Chapitre 7 (partie 1)
Ce matin-là, Naïg se réveilla la tête lourde, désorientée. Le jour n'était pas encore levé et déjà les oiseaux chantaient. Du moins, ceux qui n'avaient pas fui à l'arrivée des premières neiges, et aussi fatiguée qu'elle puisse être, c'était déjà l'heure pour elle de se lever.
Elle regarda autour d'elle à la recherche d'un élément auquel elle puisse se raccrocher et mit un moment à réaliser qu'elle était dans sa chambre.
Les rêves qu'elle faisait depuis quelque temps la tiraient du sommeil de façon violente. Plusieurs fois, elle avait eu l'impression de les vivre réellement, tout comme ceux concernant son ami Benn. Elle toucha son bras là où une flèche l'avait atteinte, persuadée de pouvoir encore en sentir la douleur. Cependant, plus elle y pensait, plus celle-ci s'effaçait, laissant place à la réalité qu'elle aurait bien voulu oublier.
L'amertume et la colère de Naïg l'avaient emporté face à l'attitude et la non-proposition de son ami. Elle lui en voulait toujours de ne pas avoir parlé plus tôt. De ne pas leur avoir laissé la moindre chance. C'est pourquoi, après une correspondance assidue et des débats houleux, elle avait finalement décidé qu'il était préférable pour eux d'en rester là et avait totalement coupé les ponts avec lui jusqu'à nouvel ordre.
Peut-être regretterait-elle son geste, mais elle avait de toute manière trop de ressentiment envers lui pour empêcher leurs échanges d'en être entachés.
Deux lunes s'étaient donc écoulées. Deux lunes depuis le jour du solstice d'hiver. Deux lunes depuis le jour des fiançailles officielles de Madrouk.
Reprendre sa vie après cet événement avait été pénible pour Naïg, car tout ce qu'elle faisait mettait en relief les moments qu'elle ne passerait plus en compagnie de son ami. Cependant, comme il l'avait lui-même dit, ça n'était pas comme s'il était mort, et elle espérait sincèrement que le jour arriverait bientôt où elle pourrait mettre toute cette histoire derrière elle. Si une telle chose était possible.
Pour se changer les idées, elle avait donc décidé de modifier ses habitudes et d'être plus sérieuse dans ses études, mettant de côté son entraînement au sabre et à l'arc pour prendre des leçons supplémentaires en langues. Elle avait d'ailleurs tellement progressé en tanken qu'à l'occasion, elle s'entraînait à parler avec Tarkin.
Étrangement, ces leçons lui avaient fait trouver un équilibre et une paix intérieure qu'elle avait cru impossible à atteindre, et il était devenu rare qu'elle s'emporte à cause du comportement parfois trop étouffant du Guérisseur. Néanmoins, les parties de chasse comme celle qui l'attendait la confrontaient à la solitude, au silence et faisaient remonter sa peine. C'est pourquoi elle les restreignait au maximum.
Après quelques minutes supplémentaires à broyer du noir, Naïg se leva finalement, frustrée. Elle sortit de sa chambre, jeta au passage un regard à celle de son frère pour voir s'il était déjà levé, et se rendit au cellier.
Toujours mal à l'aise, elle prit ce dont elle avait besoin dans les réserves, et se dirigea vers la cuisine pour en attiser le feu mourant, préparer du khanem et mettre de l'eau à bouillir. À sa grande surprise, Nadrek la rejoignit quelques instants plus tard.
‒ Tu es bien matinal aujourd'hui, lui dit-elle pour simple accueil. Je t'ai réveillé en fouillant dans le cellier ?
Il se contenta de secouer la tête. Elle devrait attendre un peu avant d'avoir plus de détails. Son visage était encore marqué par le sommeil et les poches qu'il avait sous les yeux indiquaient qu'il avait un peu trop bu la veille. Elle n'insista donc pas. Ils mangèrent en silence ce qu'elle avait préparé, puis partirent après avoir vérifié provisions, flèches et carquois.
Le temps était agréable dehors, bien que couvert. Le froid semblait battre en retraite, et on sentait déjà dans l'air un réchauffement annonçant l'approche du printemps.
Mais ce n'était qu'une conséquence des vents doux et humides provenant des basses terres. Un peu plus de deux lunes s'étaient écoulées depuis la fête du solstice d'hiver, néanmoins, à cette altitude, la saison froide était loin d'être terminée. Ces derniers jours, la pluie avait remplacé la neige, faisant partiellement fondre celle qui se trouvait au sol. Cependant, le froid pouvait revenir n'importe quand.
