Chapitre 31 - Edgar
— STOP ! On recommence depuis le début, cria Romy dans le micro, cachée derrière la cabine en verre du studio d'enregistrement.
Je posais ma guitare au sol et commençais à m'énerver.
— Ouais mais là, c'est la dixième prise, j'en peux plus, lui répondis-je en balançant mes bras de haut en bas pour montrer mon énervement.
Je transpirais comme un porc, j'étais à bout de souffle et énervé de ne pas réussir à trouver ma voix en français. Mon timbre changeait, les paroles ne me convenaient pas et cette musique ne me ressemblait aucunement.
Je la regardais discuter avec l'ingénieur, derrière l'énorme console de son sans pouvoir entendre le moindre mot avant qu'elle n'active finalement le micro.
Sa voix forte résonnant contre les parois du studio me fit sursauter.
— Prend cinq minutes, tu bois un coup et on s'y remet. Ça me coûte une blinde à la journée.
Je sortais de la cabine en bois en claquant la porte et empruntait la sortie de secours presque en face, me menant directement sur le parking du studio.
Inspirer, expirer. L'air qui entrait dans mes poumons me redonnait un peu d'énergie pour passer cette journée.
Je sortais mon paquet de clope de ma poche arrière et allumais une cigarette. Bien moins efficace que l'oxygène mais vital pour mes nerfs.
J'attrapais mon téléphone dans mon autre poche et appelais Madeline. Elle devait être au travail, mais j'espérais au fond de moi qu'elle décrocherait.
Au bout de cinq sonneries, elle répondit essoufflée.
— Ça va, princesse ?
— Ouais. J'ai couru pour prendre ton appel. Je commence à peine ma pause. C'est un peu dur au travail. J'ai un nouveau binôme, vu qu'Elisa a changé toutes ses heures de travail. Je suis à deux doigts d'arrêter, ça ne me plait pas si elle n'est pas là.
— Arf...Pense à l'argent que ça peut t'apporter, tentais-je. En soit, il te reste quoi ? Deux semaines avant la rentrée ?
— C'est vraiment juste pour ça que je continue, tu sais. Ça, plus Peter qui est d'une humeur exécrable depuis une semaine, la rentrée qui approche... Elle ne répond pas à mes messages ni à mes appels, tu te rends compte ? Tu as des nouvelles, toi ? Désolée..., je me plains mais c'est toi qui m'appelle ! Il faut vraiment que je fasse des efforts là-dessus, je sais.
— Je t'appelle, mais j'aime t'entendre. Et si quelque chose te tracasse, j'aime à penser que tu te confies à moi, la rassurais-je. Je vais me renseigner pour Elisa...
— Mais peut-être que toi aussi tu as des choses à me confier, et je suis prête à t'écouter !
Je recrachais la fumée de ma cigarette et m'asseyais sur le rebord d'une fenêtre à côté.
— Je passe une journée de merde. J'ai déjà enregistré six de mes titres en anglais pour le futur album, c'était nickel, et là on fait des essais en français pour le dernier jour, tu vois, et ça ne me convient pas. Y'a rien qui va.
— Si ça ne te va pas, tu le dis à Romy, elle comprendra.
Je ricanais dans ma barbe. Sa naïveté me faisait doucement rire. Si seulement c'était aussi facile.
— Quoi, ne rigole pas, franchement, tu fais de la musique pour te faire plaisir avant tout, non ? Si ça devient une contrainte...
— Si ça devient une contrainte, quoi ? J'arrête tout pour un petit caprice de star que je ne suis pas ? terminais-je sa phrase à sa place.
— C'est pas ce que je voulais dire. L'essentiel est que tu sois heureux de chanter. Et si les textes proposés en français ne te conviennent pas, demandes-en d'autres.
Je méditais ses paroles quand la porte s'ouvrit sur Théo.
— Mec, faut que t'y retourne, le commandant en chef Romy t'attend, m'indiqua-t-il en mimant le salut militaire.
— J'arrive dans deux secondes, lui répondis-je en éloignant le téléphone.
