26 - La Bibliothèque
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- LEUVIAH - L'ange de la gratitude et de mémoire.
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Tous regroupés autour de la table, nous suivons le doigt de Liam qui trace un chemin sinueux sur la carte. Il s'arrête sur un point isolé, perdu au milieu d'une forêt dense.
— C'est ici, déclare-t-il d'un ton assuré.
Elise fronce des sourcils.
— Il n'y a rien là-bas... Tu es sûr que c'est bien cette zone ?
— J'en suis certain.
Je détaille la carte : pas de village, pas de route, juste des arbres à perte de vue.
— Le chemin a l'air long, fait remarquer Ambre.
— Qu'est-ce qu'on va y trouver ? demande Hadrien, intrigué.
— Une bibliothèque abandonnée.
— Une bibliothèque ? Au beau milieu de nulle part ?
Je n'étais pas la seule à trouver cela étrange. En regardant autour de moi, je vois le même doute se refléter sur les visages... sauf celui d'Elise. Elle fixe la carte, absorbée dans ses pensées.
— Combien de temps de marche faut-il pour y aller ? demandé-je.
Liam sourit.
— De marche ? répète-t-il, amusé. De vol, corrige-t-il.
Mon estomac se noue. Hayden comprend immédiatement ma réaction. Je ne peux pas me permettre d'exposer mes ailes.
— Vous avez tous passé votre cérémonie de passage, non ? demande Liam en scrutant les filles.
Elles acquiescent.
— Donc pas besoin de vous forcer la main pour déployer vos ailes.
Je m'apprête à parler, mais Hayden me devance.
— Il me semble que... Marie n'a pas encore découvert ses ailes.
Je croise son regard et le remercie d'un discret coup de tête.
— Oh, pas de souci alors, tranche Liam. On déclenchera sa transformation sur place...
Mon cœur rate un battement. Hayden et moi échangeons un regard paniqué. Comment éviter ça ?
— Et si on formait une équipe au sol ? propose soudainement Hadrien.
Il regarde d'abord vers moi, puis vers son frère avant de poursuivre :
— Si Hailey est blessée et incapable d'utiliser ses ailes, il vaut mieux couvrir le terrain aussi bien au sol que dans les airs.
Aurait-il compris ?
— C'est plutôt bien pensé, approuve Liam. D'accord, Marie restera au sol. Pas besoin de te faire saigner pour forcer une transformation.
— Ça me va, accepté-je aussitôt.
Hayden intervient immédiatement.
— Je viens avec elle. Si elle tombe sur des démons, elle aura besoin d'un ange de combat pour la protéger.
Liam opine, puis balaye le groupe du regard.
— Un autre combattant serait utile au sol...
— Je ne suis pas faite pour le combat, mais je suis soigneuse, précise Ambre. J'ai découvert mon don en effaçant une cicatrice sur mon ventre, simplement en la touchant.
— Moi, je suis architecte, ajoute Elise.
— Une architecte ? répète Liam, surpris. C'est rare... et incroyablement utile. Ton don nous évitera de nous perdre, peu importe où nous allons. Chaque paysage, chaque route et même les variations de température s'enregistrent automatiquement en toi. En d'autres termes, un architecte est un plan vivant.
C'est impressionnant, presque fascinant... mais aussi terrifiant. Si Élise maîtrise réellement un tel don, alors elle peut autant nous guider que nous égarer.
Hadrien croise les bras.
— J'ai quelque chose à rappeler : je suis un déplumé. Je n'ai plus une seule plume depuis l'invasion des démons. Je viendrai avec eux.
Il nous relance un regard insistant. Hayden, moi... Comme s'il essayait de confirmer quelque chose.
— Très bien, tranche finalement Liam. Les groupes sont formés : vous trois au sol, tandis que...
Il désigne Elise et Ambre du doigt.
— ... vous viendrez avec moi.
— Je pense qu'une architecte serait plus utile au sol, intervient Elise.
Liam réfléchit un instant.
— Alors, au lieu de nous séparer, on va tous marcher ensemble. Je survolerai la zone pour repérer la route et d'éventuels dangers. À pied, je dirais qu'on mettra au moins une journée, voire plus si on est ralentis.
Plusieurs têtes acquiescent.
— Très bien. Elise, prends la carte avec toi, tu nous guideras au sol.
— C'est noté, répond-elle en pliant la carte.
— Quand partons-nous ? demandé-je.
— Demain, à l'aube.
— Non, tout de suite ! s'emporte Hadrien. Hailey ne peut pas attendre !
— Il a raison, appuie Hayden.
Liam prend quelques secondes pour réfléchir, puis hoche la tête.
