(T2) Chapitre 8 : N'importe où hors de ce monde
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Je déroge à la règle, l'inspiration pour le titre n'est pas une chanson mais un poème en prose de Charles Baudelaire intitulé Anywhere out of the world.
Mais je suis tombée ensuite sur la chanson du même nom de Reverend Bizarre, et les paroles correspondent si bien à Taehyung et Jungkook, je trouve :
Je crois que j'ai trouvé mon foyer
Je trouve la vérité en toi
On se tient parmi les ruines
Je ne crains plus la nuit
Tes yeux apportent la lumière
[...]
Pour être n'importe où hors de ce monde, en paix
Pour laisser derrière cet endroit cruel. Libération !
[...]
J'embrasse tes blessures, et dans nos yeux elles disparaissent
Plus jamais nous n'aurons à sentir la douleur
[...]
Et quand la nuit tombe sur l'horizon, il y a un incendie
Le vieux monde a atteint ses derniers jours
J'embrasse tes plaies, et dans nos yeux elles disparaissent
Tu me tiens serré contre toi, et nos esprits, autrefois torturés, sont maintenant clair comme du cristal.
Période couverte par le chapitre : 13 novembre
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De retour à Byeolju, Taehyung s'attendait à ressentir cette chaleur familière à l'homme qui rentre chez lui après un long voyage, devina Jungkook en contemplant la déception flétrir le visage de son âme-sœur.
La ville ne ressemblait en rien à celle qu'ils avaient quittée ; à dire vrai, il n'en restait pas grand chose. Ils étaient arrivés par le sud, par cette même frontière qu'avait traversé Jungkook lors de son précédent voyage ici, celui qui avait tout changé.
L'extrême nord de la ville n'était pas pleinement tombé entre les mains des révolutionnaires, d'après les premières informations obtenues en arrivant sur place, mais les Traqueurs l'avait momentanément désertée après l'avoir détruite.
L'énorme muraille qui accueillait ordinairement les visiteurs, ainsi que le petit poste de douane, avaient disparu et, sur les ruines, on avait reconstruit un autre mur. Il est magique, avait dit Jungkook, les narines froncées devant ce travail bancal et, à n'en pas douter, fait dans l'urgence. Pourquoi les humains aiment tant construire des murs ? avait demandé Taehyung. Personne ne lui avait répondu parce que personne n'avait la réponse à cette question.
Au moment où ils franchirent la frontière, ils ne rencontrèrent d'abord qu'un champ de ruines et des collines de gravats, puis, à mesure qu'ils avançaient, le chemin se dégageaient et des centaines de personnes, agglutinées les unes aux autres, se dévoilèrent à leurs yeux. Elles erraient, ramassaient les débris de leur ancienne vie ou tendaient le cou afin de mieux apercevoir leur délégation, encerclées par une quinzaine de magiciens armés jusqu'aux dents. Ces derniers avaient surgi à peine étaient-ils arrivés et se tenaient entre eux et les habitants, sous le ciel gris et brouillé, l'expression impénétrable et le corps rigide.
Bonne ambiance, se dit amèrement Jungkook, alors que ses yeux grapillaient déjà les moindres détails de son environnement. La présence d'autant de magiciens hostiles électrisa ses sens.
Taehyung amorça un geste afin de s'avancer vers l'un des soldats, une femme robuste aux cheveux coupés courts. Elle paraissait être à la tête de l'unité, à en juger par sa position, le brassard orange qui entourait son biceps gauche et la manière dont les autres demeuraient attentifs à ses moindres mouvements.
Seokjin fit ce que Jungkook avait voulu faire lui aussi, avant de se dominer : il retint Taehyung par le bras. D'un geste fluide mais ferme, celui-ci se dégagea de sa poigne. Sa chevelure noire parsemée d'éclats d'argent était tout emmêlée après leurs mésaventures et ses yeux regorgeaient de fatigue. Il portait une tenue simple, mais étudiée pour l'occasion, trouvée dans leurs valises : un pantalon noir ajusté, des chaussures de ville de la même couleur et un long manteau gris boutonné jusqu'au menton pour le protéger du froid mordant auquel Jungkook était quasiment insensible.
On avait conseillé à Taehyung de réenfiler sa tenue de bal, mais il avait refusé. Sans la cape de son père, qu'il avait perdue lors de la bataille de la Cité des Anges, l'effet était différent, selon lui. Si Taehyung était nerveux, il n'en donnait pas l'impression ; son visage était lisse, son maintien élégant et son expression sérieuse. Il marcha d'un pas décidé vers la cheffe du groupe.
