29 - Ne pas mourir
– Nous ne sommes pas aussi nombreux que je l'aurais espéré, conclut Théoden. Toutes les vies que nous avons perdu en chemin depuis Edoras nous font à présent défaut. Est-ce là une ironie du destin ?
– Je ne le pense pas, Roi Théoden, intervient Aragorn avec calme. Vos décisions étaient bonnes mais la situation est... exceptionnelle, tant par sa durée que par sa gravité.
Théoden jette un regard à notre ex-rôdeur puis se reporte sur ses cartes.
J'adresse un regard appuyé à Aragorn, c'est le moment de lui dire, il ne peut pas laisser le Roi se berner sur notre présence à ses côtés.
– Nous allons partir sur le chemin des Morts.
Tout le monde se fige, moi y comprit.
Aragorn aurait-il perdu tout sens du tact ?
Balancer cette information comme ça ne lui ressemble pas...
Théoden se décroche de ses cartes pour fixer Aragorn comme s'il venait de blasphémer.
– Nous avons besoin de monde, vous le dîtes vous-même. Sur ce chemin nous trouverons l'aide attendue.
– Celle des morts ?
– Toutes lames qu'elle soit maniée par un vivant ou pas est bonne à prendre. Il y a au sein de la montagne une véritable armée qui dort.
Théoden cligne un instant des yeux comme s'il tentait de jauger l'état mental d'Aragorn puis il se contente de hocher la tête.
– Je suppose qu'il s'agit là d'une décision mûrement réfléchie et je crois en comprendre le sens même si je ne l'accepte qu'à contre cœur.
Aragorn va pour répondre quand Lordval s'appuie sur la table.
– Moi, je désapprouve car cela....
– Justement on vous demande pas votre avis, rétorqué-je sans pouvoir m'en empêcher. Vous devriez...
– Et vous, vous devriez attendre la fin de mes explications avant de vous emporter.
Je tique avant de m'empourprer mais Lordval me prend de vitesse.
– Je voulais juste dire que je crains que cela impacte les soldats qui risquent de voir ce départ comme une défection.
Lordval me fixe et je ne peux que croiser les bras.
Bon, sur ce coup-là, je suis d'accord.
– L'espoir des soldats ne tient déjà pas à grand-chose, ils ont besoin de croire en quelque chose, d'avoir un symbole.
– Je pensais vous laisser Équinoxe, Eomer, ajouté-je. Ainsi les soldats sauront que l'on est toujours avec vous.
– C'est une bonne idée, concède Lordval. Ce cheval est un symbole à lui tout seul, les soldats sauront que vous reviendrez le chercher.
– C'est un honneur, s'étonne Eomer. Mais cela va vous priver de votre monture, n'est-ce pas préjudiciable, Isil ?
Eomer est vraiment un homme bon, il est soucieux de tous et prend à cœur la situation de ses alliés.
– Non, je trouve même cela préférable, répondis-je. Ainsi je garderai une vision sur ce qui se passe de votre côté.
Tout le monde a l'air convaincu par cette décision mais alors Lordval sourit, ce qui ne présage rien de bon.
– Si vous arrêtiez de vous emporter dès que je vous parle cela serait quand même plus simple.
Je serre les poings avant de le fusiller du regard. Je tourne et retourne une phrase bien acide à lui jeter en pleine figure quand Théoden lève la main en signe de paix.
– Vous vous êtes maintes fois accroché par vos tempéraments respectifs mais il est grand temps de faire une trêve, pour le Rohan.
Je tourne mon regard vers Théoden qui a l'air très sérieux puis je fais la moue. J'évite soigneusement le regard d'Elrohir pour ne pas être influencé mais cela vient d'Aragorn qui en un regard me fait comprendre quel choix est le bon.
Du coup je n'ai plus vraiment le choix... Je décroise les bras puis je tends la main à Lordval.
– Pour le Rohan.
Lordval tique avant de se pencher pour me serrer la main.
Si les autres doivent y voir un beau symbole de paix, en vérité, il en est tout autre.
On se serre la main autant que possible tout en affichant un air impassible. Sans quitter des yeux Lordval, je tente de lui faire mal et visiblement il en fait de même.
Au soupire de Legolas, je suppose que les Elfes voient clairs dans ce faux acte d'apaisement.
On clôt notre lutte silencieuse sans parvenir à se départager.
– Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Me souffle Legolas alors que l'on sort de la tente.
– Bien sûr, répondis-je vexée. Je ne fais jamais rien qui n'en vaille la peine.
Legolas lève les yeux au ciel mais n'ajoute rien, ce qui me donne un léger goût de victoire.
– Comment va votre main ? Murmure alors Elrohir au creux de mon oreille.
– Il a plus de poigne que je ne l'aurais cru...
On échange un regard avant d'en rire. Lordval m'a fait mal à la main et j'espère en avoir fait tout autant.
C'est futile, je sais, mais j'aime à le croire.
*****
Malgré la nuit qui s'avance, j'aide à préparer les chevaux qui m'étonnent à nouveau. Malgré l'angoisse de foncer droit vers les Ténèbres, ils ne se déroberont pas. Ils sont fidèles au Rohan.
– Mon cœur est plus serein à savoir votre compagnie à nos côtés, me souffle un garde alors que j'aide à fixer les protections sur un cheval.
Mal à l'aise, je me contente de lui répondre d'un signe de tête. Visiblement la nouvelle de notre départ sur le chemin des Morts n'a été encore divulguée.
Je m'empresse de terminer d'équiper les chevaux puis je file vers le dernier feu. Le camp fourmille d'agitation mais malgré ça j'entends d'étranges murmures... Des murmures qui n'ont rien à faire ici. Les morts rodent.
