// ... Chapitre vingt-six ... //
"The whisperes" ( The horse whisperer) - Thomas Newman
" Runaway Meadow" ( The horse whisperer) - Thomas Newman
- Il serait bon de vous avoir dans notre garde pendant le lapse de temps que vous resterez parmi nous Prince Legolas, lance Armetiel.
- Je me ferai une joie de me joindre à vous, je réponds doucement.
- Armetiel, ce n'est pas à toi de décider...
- Laissez Haldir, j'allais vous le proposer de toute façon, dis-je en levant une main. À ce propos, comment vont vos frontières ?
- Les garnisons Orc bougent à l'Ouest, certains se promènent même en plein jour. Nous nous sommes occupés de leur passage dans le Nord il y a maintenant quatre ans, mais ils reviennent... dit Haldir l'air pensif.
- Il en est de même aux environs de Vertbois-le-Grand, même si la dernière bataille a affaibli l'ennemi, quelque chose nous dit que ce n'est que le début, l'obscurité ne faiblit pas, bien au contraire.
- Qu'est-ce que le seigneur Thranduil, votre père, dit de cela ? me demande Haldir.
- Mon père ne regarde pas vraiment au-delà de ses frontières, mais ce n'est pas mon cas, c'est pour cette raison que je suis allé au Nord, accompagner Estel et les deux fils du seigneur Elrond. Il est grand temps de bouger et de nous défendre.
- Je vois... Je vous remercie pour votre aide futur Seigneur Legolas, c'est un grand honneur d'avoir un archer tel que vous dans nos rangs.
- Juste Legolas, notre sang est de la même couleur et coule de la même manière sous les blessures. Nous sommes tous des frères et sœurs, autant dans la victoire que dans la mort, alors s'il vous plaît, oubliez le titre.
- Très bien Legolas.
- Merci, dis-je en baissant la tête en signe de remerciement.
S'il y a une chose que je ne supporte pas, c'est ce satané titre. Et le seul moment où il s'efface c'est dans l'épreuve, c'est affreux de dire ça, mais je me sens tellement vivant lorsqu'il est oublié... C'est à cause de ce titre que l'on ne m'a rien dit sur la mort de ma mère, que l'on ne m'a rien dit sur les atrocités, respectant le choix du roi tout puissant de le Forêt Noire. Je lui en ai voulu de ne rien m'avoir dit avant, de ne pas avoir eu le courage de partager sa peine avec moi. Mon père est tellement renfermé dans son chagrin et je sais qu'il est resté ici pour moi...
- Armetiel, vous montrerez l'armurerie et le terrain d'entraînement à Legolas demain.
J'ai tourné mon visage vers le concerné mais il semblait complètement ailleurs, les yeux fixés au loin. Ses lèvres étaient entrouvertes et son regard figé sur un seul point.
- Armetiel ? essaie encore Haldir.
Il n'a toujours pas répondu et curieux, nous avons tous suivi son regard. Je n'ai pas admis l'idée que ce soit vraiment elle a cet instant, mais la blancheur de sa chevelure m'a fait réaliser que c'était pourtant la vérité... Et de la façon la plus éprouvante qu'il m'eut été donné de la voir. J'ai serré la mâchoire à m'en faire grincer les dents un instant, ravalant la chaleur qui explosait au creux de mon ventre. C'était comme un raz de marée, mon esprit a pris de plein fouet une vague bouillante, sans que je ne puisse rien contrôler.
J'ai senti mes ongles s'enfoncer dans la paume de ma main en la voyant sourire à l'elfe sur lequel elle s'appuyait. Je l'ai détaillé, affolé de me prendre un nouvel ouragan, en voyant pour la première fois une véritable femme sous le titre maudit qu'elle portait quand l'elfe a retiré sa lourde veste.
D'une robe vaporeuse, qui épouse les formes de son buste et dégringole de ses hanches, elle était un joyau brut, bien loin de la beauté elfique. Des grandes courbes humaines fines et rondes à la fois, un port de tête timide, mais fière, un regard doux mais qui vous transperce de son expressivité... Une ceinture d'or enserre sa taille et ses cheveux sont retenus dans un chignon haut ; il n'y a pas de fioriture, pas de parure extravagante comme les elfes, tout juste sublimée par la simplicité d'être elle, relevée par cet arc d'or discret et ses lèvres rouges au milieu de sa blancheur sans âge...
- J'aurais souhaité avoir le courage de le lui demander... dit doucement Armetiel.