Jungkook, pourtant, pouvait entendre son coeur battre la chamade et le tumulte de ses émotions. Il décida de lui emboîter le pas, se collant à lui, si bien que Taehyung pouvait sans nul doute sentir son souffle chaud sur sa nuque. Le terrain était en pente ascendante, on distinguait mal les visages de la foule amassée, mais lorsqu'ils furent assez proches pour avoir une vue dégagée sur chacun d'entre eux, Jungkook observa avec une drôle de sensation au creux du ventre leurs expressions avides, comme s'ils avaient l'air prêts à se gaver du spectacle que leur arrivée offrait.
D'abord timides, ronflants, des cris s'élevèrent progressivement parmi la foule, en même temps que les gardes braquèrent leurs sabres sur eux. Taehyung ne s'arrêta qu'à quelques mètres de la cheffe. Elle ne pointait pas son arme - en roche céleste, devina Jungkook - sur lui, mais le fixait résolument.
Jungkook n'entendit ni l'avertissement des autres derrière eux, ni les bruits alentours - ses chaussures sur la terre, des bruits de travaux au loin, comme si on construisait quelque chose, les ordres lancés par les soldats aux habitants. Tout cela s'était comme évanoui, il ne percevait que les vociférations de la foule : « C'est lui ! », « Le Prince usurpateur est avec lui ! ».
Ne fais rien, Jungkook. Ne te défends pas, lui dit prudemment Taehyung, à travers leur lien.
Es-tu en train de me donner un ordre ?
S'il te plaît.
Tu étais censé répondre oui, Taehyung. Ne demande pas, exige.
Deux soldats se ruèrent sur Jungkook, leur épée scintillante brandie, avec une agilité remarquable, il fallait le reconnaître. Utiliser des armes de mortels leur permettait de ne pas encore dévoiler leurs pouvoirs. Comme convenu, Jungkook ne fit aucun geste pour les arrêter. L'effort était immense, ça le rendait malade, mais il devait se montrer inoffensif et coopératif s'il voulait que Taehyung ait une chance.
Les épées, avant qu'elles ne puissent l'atteindre, furent instantanément recouvertes de glace jusqu'à se briser sous leurs yeux.
Joli.
Jungkook savait que Taehyung ne s'était pas encore remis de son combat aux portes de Manseong, que cette démonstration de magie lui avait coûté beaucoup d'énergie - et de contrôle.
Ils ne t'approcheront pas.
Le lien entre eux vacilla. Pendant un moment qui parut une éternité, chaque partie regarda l'autre en chien de faïence, sans aucun mouvement superflu. Les soldats n'avaient pas réitérés leur tentative de s'approcher de Jungkook mais ils le toisaient avec une animosité réciproque. Un combat d'égo, lui avait dit une fois Seonhee en parlant des hommes et de leur volonté d'affirmer leur domination partout où ils allaient. Cette pensée le fit sourire.
— Mon nom est Kim Taehyung, dit alors Taehyung d'une voix suffisamment forte pour taire le vacarme. Fils de feus Kim Suho et Kim Jaehwa. Mes amis et moi sommes ici pour nous joindre à vous et vous aider dans l'entreprise de défaire l'Usurpateur.
Ce n'est pas ce que tu étais censé dire.
Je ne suis pas toi, Jungkook. Laisse-moi gérer à ma manière.
Jungkook serra les dents mais ne répliqua rien.
— Bienvenue à vous, Kim Taehyung, répondit la cheffe. C'est un honneur pour nous de vous recevoir.
Sa voix était douce et mélodieuse, bien que Jungkook n'aimât pas l'arrogance avec laquelle elle se déversa hors de ses lèvres. Sa mauvaise humeur s'accrut, il trouva encore plus difficile de se tenir debout sans bouger en laissant d'autres que lui mener la danse.
Namjoon se présenta à son tour comme le chef de Bangtan.
— Je suis Gôa Yeosul, fit la soldate en retour. Mais dites-moi, Jeon Jungkook fait-il partie de vos amis ? On raconte qu'il est votre prisonnier, or ce n'est pas l'impression qu'il donne.
