjeuner et un dîner on va se retrouver dans sa chambre d'hôtel. Ouais, je regarde peut-être un peu trop ces films à l'eau de rose.

— Et donc, le café, c'est pourquoi ? Me faire croire que vous ne buvez pas de bière en pleine après-midi ?

Il fait une grimace puis montre ma tasse du menton.

— Je voulais pousser la ressemblance jusqu'au bout. C'est pathétique n'est-ce pas ?

J'éclate de rire. Je ne m'attendais pas à ça. Il se penche un peu plus vers moi de sorte à me faire face et pose son bras sur le dossier du canapé.

— Ne vous moquez pas, il se plaint en riant à son tour. Je suis lamentable pour approcher les femmes.

Je me mords la lèvre pour arrêter de rire.

— Non, c'était plutôt bien trouvé. Classique, mais bien trouvé quand même.

Une expression de fierté apparaît sur son visage.

— Je suis heureux d'avoir pu mettre un sourire sur votre visage. Surtout qu'il est magnifique.

Je lui adresse un regard entendu pour lui dire que ça suffit avec les phrases bateau du dragueur de base. Il se recule un peu et lève les mains.

— Je suis sincère. Vous aviez l'air morose ce matin.

Oh. Sans doute. Il ne doit pas avoir tort. Je n'arrête pas de penser à Drew depuis ce matin et à chaque fois je me pose des questions dont je ne trouve pas les réponses. Je ne sais pas pourquoi il s'est soudain énervé comme ça, ça n'a aucun sens.

— Oh non, il s'exclame en passant un doigt sous mon menton pour me relever la tête vers lui. Tant que je suis là vous n'avez pas le droit d'avoir de nouveau cet air morose sur ce beau visage.

Quel beau parleur celui-là ! Mais il faut avouer que ça fait du bien d'entendre de telles choses venant d'un homme aussi séduisant. Mes lèvres s'étirent à nouveau en un sourire de remerciement.

— C'est beaucoup mieux, il dit en retirant sa main.

— Hé ! Ethan ? Tu nous as lâchés ?

Il lève les yeux au ciel alors que je me tourne pour voir deux autres hommes s'approcher, chacun une bouteille de bière à la main. J'en déduis que ce sont ses amis qui sont supposés vider des bières au bar. Ça doit être l'équipe de secours de son plan. Ils viennent au bout de quelques minutes pour voir s'il a réussi à entamer la conversation et sinon il repart avec eux. Je me penche un peu vers Ethan et prend un air de confidence.

— Et ça c'est le plan de secours ? 

Il suit ses amis du regard.

— Non, juste deux emmerdeurs, il me répond entre ses dents. 

Je ris et il se tourne vers ses amis qui sont maintenant debout de l'autre côté de la table basse à nous fixer.

— André, Diego, voici Tess, il dit en tendant la main vers moi. Tess, je te présente André et Diego, mes amis... pour l'instant.

— Oh, les videurs de bières, je dis avec humour en serrant les mains qu'ils me tendent un après l'autre.

Ethan rit à côté de moi et fait signe à ses amis de s'assoir. Ils prennent chacun un fauteuil et les rapprochent pour pouvoir discuter plus facilement je suppose. André ressemble beaucoup à Ethan, blond, les yeux bruns, mais il semble plus petit et plus musclé. Quand à Diego, il est le portrait parfait de l'espagnol de base, sans la moustache. La peau mate, les cheveux foncés presque noirs, des yeux noisette et je crois que c'est le plus grand des trois. Je l'imagine bien avec une guitare autour d'un feu de bois sur la plage. 

— Le barman vous a renvoyé ? demande Ethan.

— Non, on te cherchait pour nous payer la prochaine tournée, répond Diego en brandissant sa bière pratiquement vide.

— Vous fêtez quelque chose ? je demande innocemment.

— Tout à fait ! me répond André. La promotion de notre cher ami ici présent.

Il pointe Ethan qui secoue doucement la tête en regardant au loin l'air de l'ignorer.

— Oh ! Félicitations. Vous travaillez dans quoi ?

Il m'adresse un sourire ravissant pour me remercier.

— Dans la publicité, il me répond en se levant. Je peux vous offrir quelque chose ?

— Et bien c'est la fête, alors une bière ça m'ira.

Ce n'est pas vraiment une boisson de fête, plus une boisson de soirée détendue, mais je ne suis pas n'humeur à boire un cocktail et je ne vais certainement pas lui demander un verre de champagne.

— Je l'aime déjà, lance André en me pointant de sa bière.

Je sens mes joues chauffer alors j'essaye de prendre un air décontracté et souris. Ethan part vers le bar au fond de la salle et je me retrouve toute seule avec ses amis.

— Il ne vous a pas trop ennuyé avec son livre ? me demande Diego.

