// ... Chapitre vingt et un ... //
"Told You So" - Cameo Culture
Maliha a écrit de nombreuses lettres à Arwen. Pour lui donner des nouvelles et en prendre par la même occasion. Arwen lui racontait les arbres magnifiques de la Lórien. Que l'air y était doux et agréable et les soirées merveilleuses. Maliha et Arwen étaient un curieux mélange entre l'élégance et l'excentricité. Les deux femmes s'étaient liées d'amitié alors que tous les différenciaient l'une de l'autre. Arwen était délicate et douce, alors que Maliha était extravertie et caractérielle. Mais, ce curieux mélange a formé une amitié solide que la plupart des elfes ne comprenaient pas forcément.
Les couturières vous diront que c'est en connaissant bien la Titan que l'on découvre qu'en réalité son apparence sauvage et dure n'est qu'une façade. Et qu'en dessous se cache un cœur doux et compréhensif. Elrond lui-même en la rencontrant pour la première fois s'est demandé si une telle créature pouvait s'adapter au milieu si particulier et discret des elfes, mais elle l'a fait, à son niveau, elle l'a fait. Le décalage technologique a été un énorme problème pour la jeune humaine, pourtant elle a su parfaitement s'adapter.
Les elfes l'ont accompagné dans la découverte du monde autour d'elle. Lui montrant que chaque plante, chaque animal, chaque rivière avait son importance et qu'il était crucial de maintenir un équilibre. Cultiver en fonction des saisons. Prévoir la conservation de certaines denrées pour l'hiver, tuer tel animal en fonction de sa nature et leur nombre sur les terres. Ramasser les plantes médicinales, comment les transformer et comment les utiliser. Maliha a appris, année après année, tout ce qu'il fallait savoir. Elle a fini par apporter certains de ses savoirs en s'aidant de la mémoire interne de son ordinateur et de son compagnon. Ainsi les formules pour les médicaments ont été plus précises et certaines même ont été créées. Elle a même réussi à faire des poudres et des crèmes avec des pigments qu'elle récoltait un peu partout, pour se faire un semblant de maquillage.
Des conserves de sauce tomate, du gaspacho et autre plat typique de son monde sont apparus dans les assiettes. Pizza, burger, chilli, frites, pâtes, curry, elle allait de plaine en plaine à la recherche d'épices et même dans les plus lointains villages du sud. Glorfindel l'accompagnait parfois, par simple curiosité. Son monde a fini par ne plus lui manquer. Elle s'est même rendu compte que tout le confort qu'elle avait dans sa vie passée n'était que fioriture. Un luxe inutile et sans importance. Que faire les choses de ses propres mains, écouter le monde autour d'elle, était beaucoup plus gratifiant.
Sans même le savoir, le bonheur promis par les Valars a commencé à partir de cet instant. Celui où elle a enfin commencé à regarder autour d'elle et accueillir ce que la terre lui offrait : la simplicité.
Son bocal se transformait progressivement en une mer vaste, pour ne pas dire un océan. Elle se sentait plus libre jour après jour. Goûtait à cette liberté, sans papier, sans numéro, sans compte, sans routine. Cela lui convenait et au fond d'elle, elle souhaitait pour tous ceux qu'elle avait connus de vivre la même chose. Le poison de la routine avait fini par se dissiper et son cœur s'était allégé. Bien que sa tâche soit lourde et sombre, la base fondamentale de sa vie était stable et saine. Oui, ses cheveux blanchissaient encore et encore, ils étaient maintenant poivre et sel, d'un gris uniforme, mais son visage était toujours le même. Son corps plus ferme et plus musclé, s'était enfin purgé de son ancienne vie.
Si elle devait revenir sur Terre, les gens diraient qu'elle avait changé. Pas de par ses cheveux, mais par sa peau désormais lisse et colorée. Ses joues roses, ses yeux brillants et son teint vivant.
Mais il y a bien une ombre au tableau. Le mal tapi au fond d'elle était toujours là. L'ombre attendait sagement que son âme s'y réfugie pour la dévorer lentement à chaque utilisation et offrir petit à petit son âme au seigneur des ténèbres. Car, il y a bien une chose qui différencie Maliha des autres humains de la terre du milieu, c'est qu'elle est une fille d'Illuviné. De par ce fait, son côté dur, antipathique et froid, ce manque d'humanité gravé dans ses gènes, entraîne doucement son âme vers l'obscurité. Bien que l'ouverture du cœur offert par les Valars atténue cette nature de pierre, Sauron lui, sait pertinemment que rien ne peut la changer. L'ombre, ce lieu de refuge qui semble être un soulagement d'échapper à la mort et à la douleur de tuer, la dévorera lentement à chaque utilisation. Elle ne pourra jamais en réchapper, elle fait partie d'elle, le seigneur des ténèbres n'a fait que la réveiller, car la nature des enfants d'Illuviné ne peut être changée.