Une Gôa ? Tous savaient ce que cela signifiait : Gôa était le patronyme qu'on donnait aux orphelins dont on ne connaissait ni l'origine ni le clan.
— Il n'est pas mon prisonnier, déclara Taehyung, mais il est sous ma protection.
Une vague de protestation s'éleva de la foule. Foutus magiciens et leur ouïe fine ! Parmi les soldats, nombreux furent ceux qui raffermirent leur poigne sur leurs armes - à feu, cette fois. D'autres s'étaient ajoutés au cortège, Jungkook fut forcé de constaté qu'ils semblaient bien entraînés. Il en dénombra trente-deux au total. Y en avait-il encore ? Sans doute.
Leurs armes portaient les armoiries des Jeon et représentaient sans doute une part du butin pris aux soldats de l'Usurpateur. Jungkook grimaça en revoyant le serpent couronné, le même qu'il avait fait tatouer sur son épaule, tandis qu'un sentiment étrange de possessivité lui dévora les entrailles. Voir ce symbole entre les mains de ces magiciens l'enrageait autant que de le voir entre celles des Traqueurs.
Il observa plus attentivement les individus qu'il avait sous ses yeux. Beaucoup de magiciens, devina-t-il, mais pas seulement. Il détestait être ici, entouré de tous ces visages inconnus qui le dévisageaient avec hostilité, colère ou émerveillement. Son masque noir lui manquait horriblement, il avait l'impression d'avoir les chairs à vif et que tous ces yeux étaient autant de clous clouant sur lui leurs pensées dérangeantes, leurs opinions qu'il n'avait pas demandées. Taehyung, quant à lui, adressa un signe de tête chaleureux, assorti d'un sourire, à quelques personnes, sans doute des connaissances de sa vie à Byeolju. Ils répondirent à son salut en s'inclinant maladroitement devant lui, comme s'ils n'y croyaient pas. Quelle sensation cela faisait-il, de connaître un gamin pour découvrir ensuite qu'il était l'héritier légitime d'un royaume en décadence ?
— Nous avons fait un long voyage, peut-être serait-il temps de nous laisser entrer plus en avant ?
— Pas lui, grogna un homme au front bas et à la chevelure noire abondante, en pointant Jungkook d'un geste du menton dédaigneux. Un Jeon n'a rien à faire ici, libre.
— Yuhan, l'avertit Yeosul.
Ça commence.
Reste près de moi.
Taehyung se sentait désolé pour lui, désolé de l'accueil qu'on lui réservait, et cette pensée, loin de rassurer ou flatter Jungkook, l'emplissait de honte et de rage. Il n'avait pas le droit d'en vouloir à tous ces gens, après tout, il avait passé des années au service de Kang-Dae, il était son neveu, le Prince Usurpateur ; s'il était à leur place, il n'aurait pas hésité avant de trancher la gorge de celui qui avait tué les siens et participer à faire d'eux des parias sur leurs propres terres.
Mais il n'était pas à leur place, il avait toujours été un loup solitaire qui trace son propre chemin sans plus d'espoir d'intégrer une autre meute que celle qu'on lui avait un jour arrachée. Alors il leur en voulait, oui. Une rage indicible lui nouait le ventre quand il posait les yeux sur eux, sans qu'il ne puisse rien y faire. Il avait peut-être simplement besoin de les haïr avec la même force qu'ils le haïssaient lui.
— Je suis désolé, mais Jeon Jungkook fait partie de mes compagnons et si j'entre, il entre, déclara Taehyung sans se départir de son expression sérieuse. Nous vous expliquerons tout une fois à l'intérieur. Nous sommes là pour aider.
En écho à ses paroles, Namjoon, Seokjin, Yoongi et Hoseok vinrent se placer tout autour d'eux, tandis que Seonhee et Jimin prirent place à la droite de Jungkook. Quant à Yeonjun et Soobin, ils restèrent derrière lui, un peu en retrait. S'ils avaient pu changer leurs vêtements dans la voiture, et qu'on leur avait ôté leurs armes, leur posture trahissait leur identité. Mieux valait qu'ils ne se mettent pas en avant et se contentent de suivre l'échange.
