Chapitre 19 - La nouvelle de trop
Madeline
Noé me rejoignit rapidement.
— On passera notre tour pour la boite. Bonne soirée les gars, dit-il au groupe qui attendait devant le bar.
Thibault me fit signe de venir, mais je le saluais alors qu'il s'éloignait. Typique. Il n'avait même pas cherché à savoir ce qui m'avait retenue ici.
Edgar l'aurait-il fait ?
Je chassais mes pensées et me reconcentrais sur l'homme à la tête baissée.
J'attrapais mon père par le bras suivi de Noé et nous prîmes la route. Il n'habitait pas loin, mais il faisait le poids d'un âne mort. Son bel appartement à côté de la cathédrale ne se trouvait qu'à une dizaine de minutes de là où nous étions, mais les escaliers ne nous facilitaient pas la tâche. J'aurais ri de la situation si l'homme que je portais n'était pas mon père.
Lui, n'avait pas parlé du trajet et se laissait faire, honteux.
Je cherchais ses clés dans sa poche et ouvrais la porte de son appartement en pestant.
— Je suis désolé, Madeline. Je ne pensais pas te voir ici, me dit-il avant de se coucher.
J'avais refermé sa porte de chambre sans un dernier regard. J'étais tellement déçue de mon père que je ne préférais pas lui répondre par peur de regretter mes paroles. Noé, quant à lui, m'attendait dans le canapé. Je fondis en larmes dans ses bras. Décidément, je n'allais jamais me remettre de mes émotions.
— Pourquoi ça n'arrive qu'à moi ça ? chuchotais-je, plus pour moi que pour lui.
— Ça va aller, je suis là.
Noé caressa ma joue, effaçant au fur et à mesure les larmes qui s'échappaient de mes yeux humides.
— Et heureusement que tu es là. Je suis désolée de ne pas être si présente ces derniers temps.
— Qui aurait cru que l'université nous en ferait voir des vertes et des pas mûres ? rigola-t-il.
— J'aimerai tellement avoir une vie normale, par moment... lui avouais-je.
— Qu'est-ce que tu appelles « une vie normale », Madeline ?
— Des parents qui s'aiment, un petit copain normal, des grands sourires sur le visage et non des pleurs...
— Qu'est-ce que tu te ferais chier, me taquina-t-il.
Je souris légèrement.
— Je sais. On dirait une version chelou d'Adibou.
Il explosa de rire en me prenant dans ses bras.
— N'empêche, si on m'avait dit un jour que j'allais ramener ton père bourré chez lui, je ne l'aurais pas cru !
Je le regardais en faisant la moue, tandis qu'il rigolait toujours.
— Trop tôt pour en rire ?
— Beaucoup trop tôt, lui répondis-je en souriant pourtant.
Son rire était contagieux et je me mis à rire moi aussi. Une pression en moins qui retombait.
On s'endormit dans les bras l'un de l'autre dans le grand canapé en tissu gris.
J'avais prévenu ma mère que je ne rentrerai pas pour ne pas qu'elle s'inquiète, sans pour autant lui dire que j'étais chez mon père. Rien ne servait de tenter le diable.
***
Une odeur d'œuf et de bacon nous réveilla.
Mon père était en cuisine et nous préparait un petit déjeuner digne de ce nom. Il nous avait mis un plaid sur le dos pendant que nous dormions. Il jouait au père parfait, ça allait m'énerver.
— Bonjour les enfants ! dit-il avec son tablier et sa spatule dans la main.
La blague.
— Bonjour monsieur Moreau, lui répondit Noé en me jetant un regard confus.
— Bonjour papa, finis-je par sortir, assez morose.
— Vous pouvez passer à table, le petit déjeuner est servi !
Nous nous installâmes dans un silence de plomb.
— Tu nous as fait quoi hier ? lâchais-je d'un coup.
— Je suis désolé les enfants. Ça ne m'arrive jamais. Vraiment ! Ne pense pas que c'est une habitude. Je.. Je...