Les Valars ont toujours fait le pari qu'un jour, cette nature sombre, engendrée par un besoin de progrès, d'évolution, de recherche d'idéaux et de perfections, disparaîtrait. Le Titan l'abandonnerait pour trouver enfin le vrai bonheur, le bonheur des choses simples. L'amour, l'amitié, la simplicité, la vie ; sans compétition, sans vengeance, sans prétention, juste de vivre. Peut-être... La nature humaine disparaîtrait.
oOo
J'ai placé les petites billes blanches dans mes oreilles avant de regarder le compagnon mouler mon poignet doucement. Vingt kilomètres, ça devrait suffire ce matin. J'ai sauté à pied joint plusieurs fois avant de commencer les premiers mètres à grande foulée. Mes muscles ont chauffé sur les premiers kilomètres engloutis, mais la musique qui tambourinait dans mes oreilles m'a persuadé de continuer.
J'ai admiré les paysages, les arbres autour de moi, longé la rivière transparente, grimpé le chemin étroit avant de tomber sur la clairière baignée par les rayons du soleil matinal. Je sentais mon coeur trouver son rythme dans la course, mes veines pulser régulièrement et un sourire s'est dessiné sur mon visage en sentant le vent passer dans mon cou.
J'avais depuis peu décidé de ne plus me laisser aller dans la solitude et le déni. Il était temps. Temps de reprendre le rythme, temps de repartir à l'entraînement. Temps d'affronter de nouveau le destin que j'avais choisi. Depuis le départ d'Estel, il y a de ça deux ans, j'avais beaucoup réfléchi. Pas que je ne l'avais pas fait durant toutes les années écoulées, mais pour une fois mes réflexions étaient constructives...
Glorfindel n'avait pas dit un mot quand il m'avait trouvé tôt un matin, arme à la main, à enchaîner les mouvements comme si rien ne s'était passé. Il était resté là à observer, comme il le faisait habituellement, me donnant juste des conseils une fois que j'avais fini.
Tout était rentré dans l'ordre, du moins c'est ce que je souhaitais. Estel m'avait donné une nouvelle raison de me battre, celle de le faire à ses côtés. Celle de le voir un jour devenir roi, même s'il prétendait dire le contraire. C'est un nouvel élan de courage. Un avenir plus radieux que celui que j'avais initialement tracé.
Un sourire s'est dessiné sur mes lèvres quand j'ai aperçu l'elfe en pleine méditation sur le carrelage en marbre face à la cascade. Je me suis arrêtée doucement en reprenant mon souffle avant de le rejoindre en prenant de l'eau.
- Comment était la course ce matin ?
- Vingt et un kilomètres en une heure quarante-quatre minutes, je me suis dépassée !
Il rit en se relevant doucement.
- Je te propose un cours de danse cette après-midi, qu'en dis-tu ?
- Un cours de danse, en quel honneur ?
- Pour changer, ça fait des semaines que tu as repris l'entrainement, je me disais qu'un peu de danse te ferait du bien.
- Pourquoi pas.
- Très bien, ici, vers le début de l'après-midi ?
- On fait ça.
Les cours de danse... Glorfindel prenait un malin plaisir à m'apprendre toutes les danses des elfes. Les danses elfiques sont assez loin de ce qu'il m'a été donné d'apprendre avant de venir ici. Tout est trop prude et espacé... J'ai eu la chance de pouvoir en apprendre quelques-unes de mon monde à Glorfindel en échange de ma compréhension totale. Il était très surpris au début, voire très gêné... Autant vous dire qu'apprendre la salsa, ou le tango à un elfe n'a rien d'évident. Surtout quand des mots simples comme : "hanches", "fesses" ou même "cuisse" les font se sentir mal à l'aise comme une bonne soeur devant un magazine pornographique.
Mais il était assez curieux pour essayer et petit à petit une nouvelle complicité s'est installée entre nous. Bien que certaines de nos conversations ont été sur plusieurs sujets sensibles, il est toujours resté une certaine retenue entre nous. Elle est partie naturellement avec la danse. Quand je lui disais de me tenir à un certain endroit, ou de me toucher de manière plus ferme, je le voyais clairement sortir de sa zone de confort. Zone que tous les elfes respectent hormis avec le partenaire qu'ils choisissent pour partager le restant de leur vie...