La chaleur soudaine que généra tous ces corps en mouvement déstabilisa Jungkook. Chacun venait de s'approcher de lui dans un geste de solidarité, apportant avec eux leur résolution mais aussi leur parfum. Il ne lui irrita pas les narines et la gorge comme c'était souvent le cas lorsqu'on envahissait son espace personnel, non. Ça avait une odeur de familiarité. Il pouvait reconnaître chacun d'entre eux, désormais, juste à la senteur qu'ils dégageaient, à la manière dont leurs pas foulaient le sol ou celle dont leur souffle s'échappait de leurs narines.
Et peut-être, juste peut-être, qu'il se sentit un peu mieux.
Le visage de Yeosul se tordit légèrement, comme si elle hésitait sur la conduite à tenir. Son regard glissa une dernière fois sur lui ; Jungkook le lui renvoya avec la même intensité.
— Nous acceptons de le laisser entrer s'il abandonne ses armes et se laisse affaiblir.
Elle sortit un flacon de sa poche et ajouta, un sourire au coin des lèvres :
— De la roche céleste. La manière ingénieuse dont vous vous êtes introduits à Manseong s'est répandu parmi les rebelles. L'idée est excellente, même si nous avons mis du temps à trouver le bon dosage.
Jungkook se raidit. Son corps lui hurlait de se défendre, de réduire en cendres ces gens et leurs armes braquées sur lui. Il serra les lèvres et, sans oser regarder Taehyung, il entreprit de se débarrasser de ses poignards. Seulement, une main froide se posa sur son avant bras.
Arrête.
— C'est hors de question, dit Taehyung, et sa poigne se raffermit.
Fais ce qu'ils demandent pour l'instant et ne t'en fais pas pour moi.
Je suis prêt à leur céder beaucoup, mais pas cela. Garde tes armes, c'est un ordre.
Jungkook interrompit son geste et pivota vers Taehyung. Il rencontra deux yeux décidés au milieu de traits sereins. Il voulut parler, à haute voix ou en pensée, mais échoua des deux manières.
— C'est le Prince Usurpateur, répliqua Yeosul. Vous devez comprendre que nous ne pouvons risquer de le faire entrer en pleine possession de ses pouvoirs et de sa force.
— Et je suis Kim Taehyung, héritier légitime du trône de Talguk. Je me porte garant de lui.
Après un silence interminable dans l'air saturé de souffles courts et de ressentiment, la soldate ordonna à ses partisans de baisser leurs armes.
— Dans ce cas, bienvenue à Byeolju, Kim Taehyung et ses compagnons.
Juste comme ça, la tension creva d'un seul coup.
Taehyung souriait de toutes ses dents. Déjà, on aurait dit qu'il était à sa place. Les soldats s'inclinèrent avec déférence, amadoués, tandis que Yeosul avait perdu de sa désinvolture et faisait un effort notable pour se tenir convenablement. Jungkook étouffa un ricanement. Les magiciens et leur respect du protocole !
Ne t'y trompes pas, c'est envers elle, qu'ils sont encore loyaux.
Je sais, Jungkook. Tu es sûr que tu ne veux pas prendre ma place ?
Les paroles de Taehyung étaient teintées d'ironie.
Non merci. Je te les laisse.
Il devait reconnaître que Taehyung s'en sortait plutôt bien - et qu'il était plus beau que jamais. Malgré son épuisement, il paraissait comme revivifié sous les yeux curieux et admirateurs. Il était un arbre qu'on abreuvait d'eau et de soleil et que Jungkook observait s'épanouir sous ses yeux, en accéléré. Ses racines traçaient leur chemin sous terre jusqu'à gagner les cœurs, et ses branches tendaient vers le ciel qu'elles essayaient de toucher.
Quant à lui, il se sentit soudain très seul, assailli par l'envie pressante de s'enfuir à toutes jambes.
Yeosul gratifia chacun d'entre eux d'une poignée de main et se courba devant Taehyung ; lorsque ce fut au tour de Jungkook, il se contenta de la regarder fixement jusqu'à ce qu'elle se ravise. Taehyung lui offrit un beau regard noir, et il n'eut pas le courage de lui avouer qu'il ne l'avait pas ignorée exprès, mais qu'il s'était simplement perdu dans ses pensées, dans les multiples réalités qu'il avait créés pour les moments comme celui-ci, où tout se dérobait sous ses pieds.