- Pourquoi ne pas l'avoir fait ? demande Haldir.
- Et bien... Je ne l'ai pas croisé de la journée... Et je vous le redis je n'ai pas eu le courage. Pourtant en la voyant maintenant, je regrette...
- C'est une beauté empoisonnée, j'en ai bien peur, je murmure en la regardant pourtant toujours tandis qu'elle marchait.
Le voilage de sa robe flottait autour d'elle, dévoilant une démarche souple et féminine. J'arrivais à voir sur la peau de ses bras nus, des cicatrices, elles étaient profondes, claires et larges, il n'y en avait pas beaucoup, mais la voir passer une main sur son bras pour cacher l'une d'elle m'a saisie. Mon cœur a raté un battement en voyant la marque fine et droite de ma lame gravée dans sa peau au niveau de sa clavicule. Si je n'avais pas cette haine en moi, peut-être aurais-je pris en pitié cette femme dont la peau était marquée par son serment ? Sûrement aurais-je trouvé son contrat dur à porter ?
"Pourquoi je baisse les yeux...?"
Je me suis giflé intérieurement en relevant mes yeux sur les cicatrices qui parcouraient son dos, sûrement la partie de son corps la plus touchée, car les marques de flèches y étaient nombreuses.
- Vous devez bien avouer mon seigneur, que hormis son titre de Titan et le passif sombre envers votre peuple, elle est tout de même d'une beauté agréable à regarder pour une humaine, souligne Haldir.
- Unique serait un bien meilleur mot, mon capitaine... enchère Armetiel.
J'ai fusillé l'elfe du regard, mais celui-ci était beaucoup trop absorbé à dévorer la Titan des yeux. J'ai tourné mon regard vers elle de nouveau, faisant abstraction des cicatrices, mais la courbure de son dos me fit détourner les yeux violemment.
- Seigneur Legolas ? demande Haldir.
- Dois-je vraiment répondre à cette question stupide ? dis-je ne contrôlant pas mes mots.
J'ai plissé les yeux quand je la vois répondre au sourire de l'elfe à son bras après un murmure dans son oreille. Je ne pensais pas qu'ils étaient aussi proches, j'avais été surpris en l'entendant la défendre ce matin et encore plus ici en le voyant si décontracté en sa compagnie. Je sais aujourd'hui que le seigneur à la Fleur d'Or à toujours formé les titans, mais je n'aurai jamais pensé qu'après leur sombre passé, il puisse encore croire en eux, voir même...
Un goût amer passe dans ma bouche avant que je ne détourne les yeux en croisant les bras. Je dois arrêter, maintenant...
- Au bout de cinq ans parmi nous, je ne comprends toujours pas la relation qu'entretient le seigneur Glorfindel avec elle, lance Armetiel.
- Je ne sais pas non plus, hormis qu'ils soient en effet d'une extrême proximité, lui répond Haldir.
- Je n'ai jamais osé poser la question mais, pensez-vous qu'ils soient liés ?
- Armetiel... le corrige Haldir.
Mon sang s'est glacé contre ma volonté et ma main a serré mon bras de colère..
- Le seigneur Glorfindel serait tombé bien bas dans ce cas, dis-je en serrant les dents.
- C'est votre amertume qui parle mon prince, Maliha est une bonne personne. Je sais que pour vous il est dur de l'admettre, mais si vous appreniez à la con...
- Cessez de m'insulter Haldir.
- Pardonnez-moi...
oOo
Il règne une ambiance de mystère dans la grande salle de bal cette nuit, nous étions rentrés, passant à travers les voiles qui dansaient dans le vent et une chaleur m'est parvenue. Pourtant l'air entrait librement dans la grande pièce, de tous les côtés car celle-ci n'était qu'une succession de grands piliers donnant sur l'extérieur. Pourtant l'air était si chaud, comme si une atmosphère différente était dans cette vaste pièce, encore la magie les elfes je suppose...
J'ai levé les yeux pour regarder encore et comme à chaque fois qu'il m'était donné de marcher ici, les peintures et sculptures de feuillage d'argent et d'étoile au plafond. C'était magnifique, les branches des arbres devenaient blanches en rentrant élégamment, courbées et tressées pour former les poutres. Toutes décorées des mêmes peintures et sculptures de feuilles tombant vers le centre, illuminent la salle d'une lumière d'argent. Tout autour de moi paraissait si doux et lumineux, une merveille...