Il a fini par s'y faire et en même temps compris ma vision des choses. Il a mis un peu le pied dans mon monde et dans mes coutumes. Notre relation a évolué de cette manière, le voir se détendre et sortir de ce protocole quand nous étions ensemble. J'étais ravie de voir un côté plus "humain", je distinguais enfin une certaine fragilité chez lui, sa timidité et sa délicatesse. C'est dans une de nos sessions de danse qu'il m'a confié une fois être extrêmement timide avec le sexe opposé. Qu'il n'était pas du tout à l'aise avec la proximité et que c'est pour cette raison qu'il ne dansait que très rarement. Je ne sais pas vraiment, mais depuis que je l'ai obligé à apprendre ses danses, il est beaucoup plus entreprenant et ne rechigne presque pas à une invitation.
C'est dans mes pensées que je me suis dirigée de nouveau vers la salle ouverte en ajustant mon pantalon large jaune moutarde le long de mes genoux. Glorfindel était déjà là à regarder la cascade.
- Tu es en retard, dit-il.
- Voyez-vous ça, tu es en avance plutôt.
- Hum.
Je me suis placée au centre de la salle comme à notre habitude. Il s'est simplement retourné pour me regarder d'un air grave, les mains derrière le dos.
- Et bien? Tu as vu un fantôme ou quoi ? dis-je surprise.
Il baisse la tête et s'approche doucement.
- Non, non, mais je vais t'apprendre une danse spéciale aujourd'hui.
- Oh, et c'est si grave que ça ?
Il me fait face sans rien dire. Prend mon bras et le place parallèlement au sol tendu, avant de plier mon coude à quatre-vingt-dix degrés vers le haut pour tenir ma main, nos deux avant bras se touchant. Il passe ses doigts entre les miens fermement avant de me regarder.
Je me sens bizarre en voyant nos doigts les uns entre les autres. Pas que je me sente gênée, mais c'est une proximité que je n'avais jamais vue dans une danse elfique.
- C'est une danse que tu dois connaître Maliha. J'espère qu'un jour, tu la partageras avec la personne de ton choix.
- Que veut-dire au juste, Glorfindel ? C'est quoi cette danse ?
Je n'étais pas du tout rassurée par les mots de l'elfe.
- C'est une danse particulière, très connue chez les elfes. On la nomme la danse de l'Âme. Il est assez rare de la voir ici, mais dans d'autres cités elfiques elle est très répandue lors des fêtes. Elle permet d'aider les elfes qui sont attirés mutuellement à se déclarer définitivement, montrant ainsi leur amour aux autres.
Je l'ai regardé incrédule, il m'avait clouée. Je m'attendais à un truc bizarre, mais ça, certainement pas. Les elfes étaient si pudiques, alors se déclarer en public...
- Mais je croyais que c'était plutôt "privé" ce genre de choses ?
- Ça reste privé, mais disons que cette danse est une concrétisation. Il n'est pas question de montrer une attirance, ou de chercher à plaire à l'autre, ce cap est généralement déjà franchi.
- Je ne comprends pas...
Il m'a largué.
- Bien, imagine. Tu es attirée par une personne, vous discutez, vous vous voyez régulièrement, mais tu ne sais pas si tes sentiments sont partagés, tu doutes, ou tu es trop timide pour le lui demander, ou même lui dire ce que tu ressens. Cette danse te permet d'ouvrir ton âme à l'autre pour lui montrer tes sentiments et ainsi avoir une réponse.
- Ok...
- Elle n'a pas d'autre but. Cette danse a pour règle d'ouvrir son âme. Généralement les personnes présente et qui souhaite la danser sont celles qui souhaitent ouvrir leur cœur à une autre. Comprends-tu ?
- Oui. Mais Glorfindel, cela veut dire que tu le montres à l'ensemble des personnes autour aussi.
- Comme je te l'ai dit, tu n'ouvres ton âme qu'à cette personne Maliha, ton apprentissage sur le contrôle de ton âme est aujourd'hui assez bonne pour pouvoir l'ouvrir à qui tu le souhaites sans la montrer aux autres.
- Je vois... Cela doit tout de même être bizarre de voir certaines personnes danser ensemble comme ça devant tout le monde et montrer leur attirance au grand jour... C'est très gênant.
