Chapitre 37 - Sandrine
Alors que je regardais mon fils s'éloigner, je ne pouvais que ressentir cette amertume qui me compressait le corps tout entier.
Je mourrais, à feu doux, depuis des années.
Cette souffrance que je ressentais constamment, je ne la souhaitais à personne. J'étais un aimant à emmerdes depuis si longtemps. Une fêlure du destin.
Si je lui avais menti, c'était pour son bien. Si je m'étais éloignée de lui, c'était pour la même raison.
Mes yeux divaguaient vers la petite Madeline, en larme devant moi, cherchant encore mon fils dans la pénombre enveloppant la nuit.
J'étais incapable de lui apporter le réconfort qu'elle souhaitait à ce moment-là. Comment un être brisé pouvait-il réparer ce qui se trouvait autour de lui ?
Ce n'était physiquement pas possible.
J'avais beau rester de marbre devant la situation, mon cœur en miette écrasait le reste de mes organes.
— Laisse le partir, Madeline. Il reviendra... Il connaît le chemin, la conseillais-je.
Car oui, je connaissais mon fils, malgré tout ce qu'il pouvait penser, je savais que c'était un être doux, sensible, attentionné, bagarreur, désobéissant, têtu, obstiné... Aimant.
Madeline me regarda, avec ses yeux d'un noir profond et brillants par ses larmes, une mine renfrognée et une rage sous sa peau que je ne lui avais pas encore vue. Elle passa devant moi, les poings serrés, et rentra à l'intérieur de l'hôtel. Sans un regard en arrière.
Je l'aimais bien cette petite, elle avait le caractère qu'il lui fallait. Elle avait cette rage bouillante pour l'injustice, et des cœurs dans les yeux quand elle le contemplait. Elle était plus présente que n'importe qui pour mon fils. Je m'en rendais compte maintenant, et j'étais heureuse qu'il ait trouvé une telle ancre.
Un dernier coup d'œil vers l'obscurité m'indiqua qu'Edgar ne reviendrait pas avant un moment.
Je fumais une cigarette avant de rentrer à mon tour dans l'hôtel et d'être attirée par la lumière tamisée du bar, à droite de l'entrée.
Je pris place sur un fauteuil Bergère Louis XVI, d'un bleu qui me rappelait celui des yeux d'Edgar, intense et orageux. Le même regard qui m'avait fait chavirer des années auparavant.
Sirotant mon Martini Olive, je repensais à la toute première fois où j'avais vu James, dans ce bar miteux de Notting Hill.
L'été 1993, j'avais rejoint mon amie de colo à Londres pour les vacances. Tous les ans, c'était la même chose, mes parents travaillant comme des acharnés n'avaient jamais le temps de s'occuper de moi. C'était plus facile pour eux de dire que c'était leur travail qui les empêchait de prendre soin de moi. La vérité, c'était que j'étais arrivée comme une tornade dans leurs vies, et qu'ils n'avaient pas prévu de devenir parents quand j'avais pointé le bout de mon nez.
Du coup, l'été, je vadrouillais à droite, à gauche, chez des amis ou de la famille plus ou moins proche.
Cet été là, j'avais vingt ans, et Londres s'était offert à moi comme une porte de sortie. Ou plutôt, une délivrance. J'avais raté ma première année de médecine, et je ne supportais plus les reproches de mes parents quant à mon manque considérable de talent. Encore maintenant, il n'était pas rare de rater sa première année, mais pour eux, l'excellence était la clé de la réussite.
Ce n'était pour autant pas une raison d'abandonner. Ma mère m'avait offert à la naissance, sa ténacité et sa force dans les épreuves. J'avais juste eu besoin d'un nouvel air.
Emilie, mon amie de toujours m'avait donc proposé de me changer les idées quelques semaines dans sa nouvelle ville d'adoption, la capitale anglaise.
A peine ma bière commandée, James était arrivé avec fracas au bar, sa guitare dans le dos. Il s'était adossé au comptoir, juste à côté de là où je me trouvais, sans m'accorder le moindre regard. L'impatient tapait nerveusement ses doigts rugueux sur le bar, attendant sans cérémonie que la serveuse daigne lui demander ce qu'il souhaitait.
Lorsqu'elle me ramena ma bière, j'eu à peine le temps de sortir mon portefeuille que ma chope était au bord des lèvres de l'incongru.
— Hey ! C'est ma bière, je t'en prie ! lui avais-je crié dessus.
— Sorry Love, they're waiting for me. Take an other one, it's on me.