— Il va falloir que j'y retourne, Mad. J'ai envie de te voir ce soir, je suis un peu resté sur ma faim la semaine dernière...
Je la sentais rougir derrière le combiné et me délectais de l'effet que je lui faisais, même à distance.
— Franchement, je t'ai déjà dit, je suis désolée de m'être endormie ! J'avais beaucoup trop bu... se justifia-t-elle une nouvelle fois.
Une petite semaine s'était passée depuis le concert et nous n'avions pas eu l'occasion de se voir après cette nuit foireuse où, à peine rentrés chez moi, excité comme jamais, elle s'était endormie tout habillée sur mon lit. Sa mère ayant débarqué par surprise pour quelques jours, dès le lendemain midi, on avait à peine eu le temps de se chatouiller.
Les jours avaient filé et je n'avais pas revu ma belle depuis, bloqué au studio depuis trois jours, fournissant un travail harassant.
— Toujours d'accord pour partir demain avec ma mère et moi ?
C'était enfin le weekend fatidique, celui du premier pèlerinage de reconstruction, où la joie de revoir la mer et la farandole de souvenirs amers allaient fusionner pour former un cocktail explosif au goût encore méconnu. Plus le décompte s'amenuisait, plus la peur encombrait mon ventre. Mais ça, je me gardais bien de le dire.
— Evidemment que je serai là. Dès ce soir, me rassura-t-elle.
— Super, je ferai à diner pour nous trois. J'ai hâte de te voir.
— A ce soir, Edgar.
Je raccrochais, soulagé qu'elle n'ait pas changé d'avis. Pour ma mère comme pour moi, ce voyage au Touquet allait nous permettre de faire correctement notre deuil. N'ayant jamais refoutu les pieds là-bas, un goût d'inachevé planait constamment sur mes papilles.
Je rentrais, les pieds trainant. Si je n'arrivais pas à chanter aujourd'hui c'était certainement pour toutes ces raisons aussi. Ma tête était au bord de l'explosion, toujours à la frontière entre l'angoisse et l'assurance. Un putain de mentos prêt à être balancé dans une mer de coca. Tout pouvait exploser d'un moment à l'autre. Ma tristesse enfouie, ma colère plus ou moins refoulée, ma joie interdite, ma peur du lendemain...
Je fus coupé rapidement de mes pensées quand je rentrais dans la partie bureau du studio.
— Pas trop tôt. Quand t'auras fini de faire ta star, tu pourras retourner chanter ? m'interpella Romy à peine le pas de la porte passé.
Je relevais la tête et lui lançais un regard noir.
— J'veux pas chanter cette daube. C'est pas moi. Ça ne me ressemble pas, explosais-je.
— Tu te fous de moi ? C'est les textes sur lesquels on s'était mis d'accord ! me répondit-elle sur le même ton.
— Parce que c'était les moins pire que tout ce que tu m'avais proposé. Les gna gna gna, « mon cœur explose quand t'es là » c'est ridicule. Je me sens ridicule de chanter ça.
— Ecoute moi bien Edgar, ça va plaire aux jeunes filles qui vont vous écouter, et puis je ne peux pas re-caster des auteurs comme si je changeais de chemise, tu vois l'image ?
— Moi je la vois très bien, intervint Matt, affalé dans le canapé entre mes deux autres acolytes.
Elle lui lança un regard lourd de sens tandis que je me retenais de rire. Est ce que ces deux là avaient déjà... ? Je chassais l'image de ma tête et souriait de plus belle. Il venait de détendre l'atmosphère et je venais de relâcher la pression qui me comprimait le torse depuis ce matin. Je n'aimais pas ces textes et je le disais enfin. Par moment, mon envie de réussir prenait tellement le dessus, que je fermais ma gueule, mais là, je ne pouvais décemment pas accepter chanter de la merde.
— Je suis d'accord avec Edgar, c'était le texte le moins pourri mais il est quand même bien nul. L'arrangement musical tue, mais les paroles, sérieux... Je connais mon pote et on ne peut pas lui demander de chanter un truc qui ne lui plait pas, intervint David dans un élan de solidarité.