- Généralement, ce sont des personnes qui se sont courtisées durant des années. Il n'y a aucune surprise à voir des personnes très proches pendant des années danser cette danse, elle est là pour ça, pour leur permettre d'échanger leur amour, ou non.
- Ou non ?! Attends tu veux dire que même après avoir été courtisé pendant des années, certains elfes disent "désolé, mais finalement non", pendant cette danse ?
Il soupire.
- ça arrive oui...
- Vous êtes vraiment trop prude, il faut dire les choses... Bref, et ?
- Si tu es invitée un jour, mais uniquement si tu le souhaites, tu pourras ouvrir ton âme à l'autre. Soit tu lui montreras l'amour que tu lui portes, soit il verra que tu ne ressens rien...
- Et puis-je ne rien montrer du tout ?
- Comment ça ?
- Si je décide de ne pas ouvrir mon âme ?
- Ce n'est pas le but recherché... Si tu ne montres rien et que ton partenaire ne montre rien non plus alors ça ira, mais si tu vois les sentiments de son âme, il est de ton devoir de donner une réponse...
- Hum. Mais rassure moi, personne ne me prendra au dépourvu ?
- Je ne comprends pas.
- Et bien, si d'un coup un mec que je ne connais pas vient et me demande de danser cette danse avec lui ?
- C'est très rare, mais dans ce cas tu te dois de lui montrer que ses sentiments ne sont pas réciproques, ou inversement. J'ai vu ce cas deux ou trois fois Maliha, c'est extrêmement rare, mais c'est le cas quand la personne est trop timide pour faire autrement, elle utilise les grands moyens.
Je suis restée sans voix tout en regardant nos doigts entrelacés.
- C'est inutile de m'apprendre ça Glorfindel. Je ne la danserai jamais tu sais.
- Tu n'en sais rien.
- Si, je le sais très bien.
Mon regard était plus dur que je ne l'aurais cru. Mon cœur a légèrement grincé en entendant mes propres mots.
- Qu'importe, je te l'apprendrai comme tout le monde.
- Je ne suis pas tout le monde, justement.
- Arrête Maliha. Ne recommence pas avec ce genre de discours.
- Ok, ok très bien, Insha'allah...
- Pardon ?
- Non rien...
L'apprentissage a duré des heures comme d'habitude. Les pas n'étaient pas très compliqués. Beaucoup de contournements, des phases de valses, une très belle danse pour tout dire. Il y avait beaucoup de délicatesse et de sensualité dans les gestes, plus que dans n'importe quelle autre danse, surtout avec cette façon de s'entrelacer les doigts. Ce geste si simple autrefois est devenu ici beaucoup plus intime. Sentir les doigts de Glorfindel entre les miens était plutôt perturbant je dois dire.
J'ai senti l'âme de Glorfindel s'ouvrir. Radieuse dans ses reflets d'or et tellement rassurante. Il m'a souri doucement en attendant que je fasse de même. J'ai timidement ouvert mon âme, mais je l'ai vu froncer les sourcils.
- Un problème ? je demande.
- Non, non...
Il a détourné les yeux en revenant à la danse, mais je voyais bien que quelque chose le perturbait.
- Glorfindel ?
Il a lâché mes doigts en soupirant.
- J'espère qu'un jour tu me diras ce qui s'est passé durant ton voyage. Ton âme a changé, elle a une part d'obscurité dont on a déjà parlé, mais il y a aussi autre chose.
- Autre chose ?
- Je suis assez expérimenté sur l'âme pour savoir lire la tienne en profondeur. Peu d'elfe le peuvent avec autant de dextérité, je peux clairement voir la perte qu'elle crie dû à l'amour qu'elle porte.
Il m'a regardé sans rien ajouter de plus... Attendant sans doute que je fasse le premier pas.
- Une autre fois Glorfindel. Pas maintenant d'accord ?
- Bien. Sache juste que si tu veux en parler, je suis là.
- Je ne sais pas si tu es la personne adéquate pour cela, mais un jour je t'en parlerai. Mais comment arrives-tu à le voir, je l'ai pourtant bien caché !
- Ton âme chante son amour, je peux ressentir sa tristesse, le vide que cette personne a laissé en elle.
Je l'ai regardé en soupirant tristement, encore une fois Glorfindel me perçait à jour comme si j'étais un livre ouvert.
- Il me manque, mais c'est moins fort qu'avant.
- Ton amour s'endort, mais sache qu'il refera surface si tu croises à nouveau sa route.
- Je ne crois pas que cela arrivera mon ami. De plus, je ne sais même pas si c'est vraiment de l'amour, je ne maîtrise pas pleinement mes émotions, tu le sais très bien.
