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(T2) Chapitre 2 : À travers la nuit


Titre : All through the night by Sleeping at last (original by Cindy Lauper)

Le début de ce chapitre reprend des événements s'étant produits dans le tome 1, mais du point de vue d'un autre personnage. Si vous ne vous en souvenez plus, cela fera un rappel !


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Euboulia : mot grec signifiant « l'aptitude à prendre de bonnes décisions »


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    Du haut de son arbre, une douleur lancinante dans le bas ventre, l'air froid courant le long de sa peau, Seonhee se félicitait pour les décisions qu'elle avait prises. Non, cela n'avait pas été facile ; il avait d'abord fallu choisir sur quelle force miser, entre Jeon Kang-Dae et Jeon Jungkook. Le roi ou le prince, l'oncle ou le neveu.

Elle aimait croire que son choix avait été complètement raisonnable et raisonné, que le fait que Jungkook eut laissé, disons, une meilleure impression sur elle n'avait en rien pesé dans la balance. Tout n'était que stratégie. Le prince était intelligent et fort, il avait de la ressource, il lui avait offert davantage que le roi, voilà tout. Il l'avait démasquée dès le premier jour et, alors qu'on avait dressé de lui un portrait peu flatteur, celui d'un garçon violent et capricieux incapable de réfléchir, elle avait découvert à la place un homme méthodique et convaincant.

Jouer les agents-doubles lui avait assuré une double protection et deux fois plus d'argent. Oui, elle avait eu raison. Sa rencontre avec Taehyung, ce fameux soir où il lui avait affirmé à la porte d'un bar, en la regardant droit dans les yeux avec les siens si vastes, qu'elle n'avait rien d'une meurtrière, n'avait pas eu la moindre importance non plus, évidemment.

Lorsqu'elle travaillait pour Jungkook, il avait presque réussi à lui faire croire qu'elle n'était pas sa captive. Presque. Oh ! L'intensité avec laquelle elle l'avait détesté pour cela. Les hommes se ressemblent tous, même ce magicien aux cheveux d'argent qui ne leur ressemble pas. Même le prince de Talguk.

Les hommes sont les mêmes mais Jungkook est le plus intelligent d'entre eux, s'était-elle dit lorsque il avait eu l'audace de la libérer. Des hommes qui font mine d'agir en bienfaiteurs pour mieux vous garder auprès d'eux, elle en avait rencontré des tas, du haut de ses seize années d'existence dans un monde qui ne lui avait jamais rien donné. Ils jouent les gentils, les maîtres attentionnés, et il suffit d'un instant d'inattention pour qu'on oublie qu'ils sont maîtres quand même. On risque même de leur être reconnaissant.

L'idiot, l'idiot, l'idiot, s'était elle répétée, jusqu'à ce que cela devienne l'idiote, l'idiote, l'idiote. Elle s'était laissée prendre. Quand elle l'avait défié de la libérer, elle n'aurait jamais pensé qu'il le ferait, il avait bien trop à perdre : son silence. Elle le lui avait dit, « je pourrais parler, tout raconter à votre oncle » et il avait dit « je sais tout ça, Seonhee ». Le culot. Astronomique. Mais trop tard, déjà l'espoir avait menacé de faire exploser sa poitrine.

Viendrait-il la tuer en douce par la suite ? La prendrait-il de court en la dénonçant lui-même au roi ? Irait-il envoyer des hommes pour assassiner ceux qui comptaient pour elle ? Elle se voyait arriver dans cette maison où on l'avait accueillie à bras ouverts, pour les découvrir morts, la gorge tranchée, avec un joli mot à son attention écrit sur le mur avec leur sang : « Ta liberté est payée, Seonhee ».

Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire, le contraire était impossible. Mais si Jungkook voulait jouer à ce jeu, elle jouerait aussi, avait-elle alors décidé. Elle frapperait plus fort que son attitude l'avait désarçonnée. Tout raconter au roi, voilà ce qu'elle allait faire. De cette manière, elle se mettrait à l'abri. Elle lui dirait tout : sur Taehyung, sur les escapades des deux garçons, les combines pour tromper sa vigilance. Même l'endroit où le magicien se cachait, tiens. Parce qu'elle le connaissait ; malgré l'interdiction de Jungkook de s'approcher du garçon — croyait-il vraiment que cela suffisait à la faire obéir ? Elle s'était mise à le suivre, animée par une irrésistible curiosité.

