20 - Isolée
En y réfléchissant bien, je ne m'étais jamais retrouvé devant une armée en formation.
J'étais soit en train de fuir, soit abrité derrière des murs. Là, je fais face à découvert.
Et c'est terrifiant.
Le Troll continue son concert de grognements en nous ignorant complètement. Il se fiche de nous, nous ne sommes rien d'inquiétant à ses yeux. Rien de plus que des fourmis rampant au sol.
Soudain Théoden fait avancer son cheval de quelques pas. Tous nos regards se braquent sur lui mais le grand Troll ne lui accorde qu'un rapide coup d'œil par dessus son épaule. Il se moque de lui.
– Une charge pourrait être dangereuse face à ces Trolls, souffle Eomer entre ses dents.
– Nous n'avons pas d'autre choix, répond Lordval avec un étrange calme. Nous ne pouvons les prendre à revers ou de côté, il nous faut charger de face... et espérer que notre folie les prennent en surprise.
Comme c'est encourageant...
– Il se moque de nous, fait Théoden en tirant son épée. Regarde donc le Roi du Rohan et son peuple qui te tient tête, immonde créature !
L'immense Troll s'immobilise avant de se retourner lentement. Il dévisage un instant cet Homme qui s'adresse à lui sans crainte puis soudain il abat sa massue sur le sol.
Le choc se propage dans la terre jusqu'aux sabots des chevaux qui s'agitent. Je tente de les apaiser par mes pensées, le combat psychologique est déjà engagé. Un son guttural que je prends pour un rire s'échappe de l'immonde gueule du Troll alors que le cheval du Roi a reculé pour rejoindre les rangs. Il sait qu'il fait peur et il s'en amuse.
Équinoxe me rappelle qu'il fut un temps j'en faisais de même. Je lui tapote l'encolure, je sais mais ce n'est plus le cas. Équinoxe me répond que lui n'a pas peur.
Je souris, ça je le sais aussi.
– Gandalf ne nous a jamais autant fait défaut, reprend Eomer tendu. Lui et Gris-Poil auraient put faire face.
Équinoxe tique avant de tourner la tête vers le Rohirrim pour pousser un hennissement d'indignation.
– Il se demande pourquoi vous parler de Gris-Poil, expliqué-je face au regard surprit d'Eomer.
– Gris-Poil a séjourné dans nos écuries fut un temps. Je connais sa bravoure, rien ne le fait reculer.
Équinoxe s'agite et je m'empresse de le calmer. Ce n'est pas le moment de faire une crise de jalousie.
– J'aimerai également que Gandalf soit à nos côtés, souffle Aragorn. Un magicien n'est jamais de trop dans un combat, et cette fois il ne viendra pas nous porter assistance...
Les dernières paroles du magicien me reviennent en mémoire : cette fois nous sommes seuls pour nous sauver.
– Sans lui et la charge de Gris-Poil, nous n'aurions sans doute pas réussi à vaincre au gouffre de Helm, acquiesce Eomer.
Équinoxe se cabre légèrement, me balançant sa crinière et son indignation dans la figure. C'est aussi en partie grâce à lui.
– Arrêtes tes bêtises, soufflé-je en le faisant tourner sur lui-même pour le remettre en position. J'y était et je m'en rappelle, personne ne dit le contraire.
Équinoxe dénigre sans ménagement Gris-Poil et son amertume à son égard me surprend. Je ne m'attendais pas à cela de sa part, surtout pas maintenant. J'ignore les regards curieux ou interrogateurs qui pèsent sur nous et je tente de recentrer Équinoxe sur le combat qui nous attend.
– C'est vraiment pas le moment puis ça change quoi ? Vous êtes juste différents.
Équinoxe m'affirme qu'il est le plus puissant des deux. Je suis surprise de son agacement et je tente la voie de la diplomatie.
– Personne ne dit le contraire, on dit juste que la puissance de Gandalf nous serait bien utile ici...
Au lieu de s'apaiser, Équinoxe s'agace d'autant plus et me rétorque que moi aussi je suis puissante. Il piaffe de plus en plus agitant les autres chevaux et inquiétant les Hommes alentours.
C'est incroyable d'avoir une monture aussi dissidente, surtout dans un moment pareil !
– Bon, calmes toi ! Lancé-je en raccourcissant mes rênes. Tu arrêtes de te monter la tête et tu te concentre un peu.
Équinoxe henni mais je le talonne pour le remettre en place dans les rangs. Il piaffe et bouscule les autres chevaux ce qui me vaut des railleries. A croire que je ne sais pas tenir ma monture...
Équinoxe continue à ruminer et ses pensées se heurtent aux miennes, réveillant un mal de tête.
Il me balance que je suis aussi forte que Gandalf et lui bien plus que Gris-Poil.
