(T2) Chapitre 7 : De retour à la maison
Titre : Come back home de BTS ( original de Seo Taiji)
Période couverte par le chapitre : 13 novembre.
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La matinée passa à une vitesse affolante. Après le déjeuner, chacun retourna vaquer à ses occupations. Jimin leur avait donné une fiole qui, selon lui, contenait une poudre suffisamment puissante pour aveugler un magicien. Jungkook pouvait en témoigner, il avait été son cobaye et s'était retrouvé dans l'incapacité de voir plus loin que le bout de son nez pendant dix bonnes minutes.
Ça ne change pas de d'habitude, avait plaisanté Jimin lorsqu'il s'était plaint, provoquant l'hilarité de toute la tablée. Il avait appelé sa nouvelle invention Obscuripoudre, un nom risible, si Jungkook avait un avis à donner — il n'en avait pas, d'après le regard noir que le guérisseur lui avait lancé après qu'il eut osé formuler sa pensée à haute voix. Les autres avaient demandé des explications et Jimin leur avait parlé d'il-ne-savait quelle tige de plante broyée, de boue, de terre et même de fines particules de bois. Chacun avait rangé son flacon sans sa poche, d'un air clairement dubitatif, mais poli.
En réalité, Jungkook était admiratif des capacités d'adaptation de Jimin. Il construisait sa place dans leur petit groupe avec soin et minutie, à la manière d'une fourmi qui transporte la nourriture trouvée jusqu'à sa fourmilière en laissant derrière elle une trace de son passage. Il semblait résolu à ne pas laisser sa condition de mortel faire de lui un poids pour les autres.
Tout comme Taehyung, il appartenait à cette espèce pour qui l'intégration était une compétence naturelle. Jungkook, lui, forçait le passage, grâce à sa puissance et sa force, sans laisser aux autres le choix de l'accepter ou non. Il avait bien vu à quel point ça les agaçait, les autres, qu'il soit devenu indispensable à leur survie ; cette certitude l'aurait enorgueilli avant, mais elle le dérangeait, désormais. C'était comme s'il manquait quelque chose, qu'il désirait plus que ça. En même temps, son mépris pour le genre humain grandissait jusqu'à l'étouffer.
— Tu y comprends quelque chose, toi ? demanda-il à Taehyung.
Son âme-sœur, en train de s'entraîner au tir à l'arc à quelques pas, gardait son esprit connecté au sien. Jungkook — après avoir aidé Yoongi à rapetisser les bagages, fini de réchauffer l'eau pour la douche, d'allumer le feu pour cuire le déjeuner, de servir de rat de laboratoire à Jimin, de renseigner Namjoon et Hoseok sur les Traqueurs qu'il connaissait, d'apprendre à Seokjin à contrôler la quantité de pouvoir à utiliser pour ne pas s'épuiser tout en maximisant son efficacité — avait fini par le rejoindre à la calvitie de la forêt.
Taehyung avait passé des heures à façonner trois nouvelles flèches. Il vérifiait à présent leur précision. À en juger par sa mine contrariée et la senteur de fruits pourris qu'il renvoyait, il n'était pas satisfait du résultat.
— Quelque chose ne va pas ? s'enquit Jungkook, sa première question abandonnée.
Taehyung se laissa tomber à ses côtés, sur la partie surélevée du sol. Sa mine était défaite. Il allongea ses jambes sur la terre humide et froide et laissa son arc et ses flèches choir sur sa droite. Comme à chaque fois que son âme-sœur se trouvait près de lui, le corps de Jungkook s'éveilla face à cette soudaine proximité. Chacune de ses fibres sortit de sa torpeur, le simple passage du vent sur sa peau devenue hypersensible lui arracha une colonie de petits frissons sporadiques. Tout cela allait-il durer encore longtemps ? se demanda-t-il vaguement.
— Elles devraient tourner en spirale pendant le vol, mais ce n'est pas le cas. L'empennage est mauvais.
— Elles ne sont pas censées être reliées à ta volonté grâce à la magie ? D'ailleurs, pourquoi n'en fabriques-tu pas avec ta glace ? Elles seraient plus puissantes que le bois.
Taehyung se contenta de hausser les épaules. L'esprit de Jungkook se teinta d'une couleur qu'il n'avait pas encore appris à décoder.
— Pour répondre à ta première question, reprit Taehyung avec une précipitation suspecte, je comprends des tas de choses et leur contraire. Mais, tu sais, je crois qu'ils commencent à t'apprécier. Ils ne sont pas encore prêts à l'admettre, c'est tout.
— Je ne veux pas qu'ils m'apprécient, répliqua Jungkook en cognant doucement la chaussure de Taehyung à l'aide de la sienne.
— Pourquoi ?
Taehyung l'imita, taquina le bout de son pied, avant de pousser plus loin :
— Parce que tu penses ne pas le mériter ? Tu te juges sévèrement, alors c'est logique pour toi que les autres fassent de même.
— Non, ça, c'est toi.
— Ouch.
Petite pause, une feuille morte, brune et déchirée, se colla à ses semelles. Taehyung se releva et reprit son activité, dos à lui. Une nouvelle bourrasque de vent transporta la feuille autre part. Jungkook ne connut pas sa destination finale, il avait arrêté de regarder, déconcentré par Taehyung. Ce dernier décocha une flèche, elle se logea dans le tronc d'un grand pin, solitaire au milieu des hêtres et des bouleaux.
— Il est chatouilleux, dit-il à Jungkook. Il aime la sensation de la flèche qui se niche dans son écorce. Tu sais, tout ira bien cette nuit. Pour Jimin, pour moi, pour tous les autres. Je sais que ce n'est pas facile pour toi, de croire en une force autre que la tienne.
Le soleil perça soudain d'entre les nuages. Ses timides rayons projetèrent sur une une faiblarde lumière de novembre.
— Les choses seraient plus simples s'il y avait d'autres « moi » pour faire tout le travail. Je pourrais être sûr que tout se passe bien, comme ça.
— Crois-moi, tu ne supporterais pas tes autres « toi », dit Taehyung en riant. Et puis, tu n'as pas le pouvoir de téléportation, vingt Jungkook ne changeraient rien à cela. Tu ne peux pas tout faire seul.
Pourtant, c'est ce qu'il avait toujours fait. S'il ne s'en était pas toujours sorti sans séquelles, au moins s'en était-il sorti, d'une manière ou d'une autre. Taehyung aurait dû comprendre pourquoi c'était si difficile de lâcher prise, lorsqu'il s'agissait de la vie de personnes chères. Apparemment, chez Jungkook, l'amour était livré avec l'inquiétude et le doute permanents. Bon sang, il avait eu droit au kit complet ! N'était-ce pas ainsi pour tout le monde ?