Le plan était bon, elle raconterait tout et se libérerait définitivement, par la même occasion, des sentiments étranges qui commençaient à bourgeonner en elle et menaçaient de la faire ressembler à toutes ces imbéciles qui se laissaient noyer par de belles promesses.

Elle ne l'avait pas fait.

La vérité, c'est que cela n'aurait pas été rentable, s'était-elle persuadée. Jungkook tramait quelque chose, Taehyung lui aussi préparait quelque chose avec sa bande de magiciens, et Kang-Dae allait en souffrir, cela ne faisait aucun doute. Peut-être était-ce là sa chance de vraiment s'en sortir ?

Oui, voilà pourquoi elle avait pris la décision de retourner vers le prince, et non pas parce qu'elle avait désespérément besoin de quelqu'un, de n'importe qui, d'un ami. Encore moins parce qu'elle s'était prise d'affection pour le petit blond, Park Jimin, qui mettait du baume sur ses blessures et dont les gestes lui rappelaient ceux de sa mère adoptive avant qu'elle ne fût arrachée à elle. Bien sûr que non. Tout était purement stratégique. Si elle voulait assurer son avenir, il lui fallait se ranger aux côtés de Jeon Jungkook.

Avant qu'elle n'ait pu retourner vers lui, une femme s'était présentée à elle. Pas n'importe laquelle, celle qui se faisait appeler la Colombe dans tout le royaume, la seule qui s'était montrée assez discrète pour que même Seonhee ne connaisse pas son identité, malgré ses efforts pour la découvrir dès l'instant où elle avait entendu parler d'elle. Reste aux côtés de Jungkook, avait-elle demandé. Il a besoin de quelqu'un.

Là encore, Seonhee avait dû choisir entre son allégeance au roi et la Colombe. La décision avait été beaucoup plus facile cette fois. De toute façon, elle s'apprêtait déjà à rejoindre le prince — même si elle avait prétendu le contraire, jusqu'à obtenir la garantie d'être protégée par la cheffe de la Confrérie en personne en cas de danger. On lui avait fait signer un papier dont elle avait pu garder le double, les choses s'étaient faites réglementairement. Kang-Dae ne pourrait plus rien contre elle, cette fois. De nouveau, elle s'était assurée une double protection : celle de Jungkook et celle de la magicienne.

Son flair ne l'avait pas trompée, quelque chose se tramait bel et bien et c'était pour bientôt.

Seonhee se complaisait à croire que l'idée que Jungkook découvre son alliance avec la Colombe ne la mettait pas mal à l'aise. Elle ne lui devait rien, après tout. Non, pas une once de culpabilité ne l'avait traversée. Le regard qu'il lui avait lancé lorsqu'elle était revenue auprès de lui pour lui offrir son amitié — comme si c'était lui qui était reconnaissant envers elle — l'avait laissée parfaitement indifférente. Le « merci » silencieux que ses yeux avaient hurlé n'avait pas déferlé sur elle comme une tempête un jour d'hiver et fait trembler ses fondations. Pas du tout. Pas plus que le : « Je le protégerai lui aussi » de la Colombe n'avait pesé dans l'équation. Seule comptait la stratégie, et la survie au bout du couloir.

Le jour du bal était arrivé, Taehyung lui avait confié cette lettre à remettre au prince, la mission la plus importante de sa vie. Pourquoi importante ? Cela, elle l'ignorait, mais elle l'avait ressenti comme l'on ressent que si l'on approche du feu, on se brûle. Depuis, elle avait deviné que ce quelque chose qui parfumait l'air d'un relent d'inquiétude se produirait le jour du bal.

Jungkook l'avait su aussi et n'avait partagé son secret qu'avec elle : il avait découvert l'identité de Taehyung. Qui l'avait su en premier ? Elle ou lui ? Le doute la berçait depuis un bon moment déjà mais jamais elle n'avait voulu le dire à Jungkook. Encore une fois, elle ne lui devait rien. Non, ça n'avait rien à voir avec le fait qu'elle était inclinée à faire confiance à Taehyung, ni parce que la peur d'être la pièce qui ferait tout rater, la variable qui changerait les choses dans le mauvais sens, l'avait terrassée. Pas du tout.

Et puis Seonhee avait été arrêtée. Ces foutus gardes royaux avaient été plus forts qu'elle. La lettre avait pesé si lourd dans sa poitrine. Des larmes sur les joues, elle avait sombré dans l'inconscience. Elle n'avait pas pleuré de culpabilité, non. Si le visage inondé de perles d'argent de Taehyung avait jailli dans son esprit à ce moment précis, cela n'avait été qu'une réaction involontaire, un moment hors du temps. C'était de rage qu'elle avait pleuré, parce que Jungkook avait eu raison : ses cheveux l'avaient trahie. Voilà tout.