– Mais c'est une idée fixe, soupiré-je en resserrant encore mes rênes. Qu'est-ce qui te prends tout à coup ?
– Isil, vous...
Soudain tous s'enchaîne un peu trop vite.
Je croise le regard inquiet d'Aragorn qui tend la main vers moi quand soudain Équinoxe baisse la tête m'arrachant les rênes des mains. Je n'ai même pas le temps d'être surprise que soudain ma monture bondit en avant.
Le temps que je comprenne ce qui se passe, on est déjà en train de charger, seul, l'armée ennemie.
– Mais tu fous quoi ? Hurlé-je en m'agrippant à l'encolure d'Équinoxe.
Il me répond qu'il veut montrer qu'on est aussi fort que Gandalf et Gris-Poil. Mon cerveau n'a pas le temps de traiter l'information que mon cœur rate un battement en comprenant la cible de cette charge suicidaire : l'immense Troll.
L'immonde créature semble un instant aussi surprit que moi puis charge à son tour.
Je suis sur un cheval fou qui fonce droit sur un monstre sur-dimensionné qui nous court aussi dessus... Comment tout a put déraper à ce point ?
– C'est de la folie, crié-je en tentant de récupérer mes rênes. Il va nous balayer !
Équinoxe me répond que rien ne peut l'arrêter.
– Moi si ! Je vais m'écraser et me rompre les os contre ce monstre !
Équinoxe hésite puis me répond que la créature va dévier, qu'il n'osera pas le percuter, c'est suicidaire.
– C'est un Troll !! Il ne va pas réfléchir jusque là !
Avec horreur, je vois le monstre lever sa massue. Il va nous balayer comme des fétus de paille, on ne fait pas le poids.
J'en viens à prier un miracle quand soudain Équinoxe à une illumination. Au dernier moment, il dévie sa trajectoire, évitant de justesse l'arme que le Troll abat en arc-de-cercle. On évite le coup mais déséquilibré par l'onde de choc, on ne peut rien contre la chute.
Je tombe lourdement sur la dure terre du Rohan et, par je ne sais quel miracle, Équinoxe ne me retombe pas dessus et je roule plus loin.
Sonnée, je me force à me redresser à genoux. Du sang envahit ma bouche et je m'empresse de le cracher tandis qu'une vive colère agite mon feu.
– Abruti de cheval !!
Je lève la tête pour voir que je me trouve à plusieurs dizaines de mètres face aux cavaliers Rohirrims qui me regardent avec hébétude. La honte...
Furieuse, je tourne la tête pour voir Équinoxe se redresser péniblement.
Ma colère va pour exploser quand je vois une franche coupure sur son chanfrein. Du sang ruisselle sur son museau tandis qu'il se secoue. La vue de cette plaie affole mon cœur mais un grognement me ramène brutalement à la réalité. Je suis, seule, face à l'ennemi.
Je me retourne brusquement. Le Troll n'est qu'à quelques mètres et ses yeux sont braqués sur moi, pauvre petite Elfe assise dans l'herbe.
Mon cœur rate à nouveau un battement quand il se met en marche vers moi. Je tente de me relever mais je m'embronche et retombe au sol. Affolée je me retourne sur le dos pour lui faire face. C'est idiot mais c'est tout ce qui me vient en tête : regarder la mort arriver.
Je le fixe un instant puis je tente de reculer, comme si j'allais lui échapper en rampant au sol...
Soudain un hennissement fait lever la tête au Troll. Ébahie, je vois Symbel charger à son tour. Il a rassemblé tout le courage de son jeune cœur pour accourir à mon secours. Les lances qu'il porte sur son dos s'entrechoquent et le Troll marque un temps d'arrêt. Il doit vraiment se demander ce qui se passe...
Il regarde un instant le petit cheval accourir vers lui puis l'agacement remplace la surprise. Il se penche alors en avant et pousse un effroyable cri.
Symbel, aussi courageux soit-il, prend alors peur et freine des quatre fers face à ce monstre qui pourrait le manger tout cru. Des lances sont projetées en avant et d'autres tombent au sol tandis que le petit cheval s'empresse de rejoindre ses congénères qui n'ont toujours pas bougés.
C'est quand vous voulez...
Sans trop de surprise, le Troll se reporte à nouveau sur moi. C'est quand même dingue que je me retrouve seule, loin des autres, face à un immense Troll juste pour un conflit d'ego chez mon cheval !
Équinoxe m'envoie ses excuses et m'incite à fuir.
Sans blague ?!
Le Troll me charge à nouveau. Cette fois, je me redresse et, très courageusement, je fuis. Ma seule chance est de rejoindre les rangs Rohirrims mais ça m'aiderait s'ils se décidaient à lancer cette foutue charge !