Je secoue la tête et attrape le livre qu'Ethan a laissé sur le canapé. Un ouvrage de psychologie sociale. Waouh ! Il ne s'est pas tout à fait moqué de moi !

— Ouais, il nous saoule avec tous ces trucs. Il n'a pas quitté ses livres depuis qu'on est arrivés, reprend André.

Je lève les yeux vers lui et fronce les sourcils. Il m'a dit qu'il n'avait ce livre que pour venir me faire la conversation.

— Ça a l'air intéressant, je réponds en lisant la quatrième de couverture sans vraiment tout comprendre.

— Oh non ! s'exclame André. Ne me dites pas qu'une belle femme comme vous se prend la tête avec des trucs comme ça !

Je ris et repose son livre et le mien à côté de moi. Ethan revient à ce moment et dépose deux bières sur la table basse avant de m'en tendre une et garde la dernière.

— Eh bien, à votre promotion, je dis en trinquant avec lui puis avec ses amis.

Nous continuons à discuter pendant un moment. Je ne vois pas le temps passer. J'essaye de leur poser plus de questions qu'ils ne m'en posent, mais il faut dire qu'ils sont trois contre une, ce n'est pas très équitable mais je tiens bon. Je fini par apprendre qu'ils ont décidé de venir une semaine ici pour fêter la promotion d'Ethan qui est devenu directeur du département marketing. Et comme des trois, il n'y a que Diego qui soit marié, et père de surcroît, ils ont décidé de faire ces vacances entre hommes. André et Diego ont l'air de s'amuser bien plus qu'Ethan qui d'après eux ne fait que lire et skier de temps à autres. Ils sont obligés de le traîner hors de sa chambre pour pouvoir sortir.

— Hormis le ski, tu es la seule à avoir réussi à lui faire lever le nez de ses livres, me confit André les sourcils levés.

Mes joues se colorent de rouge et Ethan se cache le visage avec ses mains.

— Vous n'avez pas quelqu'un d'autre à aller torturer ? il demande dans une plainte.

— Et qui va nous payer nos bières si on te laisse tranquille ? demande Diego en m'adressant un clin d'œil.

J'ai beau me demander toutes les deux minutes comment je me suis retrouvée à discuter avec trois hommes que je ne connais pas du tout, ils sont quand même marrants et m'ont fait oublier mes problèmes.

— Je vous donne ma carte bleue si vous me laissez tranquille, il propose.

J'éclate de rire face à son air totalement désespéré. André secoue la tête.

— Nan ! Sans le code on ne va pas aller loin.

— Comment vous fêtes pour encore pouvoir réfléchir avec les litres de bières que vous avez avalés ? s'étonne Ethan.

J'ai mal aux joues à force de rire de leurs joutes verbales. Ils ne s'arrêtent pas. Il n'y a pas eu cinq minutes sans que l'un d'entre eux ne lance une pique vers un autre.

— Tess ? On rentre, dit la voix grave et froide de Drew.

Mon humeur change instantanément. Je me tourne pour le voir debout derrière le canapé, le visage fermé, le regard furieux. Il ferait presque peur. Il était beaucoup plus détendu en revenant du ski hier. J'adresse un regard désolé à Ethan, André et Diego. Ils se lèvent en même temps que moi et Ethan me tend une carte qu'il vient de sortir de son portefeuille.

— Si jamais tu as envie d'une autre bière, il me dit avec un sourire.

Je prends sa carte et la glisse dans ma poche.

— Tess ? grogne Drew.

Je lui adresse un regard de tueuse puis souris à nouveau à Ethan.

— Je m'en souviendrais. À bientôt j'espère, je leur dis en faisant le tour du canapé pour me diriger vers la sortie.

Et je le pense vraiment. Ils sont sympas et drôles et j'ai passé un très bon moment avec eux. Ils me font un dernier signe de la main et je pars vers la porte. Drew marche derrière moi et pose une main au bas de mon dos. Ce geste m'énerve immédiatement et je prends son bras pour retirer sa main violemment. Il n'essaye pas de la remettre mais je crois entendre un grognement. Mais pour qui il se prend ? J'ai le droit de parler avec qui je veux et il n'a aucun droit de poser sa main sur moi. Surtout pas après ce qu'il m'a dit hier. Je retrouve mes amis dehors et quand mon regard croise celui d'Elise, son visage se transforme. Son sourire s'efface et ses yeux s'écarquillent. Qu'est-ce que j'ai ? Je lui souris mais me rend compte que ce n'est pas à cause de moi qu'elle fait cette tête mais quelque chose derrière moi. Alors je me retourne et vois le regard plus que furieux de Drew. J'en perds presque l'équilibre. Si ses yeux pouvaient être aussi efficaces que son arme, toutes les personnes autour de nous seraient mortes, moi y compris. J'accélère le pas pour m'approcher de Sophia qui passe un bras autour de mon cou, comme si elle n'avait pas vu le visage de Drew.