— Putain, les gars sérieux ? cria Romy en baissant les bras et les épaules, défaitiste.
— Romy, aimes-tu vraiment cette chanson ? demanda calmement Théo à notre mentor.
— Eh bien, je sais pour sûre que c'est une chanson qui peut fonctionner. Le rythme est super et entrainant, les petites minettes vont en raffoler. C'est vendeur !
— Ne résonne pas en tant que commercial, est ce que la chanson te chamboule ? Anime ton cœur comme les autres ? continua-t-il. Nous, c'est pas le cas.
Pour toute réponse, elle baissa la tête vers ses pieds en triturant le dossier de la chaise, semblant réfléchir à une solution.
— Le problème les gars, c'est que les dates sont calées, il faut qu'on ait fini en début de semaine prochaine pour envoyer la chanson française à l'éditeur. Le but c'est de vous faire passer en radio le plus rapidement possible pour pouvoir sortir l'album dans la foulée. On aura plus de chance de vous faire passer avec du français que de l'anglais, c'est la dure réalité de la chose dans ce pays.
— J'en peux plus de leurs quotas à la con, intervins-je.
— Bon je vais me chercher un café, vous m'appelez quand vous réglez l'histoire ? J'ai pas tout mon temps, céda l'ingénieur du son en se levant de son fauteuil de bureau et quittant la pièce.
— C'est tout, c'est comme ça, Edgar, et j'ai pas d'auteur qui écrit en français sous la main.
Un silence de plomb encombra la pièce, tandis que tout le monde semblait réfléchir de son côté.
— Moi, j'écris...
Théo rompit la quiétude au bout de quelques minutes en lâchant une bombe.
— Comment ça tu écris ? lui demandais-je réellement étonné.
Il ne m'avait jamais dit qu'il s'essayait à l'écriture.
— Et pourquoi tu nous dis ça seulement maintenant ? le questionna Romy, au bord de l'implosion. Vous allez me rendre chèvre, les garçons.
— Parce que ce ne sont que des essais, que je ne sais pas si ça te plaira et que c'est toi l'auteur du groupe, pas moi, se justifia mon meilleur ami.
— J'ai entièrement confiance en toi, lui annonçais-je en le prenant dans mes bras.
Mon frère, mon âme-sœur. Il était évident que j'allais aimer ce qu'il allait me proposer. On se connaissait comme personne.
— Ok, ça change tout.Bon...
Romy souffla un bon coup avant de reprendre.
— Théo, rendez-vous demain à la première heure, genre dix heures, pour que tu nous montre tout ça. Les garçons, je compte sur vous pour être tous présents. Si tout roule, on enregistrera lundi, je vais booker le studio.
Une boule se forma dans ma gorge, ce week-end, ça n'allait pas être possible pour moi. Pas du tout. Je ne pouvais pas décaler l'anniversaire de la mort de mon père et mes sœurs, c'était un fait.
Après un regard entendu à Théo, il prit la parole.
— Je viendrais avec les garçons, Edgar ne sera là que pour enregistrer lundi.
— Vous vous foutez de moi ? Vous avez envie de réussir ou pas ? C'est la dernière ligne droite avant la radio, là. Ta petite copine ne peut pas se passer de toi un weekend ? me demanda la jolie blonde d'un air dédaigneux.
Mes doigts se crispèrent et mes jointures blanchirent dans mon poing.
— On va s'en sortir sans lui pour travailler les textes, dès que tu les valides, je lui envoie pour qu'il les travaille avant lundi.
Ma mâchoire serrée, je m'empêchais d'émettre un son que j'allais regretter. Autant par moment, je kiffais son franc-parler, autant là, elle ne savait pas de quoi elle causait et dans quoi elle s'aventurait.
— C'est quoi le bail, là ? nous interrogea-t-elle en passant son regard entre nous quatre.
— C'est rien, c'est...
Je décidais de couper court à la conversation et de sortir mon meilleur ami de cette impasse. Après tout, c'était mon putain de soucis, pas le sien.
— Il y a, Romy, que je ne peux pas déplacer la date de la mort de mon père et de mes sœurs. C'est ce weekend, et je pars faire mon deuil avec ma mère, qui effectivement, ne peut pas se passer de moi ce weekend.