— D'accord. Ambre et Elise, préparez de quoi soigner. Hayden et Hadrien, rassemblez des armes. Marie et moi nous occuperons des provisions.
Tout le monde s'active aussitôt.
Alors que Hayden s'apprête à franchir en dernier la porte de la bibliothèque, il fait demi-tour et s'approche dangereusement de Liam.
— Protège-la, et ne fais pas de gaffe avec elle, prévient-il en posant un doigt sur son torse.
Liam hausse un sourcil, amusé.
— Ne t'en fais pas. Je sais bien que c'est ta copine.
Le rouge monte immédiatement aux joues de Hayden, et je sens mes propres joues chauffer.
— On n'est pas... commence-t-il en me lançant un regard incertain.
— On n'est pas ensemble, affirmé-je, gênée.
— Ah bon ? Pourtant, vous rougissez tous les deux...
— Je ne rougis pas ! rétorque Hayden avant de tourner les talons.
Je l'observe s'éloigner.
— Ne t'en fais pas, je garderai votre relation secrète, glisse Liam avec un sourire en coin.
— Il n'y a rien à garder, insisté-je, mais il s'éloigne déjà.
— Tu viens ? lance-t-il en me voyant hésiter.
Aucun homme auparavant ne m'a fait cet effet. Je secoue la tête pour chasser mes pensées et le rejoins.
***
En entrant dans le réfectoire, nous apercevons quelques anges qui prennent encore leur petit-déjeuner. Je me demande où ils trouvent toute leur nourriture. Je n'ai pas vu de poules ici, et Hayden m'a bien dit que les seuls êtres vivants en dehors de nous sont les démons.
Mais en me posant cette question, j'en trouve moi-même la réponse. Comme pour ma chambre, où nous avions découvert des vêtements, il doit y avoir des provisions déjà stockées dans les réfrigérateurs. Ce monde est donc bien le reflet du mien.
Nous arrivons derrière les cuisines. Un immense entrepôt s'étend devant nous, rempli de réfrigérateurs et de congélateurs qui longent les murs. Au centre, de gigantesques étagères sont disposées, débordant de pots de conserve, de paquets de riz, de pâtes, de biscuits et de bien d'autres aliments. Tout au fond de l'entrepôt, des bacs de légumes frais sont soigneusement rangés, exactement comme sur le marché où j'allais avec maman le jeudi matin.
Cette pensée me serre le cœur. Tous mes souvenirs d'enfance sont faux.
— Attrape des sacs. Ils sont tout en bas des étagères, là-bas, dit-il en les désignant du doigt. Prends-en cinq, un pour chacun de nous.
— D'accord.
Je me dirige vers le centre des étagères et m'accroupis. Il n'y a qu'un seul type de sac : des sacs de randonnée. J'en attrape cinq, suffisamment grands et de couleurs différentes pour que chacun puisse reconnaître le sien. C'est la première fois que je vois des vêtements ou des accessoires colorés dans ce monde. J'en choisis un rose pâle. Celui-là sera pour moi.
Les sacs sont lourds, alors je décide d'en enfiler un sur mon dos, d'en porter un sur chaque épaule et de tenir les deux derniers dans mes mains.
— Les voilà.
— Prends uniquement des aliments qui se mangent sans cuisson, m'indique-t-il en commençant à trier des conserves.
Je comprends immédiatement. Avec les démons qui rôdent, nous n'aurons certainement pas le temps d'organiser un barbecue.
Je pose les sacs au sol et commence à rassembler de la nourriture.
J'avais repéré des fruits près des bacs de légumes et me dirige de ce côté-là.
Des bananes. Ma mère me disait toujours que ça donnait des forces, surtout après un effort physique.
Je me rends compte que je pense encore à elle. Comment une créature soi-disant maléfique a-t-elle pu être aussi gentille et m'élever avec autant d'amour ?
Je secoue la tête et reprends mes esprits.
Ce n'est pas le moment de pleurer, me dis-je.
Ensuite, je me dirige vers les biscuits et attrape deux paquets de ceux qui sont pur beurre, mes préférés.
Je vais poser le tout près des sacs à dos et saisis un pack de six bouteilles d'eau d'un litre et demi qui sont rangées juste à côté que je dépose également au centre.
Je regarde ce que j'ai rassemblé et me demande si c'est suffisant. Je n'ai jamais fait de randonnée, ni même participé à une sortie scolaire. Ma mère n'a jamais voulu. Alors, je n'ai aucune idée de ce qu'il faut emporter.
Je souffle.
J'en ai marre, pleuré-je en attrapant ma tête entre mes mains avant de m'accroupir.
Des larmes silencieuses mais douloureuses s'échappent de mes yeux, et je n'arrive pas à les arrêter. Comment vais-je faire pour vivre sans aucun repère ? Qui suis-je, au fond ?