Mais la gêne s'imprègne en moi quand je baisse finalement les yeux dans la foule, oubliant le plafond, oubliant l'aura chaude et apaisante de la pièce. J'ai marché au bras de Glorfindel en baissant la tête pour éviter de croiser les regards... je suis nue dans cette robe, exposée comme jamais, mal à l'aise et hors de ma zone de confort. Je n'aurai jamais dû accepter de la porter... Je passe doucement ma main le long de mon bras et serre les dents en sentant les cicatrices... Je me ravise, reprend le bras de Glorfindel en pensant que de toute façon, c'était ainsi... Que j'en aurai sûrement d'autres.
- Maliha... commence Glorfindel en posant sa main sur la mienne à son bras de nouveau. Il va falloir que tu le fasses...
- Je sais... 'jai murmuré.
Oui, je le savais, je ne pouvais pas rester sans avoir salué le prince de la Forêt Noire, c'était une insulte. Il était un personnage important et même si cela devait le contrarier au plus haut point de m'afficher devant lui, je me devais d'appliquer le protocole. Nous nous sommes d'abord approchés de la Dame et du Seigneur des lieux pour les saluer.
- Madame? Encore un grand merci pour votre accueil et votre aide. Je souhaite que les Valars illuminent la Lórien pour cette soirée, dis-je en faisant une révérence main sur le cœur.
- Profitez de cet instant tous les deux, rares seront les moments de joie à l'avenir. Ne faites pas taire votre cœur, permettez-lui de guider vos pas vers la danse.
- Et nous ferons de notre mieux Madame.
Glorfindel a glorifié les lieux comme il sait si bien le faire, avec des mots justes et doux. Nous nous sommes retirés puis dirigés vers le pire instant de ma vie... J'ai soupiré sur le chemin, un soupir d'angoisse.
- Tout ira bien, murmure Glorfindel à mon oreille.
Je ne réponds rien en le regardant juste avec un sourire incertain, qu'il me rend. Les quelques mètres pour traverser la salle était beaucoup trop long... Haldir et Armetiel étaient avec lui, leur présence m'a rassurée, mais je n'ai pas pu lever les yeux en sentant Glorfindel nous arrêter finalement devant eux. J'ai regardé le sol quelques instants, ne voulant pas me confronter à son regard, mais pourtant...
- Ah Glorfindel, Maliha, lance Haldir
- Haldir, Armetiel, dis-je doucement.
J'ai levé les yeux et affiché un sourire faux au possible... J'ai croisé les yeux d'Haldir faisant une révérence discrète ainsi qu'à Armetiel qui me la rend poliment.
- Je suis heureux de vous revoir Seigneur Legolas, j'espère que vous êtes logé confortablement? commence Glorfindel.
- On ne peut mieux, il répond.
- Il ne m'a pas été donné l'occasion de vous saluer ce matin Prince Legolas. Je vous présente donc mes respects, je suis ravie de vous revoir en Lórien, dis-je le plus calmement possible.
Mon cœur battait la chamade et je ne sais pas si ce n'était que de peur à cet instant... Mais je l'avais fait, voilà, c'était fait...
- Je ne peux malheureusement pas vous retourner ce ravissement, fille d'Illuviné.
Sa voix avait été sans sentiment, sans colère, sans amusement, sans rien...
Mon cœur s'est glacé, j'ai fait un pas en arrière mais Glorfindel m'a retenue doucement. Il m'avait presque coupé la parole comme s'il avait préparé ses mots à l'avance et je ne savais plus où me mettre, ni comment réagir, je voulais juste...
- Je suis désolée... je murmure.
Ce sont les seuls mots qui purent sortir de mes lèvres sous son regard maintenant si froid. Comme s'il me déshabillait, révélant à tous ceux autour de nous que je n'étais rien d'autre qu'une chimère, qu'un cauchemar démasqué...
Je recule encore d'un pas, m'échappant de la poigne de Glorfindel alors qu'il essayait de le retenir comme il pouvait pour m'empêcher de partir. Je ne savais pas quoi dire d'autre, son regard me clouait, me faisant me sentir responsable de tout et la honte circulait en moi impuissante. Comment j'ai pu oser venir, comment j'ai pu oser me montrer devant lui ?
- Seigneur Legolas... Un âge sépare maintenant la venue de Maliha de la terrible tragédie du précédent Titan..
- Je me fiche du temps qui passe seigneur Haldir, mon cœur et surtout celui de mon père, possède une douleur que le temps ne peut effacer, il plongea ses yeux dans les miens. Cette femme, là, devant nous, restera la représentante de cette race d'assassin jusqu'à ce qu'elle disparaisse ou nous trahisse.