— Peut-être, mais c'est nul, bougonna-t-il finalement.
— Moi je trouve que c'est extraordinaire de savoir qu'il y a des gens à tes côtés, qui sont là pour prendre la relève, parfois, insista Taehyung.
Ironique, qu'il dise ça, alors qu'il avait passé les dernières semaines à se murer dans le silence, gardant jalousement son fardeau pour lui seul. Taehyung était si difficile à comprendre, la plupart du temps. Quelques jours plus tôt, il regrettait d'avoir cru à la beauté du monde et dénonçait l'illusion dont il avait été victime. Mais cette croyance faisait partie de lui, réalisa Jungkook. Il avait beau la repousser, il ne s'en débarrasserait jamais. Là résidait tout le paradoxe de Taehyung : dans ses yeux sombres, une tristesse infinie côtoyait un puit d'espoir obstiné.
— Mais ces gens auront beau essayer, ils ne feront jamais aussi bien que moi.
— Peut-être que tu es trop exigeant.
Encore heureux, lorsqu'il s'agit de ta sécurité, de celle de Jimin !
— Peut-être que toi, tu ne l'es pas assez.
C'était fascinant, à quel point Taehyung était exigeant envers lui-même mais indulgent avec les autres.
— Je garde à l'esprit que les gens sont humains, c'est-à-dire enclins à faire des erreurs.
Il ramassa sa flèche et, comme pour conclure, il lança soudain à Jungkook :
— Je suis si impatient d'arriver à Byeolju !
Sa paume tenait la poignée rudimentaire de l'arc. Elle était rouge et cloquée, mais l'inflammation disparut aussitôt qu'il rangea son arme pour se rasseoir à ses côtés.
— Je n'ai pas arrêté d'y penser, ces derniers jours.
Dans on esprit connecté au sien s'était répandue une odeur de galettes chaudes fourrées au miel, et la forme fragmentée d'un canapé aux couleurs automnales se dessinait lentement.
— Tu sais, il n'y sera probablement plus, ce canapé orange.
— Tu arrives à voir ça aussi ? s'écria Taehyung avec une grimace.
— Par petits fragments, c'est très léger.
— C'était celui qu'on avait dans notre maison à Byeolju. Les autres ont râlé pendant des heures quand je l'ai ramené avec moi.
Ses prunelles se voilèrent du tissu de la nostalgie.
— Tu sais, si on devait parler d'un lieu auquel tu étais attaché pour ce qu'il représentait pour toi, il s'agirait du bar de Mme Nocha.
— Je l'ai brûlé et j'ai tué sa propriétaire, objecta Jungkook.
— C'est vrai, mais tu aurais aimé ne pas avoir à le faire.
Jungkook ne répondit rien.
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Taehyung n'était pas le seul que la perspective de retourner à Byeolju mettait dans un état de bouillonnement et d'agitation effrénés. Une excitation nettement perceptible parfumait l'air, celle d'un animal sauvage emprisonné à qui on s'apprête à rendre la liberté.
Byeolju avait été un refuge pour Taehyung, Namjoon, Hoseok et Seokjin, refuge qu'ils avaient quitté à contrecœur, laissant derrière eux des amis, des camarades. Tous étaient sans doute morts désormais, après le raid des soldats de l'Usurpateur, mais Seokjin, comme les autres, gardait un espoir que les évènements n'avaient pas réussi à flétrir.
Dans quelques heures, ils allaient enfin pouvoir quitter cette capitale voleuse d'âme, cette ville où Seokjin avait tant de souvenirs. Il n'en avait parlé à personne, mais ils revenaient par fragments, tous sans importance pour leur quête, mais intenses pour lui : les instants passés au palais, les promenades qu'on l'autorisait à faire à l'extérieur, son arrivée, avec ses parents, lorsque ceux-ci étaient encore en vie et qu'il n'était qu'un enfant.
Il avait réalisé alors qu'il n'avait aucune envie de se rappeler ces moments d'une vie arrachée, perdue. Sa famille était ici, désormais, se souvenir du reste était douloureux, épuisant. Bientôt, il serait de retour à Byeolju, il foulerait à nouveau le sol de ses ruelles. Dans quel état allaient-ils la retrouver ? À cela non plus, il n'avait pas envie d'y songer.
Mêlée à l'excitation d'enfin quitter Manseong se trouvait la peur, celle d'échouer. Seokjin ne s'était pas complètement remis de son escapade au quartier général, il n'avait que trop utilisé son pouvoir dernièrement, mais il s'agissait là du dernier effort. Le plus important de tous. Jungkook lui avait été d'une aide précieuse ; il s'était assuré de le faire comprendre à Namjoon, de lui faire voir que sans lui, il ne serait pas rentré vivant de sa virée, et puis le garçon lui avait donné des conseils précieux pour réussir sa téléportation.
Jusqu'à leur rencontre avec la Confrérie, qui les avait obligés à s'entraîner pour le bal d'automne, Seokjin n'avait jamais pris le temps de comprendre sa magie, ni appris à la développer. L'organisation, et Jungkook par la suite, lui avaient montré qu'elle était une source inépuisable, à l'état de germe si on ne l'entretenait pas, mais qui pouvait croître presque sans limite. Bangtan avait toujours misé sur l'entretien physique, l'endurance, l'adresse, la précision, mais Seokjin se rendait compte qu'il y avait un grand manque à combler dans leur formation. Le plus étonnant était la quantité de choses que Jungkook, qui, d'après Taehyung avait toujours trouvé la magie répugnante, connaissait sur elle.
Connaître l'ennemi pour mieux le détruire, telle avait dû être sa devise. Et puis, quelque part au milieu, il était devenu cet ennemi qu'il haïssait tant auparavant. Il faisait désormais partie des leurs.
— Il est deux heures du matin, retentit la voix de Namjoon. Rassemblement !
Seokjin mit un terme à sa méditation et rejoignit l'origine de la voix. Le feu de camp brûlait et tous ou presque étaient assis autour de la table. Jungkook et Yoongi se tenaient debout, l'un contre l'arbre de Seonhee l'autre près des flammes . La jeune fille était descendue, enfin, pensa Seokjin, et un sourire lui traversa l'âme. Elle portait une tenue entièrement noire, celle de son arrivée ici, qui la faisait ressembler à une ombre. Ses longs cheveux étaient relevés en un chignon bien serré et sa posture droite, comme si elle était aux aguets, prête à bondir au moindre signal d'alarme.
