L'écho du passé
Sophia m'attend, les mains sur les hanches, à côté de la voiture. Ça va barder, je le sens. D'un geste autoritaire et le regarde sévère, elle m'indique la portière déjà ouverte et j'entre dans la voiture sans un mot, la tête baissée, comme une enfant qui vient de se faire gronder.
La voiture de Drew part en première et Elise la suit dans le silence étouffant de l'habitacle. L'angoisse commence à monter. Je me sens à la fois ridicule et énervée de me retrouver dans une telle situation. Une fois que nous somme sur la route, Sophia se tourne vers moi brusquement.
— Raconte, elle aboie.
Je la regarde avec un air innocent, faignant de ne pas comprendre.
— Oh, ne joue pas à ça Tess Malone, je te connais. Qu'est-ce que tu as fait ?
— Rien. Ce n'est rien. Rien d'important.
Je croise le regard intrigué d'Elise dans le rétroviseur, mais elle ne dit rien. Je la remercierais plus tard.
— Il y a visiblement quelque chose entre toi et Drew, mais tu n'as pas l'air de vouloir que ça arrive.
— C'est n'importe quoi, je grommelle en croisant les bras.
— Elise, tu sais où nous devons aller ? elle demande avec une idée derrière la tête.
— Non, je n'en ai pas la moindre idée.
Sophia grogne puis soupire.
— Tant pis.
Elle se tourne à nouveau vers moi et plonge son regard bleu de tempête dans le mien.
— Tess, elle reprend d'un air plus calme. Je ne sais pas grand-chose de ton passé, je sais que tu n'aimes pas en parler, mais je crois que ça te ferait du bien. Ton comportement n'est pas normal.
J'écarquille les yeux.
— Pas normal ? Mais de quoi tu parles ?
Son regard se tourne vers Elise, puis la route et revient à moi.
— Tu repousses toutes les personnes qui te montrent de l'affection.
Je secoue la tête.
— Non, c'est faux. Je ne te repousse pas toi.
— Et j'en suis très heureuse, crois-moi, mais je ne suis pas la seule à vouloir être ton amie, Tess.
Je lève un sourcil. Où veut-elle en venir ? De toute façon je n'ai pas besoin de plus d'amis. J'ai toujours étais seule, je n'ai jamais eu d'amis à proprement parler, pas comme Sophia en tout cas. C'est bien pour cela que j'ai pu partir aussi facilement après la mort de mon père. Le souvenir me serre encore le cœur alors je le repousse dans un coin sombre de mon esprit, là où je cache toutes les souffrances que je préfère ignorer. Je remonte mes lunettes sur mon nez, m'assurant qu'elle ne puisse pas voir les larmes qui me sont montées aux yeux au souvenir douloureux de mon père.
— Je vais bien, Sophia, je dis d'une voix assez basse pour ne pas laisser entendre les tremblements.
Sophia me regarde un moment en silence, les lèvres pincées, l'air inquiet.
— Drew a l'air de vraiment t'apprécier, Tess. Laisse-le faire.
Elle n'a visiblement pas parlé avec lui. Je lui plais peut-être, mais il a clairement dit qu'il ne veut rien commencer avec moi.
— Faire quoi ? je demande avec un rire ironique.
— Tu me remercieras, tu verras. Je t'ai fait confiance pour Jules, alors laisse-moi t'aider pour Drew.
— Mais m'aider à quoi ? Il ne veut rien avoir à faire avec moi.
Cette fois c'est elle qui rit.
— Je suis certaine que si.
Je fronce les sourcils, prête à lui répéter ce qu'il m'a dit dans la voiture mais je réalise que ça implique de lui expliquer aussi ce que moi j'ai dit et là ça coince. Je ne veux pas qu'elle sache que j'ai presque proposé à Drew d'entamer je ne sais quel genre de relation bancale.
— Ecoute, elle reprend en tendant la main pardessus le siège pour la poser sur les miennes. Au moins, ne le repousse pas, d'accord ?
Je soupire lourdement et tourne la tête vers la vitre. La voiture entre dans un parking à la suite de celle de Drew et Elise se gare un peu plus loin.
— S'il te plait, insiste Sophia.
Je croise son regard suppliant et me mord la lèvre. De toute façon il ne veut rien de moi, alors même si j'accepte ça ne changera rien.
— Très bien. Je ne le repousserais pas.
Puisque c'est lui qui va me repousser. Et j'ai compris que je ne devais pas essayer quelque chose alors il n'aura pas une autre occasion de me repousser. Et à la fin de la semaine, nous serons peut-être devenus amis, ou de bonnes connaissances, mais nous ne nous reverrons certainement plus. Il repartira là où il travaille, je ne sais même pas d'où il vient, et moi je retournerais à ma petite vie monotone.