Son regard était loin dans la colère en marquant visiblement juste une pause dans sa tirade sanglante.
- Et dans ce cas, je me réserve le droit de vous couper la tête.
J'étais figée, ne pouvant pas détacher mes yeux des siens gris, possédés par la colère. Je pouvais y lire la véracité de ses mots et la retenue de ne pas en dire plus encore... Les muscles de son visage étaient tendus, vibrant lentement sous une mâchoire serrée.
Allais-je me laisser faire ? N'allais-je rien dire et le laisser me piétiner devant les elfes de Lórien que j'estimais le plus ? Le goût de la colère passe dans ma bouche et je me suis mordue la langue pour m'empêcher de parler durement...
- Malheureusement mon seigneur, j'ai réservé ce droit à quelqu'un d'autre...
Un air de surprise est passé dans ses yeux avant d'y lire une colère plus grande encore.
- Votre cou est fin et frêle Titan. Je n'hésiterai pas à le trancher même si vous aviez le dos tourné. Il n'y a aucune forme de respect dont vous ayez droit, juste une mort implacable et froide, un châtiment mérité depuis des années... Verser votre sang maudit sur la terre, la souiller, serait une insulte, mais je ne perdrais pas une chance de vous ôter la vie, quelque soit votre faute. Retenez ceci, vous êtes maintenant prévenue.
- Seigneur Legolas, lance durement Glorfindel.
Il lui adressa un regard presque de mépris avant de se détourner pour partir simplement sans rien ajouter, mais un seul mot de plus et les larmes coincées dans ma gorge seraient probablement sorties... Glorfindel a levé la main vers moi mais je l'ai arrêté d'un geste vif.
- Tout va bien, dis-je en ne croyant pas un seul mot de ce que je venais de dire.
- Maliha...
Ne pas perdre la face... Je ne dois pas perdre la face... Réveille toi.
- Mes excuses pour cet instant messieurs... Je suis navrée de vous avoir inclus dans cette situation...
- Il n'y a rien à excuser Madame, soyez en certaine. Nous connaissons votre nom et seuls les Valars savent à quel point il est dur à porter.
J'ai regardé Haldir qui venait de dire ses mots.
- Vous n'avez pas idée... j'ai murmuré à moi-même.
Glorfindel a repris mon bras, me partageant son âme douce et apaisante. J'ai senti sa chaleur et mon mal-être s'en est vu adouci. Je lui ai souri tendrement.
- Ne restons pas là à tergiverser sur un instant qui est maintenant du passé. Ne devrions-nous pas plutôt danser ? il lance avec un fin sourire.
- Vous avez parfaitement raison Glorfindel, que la fête commence, enchérie Haldir dans un sourire.
Nous nous sommes éloignés après les avoir tous deux salués. Je n'osais pas parler de peur que Glorfindel ne revienne sur l'altercation. Mais il ne dit rien, même en me demandant si je souhaitais boire, il ne dit rien de plus et je l'en remerciais. Nous avons aperçu Myrimir au loin, accompagnée de Lindir et nous nous sommes dirigés vers eux.
- Quelle joie de vous revoir Myrimir, Lindir, vous êtes en beauté ce soir, dis-je en prenant sa main.
- Et je partage votre joie Maliha, merci beaucoup, il est vrai que je ne sors que rarement de la forge. Je me suis dit que cela me ferait du bien.
- Vous devriez le faire plus souvent !
- À ce propos, je dois vous informer que nous avons terminé la première lame hier dans la nuit. Lindir s'apprête à commencer le système d'enroulement.
- Déjà ?
- Oui, enchaîne Lindir. Nous avons fait le plus gros du travail en trouvant l'alliage adéquat, le reste n'est qu'une formalité Maliha.
- Oh, très bien, je m'en remets à vous dans ce cas.
- Et vous le pouvez !
Il y avait quelque chose entre eux, ça crevait les yeux... Il l'a regardait avec admiration et respect, touchant son bras ou son dos doucement. Peut-être avais-je, sans le savoir, participé à ce rapprochement et le voir me ravissait. Nous avons bavardé longuement sur les choses qui allaient suivre et Myrimir avait l'air de dire que la lame serait prête au printemps.
oOo
L'air était revenu doux autour de moi. Parler avec mes amis m'avait rassurée plus que je ne l'aurais cru... Le son de la flûte s'est fait entendre et nous nous sommes écartés pour regarder les premiers danseurs s'avancer. Les seigneurs des lieux ont dansé cette première danse et mes yeux se sont écarquillés. C'était la première fois que je les voyais danser. Leurs mouvements étaient comme le vent qui balance doucement les branches. Des gestes doux et élégants. Sa robe flottait ainsi que ses cheveux blonds, j'étais absorbée par cette vision, tout était parfait et tellement beau à regarder...