— Ne me fait pas le coup, papa. T'as un sérieux problème.
Vu tous les états dans lesquels l'alcool m'avait mis depuis ma nouvelle rentrée, c'était un peu l'hôpital qui se foutait de la charité. Mais moi, je testais mes limites, j'étais jeune et en bonne santé pour le faire, à cinquante ans passés, les limites étaient normalement bien testées et approuvées.
— Je ne sais pas quoi te dire, ma fille. Ta mère m'a annoncée ses fiançailles, figure-toi, et j'ai perdu les pédales !
— Ses quoi ???
Je manquais de m'étouffer avec mon œuf brouillé.
— Elle ne t'a pas dit visiblement.
Noé à côté de moi avait fait tomber sa fourchette en apprenant la nouvelle. Le silence qui avait suivi aurait pu tuer le plus bavard. Il fallait que je parle à ma mère. Qu'elle me présente son Fred comme un « ami » passait encore, mais qu'elle omette le fait que c'était son fiancé était autre chose. J'en rougissais de rage et d'incompréhension et avais presqu'envie de comprendre pourquoi mon père s'était murgé hier soir.
C'était quoi ce bordel ?
Je mangeais tant bien que mal mon petit-déjeuner. Ma vie était fuckée, elle aussi. Je repensais à Edgar en me faisant cette constatation. C'était ses mots.
***
Noé prit congé en me mimant de l'appeler. Quant à moi, je ne préférais pas affronter le regard honteux de mon père toute la journée, donc je rentrais chez ma mère. Je le soupçonnais d'avoir fait exprès de m'annoncer les fiançailles de cette dernière pour se venger d'elle.
Je les connaissais depuis un moment maintenant, et je savais qu'ils étaient devenus chat et souris.
Ils avaient été heureux, c'était indéniable. J'étais le fruit d'un amour profond, ils me l'avaient assez sermonné quand je pensais qu'ils s'étaient séparés à cause de moi. C'était la vie qui était juste faite comme cela. On s'aimait, on se rejetait. En soit, je connaissais la chanson, je ne savais pas pourquoi j'avais cru que ça allait être différent avec Edgar. C'était, je pense, ce qui allait me permettre de me reprendre en main.
La fatalité.
Le destin.
Nous étions dans une ère de consommation. On prenait, on jetait. Plus personne n'essayait de réparer. Ça ne fonctionnait plus ? On balançait !
C'était la même chose avec l'amour.
Toujours habillée et maquillée comme hier, j'enfilais mes lunettes de soleil pour parcourir les quelques mètres qui séparaient les deux appartements. Je saluais très brièvement mon père et avançais dans le couloir peu éclairé.
— Tu comptais quand même appeler ton vieux père pour lui dire que tu rentrais ? me demanda-t-il avant que je parte.
Il me regarda avec cet air triste qu'il arborait parfois.
— Oui, je pensais juste pas que tu allais « tomber » sur ma route comme ça, lui répondis-je en mimant les guillemets.
— Sois sûre que ça ne m'arrive pas souvent, ma line.
Je parcourais les quelques mètres nous séparant et l'enlaçais.
— Prend soin de toi, papa.
Je l'embrassais sur la joue et quittais le hall de l'immeuble.
Il devait être midi quand je passais la porte d'entrée de maman. Elle était en cuisine, avec son tablier et sa spatule, en train de préparer le repas. Sérieusement, mes parents étaient les mêmes ! Je levais les yeux au ciel. J'avais l'impression de vivre dans une boucle temporelle.
— Je vais me doucher ! criais-je.
Je retardais l'échéance, mais je n'étais pas prête à affronter ma mère tout de suite. J'espérais surtout que la douche me remettrait les idées en place. Mon cœur battait beaucoup trop vite.