- Ton âme le sait.
J'ai souri d'un air complice.
- C'est un comble tout de même j'ai peut-être trouvé l'amour avant toi. Il faudrait que tu commences à te poser des questions.
- Cela ne se commande pas.
- Je sais, je te taquine.
Nous avons terminé notre cours de danse pour ensuite nous poser sur un balcon et regarder le soleil se coucher doucement. Je me suis toujours demandée pourquoi Glorfindel ne trouvait pas l'amour de sa vie, c'est un très bel elfe. Il y a quelque chose dans son regard. Quelque chose qu'il n'y a pas chez les autres, un air sage, un savoir infini dans ce bleu si calme et reposant. Je remercie les Valars de l'avoir rencontré, on est toujours bien aux côtés de Glorfindel.
- Quand vas-tu faire réparer Nordeline ?
La question m'a heurté. Cela fait des années qu'il n'avait pas abordé le sujet. Et plusieurs années que je me posais la même question. A vrai dire, je n'avais aucune envie de la réparer. C'était du passé, une partie de moi-même que je voulais oublier. Non, pas oublier, j'avais beaucoup appris à ses côtés, en la tenant entre mes mains, tuant pour la première fois.
- Je ne veux pas Glorfindel.
- ...
- Je ne veux pas la prendre de nouveau.
- Que prévois-tu dans ce cas ?
J'avais une autre idée en réalité. J'étais quelqu'un d'autre maintenant. Mon expérience sur-le-champ de bataille m'avait montré que Nordeline, comme toutes les épées "normales" avait des limites. J'avais en moi une force inimaginable que je ne pouvais pas utiliser pleinement avec Nordeline. J'avais assumé que mon devoir était certainement de tuer, alors si tel était le cas alors autant tuer efficacement.
- J'ai un autre projet... Je n'ai pas encore commencé à dessiner, mais j'ai quelque chose en tête...
- Une nouvelle arme de ton monde ?
- Non, pas vraiment... Plutôt quelque chose de nouveau. Une lame, mais qui me permettrait d'être plus... Plus efficace. Un mélange entre vous et moi, une lame à mon image.
- Je vois.
oOo
Les années ont encore défilé sans que je ne mette sur papier l'idée que j'avais. Le temps me manquait, entre les sorties de surveillances des frontières et mes travaux dans la cité, le temps a filé, jusqu'à atteindre l'année deux mille neuf cent soixante-deux.
Je me suis regardée dans le miroir le matin du dix-huit avril de cette année-là. J'ai soixante ans et demain, j'en aurai soixante et un. Mais c'est bien cette date du dix-huit avril qui me perturbe, alors que je regarde mes cheveux qui sont maintenant plus blancs que bruns. Je n'ai pas mis mon habit d'entraînement, j'ai passé un pull crème col roulé, un pantalon large brun clair en toile épaisse avec une ceinture de cuir et tressé mes cheveux.
J'ai fait mon teint, mes yeux, passé un léger rouge sur mes lèvres avant d'enfiler la longue veste kimono bleu et me diriger vers les cuisines. J'ai pris un thé que je suis allée siroter dans la bibliothèque.
- Pas d'entraînement aujourd'hui ? me demande Glorfindel.
- Non pas aujourd'hui.
Il s'est approché de moi pour s'asseoir à mes côtés sur le divan.
- Y a-t-il un problème Maliha ?
- Non, non...
J'ai levé les yeux sur lui pour y lire que si je ne disais rien il insisterait.
- Nous sommes le dix-huit avril, deux mille neuf cent soixante-deux Glorfindel.
- Et ? Demain nous sommes le dix-neuf et ce sera ton anniversaire, c'est ça qui te préoccupe ?
- Non. C'est aujourd'hui.
- Aujourd'hui quoi, Maliha ?
J'ai bu une gorgée de thé avant de soupirer. C'est un détail, mais un détail de poids.
- À partir d'aujourd'hui j'aurai passé plus de temps ici sur Arda, que chez moi. J'aurai passé plus de temps ici que dans le monde qui m'a vue naître Glorfindel...
Je ne savais pas comment me sentir, bien ou mal, heureuse ou triste.
- Le fait que je passe plus de temps dans un endroit prouve-t-il que je lui appartiens ? Cela veut-il dire que mon ancien monde n'est plus ma principale référence, mais seulement une simple passade ? Que ce n'était qu'un petit fragment de ma vie sans importance, car il va être dérisoire comparé à l'éternité qu'il me reste ?