Je cours, poursuivit par un Troll, quand soudain je dépasse une lance plantée au sol. Je tique puis une idée folle germe dans ma tête.
Équinoxe réagit aussitôt et s'élance au grand galop. Il fait un rapide arc-de-cercle pour se replacer face à moi et accourir dans ma direction. Je ne sais pas à quelle distance est le Troll et tout mon plan repose sur cette lance tombée du bardage de Symbel mais j'ai trop peur de me retourner.
En pleine course, je parviens à me remettre en selle et je fonce à nouveau sur l'immense créature. Je tends le bras, récupère la lance puis me prépare au choc. Je n'aurais qu'une occasion, qu'une seule chance...
Isil, c'est pas le moment de te rater.
Pour la deuxième fois de ma vie et de cette journée, je fonce droit sur un immense Troll en armure et arborant une massue presque aussi grande que moi, mais là je n'ai plus peur. C'est l'avantage de la folie, on y croit tellement que la peur s'évapore.
Patiemment, j'attends l'ultime seconde, celle où le Troll relève son arme afin d'asséner son coup, pour m'embraser. Mon feu jaillit avant de courir sur moi et Équinoxe.
On s'enflamme, immense torche fonçant vers sa fin.
Surprit, le Troll tente d'éviter le contact mais déséquilibré par son arme il ne peut que se redresser sur lui-même. Il est grand, démesurément grand...
Équinoxe se cabre alors, m'offrant la hauteur et la puissance nécessaire pour enfoncer ma lance dans le monstre.
Je visais n'importe quelles parties mais l'épieu heurte le crâne de la créature. Je serre les dents et j'use de toutes mes forces pour l'enfoncer aussi profondément que possible. La résistance est forte mais je sens les chairs céder et dans un bruit écœurant ma lance transperce le crâne du monstre.
Il y a un instant suspendu dans le temps puis la terre tremble. J'ignore si c'est à cause des sabots d'Équinoxe retombant au sol ou si c'est le corps inerte du Troll heurtant la terre mais le silence qui s'en suit me vrille les tympans.
Incrédule, sonnée par la folie que je viens de commettre, je regarde vers les lignes ennemies. Les Trolls ont laissés tomber leurs armes et les Orques derrière eux sont immobiles.
Soudain les Rohirrims chargent.
Le son des cors et des cris des Hommes envahissent l'air tandis que je reste figée sur place, à peine consciente de ma respiration saccadée.
Les Trolls chargent mais les Orques hésitent, la peur a changée de camp.
Équinoxe s'enquit alors de mon état, me ramenant à la réalité.
– Ça va, soufflé-je. Enfin, je crois...
Une douleur se réveille dans mon bras droit et je vois une coupure dans ma paume faites par la lance arrachée de mes mains lors de la dernière chute du Troll. Je porte ma main valide à mon visage et je sens une petite plaie sur ma lèvre inférieur.
Je m'en sors pas trop mal...
Je me contente alors de regarder les combats, j'ai largement fait ma part.
Équinoxe tourne son imposante tête et se frotte contre ma botte. La plaie sur son museau est plus superficielle que je ne l'ai crut en voyant autant de sang s'en écouler mais, rancunière, je le repousse du pied.
– Sache qu'à cet instant je te déteste.
Équinoxe m'envoie à nouveau ses excuses mais je les ignore. Je lui ai pardonnée beaucoup de choses, beaucoup de fois où il ne m'a pas écouté mais là c'est un peu trop. Je vais avoir besoin de temps...
Et je suis presque sûre que certains pensent que cette charge était de mon fait. Comment croire qu'elle a été faite contre mon gré ?
Je passe vraiment une sale journée...
***
Je grimace ce qui fait sourire Aragorn.
– Je ne vous ai pas encore touché.
– C'est de la douleur préventive.
Aragorn a un léger rire puis avec douceur applique sur ma plaie un tissu imbibé d'une lotion de sa composition. Je ne sais pas ce que c'est, peut-être de l'Athelas, mais ça me fait du bien.
– Vos blessures sont superficielles, reprend le rôdeur en m'examinant. Faites voir vos côtes.
Après la douleur dans mon bras et ma lèvre s'est réveillée une autre dans mon flanc. Il s'avère que dans le choc la lance m'a heurtée les côtes, me lançant une jolie trace.
Aragorn soulève ma tunique dévoilant une jolie marbrure sur ma peau. Il tâtonne puis me sourit.
– Rien de cassé.
– Une chance, soupiré-je.
– N'en voulez pas à Équinoxe. Même si son action était inconsidérée, elle nous a donnée un bel effet de surprise.
– Je me suis ramassée par terre avant de fuir en courant... Quelle gloire.
– Votre dernière action a effacée votre déconvenue.