Jimin avait lui aussi attaché ses cheveux assez longs, désormais, pour créer une petite boule à l'arrière de sa tête. Seokjin s'attendait à le trouver tremblant et inquiet, mais il affichait une expression sereine, la silhouette enfouie dans sa grosse doudoune. Un renflement était visible dans les poches, probablement les flacons d'Obscuripoudre qu'il avait préparés pour se défendre. Jungkook lui avait sans doute donné l'un de ses poignards, au cas où. Seokjin se jura de tout faire pour qu'il n'ait pas à s'en servir. S'il avait joué la carte de l'assurance, au moment d'établir le plan, avoir un mortel sous sa responsabilité le rendait nerveux. D'autres pourraient l'accuser d'avoir des préjugés, mais Seokjin avait grandi exclusivement entouré de magiciens, et pour lui, comme pour les autres, l'absence de magie était un gage de faiblesse.
— Tout est prêt.
C'était Taehyung. Seokjin s'installa à ses côtés, passant une main rassurante sur son dos au passage, sous son carquois rempli de flèches. Il portait cette chemise rouge qui faisait tant débat. Une couleur voyante, qu'il aurait mieux valu éviter, mais il refusait d'entendre raison. Seokjin sentit sa salive s'épaissir dans sa gorge : son cousin avait tellement changé. Les traces de ses entraînements avec Haneul étaient encore visibles dans son maintien, dans l'inclinaison de sa voix. Taehyung était devenu l'héritier. Le rôle n'était plus un rôle, il avait débordé dans la vie réelle.
Il avait raison, tout était fin prêt. Hoseok, Namjoon et Yoongi était armés, leurs lames brillaient dans l'obscurité, accrochées à leur ceinture. La sienne, qu'il avait dissimulée contre sa poitrine, se fit soudain plus lourde. Du métal classique, et non pas de la roche céleste. Si Kang-Dae avait des magiciens dans ses rangs, leurs armes pourraient à peine les ralentir. Seul Jungkook possédait des poignards forgés dans le précieux or noir et brillant.
Il n'y avait aucune trace de leurs affaires, que Jungkook avait rapetissées avec Yoongi. Seokjin, serait sans doute capable de modifier lui aussi la taille des objets, s'il s'entraînait. Jungkook lui avait dit que c'était l'une des dizaines de possibilités qu'offrait sa magie. Peut-être l'avait-il déjà fait une ou deux fois, mais, ce soir, l'intégralité de son énergie devait être consacrée à la téléportation.
Namjoon déposa devant lui un petit rectangle noir, que Seokjin identifia immédiatement comme étant le gadget qui leur permettait de communiquer. En regardant les autres de plus près, il vit que tous en possédait un derrière l'oreille.
Bien, au moins, ils ne seraient pas complètement seuls.
— Souvenez-vous, leur rappela Yoongi, ils fonctionnent à 3km de distance maximum. D'ici aux portes, il y en a exactement 16, nos deux équipes ne pourront donc pas communiquer tant que vous ne vous serez pas téléportés. Taehyung, Jungkook, vous n'avez aucune idée de la distance à laquelle votre lien ne fonctionne plus ?
— On te l'a dit, répondit Jungkook avec agacement, je l'entends plus si je m'éloigne de trois ou quatre kilomètres.
— Mais c'est aussi parce qu'on voulait que ce soit le cas, ajouta Taehyung. Peut-être que si on essaie... Mais le lien d'âme-sœur est plus compliqué que ça.
Lien d'âme-sœur. Pour Seokjin, c'était encore surréaliste.
— Si quelque chose t'arrive, je le saurai immédiatement, peu importe la distance.
— Il ne m'arrivera rien, Jungkook.
Les deux magiciens échangèrent un long regard et Seokjin se sentit soudain de trop. Heureusement, Hoseok se racla la gorge et la tension éclata aussitôt.
— Il ne nous reste plus qu'à attendre, dit-il. L'équipe de terrain partira à 2h40. Avec Seonhee, nous serons un peu ralentis, mieux vaut prendre de l'avance.
— Audacieux de votre part, de croire que vous allez plus vite que moi, magicien, intervînt la jeune fille, et c'était probablement la première fois qu'elle ouvrait la bouche depuis le début de la soirée.
— J'ai hâte de te voir me démontrer le contraire, lui répondit Hoseok avec un sourire sincère.
Il accompagna ses paroles d'un signe de tête.
— Comptez sur moi.
Eh bien, il n'y avait plus qu'à attendre, en effet. Yoongi s'était assuré que leurs montres soient intraçables, toutes indiquaient deux heures et vingt minutes. Pendant quelques instants, le silence le plus complet se fit autour de la table, puis Taehyung se mit à chantonner doucement. Lorsqu'il était nerveux, c'était ce qu'il faisait pour se rassurer ; enfant déjà, au palais, il avait cette habitude. Seokjin se sentit instantanément plus détendu. Son timbre apportait avec lui une paix qui avait quelque chose de sinistre, comme voilée de douleur et de nostalgie, mais il était aussi plein d'une beauté pareille à rayon de lune sur une mer ondoyante.
— C'est la chanson que tu jouais au piano, au bar, dit soudain Jungkook.
— Oui. Ma mère la chantait pour moi. Maintenant, on sait pourquoi elle te disait quelque chose, à toi aussi.
— Tu t'en souviens ? demanda Seokjin.
— Avant aujourd'hui, j'entendais ma mère la jouer au piano. Maintenant, des bribes de paroles me reviennent.
Alors il se mit à chanter de nouveau :
— Et au milieu, le garçon aux cheveux argentés dans sa chemise bleu ciel, l'œil attristé et l'humeur arc-en-ciel...
— ... regardait le ciel, rêvant d'ailes d'hirondelles, compléta Seokjin, sans vraiment chanter, plutôt comme on réciterait un poème.
— Mais en bas, ça sentait le caramel, et il voyait les corps qui s'emmêlent, car en bas, rien n'est éternel.
Taehyung fit une pause et déclara qu'il ne connaissait pas la suite. Seokjin observa Jungkook. Il fixait son âme-sœur avec tant d'intensité qu'il devina que quelque chose n'allait pas. Taehyung mentait-il ? Il essaya lui aussi de se souvenir du reste des paroles, mais les mêmes phrases revenaient en boucle.
L'heure de la séparation arriva enfin. Le coeur cognant avec force dans sa cage thoracique, Seokjin se leva, ainsi que tous les autres. Namjoon se retrouva face à lui, toutes traces de ses fossettes disparues.
— Jin, murmura celui-ci.
Seokjin aurait voulu lui dire que tout irait bien, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Tout était si compliqué quand il s'agissait de Namjoon. Peut-être devrait-il au moins le prendre dans ses bras ? Mais tous les deux étaient bien trop pudiques pour ce genre d'épanchements en public. Soudain, il regretta de ne pas être seul avec lui ; il regretta les silences de ces dernières semaines.