La Colombe n'était pas venue la chercher au fond de sa cellule. Ni elle, ni ses sbires. Oh ! Elle aurait pu tout casser, s'il y avait eu quelque chose à casser. Elle avait voulu hurler. Elle s'était fait avoir, encore une fois. N'apprendrait-elle jamais de ses erreurs ? Sans doute s'était-elle laissée adoucir parce que la Colombe était une femme, il n'y avait pas d'autres explications possibles. Cela ne faisait aucune différence, au royaume des puissants.

Kang-Dae avait gagné. Finalement, c'était sur lui qu'elle aurait dû parier. Idiote, idiote, idiote.

Les événements n'auraient pas dû se dérouler ainsi. Alors qu'elle se retrouvait seule dans sa cellule froide et miteuse, les rires gras des gardes à quelques mètres dans les oreilles, la peur, la vraie, l'avait étreinte avec une force décuplée, anéantissant même sa colère contre le monde entier, qu'elle avait si soigneusement cultivée.

La Colombe n'était pas venue la chercher mais deux hommes, Yeonjun et Byeomgyu, s'étaient présentés devant elle après s'être débarrassés de ses geôliers et lui avaient dit : « C'est le prince qui nous envoie, petite ».

« Quelle heure est-il ? » leur avait-elle demandé, pour faire taire les tambours dans son corps et les « Il est venu » qui cognaient dans toutes les directions, se répercutant contre les parois éreintées de son esprit et les murs de la cellule.

La lettre à la main, Seonhee s'était élancée en direction de la salle de bal. Dehors, il y avait des magiciens sur les toits, des gardes royaux évanouis, des cerbères neutralisés. Dans le couloir, d'autres hommes et femmes qu'elle n'avait jamais vus. Elle était en retard, le spectacle avait commencé. Jungkook et Taehyung en étaient le clou mais elle était bel et bien la pièce qui allait tout faire rater. Non, elle n'avait pas couru aussi vite qu'elle l'avait pu parce que l'idée d'apercevoir le prince, le cœur brisé et les yeux vides, brisait le sien au passage. Elle l'avait fait pour survivre, parce que, à présent que le roi connaissait sa trahison, Jungkook devait à tout prix s'en sortir et l'emmener avec lui hors de ce maudit palais. Pour cette raison également, elle était arrivée auprès de lui les yeux brillants de larmes et lui avait demandé pardon.

Retournement de situation, Jungkook avait blessé Yoongi, Yoongi avait enfermé Taehyung et Jungkook dans une bulle, et Seonhee s'était retrouvée seule.

Le moment d'utiliser la protection de la Colombe était enfin venu, ses lamentations précédentes oubliées, au revoir Kang-Dae, et à jamais. Elle avait fui avec la Confrérie, grâce à ses bonnes décisions. Là voilà qui s'était retrouvée saine et sauve à la Cité des Anges. Avec Jimin, et avec Jungkook et Taehyung toujours enfermés dans une bulle magique.

L'attente avait été insoutenable, et puis ils s'étaient tous réveillés. Jungkook avait appris son alliance avec la Colombe. Dès qu'il avait eu un moment, il s'était levé et avait marché droit sur elle. Allait-il la tuer ? La manière dont il avait serré ses doigts autour de la gorge de cette femme, au bar, était encore bien vivace sur ses rétines. Jungkook détestait les traîtres. Il ne lui avait pas posé la question, Jimin l'avait fait. Lui n'avait pas crié, n'avait même pas cillé. Elle connaissait ce stratagème, il voulait qu'elle se sente coupable, pas vrai ? Je ne me justifierai pas, s'était-elle promis, pour le faire juste après. Foutu prince, foutus hommes !

Elle allait lui faire voir, qu'elle n'était plus une petite fille, que malgré tout ce que Taehyung pouvait bien dire, l'enfant en elle était mort, tué par des gens comme Jungkook. Avaient-ils vraiment été comme lui ? Mieux valait continuer à y croire, qu'il n'était qu'un méchant de plus dans une histoire qui finirait comme toutes les autres, ainsi il risquait moins de la décevoir. Les mots étaient sortis avec colère : « Je fais ce qu'il faut pour survivre », lui avait-elle lancé, parce qu'il ne s'agissait que de cela.