La première danse avait été courte, ou est-ce que j'étais beaucoup trop absorbée pour voir le temps passer... Je ne sais pas mais une fois le couple sorti, j'ai eu l'impression que les lumières se rallumaient, comme si cela était une parenthèse de grâce et de douceur.
Je suis restée sur ma chaise regardant les nouveaux danseurs s'approcher. Mes yeux se sont posés sur Arwen au bras d'Aragorn. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire en voyant les oreilles légèrement rougissantes de ma meilleure amie. Lui semblait tout aussi gêné qu'elle. Il y avait une douceur que je ne connaissais pas dans ses gestes alors qu'il prenait sa main. Leur danse était un délice pour les yeux, la robe d'Arwen flottait, les mains d'Estel la serraient contre lui comme un bijou fragile.
- Que vois-tu que je ne vois pas Maliha ? murmure Glorfindel à mon oreille.
- Cela est pourtant évident, regarde-les...
Il n'a rien dit en se redressant sur sa chaise. J'ai quitté ma contemplation pour l'observer, son visage était dubitatif, mais bientôt j'ai vu ses sourcils se froncer. Je connaissais bien ce regard, celui de la critique. J'ai soupiré avant de me lancer dans la conversation que je savais perdu d'avance.
- Pourquoi n'auraient-ils pas le droit ?
- Tu sais très bien pourquoi Maliha.
- Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours un "mais" sur le chemin du bonheur hein ?
Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je me suis sentie énervée et désespérée... En même temps, c'était vrai non ? Pourquoi doit-il toujours y avoir une part de malheur quand on semble avoir trouvé la bonne route ?
- Tu sais très bien ce que cet amour naissant donnera Maliha.
- Et tu ignores ce qu'est l'amour Glorfindel.
Et voilà... J'avais encore laissé la colère me prendre... J'ai détourné mes yeux des siens légèrement piqués par ma phrase assassine. J'étais en colère, en colère contre Glorfindel, en colère contre les Valars, en colère contre moi, contre tous...
- Pardonne-moi... Je suis désolée. Je voudrais juste que pour une fois, l'amour ne me semble pas être une erreur. Il ne devrait jamais l'être... dis-je.
J'ai senti sa main chaude sur mon épaule alors que je regardais le couple sortir de la piste de danse et passer derrière les voilages vers l'extérieur. J'ai soupiré en baissant la tête, regardé mes pieds quelques secondes.
- Si cela doit en être ainsi, alors ils seront les plus heureux du monde. L'amour les portera jusqu'à leur dernier souffle. Mais ne te hâte pas trop en conclusion Maliha, ils ne se sont vus que quelques heures.
- Je n'ai jamais vu Arwen avec ce regard-là. Je ne l'ai jamais vu rougir devant un homme ou un elfe. Ne crois pas que je ne suis pas inquiète, je le suis... Peut-être même plus que toi...
Depuis bien longtemps je m'étais moi-même interdit de tomber sous le charme d'un homme, me disant que je le verrai mourir... Inconsciemment, j'avais poussé Arwen et Aragorn à partager ce moment ensemble et à cet instant, je m'en suis voulue. J'avais envie de faire machine arrière, mais en voyant les yeux d'Arwen se poser sur lui, l'inverse me tiraillait. C'était une question trop délicate, que seuls les concernés avaient le droit d'aborder, parce que personne ne pourrait réellement les comprendre.
- Veux-tu danser Maliha ?
Je me suis retournée, brusquement ramenée à la réalité par la question de Glorfindel.
J'ai hésité, sortant à peine du sujet épineux dans mon esprit.
- Non, je crois que je vais prendre l'air...
Je n'ai pas attendu de réponse avant de prendre ma veste et de sortir. L'air glacé de l'hiver s'est glissé contre ma poitrine et ma gorge en m'avançant sur le balcon. Tout était calme, les arbres blancs rayonnaient tout autour de moi et l'air givré semblait déposer des paillettes sur le sol. Je me suis encore torturé l'esprit, ne sachant pas quoi penser...