— On se retrouve dans quelques minutes, hein ?
— Oui, répondit Seokjin. Sois prudent.
Namjoon lui effleura la main, presque imperceptiblement, puis lui tourna le dos. Plus loin, Jimin montrait une dernière fois à Jungkook qu'il savait comment dégainer son poignard en cas de besoin. Celui-ci parut satisfait : il donna une tape sur l'épaule de Jimin, qui tressaillit légèrement, remarqua Seokjin, puis prit sa place avec les autres, Seonhee sur les talons. Taehyung et lui n'avaient pas échangé une parole, mais lorsque son cousin vint se placer à sa droite, après avoir longuement enlacé Yoongi, Seokjin comprit, en un regard sur ses traits tendus, qu'ils communiquaient à leur manière.
— Je compte sur toi pour en faire voir de toutes les couleurs aux Traqueurs, si c'est nécessaire, disait Yoongi à Jimin, à sa gauche.
— Ne lui donne pas de mauvaises idées, lança sèchement Jungkook, de là où il était.
— On trinquera à tes exploits à Byeolju, continua Yoongi en l'ignorant complètement.
Jimin gloussa et leva les pouces.
L'équipe de terrain s'éloigna, jusqu'à disparaître complètement de leur vue.
— Bon, c'est bientôt notre tour, fit Seokjin, d'une voix qu'il espérait confiante. Restez près de moi, et dès qu'on nous aura repérés, prenez mon bras.
— Tu vas réussir, Seokjin, je n'en doute pas une seconde.
— Merci, Jimin.
— J'ai mon arc, ajouta Taehyung. Ils ne nous toucheront pas.
— Dis, Taehyung, demanda Jimin, pourquoi un arc ? Ta magie suffirait.
Seokjin ne s'était même pas posé la question. Il posa les yeux sur Taehyung, à présent lui aussi dans l'attente d'une réponse, tandis que son cousin observait Jimin avec une expression indéchiffrable. Ce pourrait-il que ce soit de la surprise ?
— L'arc, c'est plus sûr, répondit-il finalement.
— Je vois.
Le signal qu'ils attendaient se manifesta à trois heures et trois minutes exactement. Ils n'entendirent pas les Traqueurs arriver, mais ils s'étaient préparés à cette éventualité depuis leur virée au quartier général de Bangtan, où ils avaient appris que leurs ennemis utilisaient des suppresseurs pour dissimuler leurs traces. Néanmoins, ils aperçurent distinctement un groupe d'hommes armés avancer parmi les arbres nus. Seokjin sentit Jimin et Taehyung se serrer davantage contre lui ; cela lui donna le courage nécessaire pour ne pas se téléporter dans la seconde et quitter cet endroit.
— Attendons qu'ils nous voient, murmura Taehyung.
À peine les mots eurent-ils quitté sa bouche que Seokjin fut brusquement poussé sur le côté, avec tant de force qu'il perdit l'équilibre. Le souffle du vent lui caressa l'oreille et il comprit, en voyant une flèche noire et brillante plantée à l'exact endroit où il s'était trouvé, que Taehyung l'avait écarté de sa pointe mortelle. Celui-ci avait déjà décoché deux flèches et les hommes les plus proches d'eux s'effondrèrent. Il a visé les jambes, nota Seokjin. Pas le coeur, ni la tête, mais les jambes.
Des cris retentirent de toutes parts. Seokjin eut le temps d'apercevoir des visages juvéniles, dont celui de Yeonjun, avant de se relever aussi vite qu'il le pût et d'attraper le bras de Jimin.
— TAEHYUNG ! cria-t-il, alors que des Traqueurs les encerclaient déjà.
Moins d'une seconde plus tard, une tempête de cheveux noirs et argentés se rua sur lui. Seokjin sentit des doigts se refermer autour de son poignet et ferma les yeux.
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Taehyung rouvrit les paupières, juste à temps pour retenir un Seokjin chancelant par les aisselles.
— Tout va bien, le rassura ce dernier en se dégageant, malgré son teint blême qui annonçait clairement le contraire. Jimin ?
— Je suis là, ça va, répondit une voix à quelques centimètres de Taehyung.
Ils avaient atterri sur un terrain plat et goudronné, aussi désert et silencieux que pouvait l'être un endroit reculé de Manseong à trois heures du matin. Environ deux cents mètres plus loin devant se trouvait la muraille de la capitale, nue et grise, avec au centre les doubles portes grandes ouvertes de la ville. Trois lampadaires de chaque côté éclairaient faiblement l'endroit d'une lumière jaune aveuglante qui les empêchait de voir ce qui se trouvait au-delà, mais grâce aux plans qu'ils avaient étudiés, Taehyung savait qu'un morceau de muraille datant du règne des Kim s'y trouvait également. On aurait dit qu'un puit noir était prêt à les avaler s'ils s'y approchaient de trop près.
Derrière eux, un grillage de barbelés délimitait le périmètre, avec, de l'autre côté, une route flambant neuve cernée d'arbres massifs. Taehyung s'était attendu à des combats sanglants entre les Traqueurs et l'équipe de terrain, à une cacophonie sans nom, ainsi ce silence pesant lui noua l'estomac. Pas une trace de Jungkook, Hoseok, Namjoon, Seonhee ou Yoongi dans les parages.
Cette entrée — ou sortie — de la ville n'était pas celle qu'empruntait le commun des mortels ; elle était réservée aux convois de soldats, aux hommes d'affaires ou, en d'autres termes, aux privilégiés qui ne désiraient pas se mélanger à la masse maigres et condamnés qui s'agglutinaient aux portes principales dans l'espoir d'entrer dans le paradis étourdissant qu'était la capitale.
Taehyung ? entendit-il soudain, en même temps que son esprit fût assailli par toutes sortes de pensées, de parfums et de sons qui ne lui appartenaient pas.
Jungkook ? Où êtes-vous ?
De l'autre côté, on vous attend. Nous les avons tous tués, les autres ont été appelés en renfort au refuge, le plan a fonctionné.
— Regardez ! retentit la voix de Seokjin à ses côtés.
Taehyung suivit son regard ; tout près des portes, jusqu'à présent invisibles à leurs yeux trop occupés à regarder ailleurs, il aperçut plusieurs masses sombres, peut-être une dizaine.
— Des cadavres de Traqueurs, souffla-t-il. Jungkook m'a dit qu'ils les avaient abattus, expliqua-t-il, la bouche acide. Ils sont saufs de l'autre côté du mur. Les soldats restants sont partis au refuge dès qu'ils ont eu le signal, la diversion a réussi.