Si elle lui avait attrapé la manche et l'avait imploré de comprendre, ce n'était pas parce qu'elle était une petite fille, ni parce que l'idée qu'il puisse croire qu'elle l'ait trahi était insupportable, qu'elle avait envie de lui gratter la peau jusqu'à ce que toutes les traces d'une telle croyance disparaissent de lui.

« Je serais venu te chercher », avait-il répondu, toujours sans crier, toujours avec ses yeux morts.

Oh, comme elle l'avait détesté pour ça aussi. Oh, comme elle avait été soulagée pour ça aussi.

« Ne t'éloigne pas trop. Je suis content que tu sois là »

Voilà les derniers mots qu'il lui avait dit, ce jour-là.

L'idiot, l'idiot, l'idiot, l'idiot, l'idiote.

Seonhee était une idiote qui avait malgré tout pris les bonnes décisions. Elle se redressa, son dos percuta un nœud sur le tronc et la douleur anesthésia pendant un temps celle dans son ventre. Le mois prochain, elle fêterait ses dix-sept ans, aux côtés de sept hommes fugitifs. Quelle ironie du sort ! Où seraient-ils tous, d'ici-là ? Loin de la capitale, espérait-elle, de cette ville où l'asphalte des routes neuves brille de la sueur des travailleurs, cette ville dans laquelle le temple du vide et des âmes mortes s'érige au milieu des richesses. Une fois hors des murs de Manseong, rien ne l'empêcherait plus de retourner auprès de sa mère de cœur et sa petite sœur, munie du passeport neuf que lui avait fourni Jungkook.

Tout était bien, Seonhee était vivante.

Elle avait survécu.

— Tu es là ?

La voix la fit sortir de sa rêverie mais ne l'effraya pas. Seonhee se pencha légèrement en avant, suffisamment agile pour ne pas craindre de tomber, et aperçut la tête chevelue de Jimin. Ses racines noires recouvraient presque le quart de ses cheveux, qu'il n'avait pas pu teindre depuis leur fuite. Hoseok lui avait bien proposé de maintenir magiquement sa couleur blonde mais il avait refusé l'offre avec un sourire gêné, apparemment peu à l'aise avec l'idée.

Seonhee descendit précautionneusement, les articulations douloureuses, saisie de vertige lorsque son corps atterrit plus lourdement qu'à l'accoutumée aux côtés de Jimin. Parfois, tous les deux échangeaient quelques mots ou un sourire ; elle ressentait une certaine complicité entre eux, probablement parce qu'ils étaient les seuls mortels du groupe et que leur réalité était bien différente de celles des autres — avaient-ils seulement le sens des réalités ? Il fallait croire que discuter des nuits glaciales ou de la difficulté de tenir une journée entière avec l'estomac à moitié vide avait le pouvoir de rapprocher les gens. Le quotidien d'un évadé était plus simple pour des magiciens, pourtant, en voyant Jimin et la détermination admirable dont il faisait preuve pour trouver sa place dans la bande, elle se surprenait à ne pas les envier.

— J'ai préparé ça pour toi, lui dit-il en levant à hauteur de son visage une tasse fumante. Pour tes crampes, précisa-t-il devant son silence.

— Oh.

— Je t'ai vu te tenir le ventre aujourd'hui, poursuivit-il. Le gummulis est une plante miracle pour les douleurs articulaires et menstruelles. Il faut creuser un peu, elle ne pousse que sous terre et c'est toxique à forte dose, mais j'en ai trouvé cet-après midi près de la rivière.

Seonhee l'imagina à genoux dans la forêt, à creuser pour trouver l'ingrédient nécessaire, juste pour elle. Il avait remarqué qu'elle souffrait alors que pas une fois, elle n'avait senti son regard insistant sur elle. La boisson chaude flotta un instant entre eux. L'esprit de Seonhee était embrumé, les mots « toxique à forte dose » bourdonnaient autour de ses oreilles.

— Hum, reprit Jimin, parce qu'elle n'avait toujours rien dit. Ce n'est pas grave, tu as raison de te méfier, après tout, peut-être que je me suis trompé dans les quantités, on ne sait jamais...

— Je t'en prie, je t'ai vu préparer ce liquide puant, tu savais exactement ce que tu faisais !