(désolé Love, ils m'attendent. Prends en une autre, c'est pour moi).
Il avait échangé un regard entendu avec la belle brune du bar et était parti rejoindre la petite estrade où un tabouret et un micro argenté attendaient d'être utilisés.
Son arrogance m'avait alors frappé. Je l'avais trouvé con sur le coup, mais alors vraiment con. Puis il avait commencé à chanter, armé de sa seule guitare et Il m'avait transporté. Ses yeux, deux billes aux impressionnantes nuances de bleu, luisaient dans la lumière tamisée de ce bar toujours aussi miteux.
Mon amie Emilie m'avait taquinée avec lui tout le temps de son set, me sortant que c'était ce genre de garçons qui pouvaient potentiellement me faire changer d'air.
La première fois qu'il avait parlé aux gens, après deux chansons, il avait remercié la jolie blonde qui lui avait offert gracieusement sa bière, et j'avais levé mon nouveau verre en guise de gratitude.
A la fin de son concert, et alors qu'un autre prenait sa place, il avait fendu la foule du bar pour me chercher. Il avait mis du temps à me retrouver, dehors, dans la petite contre-allée à côté du bar.
Je fumais ma cigarette quand une main s'était posé sur mon épaule, me poussant à me retourner pour lui faire face.
C'est à ce moment-là que j'avais pris le temps de le regarder : grand et brun, ses cheveux tombaient en vague sur son font humide par sa performance. Rasé de près, je n'avais vu aucune imperfection à son visage anguleux. Ses yeux d'un bleu d'ange contrastaient avec la noirceur de ses cheveux et ses vêtements.
Il m'avait coupé le souffle, et à ce moment, j'avais su que je voulais faire partie de la vie de cet être aussi beau que détestable au premier abord.
Il ne parlait pas du tout français, mais mon anglais avait été suffisamment compréhensible pour débuter une conversation.
Mes souvenirs de cette première rencontre étaient assez vagues, vu la quantité d'alcool qu'on avait pu ingurgiter ce soir-là. Tout ce que je savais, c'était que je ne l'avais jamais quitté.
Le serveur me demanda si je souhaitais autre chose avant la fermeture du bar, me coupant brutalement de mes réminiscences.
Je lui répondis par la négative, le regard loin, encore ancré dans les pupilles angéliques de mon premier amoureux.
Mis à part quand je regardais Edgar, James ne m'était pas apparu aussi clairement depuis longtemps.
Les yeux brillants, j'essayais d'appeler mon fils. Je voulais qu'il rentre. Ne serait-ce que pour la jeune fille qui l'attendait dans sa chambre.
Evidemment il n'avait pas répondu, et au fond de moi, je pense que j'avais définitivement perdu l'aura qu'il me prédestinait.
Je pris le chemin de ma chambre d'hôtel, ressassant de nouveaux souvenirs le long des couloirs, trainant des pieds, me voyant courir entre ces mêmes murs quelques années auparavant avec James, amoureux comme aux premiers jours.
La nuit fut agitée. Je savais qu'il était un peu tard pour jouer mon rôle de mère, mais ne pas savoir si Edgar était rentré me tuait.
J'avais pris une décision cette nuit. La décision de réellement me soigner. Je prenais des antidépresseurs depuis si longtemps qu'il m'était difficile de savoir s'ils faisaient encore effet. J'avais perdu James une fois, je ne pouvais pas le perdre une seconde fois. Lorsqu'Edgar me quitterait pour de bon, le lien se romprait bien trop brutalement.
J'avais frappé à la porte de leur chambre vers neuf heures du matin. J'avais essayé de faire trainer au maximum le moment où j'allais les importuner, mais je devais savoir.
Personne ne m'avait répondu, alors je m'étais retrouvée à l'accueil de l'hôtel, demandant une carte supplémentaire pour ouvrir leur satanée chambre. Après tout, leur réservation était aussi à mon nom.
Lorsque j'ouvris la porte, le rouge criard de la pièce m'interpella, mais surtout mon fils et sa copine étaient bien là, lovés contre chacun. Un soupir de soulagement s'échappa de mes lèvres quand les yeux orageux de mon fils s'ouvrirent sur moi.
— Maman ? Qu'est-ce que tu fous là ? me demanda-t-il.
— Je... Je m'inquiétais.
Il se redressa sur son lit, grimaçant légèrement en touchant sa côte, tandis que sa belle ouvrait les yeux à son tour, semblant terrifiée par ma présence.
— C'est pas un peu tard pour ça ? cracha-t-il.