Sophia sourit plus largement et se tourne pour sortir de la voiture. Je fais de même et suis Elise pour rejoindre les garçons qui nous attendent devant les escaliers d'un chalet illuminé par plusieurs réverbères, composé de grandes vitres qui ouvrent la salle sur le décore montagneux qui l'entoure. En réalisant que les réverbères sont allumés, je me rends compte qu'il fait presque nuit. Je devrais peut-être retirer mes lunettes.
— Bon retour dans notre monde, me taquine Jules comme je bas des cils pour m'habituer à la faible lumière du jour qui décline.
Je lui adresse une grimace de sourire et il rit en me serrant contre lui avec un bras. Comme nous entrons dans le restaurant, une jeune fille vient nous accueillir, un tablier à carreaux rouge et blanc autour de la taille sur son jean clair et son t-shirt blanc. Elle ne doit pas avoir plus de dix-sept ou dix-huit ans et quand son regard se pose sur Jules puis sur Drew, ses joues commencent à rosir.
— Vous... euh... Vous êtes six ? elle demande en bégayant.
— Et un chien, ajoute Jules en pointant Boomer du doigt.
Elle sourit timidement et hoche la tête avant de nous faire signe de la suivre. Il n'y a presque personne pour l'instant dans le restaurant, nous nous retrouvons donc pratiquement seuls dans la grande salle plutôt rustique aux tables nappée de carreaux rouges et blancs comme son tablier. Elle nous propose une table alignée le long d'une grande vitre et je m'installe en face pour admirer le paysage. C'est magnifique. D'où nous sommes, la vue donne sur le flanc de la montagne, avec ses arbres et ses sapins, qui passent du vert au blanc à mesure que l'altitude augmente et l'orange et le rose se mêlent dans le ciel sous le soleil couchant pour laisser des pointes de couleurs qui se reflètent sur la neige.
— J'aimerais dire que c'est grâce à moi que tu as ce regard émerveillé, mais je crois que pour une fois je n'y suis pour rien, dit Jules avec humour.
Je baisse les yeux pour le voir assit en face de moi, de dos au spectacle extraordinaire qu'offre le coucher de soleil. Il rit comme mon visage change pour lui adresser un sourire.
— Désolée d'ébranler ton égo, je rétorque.
Il balaye ma remarque du revers de la main.
— Sophia t'a déjà surpassée sur ce point.
Il se penche vers elle pour l'embrasser sur le front.
— Il devait être vraiment énorme à la base pour qu'il soit encore aussi encombrant, elle rétorque avec un coup de coude.
— J'aurais bien aimé te connaitre à cette époque, intervient Stuart. Juste pour te coller une nouvelle branlé au poker.
— Je n'étais pas en forme ce jour-là, il se défend en pointant un doigt vers lui.
J'éclate de rire en me souvenant de cette soirée. Nous étions chez Jules pour une partie de poker. Stuart est très doué à ce jeu et il a raflé tout l'argent mis en jeu. Jules a presque boudé après avoir perdu contre Stuart, et ce n'était il y a que trois mois. Alors je n'imagine pas sa réaction dans la même situation il y a quelques années. D'après sa propre confession, il est revenu sur terre quand Sophia a obstinément refusé toutes ses avances. Il a compris qu'il fallait se battre un peu plus pour certaines choses, que son argent ne pouvait pas lui permettre d'avoir tout ce qu'il désirait. Sophia n'était pas du tout impressionnée par le faste qui l'entoure et il a dû devenir plus humble pour pouvoir la conquérir.
— Drew l'a connu avec un égo plus impressionnant que ça, non ? intervient Elise.
Sophia se tourne vers lui comme il est assis à côté d'elle et attend avec curiosité qu'il réponde.
— Pas vraiment, il répond en secouant légèrement la tête. Je crois qu'il s'est lâché quand on a quitté le lycée.
Je ris et tourne mon regard vers Jules.
— Il faut dire qu'il n'était pas dans les plus populaires au lycée, ajoute Sophia.
Je fronce les sourcils, intriguée. J'ai toujours imaginé que Jules était le beau gosse du lycée, celui avec qui toutes les filles voulaient sortir. Et en voyant Drew, on peut imaginer qu'ils étaient tous les deux, bien entourés.
— Jules ? Pas populaire ? s'étonne Elise. Ça j'en doute.
— Il était dans l'or...
Sophia est coupée par la main de Jules qui vient de s'abattre sur sa bouche. J'éclate de rire alors qu'elle essaye de continuer à parler.
— Oh! Oui, je vois de quoi tu parles, intervient Drew avec un regard de conspirateur.
— Drew, grogne Jules d'une voix menaçante.
Mais il n'en a rien à faire. Il se penche légèrement en avant et lui adresse l'expression la plus amusé qu'il ait arboré depuis ces quelques jours.
— Tu fais référence à sa carrière dans l'orchestre du lycée ?
La question s'adresse à Sophia mais il regarde Jules droit dans les yeux pour le défier de le faire taire. Sophia se retrouve collée contre le torse de Jules qui maintient toujours une main sur sa bouche alors qu'il pointe un doigt menaçant vers Drew.