Yoongi était assis sur l'une des chaises en bois, mâchant une vieille brindille — pour passer le temps, certainement. Elle ne l'avait pas vu, mais lui avait apparemment suivi l'échange avec intérêt. Déjà, elle hésitait à remonter dans son arbre. Le magicien l'intimidait ; la tranquillité avec laquelle il s'exprimait de sa voix rocailleuse attirait toujours l'attention de son audience et lui donnait vraiment l'impression d'être une enfant.

— Eh bien, oui, j'avais l'impression de faire les choses correctement.

— Tu étais certain de faire les choses correctement, rectifia Yoongi. Je ne t'ai pas vu hésiter une seule fois.

— C'est vrai, mais...

— Tu vois ?

C'était à elle qu'il s'adressait désormais. Jimin, interrompu sans ménagement, le fusillait du regard

Ce truc ne va pas t'empoisonner, alors arrête de faire l'idiote et bois-le, ou bien reste avec tes crampes.

Seonhee aimait bien les observer, tous les deux. Le garçon aux cheveux bleus-presque-noirs trouvait, semblait-il, amusant de mettre la patience de Jimin à l'épreuve. Le stratagème fonctionnait, il fallait le reconnaître ; depuis leur arrivée au camp, elle avait entendu ces deux-là se chamailler quasiment chaque jour. Yoongi démarrait les hostilités, Jimin rétorquait une remarque bien sentie et l'autre souriait, l'air satisfait, ce qui augmentait encore l'irritation du plus jeune. Tout cela bien souvent sous les yeux de Seonhee qui ne comprenait pas toujours mais trouvait le spectacle divertissant.

— Yoongi a raison, je te promets que tu ne risques rien, dit finalement Jimin en réitérant son offre.

Renversant presque la tasse dans ses mains, il se lança ensuite dans une explication animée de la manière dont il avait cueilli, coupé puis extrait les principes actifs de la plante utilisée dans sa potion. Sa voix s'était transformée : plus ferme, plus forte aussi. Seonhee se surprit à faire abstraction de la présence de Yoongi pour l'écouter avec intérêt.

— ... le plus important c'est d'écraser les tiges dans le bon sens, tu vois ? Il y a trois petites alvéoles sur la feuille, elles te donnent la direction. Aussi, il ne faut surtout pas ajouter le mélange trop tôt dans l'eau, ni trop tard. Le mieux, c'est juste avant qu'elle ne bout, quand tu peux voir les bulles mais que la surface est encore tranquille.

— Merci, Park Jimin.

Il s'arrêta de parler, la bouche entrouverte et les pupilles rondes comme un couvercle, avant qu'un sourire ne vienne illuminer sa figure de la couleur du miel. Seonhee avait beau réfléchir, c'était toujours au liquide sucré qu'elle associait Jimin. Sans doute parce qu'elle craignait l'indigestion à trop consommer sa présence, mais il était difficile d'arrêter une fois qu'on y avait goûté. Pour cette raison, elle s'empara du breuvage et le but d'une seule traite, grimaçant lorsqu'il brûla sa gorge refroidie, puis remonta à la hâte dans l'hêtre qui lui servait de refuge.

— Tu aurais pu lui parler plus gentiment, entendit-elle en bas.

— Quoi ? J'étais gentil !

— En la traitant d'idiote ?

— Seul un idiot douterait de tes compétences.

— Je ne suis pas si exceptionnel. Ma mère l'était vraiment, elle.

— Arrête, tu t'en sors à merveille, le contredit le magicien aux cheveux bleus-presque-noirs, et cela mit fin à la discussion puisque seul le silence remonta ensuite jusqu'à elle.

Seonhee l'imagina rougir. Elle avait remarqué cela aussi, la manière dont ses joues se coloraient légèrement à chaque fois qu'une parole de la sorte lui échappait. Min Yoongi l'intimidait, mais il était surtout amusant, elle devait l'admettre.

Sur plusieurs points, il lui rappelait Jungkook, mais sur d'autres, ils étaient diamétralement opposés. Par exemple, Yoongi pouvait passer des heures enfermé dans sa cabane avec ses appareils électroniques alors que Jungkook ne tenait pas plus d'un quart d'heure assis sur une chaise. Mais tous les deux recherchaient le silence et mangeaient leurs nouilles instantanées sans y ajouter le sachet de condiments, sous l'indignation des autres. Yoongi ne rechignait pas devant les travaux domestiques, tandis que Jungkook s'arrangeait toujours pour ne pas être dans les parages lorsqu'il y avait quelque chose à faire, mais l'un comme l'autre regardaient Taehyung avec cette lueur dans les yeux qui dit : « Comment en suis-je arrivé à l'aimer autant ? ».