Je ferme les yeux pour ne pas les voir, ce qui n'est pas la meilleure chose à faire quand on marche au travers d'un campement qui se démonte. Je me prends bêtement les pieds sur quelque chose posé à terre et je titube en avant.
On me rattrape par le bras tandis que je rouvre les yeux.
– Isil ? M'interroge Aragorn.
Il a le visage fermé, soucieux. Il me fait penser à Gandalf à cet instant. Il est certes moins vieux mais tout aussi écrasé par les responsabilités qu'on lui a récemment données.
– Vous allez bien, Isil ?
J'aimerais lui dire oui, que tout va bien, mais j'en suis incapable. J'entends toujours ces murmures lugubres que je ne sais faire taire. Lentement, je dégage mon bras de l'étreinte de notre ex-rôdeur puis je regarde mes amis qui me dévisagent. Ils ont tous l'air si grave, alors je mens.
– Je vais bien, juste un peu trop maladroite.
Aragorn me fixe un instant puis me sourit.
– Faites attention à vous.
– Tant que la route est droite, je devrais m'en sortir.
Aragorn a un léger rire sans joie puis s'en va. Je le suis des yeux quand Elrohir passe son bras sur mes épaules.
– Qui a t'il ?
Il est capable de percer mes mensonges, à présent...
– Je les entends... ils murmurent sans cesse. J'aimerais qu'ils se taisent.
Elrohir hoche la tête comme si ma requête était acceptable. C'est bête mais ça me détend, j'ai grand besoin de normalité.
– Je n'ai aucune envie d'aller sur ce chemin, avoué-je à mi-voix en jetant un regard aux autres qui sont trop loin pour nous entendre. Tout mon être me cri de ne pas y aller, mais comme toujours je fais le contraire...
Malgré moi, je souris mais je ne peux duper Elrohir, il voit ma peur.
– Ça va aller, murmure t'il en me serrant contre lui. Mon cœur aussi est effrayé par l'idée d'affronter ce qui se cache sous la montagne, mais ça va aller. Tant que nous serons ensemble tout y ira bien.
Je ne sais pas s'il parle de nous deux ou de tout le groupe mais ça me fait chaud au cœur. Comme mon feu qui couve mais en plus agréable, bien plus agréable...
J'enfouis ma tête dans son cou et j'inspire son odeur. On est là. Envers et contre tous, on est là. Ensemble et vivant... mais pour combien de temps ?
– Et si... si je n'en revenais pas ?
Elrohir tique puis se recule. Son air surprit m'emplit de culpabilité.
– Après tous ce que vous avez traversé, pourquoi penser tant à la mort ?
– Radagast... un magicien a fait une prophétie... sur moi.
– Isil, plus que n'importe qui vous êtes maître de votre destin. S'il y a bien une personne capable de changer l'issue d'une vision ou de prendre un autre chemin que celui dicté par le destin, c'est bien vous. Vous n'êtes que ce que vous avez à cœur d'être... Avez-vous envie de mourir ?
– Bien sûr que non !
– Alors vous ne mourrez pas.
Ça semble si logique, si « normal », que je ne sais plus quoi en penser. Est-ce si simple ?
Puis-je simplement décider de ce que je veux ou pas ?
J'en doute, mais le penser me fait du bien.
Soudain Elrohir me serre plus fort que nécessaire puis fixe un point derrière moi. Je me retourne pour voir Aragorn arriver. Son visage vaut tous les mots : Nous partons pour le chemin des morts.
Je me détache d'Elrohir pour courir au paddock.
Équinoxe est là, paré à partir en guerre. Une guerre qui mènera seul.
– On y va... Aide Eomer du mieux que tu le peux.
Équinoxe acquiesce avec un sérieux que je lui connais peu. Il me jure promesse même s'il n'aime pas que l'on soit séparé.
– Ça ne sera que temporaire, je te l'assure.
Équinoxe est surprit de ma soudaine confiance. Je le caresse avec douceur avant de coller mon front au sien.
– J'ai décidé de ne pas mourir.
Équinoxe est surprit et je me contente de lui sourire. Je caresse aussi Symbel qui est venu se frotter à mon dos. Ils me sont si précieux, des morceaux de moi que je laisse en arrière.
Je les caresse une dernière fois mais ce n'est pas un Adieu, je les reverrais vite. J'en suis certaine.
Je rejoins les autres alors qu'Aragorn tente une dernière fois de nous convaincre de ne pas le suivre dans sa folie. Est-on certain de vouloir venir avec lui ?
Bien sûr qu'on l'est !
- Je ne peux me résoudre à...
Aragorn n'a pas le temps de terminer sa phrase que Gimli se lève.
- Ignorez-vous tout de l'opiniâtreté des Nains ? Fait Legolas sur le ton de la conversation en tenant Hasufel par la bride.
Gimli se retourne alors pour défier Aragorn du regard.
– Il va falloir l'accepter. Nous venons avec vous, l'ami.
Aragorn a un sourire puis se met en selle, vite imité par Legolas et Gimli puis par les jumeaux.
Seule à terre je les regarde et ces liens d'amitié qui émanent de notre groupe me font chaud au cœur. Je m'approche alors d'Arod.
– Allons mourir ensemble.
Aragorn me sourit puis me tend la main pour m'aider à monter derrière lui. Je veux être en tête.
– Je comprends que vous ayez laissé Équinoxe à Eomer, fait alors Gimli en selle derrière Legolas. Mais pourquoi n'avoir pas pris Symbel ?
Je souris puis j'échange un regard entendu avec Elrohir.
– J'ai d'autre plan pour lui.
Fin du chapitre
Plus que jamais Isil doute.
Et si cette aventure était sa dernière ?
Les Ténèbres avancent, la mort plane et Isil se sent plus proche de la fin... De sa fin...
A t'elle raison de s'en faire ?
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