— Ok, allons les rejoindre, conseilla Seokjin, le soulagement perceptible dans sa voix. Je suis désolé, je n'ai pas réussi à nous téléporter plus loin.
Ils se mirent à avancer d'un pas rapide dans l'air lourd et condensé. Taehyung avait l'impression qu'une myriade d'yeux perçaient la nuit et les observaient derrière les lampadaires, dans ces abîmes sans fond.
— Nous ne sommes pas seuls, murmura-t-il, et Seokjin hocha aussitôt la tête pour établir le même constat. Jimin, reste derrière moi.
Jimin se rapprocha et lui attrapa l'une des extrémités de sa chemise rouge, cible parfaite dans l'obscurité. Taehyung ? Que se passe-t-il ? Leurs opposants se tenaient sans doute cachés là où ils ne pouvaient les voir, à même le sol ou bien perchés sur les murs. Soudain, sur sa gauche, Taehyung crut apercevoir une silhouette se découper sur le ciel sans étoiles et, sans perdre un instant même si ses mains tremblaient, il érigea une barrière de glace tout autour de ses camarades et lui. Réponds-moi, bon sang ! Comme si c'était le signal qu'ils attendaient, des hommes surgirent de toutes parts ; le vent souffla avec force à ses oreilles en même temps qu'une pluie de flèches s'abattit contre le bouclier givré.
Taehyung comprit qu'en utilisant son pouvoir, il venait de trahir son identité.
— On nous attaque ! cria-t-il inutilement, tandis qu'une détonation fracassante résonna et vînt fissurer la muraille de glace.
ÇA VA ? Tu es effrayé, dis-moi ce qu'il y a !
— Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Seokjin avec urgence.
Taehyung ne sut pas s'il s'adressait à lui ou à la personne de l'autre côté de l'écouteur à son oreille, qu'il couvrait d'une main.
Lui-même avait oublié d'activer son appareil de communication ; les assauts de Jungkook dans sa tête le déstabilisaient déjà bien assez.
— C'est moi qu'ils veulent, répondit-il, luttant pour maintenir le bouclier sur pied. Je ne pense pas que l'Usurpateur veuille me tuer tout de suite. Mettez-vous derrière moi, qu'il soit impossible de vous atteindre sans me tuer avant.
— On ne peut pas risquer une telle chose pour une supposition !
— Jin, fais ce que je dis, d'accord ? Nous n'avons pas d'autre choix !
Il consulta sa montre : trois heures et huit minutes, ce qui voulait dire qu'il ne leur restait qu'une dizaine de minutes pour franchir les portes de Manseong et rejoindre les autres.
— La barrière va tomber dans quelques secondes, reprit-il, le cerveau tournant à toute allure.
Il retint son envie pressante de se fracasser le crâne contre le sol afin de ne plus ressentir ni entendre l'inquiétude de Jungkook dans sa tête.
— J'ai six flèches, nous ne savons pas combien d'assaillants il y a, mais ils ont des arcs eux aussi, et des armes à feu, à en juger par les impacts de balles sur le bouclier. Je vais essayer d'en atteindre le plus possible, d'accord ? Pendant ce temps, on avance. On ne pourra pas courir, j'ai besoin d'être immobilisé pour ne pas manquer ma cible, mais je vais m'efforcer de faire vite. Jin, peux-tu utiliser tes pouvoirs ?
— Je n'en suis pas sûr, la téléportation m'a épuisé.
— Si tu y arrives, ralentis tout ce qui tentera de nous atteindre.
— Très bien !
— Jimin, tu as un poignard que Jungkook t'a donné. Crois-tu pouvoir en viser un ?
— Je vais essayer.
— Les autres ne peuvent pas venir nous aider, on doit s'en sortir seuls, d'accord ? La porte n'est qu'à quelques dizaines de mètres, ajouta-t-il avec aplomb. Allons-y !
Taehyung avait la nausée, la tête sur le point d'exploser. Tous s'étaient préparés à une bataille ouverte, une mêlée, et non pas à des adversaires invisibles, trop loin pour envisager le combat rapproché, domaine dans lequel ils avaient un net avantage grâce à leur force de magiciens.
Après une violente secousse, le bouclier de glace éclata en morceaux. Taehyung se jeta sur Jimin et Seokjin, pour qui l'un de ces fragments, tombé au mauvais endroit, pouvait s'avérer mortel, et tous se mirent à courir sous une pluie de glace, profitant des éclats aveuglants pour prendre de l'avance.
Je viens pour vous aider. Je serai là dans une minute.
NON ! Les autres voudront te suivre... Vous avez passé les portes, je vous interdis de revenir.
Il ne pouvait pas laisser Jungkook et les autres voler à leur secours, le risque qu'ils ne puissent pas s'enfuir à temps, ou de tomber sur d'autres soldats du roi en voulant faire demi-tour, était trop grand. Sans compter le système de sécurité - la barrière anti-magie mise à part - qui empêchait quiconque à l'extérieur de pénétrer dans l'enceinte de la ville. Ils avaient accompli leur mission, avaient réussi à franchir les portes de Manseong, c'étaient à eux, Taehyung, Seokjin et Jimin, de faire de même cette fois-ci. Cela faisait partie des règles qu'ils s'étaient fixés : interdiction formelle de revenir en arrière.
Je m'en cogne de vos putains de règles, Taehyung !
Si tu veux faire partie des nôtres, tu dois t'y plier aussi !
Fichu lien, si seulement il parvenait à le mettre en pause, rien qu'un instant. Il lui fallait rejoindre Jungkook, apaiser son inquiétude et se repaître de son visage énergique, bien que probablement renfrogné ; il lui fallait voir ses traits s'illuminer au moment où il s'avancerait vers lui, sain et sauf.
Je ne suis pas des vôtres, je suis l'un des tiens, juste à toi.
— Il y a quatre hommes sur notre gauche. Au sol ! hurla-t-il aux autres, par-dessus le bruit du vent qui sifflait dans ses oreilles. Deux sur la muraille, près des portes !
Alors écoute ce que je te dis, s'il te plaît. Cinq minutes et tu me verras courir vers toi.
— Trois ! lui répondit Jimin.
Il avait raison, ce qui faisait un total de sept hommes visibles pour le moment, et il n'avait que six flèches.
— Je m'occupe de ceux à gauche. Jin, essaie de parer les attaques de ceux des murs !
— Ok, ils n'ont que des armes à feu et des arcs, je devrais m'en sortir !
Taehyung décocha sa première flèche aussi vite que possible et la regarda à peine percer l'air nocturne pour venir se planter dans le genou d'un Traqueur avant d'en décocher une autre qui fila droit dans l'abdomen d'un deuxième homme.