Collectionner ces petites informations sur chacun d'eux était une activité passionnante pour la jeune fille de seize-ans — bientôt dix-sept — qu'elle était. Elle se sentait spéciale, la gardienne des petites choses qu'ils laissaient échapper malgré eux et qu'elle attrapait au vol. Toujours dans le cas où cela lui servirait un jour, bien sûr.

Les histoires qu'elle se racontait le soir avant de dormir étaient peuplées des manies et réactions de ces sept garçons, ils l'aidaient à construire les personnages qu'elle s'inventait et qui vivaient toutes sortes d'aventures à sa place. Vraiment, elle avait pris la bonne décision.

Quelques heures plus tard, alors qu'elle s'était presque assoupie, le dos à nouveau contre le tronc épais, un chuchotement crié interrompit sa demi-rêverie. Le liquide ambré préparé par Jimin avait fait ses preuves, ses articulations se murent sans douleur et les centaines de poignards perforant son bas-ventre s'étaient enfin retirés, lui offrant quelques instants de répit qu'elle accueillit avec bonheur. Elle en profita pour avancer — à quatre-pattes — jusqu'à l'extrémité de la branche épaisse sur laquelle elle se trouvait, désireuse d'avoir une vision dégagée sur son interlocuteur, dont elle avait déjà deviné la voix :

— Hé ? Gamine ! Tu es là ? appela-t-il encore.

— Vous n'êtes pas beaucoup plus âgé que moi, Mon prince, dit-elle en se laissant tomber à ses côtés sans bruit.

Se vengeait-il sur elle parce qu'il était lui-même appelé « gamin » par les autres ?

La silhouette des arbres, au milieu d'une nuit éclairée par un mince croissant de lune et par les restes du feu de camp, se découpait sur un ciel d'un bleu profond dans lequel quelques étoiles solitaires s'étaient égarées. Seonhee ne voyait de Jungkook que sa boucle d'argent qui pendait à son oreille droite. Le reste de son corps n'était qu'une masse sombre et sans forme. Elle l'entendit néanmoins claquer sa langue contre son palais, certainement à cause de la formalité avec laquelle elle s'était adressée à lui. Ils avaient beau lui dire de ne pas s'embarrasser de politesse avec eux, elle ne parvenait pas à s'y résoudre. Ne jamais devenir trop familière avec les hommes, telle était l'une de ses premières règles de conduite.

Sans répondre, Jungkook se mit à marcher devant elle, ses pas faisant craquer la terre. C'était étrange, il ne faisait jamais de bruit, d'habitude, ses foulées de magiciens étaient légères et silencieuses, mais le son régulier la rassurait. Elle le suivit, les mains dans les poches de son gilet noir. Pas un seul d'entre eux n'avait réussi à trouver de vêtements à sa taille, Seonhee ne faisait pas exception. La largeur du tissu freinait légèrement son agilité mais la sensation de se perdre à l'intérieur n'était pas désagréable, au contraire. L'inconvénient majeur était l'air glacial qui se glissait bien plus facilement dans l'espace disponible entre l'habit et sa peau.

— Tu vas mourir de froid si tu continues à dormir dehors.

— Vous avez fait la même chose, pendant un temps.

— Je ne suis pas mortel, Seonhee.

Il n'y avait pas de jugement dans sa voix, comme cela pouvait être le cas avec certains magiciens, une manière subtile de dire aux autres « je suis plus fort que toi ».

— Je ne peux pas dormir dans la même chambre qu'eux ! Jamais !

— Je les tuerais s'ils osaient te faire du mal.

— Je ne vous fais pas plus confiance à vous qu'à eux, vous savez.

Le gloussement que Jungkook laissa échapper fit naître un sourire sur ses lèvres. Les lueurs du feu de camp s'éloignaient à mesure qu'ils s'enfonçaient dans la forêt, et les rayons de la lune peinaient à percer les arbres, de plus en plus denses.

— Tu es pourtant seule avec moi, en pleine nuit.

— C'est parce que je pourrais vous échapper à la vitesse de la lumière, si nécessaire, rétorqua-t-elle avec aplomb.

— Bien sûr, je n'y avais pas pensé. Ça me paraît pourtant évident.