Elisa m'avait envoyé un message pour savoir comment j'allais. Elle savait bien que ça n'allait pas fort, mais elle respectait mon choix de prendre un peu mes distances avec le groupe et la situation en elle-même. Elle me proposa une journée shopping demain après-midi. A l'approche des fêtes, les magasins parisiens étaient ornés de leurs plus belles vitrines et surtout étaient ouverts le dimanche. J'acceptais. En soit, je ne savais pas comment ce weekend allait terminer, et je regrettais déjà d'être rentrée. A part pour Noé, ma bouée de sauvetage quand je me noyais. Mon pilier quand je faiblissais.
Lavée, rincée, séchée. J'étais d'attaque à affronter ma mère.
Je sortis doucement de ma chambre et me dirigea lentement vers la cuisine. Deux assiettes. Au moins son Fred ne serait pas là.
Elle me tournait le dos en fredonnant un air que je ne connaissais pas, alors je l'observais en silence. Elle était allée chez le coiffeur depuis la dernière fois, ses cheveux étaient bien en place et brillaient. Je remarquais aussi un nouveau Jeans et des Baskets Nike à ses pieds. Elle s'offrait visiblement une nouvelle jeunesse.
Elle se retourna puis cria, lâchant la spatule qu'elle avait toujours en main.
— Madeline, tu m'as fait peur !
Je levais les mains en l'air en signe de rédemption, puis m'excusa.
Je l'aidais à nettoyer le sol tandis qu'elle ramassait la spatule et en profitais pour inspecter ses mains. En effet, une fine bague en or blanc sertie d'un diamant ornait son annulaire gauche. Une bague que je n'avais encore jamais vue à cette place.
J'attrapais sa main sans réfléchir, qu'elle rejeta rapidement en arrière.
— J'suis au courant, tu sais ?
— Au courant de quoi ?
— On va vraiment jouer à ça ? lui demandais-je agacée.
Elle tritura son anneau entre ses doigts fins.
— Comment ? Comment l'as-tu appris ?
— J'ai dormi chez papa.
Elle me regarda sérieusement étonnée, puis la foudre passa dans ses yeux aussi verts que la cime des forêts.
— Chez ton père ? Par quel miracle du saint esprit t'es-tu retrouvée chez ton père ?
— C'est quoi ce délire, maman ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ? criais-je plus fort qu'elle.
J'avais l'impression d'être face à une inconnue. De ne plus la connaître. C'était ma mère. J'étais censée savoir ce genre de choses. Pourquoi n'avait-elle pas voulu prévenir sa fille unique du bonheur qui la submergeait ?
Je n'étais pas énervée qu'elle se remarie. Si c'était ce qui la rendrait heureuse, tant mieux pour elle. J'aurais juste aimé qu'elle m'en parle, comme une mère pouvait se confier à sa fille. Surtout sur un sujet aussi important. Je perdais pied. Pourquoi tout le monde me mentait ? Pourquoi, dès qu'un filet de bonheur transperçait mon cœur, les gens me décevaient ? Etais-je vraiment réduite à souffrir toute ma vie ? Qu'avais-je fait pour mériter autant de peine ?
Tout dans ma tête s'enchainait, ma respiration était de plus en plus saccadée et forte. J'avais chaud et je tremblais. J'étais en train de faire une putain de crise d'angoisse. C'était une sensation que je ne connaissais que trop bien car j'en avais eu des crises, quand j'étais petite. Mais jamais rien d'aussi puissant. Je ne m'étais jamais sentie aussi rejetée que maintenant. Edgar, mon père à sa façon, ma mère... Même Thibault, dont je me foutais royalement, m'avait repoussée hier en partant avec les autres.
Mon corps était tellement en alerte maximale et ma tête dans un étau qui se resserrait sous la pression de mes pensées que je fini par m'effondrer dans la cuisine. Sous les yeux ahuris de ma mère, toujours sa putain de spatule à la main.
******
Par moment, on pense que rentrer chez ses parents est LA solution, mais on oublie aussi qu'ils continuent à vivre de leur côté, et qu'ils ont aussi leurs lots de drama.
Ça fait beaucoup d'infos pour Madeline. Elle n'a plus son cocon, où elle se sent vraiment bien chez ses parents. Elle se sent délaissée par tout le monde.
Pas facile, facile.
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