Vise le coeur, le visage ou la gorge, Taehyung !
Devant lui, Seokjin ralentit la trajectoire d'une balle qui fonçait droit sur eux, puis d'une deuxième. Juste au moment où elles allaient les atteindre, c'était comme si l'air s'était soudain épaissi et qu'elles se débattaient contre lui pour avancer, sans succès.
— Jimin, passe-moi ton poignard !
Un instant plus tard, ils entendirent un cri, puis le bruit sourd d'une masse qui percute le sol. Seokjin venait de lancer son arme et d'abattre l'un des soldats du mur. Il n'en restait plus que six en vie, dont deux blessés.
— Taehyung, j'ai une idée, retentit la voix de Jimin, tout proche. Tiens, enduis tes flèches d'Obscuripoudre et vise un œil. Avec un peu de chance, la substance se diffusera au moment de l'impact pour atteindre le deuxième également. Ils ne pourront plus nous viser...
Mais ça ne les tuera pas. Jimin n'avait pas fini sa phrase, mais Taehyung savait que c'était exactement ce qu'il sous-entendait. Ainsi, il avait remarqué, lui aussi.
— Jimin, tu es un génie !
Il attrapa le flacon qu'il avait dissimulé à sa ceinture, s'arrêta une fraction de seconde, érigeant une nouvelle barrière de glace - bien plus faiblarde que la première - le temps de recouvrir la pointe de sa flèche de la poudre aveuglante. Il espéra qu'elle ne soit pas volatile au point de le blesser, ou de disparaître dans l'air avant que la flèche n'atteigne sa cible. Derrière lui, Jimin ne perdit pas de temps : muni d'un autre flacon, il sortit de son carquois chacune des flèches afin d'exécuter la même manœuvre.
— C'est bon !
Ils reprirent leur marche et la barrière de glace tomba comme un rideau à la fin d'un spectacle, sans projeter ses éclats dans les airs, cette fois. Ils avançaient laborieusement, Seokjin devant lui, Jimin derrière, le plus près possible afin d'éviter les projectiles qui venaient dans leur direction.
Tu dois les tuer, Taehyung, où ils nous suivront.
On entendait les Traqueurs hurler des ordres, et puis les voix se multiplièrent, elles n'étaient plus six, mais une dizaine. Des renforts sont là, se dit brièvement Taehyung, sans réellement y croire, sans se laisser le temps de mesurer la signification de ce constat qui lui était venu si naturellement. Bientôt, tu n'auras plus de flèches. Laisse-moi venir t'aider. Ses flèches ne manquèrent pas leur cible ; aveuglés, quatre soldats étaient désormais hors course, mais des silhouettes se précipitaient vers eux, ne se cantonnant plus à une attaque à distance. Non ! Reste où tu es ! Taehyung se sentait pris au piège, un gladiateur dans une arène, entouré de lions affamés, avec le public qui ne se contente pas de hurler, mais qui vous lance des flèches empoisonnés et des balles meurtrières.
— Taehyung, tu n'as pas besoin de cet arc, utilise ta magie !
C'était Jimin. Malgré leur situation catastrophique, sa voix ne tremblait pas. Bien sûr qu'il y avait pensé, mais il avait refusé cette éventualité, parce qu'elle ne l'écoutait plus, dernièrement, sa magie.
Construire des murs de glace ne demandait aucun effort particulier, se défendre non plus, mais lorsqu'il s'agissait d'attaquer, c'était comme si ses pouvoirs se heurtaient à sa volonté et perdaient inlassablement la bataille. Il ne voulait pas se battre. Pour le lui faire payer, lorsqu'il la laissait faire, sa magie s'exprimait avec deux fois plus de force, comme pour lui montrer qu'il était vain de tenter de l'entraver. Elle avait raison, Taehyung savait que plus il essaierait de la brider, plus elle deviendrait dangereuse, plus IL deviendrait dangereux ; mais depuis ce jour à la Cité des Anges, depuis qu'il avait tué un homme et n'en avait sauvé aucun, la peur avait fait de lui sa marionnette. Il était soumis aux caprices de sa magie, de ses émotions.
Toujours elles, ces fameuses émotions, desquelles il avait été si longtemps privé.
Avec acharnement, il avait essayé de se maîtriser, de faire de sa magie une alliée, comme avant, mais avec la culpabilité qui l'étouffait, avec Jungkook et lui qui ne s'adressaient plus la parole, et puis l'angoisse de se trouver enfermé dans une forêt sans aucun moyen d'en sortir, il n'y était pas parvenu, la situation n'avait fait qu'empirer. Sans compter qu'il ne s'était confié à personne. Alors il avait construit un arc, des flèches, et s'était durement entraîné, l'air de dire à sa magie : « Tu es en colère, très bien, je ne ferai plus appel à toi tant que tu ne seras pas calmée » ; l'arc était une valeur sûre, cela ne dépendait que de son adresse, il lui suffisait de s'exercer, n'importe qui pouvait le faire.
— Si j'utilise ma magie pour attaquer... je vais les tuer, souffla-t-il, pour lui-même, pour Jimin, à qui il n'avait toujours pas répondu, pour Jungkook, qui l'attendait derrière ce mur.
Des dizaines de lueurs bleues approchaient, il reconnut les jôkâh. L'air sentait la poudre, l'humidité et le métal, tandis qu'à l'intérieur, un parfum âcre lui nouait les entrailles. Soudain, le ciel s'illumina et un bourdonnement inouï se fit entendre ; pendant un instant, Taehyung crut qu'il allait s'ouvrir en deux, puis il comprit de quoi il s'agissait en pivotant la tête sur sa gauche : deux immenses machines pointaient droit sur eux leurs yeux vides et meurtriers. Le sol à quelques mètres d'eux éclata avec un nouvel éclair lumineux et un fragment de goudron vînt lui entailler la joue, alors que l'onde de choc avait projeté Jimin et Seokjin en arrière.
— NE LE TOUCHEZ PAS ! entendit-il hurler. LE ROI LE VEUT VIVANT !
Il frotta sa joue, pour y trouver une peau intacte ; déjà, l'écorchure s'était résorbée.
— Taehyung, Jin est touché à l'épaule !
Celui-ci se tenait effectivement l'épaule, le visage couvert de la poussière ramenée par le vent, les traits déformés par la douleur. Impossible qu'il utilise encore sa magie dans cet état. Jimin tenait le côté gauche de son bas ventre, visiblement endolori par sa chute. Taehyung se précipita vers eux et les canons arrêtèrent de cracher ce qui ressemblait à de la roche céleste à l'état brut. C'est une arme de dissuasion, se persuada-t-il, du bluff. Ils ne pouvaient pas gaspiller le matériau le plus précieux du royaume aussi légèrement, même pour le capturer.