— Tu t'es battu ? lui demandais-je en m'avançant vers le lit.
Il me stoppa de la main, me priant de ne pas avancer plus.
Madeline avait toujours sa mine renfrognée en me regardant. Jugeant sûrement que c'était de ma faute s'il était rentré dans cet état.
— Est-ce qu'on pourrait... parler, mon fils ? me hasardais-je.
Il échangea un regard avec la jolie brune à ses côtés.
— Vas-y, je t'écoute, m'intima-t-il.
— Seuls à seuls ?
— Tout ce que tu me dis, Madeline peut l'entendre.
Son ton était dur, son regard, froid et sombre.
God, il me faisait tellement penser à son père.
— Je vais vous laisser, lui chuchota Madeline.
Mais il la retint en prenant sa main dans la sienne. S'en servant comme d'un roc.
— Je... Je suis désolée pour toutes ces années. Vraiment. Très sincèrement désolée. Je n'ai pas réussi dans mon rôle de mère, je me suis laissée noyer par mon chagrin, ne devenant que l'ombre de moi-même. J'ai échoué avec toi. Je n'ai plus eu envie, je suis consciente de ça. Et ce n'était pas juste pour toi. Crois-moi, j'ai essayé. Et je sais que ce n'est pas une raison, mais plus tu grandis, plus tu lui ressembles. Ton visage. Tes yeux... Tu es son portrait craché... Quand tu chantes...
— Ne parle pas de ce que tu ne sais pas, tu n'es jamais venue à un de mes concerts ! me coupa-t-il énervé.
— Je sais. Je vais changer, Edgar...
— Toujours les mêmes promesses, toujours les mêmes foutaises !
Il s'était levé et tournait en rond entre la fenêtre et le lit. Tirant sur ses cheveux comme s'il voulait les arracher.
— Je te promet. Edgar. Regarde-moi !
Je m'étais avancée vers lui et avait attrapé ses bras afin qu'il me fasse face.
— Te regarder ? Tu n'as jamais eu le cran de ME regarder, cracha-t-il encore une fois.
Ses yeux du même bleu que ceux de son père m'invectivaient, et je baissais le regard. Il avait raison, je n'arrivais pas à l'observer.
— Regarde-moi, bordel, maman, cria-t-il à moins de cinq centimètres de mon visage.
— Tu as raison Edgar, je ne peux pas te regarder.
Je relevais mes yeux larmoyant vers lui. Je voulais être forte pour lui, mais je n'y arrivais pas.
— Parce que dès que ton visage rencontre le mien, je ne vois que ton père. Et ça me détruit. Tu... Tu... représentes tout ce que j'ai perdu, m'effondrais-je au sol.
Mes genoux me brulèrent au contact de la moquette, mais la douleur n'était rien, face à ce que je venais de lui avouer.
Il s'était assis, sous le choc de ma révélation, dans le fauteuil en dessous de la fenêtre.
Je tentais de cacher la honte qui m'accablait en recouvrant mon visage de mes mains. C'était la première fois que je lui disais tout haut, et je n'étais pas fière de ce que je ressentais. Je m'en voulais tellement de penser cela de mon fils.
— Je vais partir chez Madeline quelques temps. Le temps d'y voir plus clair, me confia-t-il d'une voix brisée.
Nous restâmes un long moment, chacun campé dans sa position, dans un silence pesant, mais nécessaire.
Madeline fut la première à bouger. S'accroupissant à mes côtés, elle m'aida à me relever.
— Sandrine, on se rejoint dans une quarantaine de minutes en bas. Nous allons nous préparer, m'indiqua-t-elle d'une voix douce.
Le week-end s'était terminé plus tôt que prévu. Par ma faute, évidemment.
Les enfants m'avaient rejoint après le temps prévu par Madeline dans le hall de l'hôtel. Nous avions repris la voiture dans le même silence de plomb qu'à l'aller. Le cœur néanmoins plus léger pour ma part. Le pardon allait être long et difficile, mais je ne laisserais plus tomber mon fils. Et je lui donnerais le temps qu'il lui faudrait pour.
Une dernière halte sur la petite route de campagne empruntée par mon mari quelques années auparavant mit fin à notre silence quelques minutes. Le temps de déposer trois roses blanches sur le bord de la route.
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Et oui ! Je l'avais promis à certaines, vous alliez en savoir plus sur la mère d'Edgar. J'ai réfléchi longuement sur la meilleure façon de le faire, et je me suis dit, pourquoi pas écrire un chapitre de son point de vue ?
J'espère que cela vous plait....
Love you all <3
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