J'étais perdue... Glorfindel a pris la tasse dans mes mains pour la poser sur la table basse en face de nous et s'est tourné vers moi en prenant mes mains.
- Ton monde sera toujours celui qui t'a vue naître Maliha. Passer plus de temps dans l'un ou l'autre n'effacera pas celles qui t'on fait grandir. C'est elles qui t'ont forgée et fait de toi celle que tu es. Ton savoir, ton éducation, ta personnalité, tu resteras toujours cette femme là. Tu ne pourras jamais l'oublier, jamais changer, parce c'est dans ton sang. Qu'importe le nombre d'années, tes origines resteront gravées en toi. Tu restes une fille d'Illuviné, je ne sais pas si c'est bien ou non, mais cela restera ainsi.
Les paroles de Glorfindel étaient, comme à leur habitude, sages. J'ai regardé l'elfe qui me souriait gentiment.
- Tu as raison.
- J'ai toujours raison.
J'ai froncé les sourcils avant de laisser apparaître un sourire narquois sur mon visage.
- Voyez-vous ça ! On peut facilement débattre là-dessus tu sais.
- Et je préfère ne pas m'engager et te déclarer victorieuse avant même de commencer, crois-moi !
On a encore ri de bon cœur. Nous avons passé une journée libre ensemble. Visiter les couturières, prendre des nouvelles des fils d'Elrond parties dans le nord, visiblement en compagnie d'Estel. Il me manque terriblement, il était maintenant un parmi les rôdeurs du Nord, on le surnommait Grand Pas. J'ai eu très peu de lettres, en revanche, en même temps, il parcourait le monde.
Ma très chère Maliha,
Cela fait maintenant cinq longues années que j'ai quitté Fondcombe, alors je me suis dit qu'il serait bon de te donner un semblant de nouvelles. Sache tout d'abord que tu me manques énormément. Les longs après-midi d'été au bord du lac. Les repas, tous plus originaux les uns que les autres, bien que je doive dire que les "pizzas" me manquent aussi.
Je voudrais que tu sois là, avec moi, à découvrir le monde, à rencontrer les peuples du Rohan, Gondor et autres. A parcourir les grandes forêts du monde, les vastes plaines du Rohan et de la conté. J'ai bien entendu croisé des orcs et gobelins et je dois dire que d'une certaine façon, tu avais raison. La première créature que j'ai tué, je m'en souviendrais toute ma vie, j'étais tétanisé. Je suis maintenant beaucoup plus à l'aise et compte bien faire mon possible pour protéger ce monde. Les temps s'obscurcissent, l'ombre gagne les forêts et le mal gronde dans les montages. Je sens venir des événements sombres. Gandalf le ressent aussi, quand nous nous voyons. Les nouvelles du monde sont malheureusement fort tristes à entendre. Un jour peut-être le parcourras-tu avec moi ? Je l'espère de tout cœur. Du moins j'espère que nous nous reverrons dans des circonstances entourées de paix et de calme.
Mon voyage vers le nord avec Elladan et Elrohir s'est passé sans encombre et à notre arrivée, j'ai trouvé un peuple à bout de souffle. Ils parcourent les terres sans attaches, protégeant les peuples sans se faire voir. Au fond de moi je sens que je suis fait pour être ainsi, rester dans l'ombre. J'ai trouvé ma façon de vivre et je me sens bien comme ça. J'espère que tu ne m'en voudras pas ma chère amie, ma sœur, de ne pas écrire mon retour, mais au contraire, que mon voyage continue et ne s'arrêtera peut-être jamais. Tu restes dans mon cœur à chaque découverte, j'espère te revoir très bientôt au détour d'une route.
En te souhaitant le meilleur.
Estel.
oOo
Gandalf est venue quelques semaines plus tard pour nous formuler les fameuses nouvelles. D'après lui les créatures sombres bougeaient sans savoir vraiment pourquoi. Mais le ciel était maintenant obscurci en Mordor, il se disait que les orcs se multipliaient et que le Gondor ne pouvait rien faire, affaibli et sans roi. Les hommes, dans l'impuissance, avaient baissé les bras sans même avoir commencé à se battre.