Mon ton était froid et antipathique. Je ne voulais pas de sa pitié, ni voir une once de compassion dans son regard, alors je me retournais et quittait la pièce.
— Je serai là lundi matin, lançais-je alors que j'étais déjà dans le couloir.
— Edgar, excu...
Ses mots s'achevèrent en même temps que la porte claqua derrière moi.
J'avais décidé de rentrer à pied, il fallait que je me change les idées et j'avais besoin de nicotine en masse pour tenter de calmer la tempête dans mon esprit.
Je passais chez le boucher au passage de la rue de Lévi et prenait un bon rôti pour ce soir. Cuisiner pour les deux femmes de ma vie allait m'aider à calmer mes tourments.
— Maman ? Je suis rentré.
Pas un son.
Il était encore tôt, pourtant ma mère était en vacances en ce moment. Elle avait dû sortir faire une course. Je prenais mon téléphone et essayais de la joindre sans succès. Madeline allait arriver d'ici une petite heure, il fallait que je me mette aux fourneaux.
The Who à fond dans l'habitacle, je commençais à éplucher les pommes de terre et à couper les légumes.
Au bout d'une trentaine de minutes, tout était au four et la musique baissa d'un ton pour m'indiquer la réception d'un nouveau message.
MAD :Je viens de finir ma valise et suis partie de chez moi. Je devrais être là dans un quart d'heure <3
MOI :Ok princesse, je t'attends de pieds fermes, E.
MAD :Tu sais que tu n'as pas besoin de signer à chaque fois, je sais que c'est toi ;)
Je souriais à sa remarque et répondais.
MOI : Je sais, E ;)
Elle ne répondit pas, mais j'espérais l'avoir fait rire. Pathétique.
Je laissais un nouveau message sur le répondeur de ma mère avant de m'affaler dans le canapé. Vingt bonnes minutes plus tard, Madeline sonnait à l'interphone.
Anxieux de ne pas l'avoir vu depuis une semaine, je l'attendais devant l'ascenseur de mon étage en faisant les cents pas. Lorsque les portes s'ouvrirent, elle sursauta avant de me sauter dans les bras.
— En retard, mademoiselle Moreau.
— Comme toujours, monsieur E.
Je la reposais au sol et attrapais doucement son menton.
— Bienvenue à la maison.
Elle m'embrassa, pressante et amoureuse tandis que je lui rendais son baiser. Ses lèvres m'avaient manqué, son odeur, ce havre de paix, m'apaisa instantanément et je relâchais véritablement la pression accumulée depuis le début de la journée.
Je la guidais à l'intérieur en prenant soin d'attraper sa valise au passage.
— T'as ramené ton appartement ?
— Absolument. On ne sait jamais quel temps il fait à la mer, alors j'ai pris de tout.
— On dort juste une nuit là-bas, tu sais ?
— Raison de plus.
Elle me fit un clin d'œil avant de rentrer dans l'appartement vide.
— Ta mère n'est pas là ?
— Non, et ça commence à m'inquiéter. Je n'ai pas de nouvelles.
— Je suis sûre qu'elle ne va pas tarder. Hum, ça sent délicieusement bon !
Je l'aidais à enlever sa veste et l'accompagnait au salon. J'avais sorti une bouteille de rosé de la cave à vin et mis quelques gâteaux à grignoter au centre de la table basse. Elle regarda ma préparation avec des yeux pétillants et s'installa sur le gros canapé gris et moelleux du salon. Que de souvenirs sur ce canapé...
Je crois que les mêmes pensées l'effleurèrent car elle se mit à rougir sans raison.
— J'aime beaucoup te voir dans ce canapé. Je te sers du rosé ? Ça la fera sûrement arriver.
— Avec plaisir. Et j'adore ce canapé aussi, m'avoua-t-elle les joues roses de désir.
Au bout d'interminables discussions et de la fin de la bouteille, ma mère n'était toujours pas là. Je commençais à croire que ses bonnes résolutions n'étaient qu'illusion.
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