Elle hocha la tête — même si elle n'était pas certaine qu'il puisse la voir — sans pour autant manquer la moquerie légère dans sa voix. Jungkook et elle se retrouvaient déjà au palais pour discuter ensemble, ou plutôt, ils appréciaient la tranquillité de la nuit ensemble en la brisant de temps à autre. L'habitude s'était naturellement poursuivie au camp, avec un peu plus de mots et un peu moins de silences. Comment cela avait-il commencé ? Elle ne s'en souvenait plus, mais leurs promenades nocturnes la distrayaient et créaient une routine agréable.

Ils marchèrent encore de longues minutes, peut-être trente. Seonhee perdait toute notion du temps une fois le soleil couché. Une ou deux fois, des créatures de la nuit la firent tressaillir, mais les bruits ne duraient pas plus de quelques secondes avant que le calme ne règne à nouveau parmi eux. Enfin, Jungkook s'immobilisa, sous la lumière blanche de la lune, parvenue à se faufiler parmi la végétation. Elle éclairait le sol par dizaines de rayons éclatés. Jungkook parut sonder l'endroit et se laissa tomber au pied d'un hêtre similaire à celui dans lequel elle avait élu domicile, mais au tronc légèrement plus étroit.

Seonhee resta debout devant lui et observa sa tête rejetée en arrière, ses paupières closes et ses lèvres pincées, mince ligne rosée sur un visage étiolée. Elle apercevait sa poitrine se soulever et s'abaisser à un rythme régulier et ses mains s'enfoncer dans la terre brune, jusqu'à ce que ses épaules s'affaissèrent et que sa poigne se relâcha. Un soupir qu'elle faillit manquer s'écoula de la brèche étroite qui se forma dans les plis de sa bouche.

— Vous ne l'entendez plus ?

Jungkook rouvrit les yeux et lui fit un signe de la main qui signifiait « ne reste pas plantée là comme ça » avant de bouger la tête si doucement qu'elle peina à deviner s'il répondait par l'affirmative ou la négative.

Cela devait être terrible, de partager son esprit avec un autre, d'être assailli par ses pensées à longueur de journées et de lui transmettre les siennes. La pensée que quelqu'un puisse lire les histoires qu'elle se racontait et intervenir pour en changer les détails la fit frissonner d'horreur.

— Je vais devenir complètement dingue si ça continue, lâcha Jungkook au moment où elle se décida enfin à s'asseoir à ses côtés, à une distance aussi grande que le permettait la circonférence du tronc.

— Ça doit être difficile pour lui aussi.

— Mmh.

Seonhee avait remarqué une chose étrange, au cours de ses observations : malgré l'intensité avec laquelle il disait détester sa situation, Jungkook ne pouvait jamais s'éloigner trop longtemps du campement. Elle lui servait d'excuse : « Tu dois rentrer. Il ne faut pas que tu t'endormes trop tard. Il fait trop froid pour toi » qu'il disait. Seonhee n'y croyait qu'à moitié ; d'après elle, ne plus entendre Taehyung finissait par le chambouler autant que de l'entendre. Le même soulagement passait sur ses traits lorsqu'ils rentraient que lorsqu'ils s'éloignaient assez pour affaiblir la connexion. Après tout, si c'était à elle que cela arrivait, elle se serait probablement habituée au point de s'inquiéter d'un silence prolongé.

— Seonhee, laisse-moi te réchauffer, tu trembles.

Il avait raison, réalisa-t-elle. Même ses pensées tressautaient dans son esprit tant elle avait froid. Le sol glacial et humide lui mouillait les fesses, n'améliorant en rien son confort. Bientôt, d'ici quelques semaines, le givre recouvrirait la forêt et elle ne pourrait plus dormir dehors ; cette pensée l'effrayait plus que de raison.

À contrecœur, elle tendit son bras à Jungkook sans le regarder. Le contact brûla sa peau engourdie. Elle faillit se dégager mais la douleur disparut aussitôt, pour ne laisser qu'une chaleur délicieuse qui se diffusa dans ses membres à la manière d'une lumière qui vient éclairer chaque recoin d'une pièce. Il la relâcha sans tarder et elle ne put retenir le soupir de contentement qui franchit le seuil de ses lèvres.

— Merci.