— Je te préviens, si tu dis un mot de plus, tout ce que je ferais ne sera que de la légitime défense.
— Et qu'est-ce qu'il jouait comme instrument ? je demande entre deux fou-rire, au bord des larmes.
Jules m'envoi sa serviette mais je la rattrape avant qu'elle ne me vole dans le figure. Drew prend son temps pour faire durer le suspense, lançant un regard de défi à Jules.
— Je te pays une nouvelle voiture ? il propose pour le faire taire.
Drew prend à peine deux secondes pour y réfléchir.
— Nan !
— Drew, il le menace de nouveau, mais il a l'air de trop s'amuser pour y prêter attention.
Sophia commence à s'agiter, je ne sais pas si elle essaye de se débattre ou si elle est morte de rire.
— Jules jouait du triangle, me répond Drew avec une grimace ridicule.
Cette fois je ne tiens plus, je pleure littéralement de rire alors que Jules se cache le visage derrière ses mains. Sophia, tout aussi hilare que nous, essaye d'embrasser sa joue, mais ne fait que rire dans mon oreille.
— Je t'aime quand même, elle lui dit sans pouvoir se retenir.
Il retire ses mains de son visage, feignant d'être vexé, mais je vois à son regard qu'il est tout aussi amusé que nous.
— Rappelez-moi de ne plus jamais vous inviter, il dit en nous pointant tous du doigt.
— Eh bien pour une fois que je n'y suis pour rien, s'offusque Stuart avant d'éclater à nouveau de rire.
Jules lui adresse un regard noir puis interpelle la serveuse pour le demander un verre de whisky.
— Et toi alors ? demande Sophia à Drew. Tu n'étais pas dans l'orchestre avec lui ?
J'essuie les larmes qui débordent de mes yeux à force de rire et tourne toute mon attention vers lui. Il secoue fièrement la tête.
— Bien sûr que si, tu y étais ! s'exclame Jules.
Drew lève une main pour protester.
— Je ne faisais que donner un coup de main, il affirme.
— En venant à presque toutes les répétitions ? ajoute Jules un sourcil levé.
J'ai du mal à retenir les fou-rires qui menacent et je me mords la lèvre.
— Justement ! Je n'étais pas toujours là. Et moi je jouais de la guitare électrique, il ajoute à notre intention avec un regard entendu.
Et en plus il est musicien ? Mais franchement, qu'est-ce qui cloche chez lui pour qu'il soit célibataire ? À moins que ce soit lui qui ne veuille pas de relation en fin de compte ? Je l'imagine très bien, le regard mystérieux, légèrement penché sur sa guitare, à jouer une balade rock en chantant doucement de sa voix grave...
— Tu en fais toujours ? je demande pour ne pas me laisser emporter par mes pensées.
— Quand j'ai le temps.
— C'est bon, fais pas ton modeste maintenant, intervient Jules avant de se tourner vers moi. C'était un tueur. Il jouait comme un pro.
— Tu ne t'en sortais pas mal non plus avec ton triangle, rétorque Drew.
Et les fou-rires reprennent. J'en ai mal aux côtes. La serveuse nous apporte nos plats et pendant tout le diner, la conversation revient invariablement vers Jules et son triangle. Stuart finit même par lui suggérer d'en jouer pour son mariage, ce qui déclenche un autre fou-rire collectif et un jet de petit poids de la part de Jules.
Les heures passent et la nuit est déjà bien installée quand nous sortons finalement du restaurant. L'air s'est rafraichit, mes joues se glacent instantanément dès que je me retrouve dehors.
— Je peux récupérer ma copilote ? demande Drew à Sophia alors que nous descendons les marches pour rejoindre le parking.
Je fais mine de ne pas avoir entendu et les attends en bas des escaliers avec Jules et Stuart. Je vois Sophia sourire largement à Drew et hocher la tête, puis elle m'adresse un regard entendu. Je lui grimace un sourire et essaye de me préparer à cette conversation que Drew a mentionnée tout à l'heure. Je ne sais pas ce qu'il a l'intention de me dire et j'espère vraiment qu'il a oublié. Mais j'en doute. Il vient à côté de moi et passe un bras autour de mes épaules. Je me fige un instant et ferme les yeux pour me détendre.
— On se retrouve au chalet, dit Jules alors que les autres partent vers la seconde voiture.
Drew hoche la tête puis se penche vers moi alors que nous retrouvons sa voiture de l'autre côté du parking.
— Cette fois tu ne peux pas m'échapper, il murmure à mon oreille.
Je me fige et le regarde ouvrir le coffre en riant pour y faire monter Boomer. Il est trop tard pour traverser le parking en courant et monter avec les autres ? Au loin je vois Sophia qui nous observe avant d'entrer dans la voiture et je suis certaine qu'elle a vu mon regard désespéré, mais elle se contente d'un petit signe de la main et s'engouffre dans le véhicule.
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