Quelques semaines plus tard, j'étais devant la grande tablette de verre à regarder l'hologramme qui dansait devant moi. La double lame brillait sous mes yeux en la faisant bouger du bout des doigts. Mais c'était encore une esquisse, il manquait quelque chose, quelque chose qui me permettrait d'aller plus vite. Qui me permettrait de me placer au cœur d'une armée et d'en abattre le plus grand nombre sans les laisser m'approcher. Et par-dessus tout, pouvoir le réaliser seule. Loin des autres. Je ne sais pas si je succomberais encore à me réfugier dans l'obscurité, mais si cela doit arriver de nouveau, que ce soit loin, très loin des gens que j'aime. Aujourd'hui, même avec une force formidable, seule, il est facile de me blesser. Plus les blessures sont nombreuses, plus mon endurance diminue. Je dois trouver un moyen de me protéger en même temps que de tuer.
J'ai passé des mois et des mois à réfléchir à un moyen. Griffonner des choses sur les parchemins. Dessiner avec le stylet sur l'écran sans trop savoir ce que mon esprit voulait. Je ne devais pas m'arrêter à l'idée simple que l'on pouvait se faire d'une lame. Je voulais aller au-delà, conserver le tranchant et l'exploiter au maximum. C'était mon métier de concevoir, d'imaginer une chose nouvelle. Une façon d'appréhender une arme avec une autre approche, augmenter le champ d'action.
Après des mois de réflexion, je l'ai trouvé. Le dessin parfait, l'addition du tranchant et du mouvement. Je n'avais jamais dessiné autant de courbes, mais après plusieurs années passées ici, j'ai trouvé une nouvelle forme de dessin. Les lignes étaient dures, mais épurées, fines, mais musclées. L'équilibre parfait que je cherchais à mon image, entre ma vie d'avant et ma vie d'ici. Un mélange de technique moderne avec l'élégance du traditionnel elfique.
Cette lame est-elle réalisable ? Après avoir dessiné le plus finement possible, j'ai montré mon esquisse à Lindir et mon rêve s'est effondré.
- Je ne peux pas forger ça Maliha. C'est impossible...
- Pourquoi ? C'est le mécanisme qui t'embête ?
- Non, nous avons déjà réalisé de petites pièces précises sur ta demande et nous avons réussi. Ce sont les formes des lames en elle-même, ces courbes-là. Avec une telle épaisseur, c'est très dur à travailler. Elle sera lourde, pas pour toi, mais pour la forger. Il faudra la travailler dans son ensemble, mais en même temps lui donner ses formes. La monter à une température plus forte qu'habituellement pour chauffer le cœur. C'est très dur et très éprouvant. Le four que nous avons ici n'en sera jamais capable.
J'ai regardé le dessin avec regret. Lindir a encore observé l'hologramme. Fait tourner la lame dans tous les sens en marmonnant et fronçant les sourcils.
- Je peux faire certaines parties. Les chaînes et le mécanisme interne de "rappel" comme tu l'as appelé. Mais, il te faut un acier bien spécifique et un savoir-faire particulier pour la lame. Je ne le possède pas Maliha.
- Je vois...
J'ai soupiré en regardant le sol, Lindir avait su fabriquer une arme à feu, mais ne savait pas faire une épée légèrement sophistiquée... Je n'y connaît rien en forgeage et je ne savais pas comment l'aider...
- Écoute, je connais une personne capable de te forger ça, une seule.
- Qui ?
Il regarde encore la lame quelques secondes en faisant des signes de confirmation de la tête.
- Myrimir de Lórien. La forgeronne de Caras Galadhon. Elle, elle pourrait te forger cette lame. Il lui faudra du temps, beaucoup de temps, mais elle seule en est capable.
- Alors j'irai voir cette Myrimir.
- Je viendrai avec toi. Il y a beaucoup de travail, je pourrais l'aider avec le reste.
- Parfait.
- Maliha, je ne suis pas certain qu'elle en soit capable. Je n'ai jamais vu une telle lame. Nordeline était déjà très grande et épaisse, il a été dure de la former, alors celle-ci... En deux parties, avec ses courbes, je ne te garantis pas que Myrimir y arrivera, mais si elle ne le peut pas, personne ne le pourra.
- Alors espérons que cette Myrimir acceptera.
oOo
Le vent du Nord sifflait dans les branches et Aragorn resserra sa cape autour de lui en observant le feu qui dansait faiblement devant lui. Voilà plusieurs jours que les quatre compagnons longeaient la forêt noire, Aragorn, Elladan, Elrohir et Legolas. L'elfe suit Aragorn depuis maintenant quatre longues années.
- Qui t'a écrit ? Demande Elladan.
- Maliha.
- Oh, comment se porte-t-elle ?
- Bien visiblement, pour une femme de soixante-dix-sept ans, dit-il d'un sourire. Ses cheveux doivent être blancs maintenant. Elle me dit qu'elle va probablement se rendre en Lórien d'ici quelques mois Ils ont besoin de l'aide de leur forgeron pour une nouvelle lame.
Legolas plisse les yeux en tournant son regard sur ladite lettre que tenait le rôdeur en souriant. Aragorn restait toujours très discret sur son enfance avec les elfes.
- Avez-vous vécu avec cette personne ? demande-t-il.
- Oui, toute mon enfance, elle m'a beaucoup appris.
- Et vous a-t-elle raconté l'histoire des titans et de ses ancêtres ?
- Seigneur Legolas, Estel ne connaît pas cette histoire et Maliha non plus, lance Elladan.
- Pardon ? Vous voulez dire qu'elle n'est pas au courant du sang qu'elle a sur les mains.
- Notre père a jugé bon de "l'épargner" de ce savoir, ajoute Elrohir d'un air narquois.
- De quoi parlez-vous ? Quel sang ?
Legolas s'est détourné pour regarder l'horizon les bras croisés avant de prendre la parole. Il raconta en détail l'histoire des Titans, leurs échecs lors des grandes guerres et leurs cœurs qui furent finalement corrompus par l'ennemi. Le châtiment qui fut donné au premier et la disparition du deuxième après avoir décimé une grande partie de l'armée de la forêt Noire.
- Il n'y a pas grand-chose à dire. Sauf que son prédécesseur Eriador a plus de sang sur les mains que n'importe qui... Entre autres, celui de ma mère et une bonne partie de l'armée des elfes, finit-t-il.
- Père a toujours caché cette histoire Estel. Principalement pour préserver Maliha et ainsi faire en sorte qu'elle ne sombre pas à son tour.
- Elrohir... Père ne voudrait pas...
- Je n'ai que faire des dires de père Elladan, elle sombrera comme les deux premiers. Une telle force ne peut que retourner dans l'obscurité. Un si grand pouvoir dans le corps d'un simple homme, c'est le serpent qui se mord la queue.
- Je n'arrive pas à y croire... murmure Aragorn. Ce que vous me décrivez n'est en rien comparable à Maliha. Enfin Elrohir, tu la connais ? Comment peux-tu affirmer une telle chose alors qu'elle ne fait que son devoir ?
- Tu ne sais rien sur les titans Estel. Ils ont un côté sombre, leur force les dévore à petit feu. On dit qu'Eriador n'était plus lui-même, qu'il était comme possédé, qu'il ne restait plus rien de son âme au fond de ses yeux.
Aragorn a regardé les deux frères sans pouvoir parler. Il voyait dans sa mémoire le doux sourire de Maliha, sa fragilité et sa bonne humeur. Son cœur grinça, elle ne changea jamais pour lui.
- C'est certainement une chose à laquelle vous n'avez pas pensé, mais les titans affrontent leurs tâches seuls. Quand vous êtes-vous déjà demandé ce qu'ils pouvaient ressentir ? Vous a-t-on demandé d'apprendre à tuer du jour au lendemain ? Vous a-t-on arraché de votre monde ? Demandé de vous battre en première ligne, car vous en êtes le seul capable ? Je ne pense pas. Et vous ne le pourrez jamais. Je l'ai vu revenir de la dernière guerre où vous étiez présent Legolas. Elle a mis des années à s'en remettre. Des années à regarder ses mains en se demandant pourquoi elle avait accepté. A en faire des cauchemars toutes les nuits... Ne plus manger, ne plus parler. Ils sont seuls face à leur contrat et doivent l'assumer sans aide ? Qu'importe le passif de leur lignée. Je fais le serment de protéger Maliha, que ce soit contre elle-même ou le Seigneur des ténèbres.
Legolas à dévisagé Estel jusqu'à la fin de son discours. La colère est montée dans ses veines alors que son ami défendait la personne qu'il détestait. Du moins, jusqu'à ce qu'il entende le malaise de la titan après son retour à Fondcombe. Pendant quelques secondes la barrière de haine s'était brisée. Mais elle est revenue aussi vite qu'elle était arrivée. Legolas avait appris à la haïr. Son père, Elrohir et bien d'autres ont su lui prouver que les titans étaient une race maudite et qu'il en serait ainsi pour l'éternité. Il fronce les sourcils encore en serrant ses doigts sur son bras.
- S'il s'avère qu'elle se détourne de la lumière, je la tuerai de mes propres mains, dit-il.
oOo
Note: Artiste Zeen Chin <3
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