Heureusement, Yeosul ne parut pas s'en formaliser. Elle esquissa un sourire moqueur avant de leur indiquer la direction à prendre, et tous lui emboitèrent le pas. Les soldats vinrent se placer tout autour d'eux afin de faciliter leur traversée au milieu d'une foule qui s'écarta à peine pour les laisser passer. Chacun désirait s'approcher au plus près des deux princes normalement ennemis. Leurs regards appuyés lui brûlaient la peau. Certaines œillades en direction de Taehyung étaient fascinées, curieuses ou impatientes, mais d'autres ressemblaient à du dévouement, de l'adoration. La poitrine de Jungkook se congestionna douloureusement à cette idée.
— Pour eux, tu es celui qui va tous les sauver, entendit-il Namjoon murmurer à Taehyung en posant une main sur son épaule. Ils ne te connaissent pas encore, tout ce qu'ils savent c'est que tu es le fils des meilleurs souverains que le royaume ait jamais connus.
Taehyung ne lui répondit pas mais Jungkook eut vent de ses pensées avec une clarté qui ne le surprenait plus. M'aimeront-ils, s'ils apprennent à me connaître ? Voilà la préoccupation qu'il lui renvoyait, et qu'il recevait sans comprendre pourquoi ça avait tant d'importance pour lui, de plaire et d'être accepté. Il agissait comme si c'étaient les autres qui lui donnaient la légitimité d'exister, au lieu de s'emparer de cette légitimité. Jungkook renifla, mécontent ; après tout, Taehyung lui avait demandé de le laisser agir à sa manière.
— Nous sommes désolés pour cet accueil, lança Yeosul, alors qu'ils passaient devant des amas de cendre et de poussière, qu'ils marchaient sur les décombres de ce qui était autrefois des bâtiments en bois et en pierre.
Jungkook balaya du pied une enseigne d'une parfumerie, qui le gênait dans sa route, puis une autre. Les pavés étaient à peine visibles. Le souvenir de la superbe Byeolju et sa population hétéroclite lui revint en mémoire.
— ... la ville n'est pas au meilleur de sa forme, nous avons repris la partie sud aux Traqueurs il y a une semaine seulement. La muraille a été détruite, la partie nord est complètement anéantie et vide, alors ils sont partis. Nous comptions envoyer des gens pour faire l'état des lieux. Ici aussi, tout est en ruines. Mais, déjà, nous avons ériger un nouveau mur et nous avons amassé des ressources depuis des mois.
— Combien d'habitants reste-t-il ?
— Mmh, environ vingt mille, répondit-elle en faisant mine de compter sur ses doigts.
— Seulement ? intervînt Hoseok. Byeolju comptait au moins quinze fois ce nombre !
— La plupart ont été évacués. Tout le gratin a quitté la ville pour rejoindre celles à proximité. Malheureusement, nombres de ceux qui étaient de notre côté ont été soit déportés, soit tués. Magiciens comme mortels, d'ailleurs. Les attaques n'ont pas cessé durant des jours. Parmi les habitants restants, il y a les deux, mais davantage de mortels. Notre race a été oppressée durant des années, nous sommes minoritaires.
— De quel réseau de résistance faites-vous partie ? demanda Namjoon. Vous n'êtes pas une membre de Bangtan, nous étions le réseau le plus développé à Byeolju. D'ailleurs, j'ai vu quelques membres parmi la foule, qui viennent d'autres villes.
Jungkook se posait la même question. D'après ce qu'il avait comprit en écoutant Namjoon, Hoseok et Yoongi discuter, lorsqu'ils étaient encore à Byeolju, Bangtan tenait soigneusement le compte de chaque groupuscule de résistants actifs en ville. Il n'y en avait que très peu, en dehors des dissidents que l'organisation était obligée de recadrer régulièrement.
— D'aucun réseau. Quand les Traqueurs ont démantelé votre organisation et tué quasiment tous vos membres à Byeolju, plus personne n'était là pour nous protéger. Nous n'avons pas eu d'autre choix que de nous en sortir seuls. C'est grâce à vous, ajouta-t-elle à l'adresse de Taehyung, qui haussa les sourcils, surpris.
Pendant un instant, Jungkook eut un aperçu de Taehyung-l'homme ; sa façade de dirigeant s'était fissurée, ses lèvres entrouvertes lui donnaient l'air d'un enfant devant un film d'épouvante.
— Moi ?
— À partir du moment où nous avons appris que vous étiez en vie et candidat au trône, beaucoup plus de magiciens, et même quelques non-magiciens, ont décidé de se soulever contre les Jeon. Cela a créé un effet boule de neige.