- Que faites-vous seule avachi sur cette pauvre rambarde à contempler le silence Madame ?
J'ai sursauté avant de me retrouver nez à nez avec un elfe qui m'était totalement inconnu... Il était grand, très grand même, beaucoup plus que Glorfindel ou Haldir, de longs cheveux blonds très pâles et des yeux verts rieurs. Non, je ne l'avais jamais vu jusqu'à présent.
- Pardonnez-moi, je vous ai surprise. Je me nomme Holorïn, je suis le guérisseur de Caras Galadhon. Et d'après ce que je sais de vous, je n'aurai sans doute pas l'occasion de vous voir souvent passer par ma maison de guérison, dit-il d'une voix enjouée.
- Non, en effet...
- Glorfindel m'a beaucoup parlé de vous. C'est un de mes très grands amis, c'est un honneur de vous rencontrer.
- Tout l'honneur est pour moi.
Il était plutôt décontracté pour un elfe et parlait avec assurance sans avoir un air hautain. Une chose plutôt rare dans les environs, je dois dire.
- Je me suis absenté pendant un certain temps et je ne suis de retour que depuis quelques mois. Je tenais à faire votre connaissance et poser un visage sur celui si longtemps décrit par mon ami à travers ses lettres. À vrai dire, vous êtes mon malheur Madame.
- Pardon ? dis-je surprise par ces paroles.
- Vous êtes sans nul doute le comble pour un guérisseur, dit-il avec un rire gêné.
Soit ce mec ne savait pas du tout comment s'y prendre avec les femmes, soit c'était purement et simplement un original. Mais quelque part, j'étais heureuse de rencontrer une personne comme ça, ça change des habitudes.
- C'est vrai oui.
- Plus sérieusement, je tenais à vous remercier.
- Me remercier ?
- Oui... Je n'avais pas vu Glorfindel depuis des lustres et il a beaucoup changé. Vous savez, c'était un elfe renfermé et froid, les longues années ont fait de lui une pierre usée, qui s'effrite un peu plus chaque année. Il a voué une bonne partie de sa vie à votre race et l'autre à se battre et je l'ai vu sombrer. L'appel de la mer ne s'est jamais fait sentir, mais je voyais bien qu'il était las. Puis, vous êtes arrivée, et aujourd'hui, je redécouvre l'elfe que j'avais connu il y a bien longtemps. Il sourit, danse, rit même et ses yeux s'illuminent de nouveau. Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais vous lui avez redonné envie d'ouvrir les yeux sur le monde. Merci Maliha, fille d'Illuviné.
- Je n'ai rien fait...
- Peut-être est-ce juste ça.
Il y eut un long silence, mais pas un silence déplaisant, Holorin regardait les arbres devant nous avant de pousser un soupir. Il n'y avait pas de fierté sur son visage, j'avais pourtant toujours vu cet aspect chez les elfes. Ce port de tête si particulier qui vous fait revenir à votre place d'être humain. Mais pas lui, on pouvait lire un altruisme et une empathie infinie. Il ne me connaissait pas et pourtant je sentais que je pouvais être à l'aise, comme si je l'avais toujours connu.
- Sachez Madame que si je peux vous être utile d'une quelconque façon, ma porte vous sera toujours ouverte.
- Vous l'avez dit vous-même, je ne risque pas de venir vous voir souvent... Mais je tâcherai de m'en souvenir.
Il a ri quelques instants, un rire doux et chaleureux.
- Vous savez, ce sont parfois les personnes les plus fortes qui reçoivent les plus grandes blessures. Vouloir à tout prix prendre la douleur d'autrui à vos frais sera peut-être la vôtre.
J'ai froncé les sourcils. Cet elfe s'infiltre dans mes pensées les plus sombres, sans même me connaître...
- Je ne vois pas ce que vous vo...
- Votre corps ne peut pas tout supporter. On a tous une limite, il me coupe.
Il prend mon bras et lève légèrement la manche de mon kimono pour découvrir mes cicatrices. J'ai retiré ma main vivement comme s'il m'avait brûlé. Je ne savais ni quoi dire ni quoi faire, je ne pouvais pas être en colère, il m'avait démasqué si facilement que cela aurait été inutile de protester. Et puis, de toute façon, ses paroles étaient vraies, mon corps gardait les marques, mais c'était de bonne marques non ? Les marques de mon combat pour les protéger, pour la paix... J'ai juste baissé les yeux en tenant mon bras.