Aragorn me sourit à nouveau mais je ne peux m'empêcher de rougir. Soudain le tissu couvrant le chariot dans lequel on se trouve, s'ouvre pour laisser entrer Elrohir. Son regard se pose sur mon flanc à nu puis il détourne le regard.
– Désolé, bredouille t'il mal à l'aise.
Je m'empourpre d'autant plus alors qu'Aragorn relâche ma tunique.
– Un peu de repos et ça devrait aller, fait-il en se redressant. Veillez à ce qu'elle reste au calme.
Elrohir se contente de hocher la tête puis de le regarder sortir du chariot.
– Je n'y suis pour rien, je vous l'assure, repris-je alors qu'il reporte son attention sur moi. Équinoxe a décidé de charger sans mon accord... En fait, il m'a même pas averti.
– J'avais bien comprit.
Il s'approche et dépose un doux baiser sur mon front. Je savoure ce moment d'intimité puis je me relève, enfin j'essaye, j'ai mal de partout.
– Vous avez fait une rude chute.
– Je préfère ça à un coup de massue...
Elrohir sourit puis me propose son bras pour m'aider. On sort du chariot et l'on est happé par l'agitation. Les gens du peuple nous ont rejoint et l'on s'est éloigné du champ de bataille pour monter un camp provisoire afin de soigner les blessés. On a pas eut de perte, c'est déjà ça.
Je suis surprise des regards qui s'accrochent sur moi, ils sont emplit d'une admiration que je ne comprends pas.
Des Hommes lèvent alors leurs verres à mon encontre, comme pour me féliciter.
– Ils vous remercient de votre aide, me souffle Elrohir. Ce grand Troll effrayait leurs cœurs.
– Ils ne sont pas les seuls... J'en reviens pas d'avoir réussi à lui porter un coup.
Je suis sincère, je me sens comme déconnecté de cette action, comme si on me l'avait raconté, non que je l'avais vécue...
C'est étrange.
Alors que l'on passe près du paddock, je vois Eomer en train de faire des soins à Équinoxe. Galant, Elrohir me permet d'aller sermonner ma monture.
– Il faudrait parfois que tu réfléchis avant d'agir, fis-je en m'arrêtant près du Rohirrim. Ça te changerait la vie.
Équinoxe joue la carte conciliante et accepte mes remontrances. Il m'effleure de son remords puis appose doucement sa tête sur mon épaule. Comme quoi quand il le veut il peut être délicat.
– Je suis sérieuse, réfléchis avant de charger.
Équinoxe me souffle sur les doigts.
– Ce n'est pas un cheval comme les autres, vous êtes bien placé pour le savoir, m'interpelle Gimli. Il nous le prouve à chaque instant.
Le Nain se met à rire mais je n'arrive pas laisser son amusement me contaminer, je me contente de fixer Legolas qui semble m'ignorer. Je dévie le regard avant de chercher du soutien dans celui d'Elrohir mais l'Elfe a visiblement trouvé un intérêt soudain pour le sol. Sa culpabilité me serre le cœur tandis que Gimli se rend enfin compte de la pesanteur de l'ambiance.
J'en reviens à regretter mon aveu.
Et si je perdais mon amitié avec Legolas ?
Cette pensée me fait mal mais alors on se frotte contre mon dos. Je me retourne pour découvrir Symbel qui est très content de me voir. Il m'inonde de son affection, teinté d'un brin de honte. Il a fuit face au Troll. Je le rassure, il a fait de son mieux.
Mes pensées s'orientent alors vers Erwin. Il n'avait pas tort en affirmant que ce petit cheval pouvait encore me servir car en faisant tomber les lances qu'il portait, il m'a sans doute sauvé la vie...
Parfois ce qui peut nous paraître un simple détail change en fait toute l'histoire.
Le Warg arrive alors. Il jette un regard noir à Équinoxe qui l'ignore puis vient se blottir entre mes jambes. Je le caresse, lui affirmant que je vais bien quand je vois Elrohir fixer quelque chose avec déception. Je suis son regard pour voir Legolas et Elladan s'éloigner sans un mot.
Ils ne m'ont pas adressés la parole...
La culpabilité chasse mon étonnement, je n'ai que ce que je mérite mais ça me fait de la peine pour Elrohir. Je l'entraîne toujours dans mes tourments.
– Il y a un problème ? S'enquit alors Gimli.
Je n'ai pas le cœur à affronter son jugement alors je me contente de secouer la tête.
– Non, tout va bien.
C'est le mensonge le plus douloureux que j'ai prononcé depuis bien longtemps.
Fin du chapitre
Équinoxe fait des siennes et Isil en subit les conséquences qui, heureusement, se terminent bien. Mais dans l'allégresse d'un moment de joie Isil se retrouve à nouveau face aux poids de ses décisions.
Arrivera t'elle à faire face ?
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