— Les médias n'en ont pas parlé, fit remarquer Yoongi.
— Bien sûr que non. C'est l'une de nos failles, nous ne disposons pas de moyen de rendre public ce qu'il se passe ici.
— On va pouvoir arranger ça, dit Hoseok.
Il frappa un grand coup sur le dos de Yoongi et ajouta :
— On a un pro dans l'équipe.
Yeosul hocha la tête et reporta son attention sur Taehyung.
— Nous n'attendions que ça, un symbole, quelqu'un qui nous redonne de l'espoir. Nous savions que vous alliez revenir pour nous aider.
Elle se tut, puis nuança :
— Quoique pas avec lui à vos côtés. Ça ne va pas être facile, vous savez, de le faire accepter.
— Je sais.
— Ne parlez pas comme si je n'étais pas là, la prévînt Jungkook.
— Vous savez que je suis armée, lui dit Yeosul, mais il pouvait entendre les battements de son coeur s'affoler, ce qui le fit sourire.
— Tu sais que je suis bien plus fort que toi, rétorqua-t-il en laissant tomber les formes de politesse.
— Vous vous rendrez vite compte que la force ne suffit pas toujours, Bourreau de l'Usurpateur. La haine est plus mortelle encore, et celle que ressentent les magiciens à votre égard n'a pas d'égal.
— Ça suffit, intervînt Taehyung.
Jungkook se retrancha dans ses pensées. Yeosul avait qualifié Taehyung de symbole. Donneur d'espoir, prêcheur de bonheur, lumière dans la nuit, autant de qualificatifs dans lesquels Jungkook le reconnaissait parfaitement mais, jusque-là, il avait été cru être le seul à en profiter. Ces surnoms lui collaient désormais à la peau, Taehyung allait devoir apprendre à connaître ces gens, les diriger, leur donner des ordres et des conseils, savoir leur nom, leur histoire et les raisons pour lesquelles ils avaient choisi de le suivre. Je vais le perdre, se dit-il, une panique irrationnelle l'envahissant tout à coup. Il va leur appartenir.
On peut se tirer d'ici, juste toi et moi, et trouver un moyen de tuer l'Usurpateur autrement.
Taehyung tressaillit à quelques pas. Jungkook réalisa qu'il n'avait pas maîtrisé la puissance de son contact mental.
Ne dis pas de bêtises. Tu sais que je ne ferais jamais ça.
Oui, il le savait, ça ne l'empêchait pas de le souhaiter avec une intensité dévorante.
Sache juste que c'est une option.
Et puis, partir où ?
N'importe où hors de ce monde.
Taehyung n'utilisa plus la télépathie pour lui répondre mais son désaccord s'écoula dans son esprit avec force. Parce que Taehyung était né dans ce monde, vivait dans ce monde, et désirait ce monde sans merci comme il n'avait jamais rien désiré d'autre. Jungkook peinait à l'accepter, à admettre que jamais il ne parviendrait à combler ce besoin qui animait le magicien, cette volonté qu'il avait d'étreindre la vie et de se laisser étreindre par elle. Taehyung avait tant d'amour à donner à tant d'humains différents, là où Jungkook n'aimait que lui. Une brusque bouffée de nostalgie le gagna lorsqu'il repensa à la chambre 13, cet endroit où il avait eu Taehyung rien que pour lui.
Hé, tout va bien ? Ton esprit m'envoie des tas de signaux en même temps.
Je repensais juste à la chambre 13.
Ça me manque un peu. C'était notre endroit.
Jungkook reporta son attention sur Yeosul, les habitants, les soldats, et l'amère pensée que jamais ils ne retrouveraient quelque chose de la sorte lui traversa l'âme. Désormais, Taehyung et lui n'auraient que peu de moments pour se retrouver tous les deux. Il n'y aurait plus de « notre ».
Ils marchèrent encore quinze bonnes minutes, au milieu de tentes et d'abris sommaires. Quelques chaudrons bouillonnaient sur des feux de fortune, des femmes et des hommes courbaient l'échine pour faire de l'ordre autour d'eux, des enfants assis à même la terre levaient la tête sur leur passage. Taehyung rendit les saluts qu'on lui adressa sur le chemin, et puis la foule se fit moins dense et plus clairsemée. Il régnait une atmosphère d'apocalypse et de désolation, la ville était morte et le peuple avait l'air de fantômes errants, mais leur arrivée créa un souffle nouveau qui vint redresser les herbes avachies et poussa les ruines à ouvrir un œil pour les regarder passer.