- Tant que je tiendrai, je les protégerai... Je ne fais pas ça par orgueil ou quoi que ce soit. Je souhaite que ma vie ait pour une fois une utilité, que mon existence ne soit pas vide de sens.
- Votre engagement envers nous est louable et pur à mes yeux. Mais vous avez des limites et prenez en conscience avant que votre corps ne vous le montre. Je ne suis ni le premier ni ne serai le dernier à vous le dire et vous le savez... Je peux atténuer ses cicatrices si vous le souhaitez. Mais écoutez mes paroles, ne vous oubliez pas.
Je l'ai regardé, ses yeux étaient inquiets et son air sincère. Pourquoi voudrait-il m'aider au juste ? Vraiment par amitié pour Glorfindel ?
- Je ne les oublierai pas... Mais, pourquoi feriez-vous ça ?
- C'est ma seule façon de vous montrer ma gratitude, je sais que votre tâche est grande et parfois ingrate.
- Je l'accepte parfaitement, j'ai signé ce contrat en pleine conscience de cause. La paix a un prix et je suis prête à le payer.
- Je le sais, vous l'avez déjà montré, je veux juste vous aider ou même vous apaiser comme je le peux.
Je n'ai pas répondu, un peu perdu par cette rencontre.
- La maison de guérison est juste en face des portes de la cité. Ce talan vous sera toujours ouvert, blessure ou non.
- Merci...
- Sur ses belles paroles, m'accorderiez-vous une danse ?
J'ai reculé d'un pas surprise. Ma parole, il passe du coq à l'âne lui... J'ai pesté intérieurement, j'avais réussi à éviter jusqu'à maintenant le supplice de danser au milieu de tout ce beau monde et voilà que cette réussite s'envolait. Je n'avais pas vraiment le choix et puis la nuit ne faisait que commencer...
- Je vous l'accorde, dis-je finalement.
Il prit doucement ma main dans un sourire avant de m'entraîner de nouveau à l'intérieur, mon bras au sien. Il a retiré ma lourde veste pour la poser sur ma chaise. Glorfindel à croiser mon regard en affichant un sourire que je voyais bien moqueur.
- Oh Holorïn, tu as réussi à persuader Maliha de danser alors ?
- Et bien mon ami la tâche n'a pas vraiment été difficile.
- Elle ne t'a pas réprimandé car elle ne te connaît pas encore, tu verras dans quelques mois, elle ne prendra plus de pincettes.
- Merci Glorfindel de décrire mon caractère avec tant de délicatesse, dis-je ironiquement.
- Mais je t'en prie.
J'ai pouffé quelques secondes avant de reprendre le bras d'Holorïn pour nous lancer dans ma première danse de la soirée.
oOo
Holorïn, guérisseur talentueux, un des plus sages après le seigneur Elrond sans nul doute. Sa plus grande valeur est celle de sa capacité à guérir les blessures de guerre dans l'urgence, au centre même d'une bataille. Combien de vies a-t-il sauvées lors de la dernière guerre ? Mon père disait que beaucoup d'elfes avaient été épargnés grâce à sa réactivité et son talent. Cela fait des années que je ne l'ai pas vu, je l'ai toujours trouvé extrêmement "souple", dans le sens ou il se moque complètement des protocoles. La guerre et le sang sont-ils les principales raisons de cette attitude ? Sans aucun doute, il doit être l'elfe à avoir vu le plus de vie s'éteindre entre ses mains... Et pourtant après tous les souvenirs macabres ancrés dans sa mémoire, le voilà guidant à travers la salle l'héritière de cette désolation pour une danse.
J'ai plissé des yeux en observant la situation. Il avait participé à la dernière guerre et avait vu le massacre de son prédécesseur et pourtant... Il était tout sourire en retirant le manteau de ses épaules. Riait en la guidant en face de lui, prenant la position de la prochaine danse au milieu des autres.
C'était une danse calme, une valse lente, je ne sais pas comment je me suis senti à cet instant... Je le voyais la serrer contre lui, sa main passant dans son dos si délicatement. Frôlant sa peau, frôlant ses cicatrices dans des gestes doux. Sa peau était-elle chaude ? Le contact de sa poitrine contre la sienne était-il électrisant ? Quel regard renvoyait-elle, quelle pensée pourrais-je avoir avec ce sourire en face de moi ?