Seulement, les renforts avaient profité de cette diversion pour se rapprocher, ils étaient quasiment sur eux, désormais, si proches qu'il était impossible d'ignorer leur réalité, leur humanité.
Taehyung immobilisa les deux premiers d'un filet de glace qui leur entoura les jambes, mais ses mains tremblaient tellement qu'il faillit manquer sa cible et laissa passer le troisième, qui engagea la lutte avec un Seokjin affaibli. Jimin déboucha un nouveau flacon d'Obscuripoudre et le lui fourra droit dans les yeux afin de libérer son cousin du combat, qui fut aussitôt assailli par un nouvel adversaire.
Ils sont partout, Jungkook...
La magie effraie parce qu'elle fait jaillir des vérités terrifiantes. Parce que tu la sens bouillonner à l'intérieur. Mais c'est un don de soi. Un cadeau. C'est toi qui m'as dit tout ça !
Il y a si longtemps !
Tu n'y crois plus ? Alors c'étaient des conneries ?
Au moment où il avait prononcé ces mots devant Jungkook, il y avait cru de tout son coeur, mais à cette époque, avait-il un coeur à lui ? Il n'était surtout qu'un magicien surprotégé, un homme malade, vivant dans une réalité factice, incapable de ressentir quoi que ce soit d'authentique. Entre temps, il avait réalisé que les discours n'étaient que cela : des discours. Franchement, c'était un miracle que Jungkook ait accordé autant de crédit à ses paroles.
Tu m'as promis que ça irait. Tu te plains d'être impuissant, mais quand tu as l'occasion d'agir, tu fuis !
— Taehyung...s'il te plaît... il faut que tu te dépêches, je n'en peux plus.
La voix de Seokjin le sortit de sa torpeur. La réalité le frappa de plein fouet. Que faisait-il là, immobile, laissant ses camarades se battre seuls ? Devant lui, le chemin restant jusqu'aux portes lui paraissait immense, démesuré. Une vingtaine de mètres, tout au plus, mais il avait l'impression que jamais il n'y parviendrait, il y avait entre eux et la sortie une douzaine de soldats armés ; le sol, tacheté par la lumière des lampadaires, subissait les distorsions du pouvoir de Seokjin, qui retenait encore la plupart des Traqueurs loin d'eux.
Les portes reculaient, Jungkook martelait son esprit de pensées tour à tour désespérées et colériques, et Taehyung se remit à avancer. Sa montre indiquait 3h15. Cinq minutes et la barrière anti-magie serait à nouveau opérationnelle. Les ingénieurs devaient être au courant de l'opération en cours, sans doute essayaient-ils d'accélérer les choses, il ne leur restait peut-être moins de temps encore. Taehyung poussa Jimin, qui se trouvait dans la trajectoire d'un projectile, afin de le mettre à l'abri. Ensuite, il leva ses paumes à hauteur de ses épaules et laissa le flux de magie, qui tressautait derrière le lobe de son oreille, parvenir jusqu'à ses doigts.
J'ai la vie de mes amis dans le creux de mes mains, se dit-il, juste avant de lâcher prise. Ma vie.
Les quatre hommes à proximité, leur arme brandie dans leur direction, prêts à se saisir de lui, furent instantanément balayés par une rafale d'argent. L'horreur se répandit dans tout son être mais il était trop tard, la magie libérée avait une revanche à prendre.
— Jin, Jimin, PARTEZ !
Des filets de glace jaillirent de ses mains, se cristallisèrent pour former des pics de glace et les hommes qui entouraient Seokjin s'effondrèrent, les jambes lacérées, ce qui lui permit, avec Jimin, de fuir en direction des portes.
— Les portes ! BLOQUEZ LES PORTES ! rugit quelqu'un, Taehyung identifia un homme à sa droite, à l'écart des combats.
— La porte restera ouverte, répondit-il pour lui-même.
Il fit ensuite quelque chose qu'il avait déjà fait avec Jungkook, une fois. Il se mit à courir, puis sauta dans les airs, mais au lieu de retomber sur ses jambes quelques pas plus loin, il s'éleva au-dessus du sol, se fondant presque dans la nuit. De ses doigts continuaient de surgir de la glace, il y en eût bientôt partout, sur le sol, les murs, autour de Jimin et Seokjin, afin de tracer pour eux un chemin sûr. Mais il sentait l'énergie quitter son corps à mesure qu'elle mettait ses ennemis hors d'état de nuire. Une rangée de boucliers lui répondit, les Traqueurs formèrent une ligne de défense qui encouragea Taehyung à accélérer la cadence. Il retomba à terre et se remit à courir, à quelques pas à peine de la délivrance. Le vent se mit à tourbillonner, entoura Seokjin et Jimin, qui franchirent les portes de Manseong avec succès. Il suivit peu de temps après, à trois heures et dix-sept minutes, et fut rejoint, à peine une dizaine de secondes plus tard, par une silhouette agile et un visage juvénile :
— Choi Yeonjun ! cria-t-il, reconnaissant le garçon qu'il avait maints fois aperçu dans les archives de Bangtan, mais aussi dans l'esprit de Jungkook.
— Je sais où se trouve les autres, laissez-moi vous y conduire. Vous pouvez me couvrir ?
Taehyung acquiesça, et, sans arrêter de courir, jeta un œil derrière son épaule. À quelques centaines de mètres après le mur, on ne voyait de la capitale que la partie supérieure de ses immeubles imposants, au loin, avec une poignée de lumières aux fenêtres et toutes les autres éteintes, les occupants des appartements probablement endormis.
Kim Taehyung, le roi sans couronne ni royaume, venait de quitter Manseong dans l'indifférence générale.
La nouvelle sera-t-elle couverte par les médias ? se demanda-t-il. Certains avaient-ils vu ou entendu ce qui s'était produit ce soir ? La glace ne tarderait pas à fondre, et alors il ne resterait plus aucune trace de son passage. Mais Taehyung se sentait euphorique, invincible. Toute la fatigue accumulée s'était volatilisée comme fond la neige au soleil, remplacée par une énergie dévorante. Taehyung, attention. Contrairement à l'entrée principale, il n'y avait, à l'extérieur, aucune trace d'habitations ou de vie humaine. Tout autour d'eux n'était que bâtiments de maintenance grisâtres et végétation à l'état sauvage. Jungkook avait dit vrai, tous les Traqueurs, gardes et soldats en fonction avaient été mobilisés aux portes ou bien au refuge, il ne restait personne à l'extérieur. Seokjin et Jimin, un peu plus loin, sur une route mal entretenue, approchaient dans leur direction. Pourquoi faisaient-ils demi-tour ? Taehyung n'en savait rien, mais étrangement, cela n'avait plus la moindre importance.