Jungkook expédia l'affaire d'un signe de tête et fit apparaître une flamme au creux de sa main gauche, permettant à Seonhee d'y voir plus clair. Quelle sensation cela faisait, d'avoir des pouvoirs magiques ? S'écoulaient-ils comme le sang dans les veines ? Elle mourrait d'envie de savoir. Taehyung lui aurait sans doute répondu avec la poésie qui était la sienne, tandis que la version de Jungkook serait probablement plus terre-à-terre. Elle n'osait pas lui poser la question, à lui que l'idée d'être entouré par des magiciens ne réjouissait guère. Il nourrissait encore un certain rejet à leur égard, avait-elle remarqué. Il restait en lui des traces tenaces de son éducation, comme une tache qui peine à partir au premier lavage.

— Tu penses trop fort.

— Vous m'entendez ? s'écria-t-elle, paniquée.

— Ça n'a rien de magique. Les gens croient que les pensées sont silencieuses mais c'est parce qu'ils ont une ouïe ridiculement mauvaise. Qu'est-ce qui te tracasse comme ça, pour faire tout ce boucan ?

— Taehyung m'a dit quelque chose de similaire, l'autre jour. Il m'a dit aussi que si ça se trouve, les pensées ne sont pas du tout coincées à l'intérieur de notre tête mais qu'elles sont juste à une fréquence si basse qu'il est humainement impossible de les entendre, même pour un magicien.

— Typique de lui, ça.

— Je me suis dit que peut-être que certains, comme Taehyung et vous, ont une ouïe spéciale qui leur permet de reconnaître et d'entendre uniquement la fréquence de leur âme-sœur. J'y ai beaucoup réfléchi.

— Taehyung fait souvent ça, retourner ton monde jusqu'à ce que tu te retrouves avec des questions et des idées dont tu te serais bien passé avant lui. Fais attention, ça lui arrive de laisser les gens en plan, après.

— Il est encore là, vous savez. Si vous avez des choses à lui demander.

— Je n'en suis pas si sûr, répondit-il, et la flamme dans sa paume vacilla.

Seonhee demeura silencieuse un instant. Que voulait-il dire par là ?

— Peut-être que c'est à votre tour d'expliquer les choses, maintenant. Par exemple, vous pourriez me dire quelle sensation ça fait d'avoir des pouvoirs ? Sont-ils liquides ?

— C'est la dernière fois que je t'emmène avec moi, gamine.

Seonhee avait compté : il avait proféré cette menace huit fois au cours du dernier mois, sans jamais la mettre à exécution.

— Pourquoi seraient-ils liquides ? reprit-il avec une grimace qu'elle ne vit que de profil.

— Je ne sais pas, on parle souvent de « flux de magie qui coule dans les veines » ou de trucs comme ça.

— C'est vrai, ça peut être un moyen pour l'expliquer, faute de mieux, admit-il. Écoute, tu lui demanderas à lui, d'accord ? Je ne sais pas expliquer.

— D'accord, se résigna-t-elle, alors que les mots « c'est plutôt que vous ne voulez pas » lui brûlaient les lèvres.

— Je détestais ça, être un magicien, reprit-il après quelques secondes, et Seonhee sourit pour elle-même : il était devenu si prévisible.

— Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

— J'en ai rencontré un qui était convaincu que c'était la plus belle chose au monde. Que cette beauté, je l'avais en moi. Juste en existant. Tu peux le croire, toi ?

Oui, voulut-elle répondre. Peut-être l'avait-elle fait, si bas que les mots s'envolèrent sans bruit à travers la nuit.

— Et maintenant ? dit-elle plus fort.

— Maintenant... j'aimerais qu'il me le dise encore une fois. C'est facile d'oublier, tu sais ?

Il avait dit cela en la regardant droit dans les yeux, la tête inclinée vers la droite, la flamme dans sa paume se reflétant dans ses prunelles noires. L'imaginait-il à sa place ? Elle n'osa pas détourner son regard du sien, rivière sombre sur laquelle elle se voyait dériver.

— Je sais, souffla-t-elle.

Ils restèrent encore un moment, silencieux. Jungkook avait repris sa position de départ, tout contre l'arbre, les paupières closes, tandis qu'elle traçait des cercles dans la terre avec un court bâton trouvé près de sa chaussure. Tous les deux éveillés, l'esprit vagabondant dans des directions différentes, mais le corps enraciné au même endroit.


*-*-*-*-*-*-*


Voici un deuxième chapitre de transition, bien plus court que les autres et entièrement du point de vue de Seonhee. Je ressens beaucoup d'affection pour ce personnage et j'aime énormément écrire Jungkook à travers ses yeux. Merci de m'avoir lu. J'espère qu'il vous aura plu, à très vite pour la suite et prenez soin de vous en attendant <3 

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