Chapitre 5
Malgré tous les efforts des Guérisseurs, qu'ils soient Communs ou Aptes, la condition de Maître Nar avait fini par l'emporter, au plus grand désarroi de l'Arkhanör. Mais surtout, celui de Kerian.
Comme le voulait la coutume, le deuil avait duré dix jours. Dix jours durant lesquels le Sueben avait tenté d'accepter la réalité. Dix jours durant lesquels il était retourné voir Isleen pour lui demander conseil. Puis les funérailles avaient été célébrées. Fastueuses, pour rendre hommage à la vie de celui qui n'était plus.
Maintenant, Kerian était assis dans le bureau ovale du Chef de l'Ordre. Mais c'était à Idriel, son Maître qu'il voulait parler, non au Chef, bien qu'il se doutât que rien de ce qu'il puisse dire ou faire ne changerait quoi que ce soit à la situation.
Il se sentait pris au piège.
Il savait qu'Idriel avait le don de vision. Il savait également que chacun de ses mouvements était longuement calculé. Il avait dû voir venir ce jour. Il connaissait également l'horreur qu'avait Kerian du protocole et des fonctions qu'il devait maintenant occuper. Et pourtant, il n'avait rien fait. Pourquoi ?
Néanmoins, malgré l'amertume qu'il ressentait, il ne pouvait lui en vouloir totalement. Quand il avait accepté de devenir son élève, il avait fait le serment de le suivre. De lui faire confiance. De lui obéir.
Même s'il s'était toujours acquitté de sa tâche, Kerian ne l'avais cependant jamais fait aveuglément. Et jusque-là, Idriel n'avait jamais donné de raison de douter de lui. Il n'y avait donc pas lieu que cela commence aujourd'hui.
Quel que soit le chemin que la Source voulait qu'il suive, Kerian s'y engagerait donc. Il obéirait à son Maître.
Heureusement, il pouvait compter sur le soutien de Levias dans cette épreuve. Bien qu'ils aient mis du temps à s'apprivoiser, ils avaient fini par nouer des liens de confiance mutuelle et ce dernier l'avait rapidement rassuré quant à son parcours et ses motivations.
Heureusement, le temps qu'avait passé Levias dans les Terres Tankenes et les accusations dont il avait été victime n'avaient en rien entamé sa bonne humeur et il était devenu l'un des plus précieux alliés de Kerian au sein du monastère.
Son intelligence lui avait fait passer les épreuves de Maître haut la main en un temps record. Son expérience du terrain lui avait permis de déjouer certaines manœuvres de Maître Echtach visant l'Arkhanör, ce qui n'était pas rien. Ainsi, Levias avait grandement contribué à apaiser les tensions entre les différentes Branches et à faire taire les rumeurs qui accusaient les Arkhans de traitrise ou de rébellion.
Si Kerian était maintenant dans le bureau de son mentor, c'était pour lui faire part de son souhait de prendre le jeune Maître en tant que suppléant. Il venait d'en faire la requête et attendait la réponse de son aîné.
- Malheureusement, Kerian, je ne peux accéder favorablement à ta demande, lui répondit Idriel.
À ces mots, le Sueben se crispa.
Non. Il ne devait pas douter. Néanmoins, il voulait connaître la raison de ce refus.
- Pourquoi ? demanda-t-il simplement. Le gamin est brillant et plein de ressources.
Son Maître le regarda par-dessus ses mains jointes durant de longues secondes, ses yeux d'un bleu limpide contrastant avec la noirceur de sa peau.
Lorsqu'il l'étudiait de la sorte, Kerian savait qu'Idriel luttait contre ses Serments. Il cherchait la meilleure façon de lui parler sans avoir à les briser. En tant que Chef, il était tenu au secret sur bon nombre de choses, mais Kerian ne comprenait pas en quoi le sort de Levias en relevait.