Ils prirent la route du sud. En passant les portes du village, Naïg se rappela les mises en gardes que Tarkin lui avait données quand ils étaient rentrés de la dernière grande chasse. Elle choisit donc d'obliquer vers l'ouest et de rester en lisière de forêt, là où la montagne rocailleuse reprenait peu à peu ses droits. Elle et son frère y suivirent quelques pistes, débusquèrent lapins et renards, l'un rivalisant d'adresse avec l'autre. Plusieurs fois, elle fit le vide en elle jusqu'à arriver à la quiétude qu'elle connaissait bien, atteignant sa cible à des distances qui rendirent Nadrek vert de jalousie.
Ils firent une pause au moment où le soleil atteignit son apogée. Épuisés, ils s'assirent au bord d'un petit ruisseau, à l'abri des arbres, pour manger un peu. Pour une fois, l'exercice avait fait du bien à Naïg. Cependant, le souvenir de son rêve ne la quittait pas.
Deux hommes. Deux femmes. Des créatures ailées. Une attaque. Une tour. Tout paraissait tellement réel qu'elle ne parvenait pas à oublier la douleur de la flèche.
‒ À quoi tu penses ? demanda Nadrek.
Surprise par cette question, elle se rendit compte qu'elle mâchonnait son bout de viande depuis un moment déjà. Pour donner le change, elle voulut en prendre une nouvelle bouchée.
‒ Rien d'important.
‒ Rien d'important ? Ça fait un temps interminable que tu regardes dans le vide la main en l'air.
Embêtée, elle revint alors à la réalité pour constater que sa main était en effet restée à mi-chemin entre son sac de nourriture et sa bouche.
‒ Ne me dis pas que tu penses à...
L'expression du visage de Nadrek était un mélange d'hésitation et de tristesse. Elle soupira.
– Tu es loin du compte.
Elle fut touchée par les précautions qu'il prenait à ne pas en parler. Mais il faudrait que cela cesse. Elle n'allait pas jouer les bêtes malades toute sa vie. Elle ne le supporterait pas.
– Pour une fois, Madrouk – pour le nommer – était à mille lieues de mes pensées. Mais grâce à toi, ce n'est plus le cas maintenant.
Elle vit son frère pâlir et ne put retenir un petit rire, satisfaite qu'il ait mordu à l'hameçon. Elle repensa alors aux questions qu'elle ne lui avait pas posées le matin même.
– Alors ? Tu as passé la nuit à l'auberge ? Tu t'es battu ?
L'expression du jeune homme s'assombrit, mais il répondit.
‒ Quoi que tu puisses penser, non, je ne me suis pas battu. Enfin...
‒ Enfin, quoi ? Je suis censée être rassurée ?
– J'ai eu quelques ennuis.
– Quel genre ? Sérieusement, avec toi, je ne sais jamais à quoi m'attendre.
Son frère essaya de paraître indifférent, mais elle le connaissait trop bien pour y croire :
‒ Rien de grave. Je me suis juste fait mettre dehors.
‒ Tu t'es fait quoi ?
Cette fois, elle dut avouer qu'elle était incapable de savoir si son frère plaisantait ou non.
Quand les circonstances s'y prêtaient, Nadrek appréciait les bonnes choses – particulièrement l'alcool – mais elle le connaissait, ainsi que l'aubergiste. Elle savait que le premier n'était pas du genre à causer des ennuis, même ivre. Et ce n'était pas le genre du deuxième de renvoyer les clients sans une raison plus que valable.
‒ Qu'est-ce qu'il s'est passé pour en arriver là ?
‒ J'étais avec quelques amis, comme d'habitude. On a parlé, on a ri et surtout bien bu... et je me suis endormi.
‒ C'est tout ?
‒ Non, tu t'en doutes bien ! Sinon, ce ne serait pas la première fois que je me retrouve dehors...
Il marqua un temps d'arrêt avant d'ajouter :
« Mais il parait que je parle dans mon sommeil. »
‒ Et qu'est-ce que ça a de si terrible ?
Il continua :
‒ Crois-moi ou non, mais l'aubergiste a dû me balancer un seau d'eau à la figure pour me réveiller, et quand il y est parvenu, lui et les autres me regardaient tous comme si j'étais Tarod en personne.
Finalement, elle se dit qu'il se moquait bien d'elle. Nadrek dut se douter de ses pensées, car il s'empressa d'ajouter :
« Je te jure que je te dis la vérité. Tu n'auras qu'à poser la question à Tarkin car c'est lui qui m'a raccompagné. Et crois-moi quand je te dis que je m'en serais passé. »
Au moins ne s'était-il pas battu, mais qu'avait-il bien pu dire ?
« Enfin... Si seulement j'avais pu dormir convenablement après ça ! ajouta-t-il au bout de quelques secondes. J'ai cru mourir à mon réveil ! »
– Je pense que tu peux mettre ça sur le compte de l'alcool plus que sur celui de tes...
Mais elle ne put finir sa phrase, car un long cri en provenance des hauteurs les pétrifia tous deux.
‒ Qu'est-ce que... ?
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