Tant de questions sont passées dans mon esprit, s'entrechoquant les unes contre les autres. Plus je voyais le voilage de sa robe voler derrière ses pas, bouffer dans une pirouette, et plus l'amertume me gagnait. Plus je voyais sa main saisir son bras, son corps se serrer contre le sien, son sourire s'élargir, ses yeux le dévisager et plus ma colère grandissait. En colère contre qui, contre quoi ? Contre elle, contre lui, contre moi ? Contre mon cœur ? Pourquoi me l'interdir alors si la colère doit-être si grande ?
J'ai détourné les yeux.
- Seigneur Legolas ?
Je les ai plongés dans ceux de Rilomë, dans ce beau et tendre noisette. J'ai dévisagé l'elfe à mon bras, mais l'impression était bien différente. Mes yeux voyaient ce qu'ils ont toujours vu, sans surprise, sans originalité. Certes, je lisais la beauté de ses traits, la belle harmonie de son visage, imaginait la douceur de ses cheveux, de sa peau ou de ses lèvres, mais la découverte serait plate. Sans la rondeur de l'originalité, le galbe de l'inconnu, le goût brutal d'un esprit exotique. Je le savais par avance, mais cette découverte-là m'était interdite et pourtant... J'ai soupiré en fermant les yeux, cherchant en moi l'orgueil pour me sauver des doutes.
- Souhaitez-vous danser la prochaine danse, Madame ?
Elle a souri, d'une courbure de lèvres ravissante, ses oreilles ont légèrement rougi et j'ai senti sa main serrer mon bras.
- Avec grand plaisir mon Seigneur.
oOo
Ma seconde danse fut pour Glorfindel, contre toute attente, celle d'après pour Armetiel. Je ne suis pas retournée sur ma chaise pendant un assez long moment, mais je m'amusais, je suppose. Tout du moins j'essayais de ne pas voir... De ne pas le voir danser avec cette elfe majestueuse et si belle. Elle avait tout pour elle, c'était un fait indiscutable, personne ne pouvait rivaliser avec Arwen certes, mais elle était pourtant si jolie avec ses cheveux blonds légèrement bouclés. Je me suis dit qu'elle avait de la chance pendant un instant, puis je me suis trouvée stupide de penser ça, comme une enfant... C'était juste comme ça, c'est tout, il n'y a rien à redire Maliha, c'est la vie.
J'ai accepté plusieurs autres invitations, la nuit avançait et la fatigue se faisait sentir. J'étais humaine après tout. J'ai dit à Glorfindel que la soirée était terminée pour moi et je me suis retirée lentement, traversant calmement les ponts menant à mon talan. La nuit était glaciale, mais ce n'était pas désagréable. Mon regard à divagué un instant le long des arbres pour atterrir sur une scène que je n'aurais pas dû voir.
Ils étaient sur un balcon un peu plus haut, main dans la main, discutant l'un en face de l'autre. Mon cœur a bondi dans ma poitrine, pas de bonheur, mais d'horreur. Il passe le dos de sa main sur sa joue si délicatement que j'en frissonne. J'étais complètement figée, incapable de bouger ni de détacher les yeux des deux elfes dans l'arbre voisin. Je savais qu'ils parlaient, mais je n'entendais rien et puis c'était certainement mieux ainsi. Il la regardait d'une façon si belle, d'un regard si précieux, si doux... J'aurai tellement voulu à cet instant, j'aurai tellement voulu...
J'ai baissé les yeux, ravalé ma colère en serrant mes poings. Ça doit s'arrêter, il est là depuis moins de vingt-quatre heures et je suis déjà dans cet état ? Je ne peux pas y croire une seconde. Ça suffit... J'ai repris ma route avec conviction. Qu'il en soit ainsi, la vie continue et les j'aurai tellement voulu n'y ont pas leur place. Tu as choisi cette vie pour ne pas le dire, non, je n'aurai aucun regret. Il m'a été offert la chance de ressentir le véritable amour, alors même s'il n'est pas partagé, mon cœur est vivant, pour la première fois de mon existence. Je le sens battre dans ma poitrine, d'un sentiment bien loin de l'agréable, mais il bat comme jamais.
Au moins je suis vivante, je suis utile, j'ai un but, un objectif, protéger ce monde si beau, ces personnes que j'aime tant maintenant et j'ai le pouvoir de le faire, ça n'a pas de prix. J'ai la chance d'être sortie du bocal, d'être sortie du brouillard pour enfin rencontrer la vraie lumière, celle qui passe à travers la peau. Que devrais-je avoir d'autre au juste ? N'en as-tu déjà pas suffisamment ?
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