Peut-être que l'Histoire parlerait de ce jour dans quelques années. On intitulerait cet épisode : « L'entrée triomphante du roi à Byeolju », ou bien « L'exil du Prince noir », comme le surnommaient déjà ces voix chuchotantes, nom qui allait de pair avec le Prince Usurpateur.
Il en avait discuté avec Jimin, de leur exil hors de Manseong. Tous les deux s'étaient rendus compte, un rire jaune suspendu à leurs lèvres, que malgré le fait qu'ils y aient passé la majeure partie de leur vie, ils ne ressentaient rien pour cette capitale infâme. Mais au moins leur était-elle familière, au moins foulaient-ils des pavés connus, là-bas. Jungkook connaissait Byeolju pour y être venu quelques fois, mais elle était désormais une ville de magiciens.
Il capta le regard de Yoongi, aussi tendu que lui. Taehyung lui avait expliqué que lui non plus n'aimait pas les foules, ni les regards. Il jouait avec un canif sous les yeux suspicieux des gardes, et, lorsqu'il intercepta leurs œillades, il finit par leur adresser une grimace disgracieuse. Jungkook ravala un rire ; le nain bleu pouvait être drôle, parfois, dans son genre. C'était rare, bien sûr, mais c'était arrivé une fois ou deux.
Il sentit un léger coup dans le bas de son dos et en pivotant la tête, il vit que Seokjin hochait la sienne en signe de désapprobation :
— Ne l'encourage pas dans ses bêtises, toi, lui murmura-t-il.
— Je n'ai rien fait ! protesta-t-il.
— Je t'ai entendu rire.
Jungkook haussa les épaules mais constata qu'il n'était pas irrité, plutôt amusé, en fait, par les remontrances de Seokjin. Taehyung lui adressa un sourire complice et Jungkook ressentit une brusque envie de l'embrasser, là, devant tout le monde, envie qu'il réprima de tout son être en détournant les yeux, les joues brûlantes.
Il aurait pourtant tout donné pour voir leur tête à tous, s'il faisait ça.
Ils arrivèrent enfin dans un espace bien mieux aménagé, protégé par des barrières en métal et huit gardes en tenue sombre, portant eux aussi un brassard orange autour du bras. La trentaine de soldats qui les accompagnait se joignit immédiatement à eux. Deux grands bâtiments de trois étages en béton clair se dressaient à quelques pas, apparemment neufs, les enseignes « Pavillon principale » et « Sanitaire » étincelant sur le matériau pâle. Plusieurs dizaines de tentes en nylon tapissaient le sol sablonneux sur un large périmètre, sans doute la résidence des soldats. Elles étaient positionnées en colonnes avec une allée au milieu, entourées de déchets en tout genre : restes de nourriture, morceaux de carton, vêtements, bouteilles en verre vides.
— Le site est précaire, s'excusa Yeosul. Nous sommes encore en chantier.
— Qui dort ici ? demanda Taehyung.
— Nous, répondit-elle en désignant les hommes et femmes armés, ainsi que les magiciens et magiciennes bâtisseurs. Il y en a une dizaine, nous avons eu de la chance. L'objectif est de reconstruire la ville et de pouvoir reloger tous les habitants. Nous essayons de rentabiliser les souterrains également, pour plus de sûreté. Mais il y a du déblayage à faire. Pour l'instant, chacun se débrouille pour dormir où il peut. Des chambres seront préparées pour vos compagnons et vous dans le Pavillon principal.
Namjoon adressa un regard entendu à Taehyung, qui répondit :
— Inutile. Nous logerons dans des tentes.
— Ce n'est pas convenable, insista Gôa Yeosul. Vous ne pourrez bénéficier de la protection adéquate, les bâtiments sont plus sûrs.
Jungkook n'y tint plus.
— Sa sécurité est de mon ressort, intervint-il, le ton catégorique.
— Sa sécurité est du ressort de tous, lui opposa Yeosul. Le symbole de la résistance ne peut être laissé sous la supervision d'un seul homme, encore moins quand celui-ci est le Prince Usurpateur.
— Le symbole de la résistance décidera seul où il couchera et de qui il s'entourera, trancha Taehyung, la voix teintée de sarcasme. Continuez à m'en dire plus sur ce refuge.