— Taehyung, qu'est-ce que tu fais !
Seokjin accourut, Jimin sur les talons et la mine alarmée, celle-là même qu'il prenait si souvent à cause de lui. Taehyung s'arrêta, une bouffée d'incompréhension lui attrapant la gorge, puis il comprit en se forçant à regarder plus attentivement autour de lui. Le vent semblait s'être arrêté de souffler, le balancement des arbres avait cessé, comme si tout était figé.
Comme si tout était givré.
— C-C'est moi qui fais ça ?
Sa magie en furie poursuivait son aventure, emprisonnant dans une forteresse de givre tout ce qui se trouvait à proximité.
— Yeonjun et Jimin ! s'écria Seokjin.
Les deux hommes tremblaient tellement qu'ils s'effondrèrent sur le sol recouvert de blanc. Bientôt, le claquement de leurs dents qui s'entrechoquaient violemment fut tout ce que Taehyung put entendre, ce qui ne fit qu'augmenter la panique qu'il ressentait et exciter ses pouvoirs. Même Seokjin paraissait affecté par le brusque changement de température ; les lèvres bleuies, il avançait d'un pas mal assuré.
— Ne t'approche pas !
Je n'arrive plus à l'arrêter. Jungkook, ma magie ne veut pas s'arrêter !
— Taehyung, essaya Seokjin d'une voix douce, on a réussi, on est sortis ! Il faut rejoindre les voitures, maintenant, avant que d'autres hommes ne rappliquent.
Mais il n'écoutait plus. Même la voix de Jungkook paraissait lointaine, les sensations dues à sa présence atténuées. Il se recroquevilla sur lui-même, laissa la glace l'entourer complètement, jusqu'à ce qu'il ne puisse même plus apercevoir les autres. Lui qui avait froid si facilement, lorsqu'il utilisait sa magie, il se sentait bien, galvanisé. Il n'avait plus peur de fondre, de disparaître. Et ce silence ! Il n'entendait plus rien, les arbres, habillés d'argent, avaient cessé de murmurer à ses oreilles, la Terre entière était silencieuse, enfin.
Il obtenait le répit qu'il avait tant mérité, après des mois, non, des années à supporter les gémissements, les cris, les appels à l'aide des créatures de ce monde esseulé. Plus l'air se rafraichissait, plus il se réchauffait, parce que c'était cela, sa vraie nature.
C'est faux, tu ne veux pas être comme ça. Quelle était cette voix, qui venait percer ce calme parfait ? Comme si on retirait du coton de ses oreilles, il l'entendit de plus en plus fort, de plus en plus proche, puis une lueur orangée vint tâcher tout ce blanc, comme un lever de soleil dont les rayons vermeilles sillonnent l'univers et arrosent l'hiver. Le soleil s'approcha jusqu'à envelopper son corps, il sentit une main autour de sa taille et son esprit revint dans son corps, les bruits reprirent, le vent souffla à nouveau. Taehyung s'effondra contre la chaleur, passa ses bras autour de sa nuque brûlante et se laissa aller.
— Je suis là, d'accord ? Laisse-moi prendre le relais.
Taehyung ne put répondre. Il se laissa porter, se laissa guider, avec l'impression que tout tanguait autour de lui. À nouveau, la fatigue l'assaillit, et adieu l'euphorie. À travers ses paupières entrouvertes, il distingua vaguement les visages de Namjoon, Hoseok et puis Yoongi,. Il comprit qu'ils avaient atteint les voitures et retrouvé les autres. Il ferma les yeux et, lorsqu'il les rouvrit, il ne savait combien de temps plus tard, il se trouvait à l'intérieur d'un véhicule aux revêtements marrons, la tête contre une vitre pleine de buée, l'esprit embrouillé, la main dans celle de Jungkook, chaude et accueillante.
— J'ai échoué, murmura-t-il. Je voulais te montrer... que tu pouvais compter sur moi, que je serais capable de faire aussi bien que toi.
— Vous êtes tous les trois en sécurité, pas vrai ? Tu t'en es sorti à merveille.
— Mais tu as dû venir.
Taehyung s'était fait prendre à son propre piège. En voulant montrer à Jungkook que laisser faire les autres était parfois salvateur, il avait été celui qui refuse une aide bienvenue. Une aide dont lui, Seokjin et Jimin avaient eu besoin.
— Namjoon a décidé que nous devions vous rejoindre. J'ai respecté les règles, Taehyung, je ne suis pas venu pour toi.
— Vraiment ?
Jungkook hocha la tête.
— J'ai eu de la chance d'arriver suffisamment tôt pour assister à ton spectacle de roi des glaces. Très impressionnant, d'ailleurs.
— Il a raison, intervînt Yoongi qui conduisait, Jimin à ses côtés. Moins cinq points pour la discrétion, par contre.
— Jimin, demanda Taehyung en se redressant, ignorant la douleur derrière son front qui faillit le faire chanceler à nouveau. Tu vas bien ?
— Super bien. Jungkook m'a décongelé.
— Uh, fit Yoongi, c'est très bizarre, hors contexte.
Un premier gloussement se fit entendre ; Taehyung aperçut Yeonjun tout à gauche de Jungkook, une main coupable sur sa bouche. Puis, comme si on avait retiré un bouchon bloquant l'arrivée d'eau, une cascade de rires se déversa dans la voiture, des rires de toutes sortes, chargés de nervosité, de soulagement, ou frisant l'hystérie.
— Taehyung, reprit le conducteur, une fois la crise passée, on arrive bientôt à la maison.
*-*-*-*-*-*
Purée, j'en ai chi* pour le sortir, celui-là ! Je suis vraiment désolée, vraiment ça craint. Je ne sais pas ce qui était le plus dur, la scène d'action, les dialogues, la scène entre Taehyung et Jungkook ? J'ai eu un énorme blocage. J'espère que cette version finale vous plaira malgré tout. Mon insatisfaction mise à part, je suis trop contente de vous retrouver !
Notre petit groupe a enfin quitté Manseong, il était temps !
Que va-t-il se passer ensuite, d'après vous ?
On se retrouve bientôt je l'espère <3
PS : Je me suis inscrire sur Threads, c'est une appli qui ressemble à twitter mais qui est automatiquement liée à votre compte instagram et à vos amis intagram. N'hésitez pas à en créer un aussi si ça vous intéresse :)
Comme pour insta, mon profil est WhiteSwan1307
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