- Je suis conscient qu'il ferait un allié non négligeable à la table des négociations, répondit le Chef. Cependant, tu comprendras qu'il a un autre rôle à jouer. Tu le découvriras bien assez tôt.
- Que voulez-vous dire ? demanda le Sueben.
Mais il sut que son Maître était incapable de lui répondre.
« Cela a-t-il un lien avec sa particularité ? Avec notre mission ? »
Devant lui, Idriel lui sourit mais ne dit mot.
C'était bien ça. Il n'y avait donc rien qu'il puisse faire.
Résigné, Kerian accepta son sort.
« Qui me conseillez-vous de prendre à sa place ? » demanda-t-il enfin.
- Je pense que Maître Nudd est le meilleur second choix, répondit Idriel. C'est une femme de confiance, et bien qu'elle paraisse effacée en comparaison de Levias, elle n'en est pas moins vive et persuasive, et entretient des relations cordiales avec nos opposants notoires.
- Très bien, conclut simplement Kerian.
L'entretient prit fin de cette façon, et c'est bien sombre que le Sueben regagna ses appartements où l'attendait Levias. Il était peiné de lui apprendre la nouvelle et espérait que cette décision ne l'affecte pas trop. Entrer au Conseil Restreint aurait été pour lui la récompense ultime pour tous les efforts qu'il avait fournis ces derniers mois.
Quand il entra dans son petit salon, le jeune homme était confortablement installé dans un fauteuil, devant un feu ronflant, son épais livre traitant de magie galnoke à la main. Quand il releva la tête, ses yeux pétillants l'interrogèrent, mais il sembla comprendre avant même que Kerian ne dise mot.
- Il a refusé, lâcha-t-il en même temps qu'il posait son livre sur le sol.
Kerian l'observa alors qu'il se redressait. Il paraissait curieux et peiné, mais ne vit transparaitre aucune trace de colère ou de dégoût. C'était au moins ça.
- En effet, confirma-t-il en s'asseyant en face de lui. Je suis désolé, gamin. Il semblerait qu'il ait d'autres projets pour toi. À la place, il a choisi Maître Nudd.
Digérant ses paroles, le jeune homme passa la main dans ses cheveux coupés courts.
- Bon. Je mentirais si je disais ne pas être déçu, avoua-t-il. Mais si Idriel pense que ma place n'est pas au Conseil Restreint, je suppose qu'il faut que je l'accepte. Après tout, la Source guide nos pas, et j'ai hâte de savoir quel chemin elle me fera prendre. De plus, Maître Nudd est meilleure diplomate que je ne le serai jamais ! C'est un très bon choix.
- Je n'en attendais pas moins de ta part, petit. Mais je suis désolé pour toi.
- Ne t'en fais pas, Kerian, répondit-il un sourire aux lèvres, mais les yeux sombres. Inquiète-toi plutôt pour toi ! La cérémonie est demain. Tu es prêt ?
- Pas le moins du monde ! s'exclama le Sueben. Mais comme toi, il va falloir que je l'accepte.
En effet, il n'avait pas le choix.
- Quoi qu'il en soit, tu pourras toujours compter sur mon soutien, mon frère, conclut le plus jeune.
- Merci, gamin.
La seule consolation pour Kerian était de savoir qu'en n'accédant pas au poste de suppléant, Levias n'aurait jamais à souffrir de ses obligations. Il serait libre de repartir dans les Terres Tankenes quand il le voudrait ou de parcourir le reste des Cinq Terres à sa guise. Les libertés qu'avait prises Kerian, il les avait payées cher à son retour. Il avait au moins évité cela à Levias.
Le lendemain avait lieu la redoutée cérémonie.
L'accession au poste de Haut Conseiller titulaire était à la fois administrative, symbolique, mais avait également une dimension concrète non négligeable à cause de la façon dont l'Ordre était structuré. À la mort de Maître Nar, la responsabilité de la Branche des Arkhans avait ainsi été transférée à Kerian qui était son suppléant. La cérémonie à laquelle il allait prendre part scellerait cette responsabilité et désignerait Maître Nudd comme son héritière.