Un bruit de pas me fait sursauter. Vite, j'essuie mes joues et affiche un sourire de façade en direction de Liam.
Il ne remarque ni mes joues humides ni mes yeux rougis qui peinent à contenir mes pleurs. Sans un mot, il s'accroupit près de moi et pose ce qu'il avait dans les mains, sans même lever les yeux vers mon visage.
Il dépose plusieurs conserves de nourriture, des plats qui n'ont besoin que d'être réchauffés, comme des raviolis au bœuf et des salades déjà préparées, probablement de la macédoine. Il en a ramené une bonne quantité, assez pour tenir trois jours.
C'est à cet instant que je réalise mon erreur. Je n'ai pas réfléchi correctement. Je n'ai pas compté le trajet retour... et j'ai oublié de prendre en compte Hailey.
— Tu n'as ramené que ça ? demande-t-il en plissant les yeux.
— Je... J'allais en rapporter davantage, mais je n'avais plus de place dans mes mains, je lui ment.
Je me détourne rapidement et retourne vers les bacs à fruits. C'est alors que j'entends sa voix derrière moi :
— Est-ce que tout va bien ? demande-t-il après un silence.
Je me fige.
— Oui, très bien, je ment de nouveau.
Il me scrute, comme s'il lisait en moi.
— Je vois bien que ce n'est pas vrai...
Il m'a percée à jour. Mon faux sourire se fane peu à peu jusqu'à disparaître complètement.
— Ce n'est rien, lui avoué-je à voix basse. N'en parle pas à Hayden ni aux autres.
— Je ne lui cache rien.
— Je ne veux pas qu'il le sache.
— Pourquoi ?
Je cherche une excuse.
— Je suis juste triste qu'Hailey ait disparu.
Il m'observe attentivement.
— Ce que tu ignores, c'est que je suis un expert en détection de mensonges.
Mon cœur se serre.
— C'est la vérité, lorsque je te dis que je suis triste pour Hailey.
— Je ne dis pas que c'est un mensonge... mais je pense que tu caches autre chose.
Si Hayden lui fait confiance et qu'il lui est aussi loyal, peut-être devrais-je lui dire la vérité...
— Je suis juste dépassée par les événements, finis-je par avouer.
Ce n'est pas un mensonge. Je n'ai simplement pas approfondi ma pensée.
Liam me fixe un instant, puis abandonne, retournant trier les provisions avant de les ranger dans les sacs à dos.
De mon côté, je reprends ma tâche et vais chercher des bananes, une dizaine de plus. Je n'ai plus la tête à compter. J'attrape aussi quelques paquets de biscuits et retourne vers Liam. Cet entrepôt est si grand que mes allers-retours ressemblent presque à une promenade... Une promenade un peu froide, à vrai dire, à cause de tous ces réfrigérateurs.
— Tiens, dis-je en lui tendant ce que j'ai ramené.
— Super. Toi, tu as pris le sucré, et moi, le salé. On fait une bonne équipe, sans même se concerter avant. Tu ne trouves pas ? dit-il en souriant.
— Oui, c'est vrai, confirmé-je en lui rendant son sourire.
Il essaie de me remonter le moral. Hayden a de la chance de l'avoir comme ami. Même s'ils ne connaissent pas ce mot, ils doivent forcément le ressentir au fond d'eux.
— Ça fait longtemps que vous vous connaissez, Hayden et toi ?
Il continue de remplir les sacs avec les bouteilles d'eau. Je réalise qu'il n'y en a pas assez pour plusieurs jours. Je vais chercher un autre pack de six, rangé juste à côté.
— Oui, depuis quelques années. Il m'a sauvé la vie.
— Comment ça s'est passé ? demandé-je, curieuse.
— J'étais entré dans une maison à la recherche de nourriture. C'est là que j'ai entendu des grognements. Quand je suis allé voir d'où venait tout ce raffut, je l'ai vu... Hayden était en train de se battre avec un démon. Il le frappait à coups de lampe de chevet... sûrement la seule arme qu'il avait sous la main.
Il termine de ranger les bouteilles.
— Lorsqu'il a réussi à tuer le monstre en lui écrasant le crâne, il a immédiatement tourné les yeux vers moi. Mais il ne me regardait pas... il fixait quelque chose derrière moi.
Un frisson me parcourt le corps tout entier.
— Oh non... soufflé-je.
— Il a levé un doigt devant ses lèvres pour me faire signe de ne pas faire de bruit. C'est à ce moment-là que j'ai senti une odeur nauséabonde. J'ai compris ce qu'il observait derrière moi... J'étais tétanisé. Je ne pouvais ni bouger, ni respirer.
— Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? demandé-je, suspendue à ses mots, lui tendant la dernière bouteille d'eau manquante.
Il a lancé ce qu'il tenait dans ses mains sur le monstre, puis a couru vers moi. Le démon a été attiré par le bruit de la lampe en tombant et en se brisant. Hayden a eu juste le temps d'attraper ma main et de me tirer en avant avant que nous ne nous mettions à courir vers l'extérieur. Il a refermé la porte derrière nous, espérant ainsi faire perdre du temps à la créature pour qu'elle cherche une autre sortie.
Liam pouffe de rire.
— Qu'est-ce qui te fait rire ? demandé-je, intriguée.
— C'est à ce moment-là que j'ai vu Hailey pour la première fois.
Je souris en entendant son prénom et l'écoute attentivement.
— Il m'a ramené dans sa cachette, où se trouvaient sa petite sœur et son petit frère. C'était une maison barricadée et bien protégée. Les fenêtres étaient recouvertes de planches clouées, et à l'extérieur, des tables empilées formaient un mur improvisé. Il avait même ajouté des draps par-dessus pour ne laisser aucun interstice par lequel un démon aurait pu passer. À l'époque, je n'avais que dix-huit ans.
— Comment avez-vous fait pour vous retrouver ici ?
Liam hésite un instant, puis reprend :
— Presque deux ans plus tard, Hayden a commencé à avoir des nuits agitées. Lors de l'un de ses réveils, c'était comme si une force invisible l'attirait vers cet endroit. Sans hésitation, il nous a demandé de préparer nos affaires immédiatement, et nous l'avons suivi jusqu'ici.
Un éclair passe devant mes yeux illuminant une ampoule dans mon esprit.
Aurait-il eu les mêmes symptômes que moi ?
Je cherche à en savoir plus.
— Il avait des sueurs nocturnes ? Des douleurs au réveil ? vérifié-je, le cœur battant.
Il me regarde, stupéfait.
— Comment tu sais ça ?
Liam se redresse brusquement, et je vois dans son regard quelque chose d'inquiétant. Un soupçon. Une méfiance soudaine.
— Serais-tu... de la même espèce qu'eux ?
Je fronce les sourcils.
— Eux ? De qui parles-tu ?
— Personne n'est au courant de ça, à part son frère et sa sœur... et moi. Je doute que l'un d'eux t'ait révélé quoi que ce soit.
Il s'avance vers moi, et une étrange pression s'abat sur mon corps. Son aura m'écrase.
— Je... bredouillé-je.
— Parle. Tout de suite ! exige-t-il d'une voix dure.
Son ton est sans appel. Il est passé d'un ange compréhensif à une menace silencieuse.
— Je le sais... parce que je l'ai vécu aussi.
Il s'arrête net, et la pression retombe légèrement. Je respire mieux.
— Tu dis la vérité. Je le vois dans tes yeux.
Son visage se détend, et il s'excuse pour sa réaction. Mais quelque chose me tracasse. Il a dit "de la même espèce qu'eux"... Parlait-il des créatures malveillantes ? Les mêmes qui ont partagé ma vie et dont Olivia a si peur ?
— De qui parles-tu en disant "la même espèce qu'eux" ?
Il évite mon regard, prend un sac à dos et le met sur son dos.
— Liam, réponds-moi.
— Je ne peux pas t'en dire plus. Oublie ce que j'ai dit.
Oublier ? Comment peut-il me demander ça ?
Furieuse, je lui arrache le sac des mains. Il tombe lourdement au sol, son contenu – des provisions – s'entrechoquant dans un bruit sourd.
— Donne-le-moi, je vais le porter, dit-il en tendant la main vers le sac.
— Non. D'abord, dis-moi à qui tu fais référence. Tu parles des anges noirs... ceux qui n'en sont pas vraiment ?
Liam me scrute de nouveau, cette fois avec suspicion.
— Tu sembles en savoir beaucoup... et je trouve ça louche.
— Tu peux me faire confiance, lui assuré-je.
Il me jauge un instant, comme s'il sondait mon âme.
— Je sais lire le mensonge et la vérité dans les yeux... mais avec eux, c'est différent. Ils ressemblent à des anges, mais il y a quelque chose d'obscur en eux. Aucun livre ne parle d'eux. Je pense qu'ils ont été victimes d'une malédiction... mais ce n'est qu'une hypothèse.
Une malédiction ?
Cela voudrait dire qu'il est possible de sauver ma famille... ?
— Comment peut-on lever cette malédiction ? demandé-je, déterminée.
Liam inspire profondément, puis lâche :
— Il faut retrouver un livre... Un livre perdu.
Mon cœur rate un battement.
Le livre.
Je l'ai vu. Dans cette grotte. Lors d'une de mes visions.
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