De mauvaise grâce, Yeosul laissa tomber. Jungkook fulminait.
— Nous manquons d'argent pour négocier les matériaux sur le marché noir et avons presque épuisés les réserves des usines. Elles sont à l'arrêt pour le moment. Le pavillon principal sert à nous réunir, à stocker la nourriture et le matériel et à garder les prisonniers.
— Les prisonniers ?
— Ils sont enfermés au sous-sol. Nous les avons capturés lors de la prise de la ville et des nombreuses batailles menées. Nous vous expliquerons tout cela plus en détails.
— Les Traqueurs peuvent rappliquer à n'importe quel moment, observa Namjoon.
Il contemplait l'endroit avec un froncement de sourcils qui signifiait qu'il était déjà en train de réfléchir aux moyens d'améliorer le campement. Jusque-là, il faisait du bon travail pour s'écarter et laisser faire Taehyung, devait reconnaître Jungkook. La soldate quémandait son avis du regard, avait-il remarqué, mais le chef de Bangtan gardait une expression fermée, comme pour la forcer à rediriger son attention vers le prince héritier.
— Exact. Pour l'instant, le nouveau mur tient le choc, nous avons utilisé les trois-quarts de notre argent et de notre matériel pour la construire. Et beaucoup de magie, bien sûr. Nous avons repris Byeolju pour vous, précisa-t-elle en regardant Taehyung.
— Vous avez fait du bon travail, répondit-il, sans doute parce qu'il avait l'impression qu'il s'agissait de la réponse qu'elle attendait, mais aussi parce qu'il le pensait réellement.
Ils auraient pu faire mieux, c'est un vrai foutoir. Comment veux-tu qu'ils travaillent dans ces conditions ? Ils construisent un mur avant même de virer les débris et les ruines.
Avec les hommes de l'Usurpateur sur les côtes, ça n'a pas dû être évident.
— Jungkook pourra vous aider pour la protection, dit soudain Namjoon. Il est doué.
Rêvait-il, ou bien venait-il de lui faire un compliment ? Jungkook leva un sourcil interrogateur vers lui mais le chef de Bangtan refusait de le regarder. Il avait les yeux rivés sur Yeosul, dont l'expression indiquait clairement qu'elle n'était pas certaine que laisser le Prince Usurpateur s'occuper des défenses de la ville soit une bonne idée.
Byeolju était l'une des villes les plus stratégiques du royaume ; elle contenait des plantations de riz, de ginseng et de coton à sa périphérie, ainsi que plusieurs usines de traitement des eaux usées et de production. Une grande partie du riz consommé à la capitale provenait de Byeolju, Jungkook était bien placé pour le savoir. Une fois par an, son oncle envoyait des hommes pour prélever l'impôt et vider les greniers. Byeolju possédait en outre un aéroport, certainement condamné à l'heure actuelle, et se situait entre Manseong et les villes portuaires du royaume, ce qui faisait d'elle l'escale idéale pour l'acheminement des marchandises. Sa perte était énorme pour le royaume. Mais depuis toujours, animée par un esprit révolutionnaire et revanchard, elle avait été la ville la plus difficile à contrôler pour Kang-Dae. Lors de la chute des Kim, elle était tombée en dernier, après une lutte acharnée des magiciens nombreux. Le jour où les résistants reprendraient le contrôle de Haewon et Haesu, les deux principales villes côtières, le commerce maritime de Kang-Dae s'effondrerait de moitié.
— Venez, entrons, on vous attend à l'intérieur.
— Qui ça ? demanda Taehyung.
— Vous verrez. Leur arrivée date de quelques heures seulement avant la vôtre.
Jungkook n'eut pas besoin de l'interroger davantage, il lui suffit de se concentrer pour distinguer un parfum entêtant et musquée, bien que terni par quelque chose qui lui fit froncer les sourcils. Avant même d'entrer dans le pavillon principale, il savait exactement qui se trouvait derrière les murs bétonnés.
*-*-*-*-*-*-*-*
Bonjour tout le monde !
Notre petit groupe est enfin arrivé à Byeolju ! Qu'en avez-vous pensé ?
Vous avez constaté que j'essaie de poster une fois par semaine mais que le jour est désormais complètement aléatoire !
Comme toujours, merci pour vos votes, commentaires, et votre lecture.
Je vous souhaite de belles fêtes de fin d'année !! <3
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