Il se rendit donc dans la salle du Conseil où Idriel et Nudd l'attendaient déjà. La pièce était vide, le silence de plomb, et bien que l'instant soit solennel, il se déroulerait aussi rapidement que simplement.
Quand il arriva, le Sueben prit place face à son Maître, à côté de sa collègue.
Il ne la connaissait pas vraiment. Il n'en avait pas besoin.
Idriel déballa alors un petit livre relié de cuir noir sur lequel était sertie une pierre de couleur vert-bleuté. Il posa le volume dans ses mains, pierre vers le haut, et attendit :
Prenant une grande inspiration, Kerian leva sa main droite et entra en contact avec la pierre. Comme la première fois qu'il l'avait touchée, il s'était attendu à ce qu'elle soit froide, mais elle était en réalité tiède. Comme si Idriel avait porté le livre près de son cœur en attendant ce moment.
Comme si elle était vivante, pensa-t-il. Mais il réprima cette pensée d'un grognement. Les pierres n'étaient pas vivantes. Elles n'étaient que des pierres, même si certaines - comme celle-ci -, possédaient des vertus particulières.
Puis, Nudd en fit de même et Idriel prit la parole :
- Kerian ak Torrmaa, jurez-vous d'accepter et de respecter les responsabilités qui incombent à votre fonction de Haut Conseiller ?
- Moi, Kerian ak Torrmaa, jure sur cette pierre d'accepter et respecter les responsabilités qui incombent à ma fonction de Haut Conseiller, répéta le Sueben.
À ses mots, il crut sentir la pierre chauffer sous ses doigts, mais l'impression fut si soudaine qu'il aurait pu l'avoir imaginée.
- Nudd Westanvind, jurez-vous d'accepter et de respecter les responsabilités qui incombent à Kerian ak Torrmaa, dû-t-il échouer dans sa mission ?
- Moi, Nudd Westanvind, jure d'accepter et de respecter les responsabilités qui incombent à Kerian ak Torrmaa, dû-t-il échouer dans sa mission.
Et encore une fois, la pierre sembla palpiter sous leurs doigts. Idriel prit alors un objet long ressemblant à s'y méprendre à une plume calligraphique, en trempa la pointe dans de l'encre et piqua le front de Kerian. Il fit de même avec Nudd.
- Que ces marques soient les témoins de vos Serments.
Puis tout fut terminé.
- Maintenant, Kerian, suis-moi. Il nous reste une dernière tâche à accomplir.
Il pressa l'épaule de Nudd pour la féliciter, puis suivit son Maître sans dire mot. Ce dernier le conduisit à son bureau, où les attendaient les autres Hauts Conseillers.
- Bienvenue, l'accueilli Maître Echtach sans même dissimuler son mépris. Eh bien, je pense qu'il est temps pour notre jeune ami de découvrir la vérité ! Enfin !
Kerian ne s'y trompait pas : Echtach jubilait alors que le regard d'Idriel s'était fait de glace.
- Ce que je m'apprête à te révéler fait partie intégrante de tes responsabilités de Haut Conseiller, coupa Idriel. Tu es tenu au secret. Ainsi, même si ton devoir est de respecter ce qui est écrit dans les Chroniques et de toujours agir en conséquence, tu ne pourras jamais en parler à qui que ce soit.
Kerian acquiesça d'un signe de tête.
« Il s'agit d'un message de Torin. »
Quelle était donc cette vérité dont il parlait ?
Le Chef de l'Ordre prit alors place derrière son bureau, ouvrit le petit volume qui avait servi à sceller les Serment, et se mit à lire :
« Par cette pierre je scelle en ces chroniques le plus lourd secret du nouvel âge et envoie un avertissement à tous ceux qui me succéderont. Un message m'a été adressé ... »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro