// ... Chapitre trente-trois ... //
"Urban Mood" - Martin Mey
J'ai longtemps regardé le lit, le divan, la salle de bain, les baies vitrées avant de passer la bandoulière à mon épaule et de fermer la porte en soupirant. J'avais traîné dans le bain en réfléchissant au voyage de retour, à ce que j'avais vécu ici, à ce qui m'attendait...
Je marchais, admirant les arbres une dernière fois. J'avais opté pour une tenue de voyage légère. Un pantalon large gris rentré dans mes bottes, une veste épaisse blanche de kimono serré à ma taille par un obi large de cuir qui passait sur ma poitrine. La cape lourde, en velours vert foncé fixée sur mes épaules, j'ai rabattu la capuche pour perdre encore plus mon regard dans les arbres verts. Les feuilles naissantes étaient une beauté pour mes yeux. Ils allaient me manquer ces arbres, l'air pur et frais de cette forêt enchanteresse...
J'ai descendu les marches le long du large tronc pour rejoindre les autres. Tout le monde était là, comme à l'arrivée d'Estel et des autres, mais pour nous saluer et nous souhaiter bon voyage. Glorfindel m'avait fait signe en tenant mon cheval par la bride. J'apercevais Arwen du coin de l'œil, discutant avec Aragorn. Son regard était triste, et regardait la main du rôdeur passer sur sa joue. Sans m'en rendre compte, un sourire étira mes lèvres, ils étaient tellement beaux, l'amour débordant de leurs yeux alors qu'ils se regardaient.
- Donne-moi ton sac, dit Glorfindel en me sortant de la contemplation.
Je lui donna mon sac avant de caresser le nez de Liméas en lui disant que nous allions tranquillement rentrer à la maison. Je m'interdisais de penser à ma dernière soirée ici, n'ayant pas envie de me poser de questions... Pas encore du moins... Quand mon cœur sera refermé, quand les battements se seront affaiblis, peut-être alors je prendrais le temps...
- Il est l'heure, dit Glorfindel en posant sa main sur mon épaule.
Nous nous sommes avancés, Galadriel et Celeborn se tenaient devant nous, entourés par la garde. Aragorn rejoint Legolas sur la gauche alors que nous nous approchions des Seigneurs. J'ai fait la révérence des elfes, une main sur le cœur.
- Nous ne vous remercierons jamais assez pour votre aide. Nous vous serons éternellement reconnaissants. Nos portes resteront ouvertes pour vous accueillir s'il vous faut du repos, ou simplement respirer l'air de la forêt de Lórien, termine Celeborn.
- Merci de tout cœur pour votre aide, grâce à vous Maliha à une arme faite pour elle.
- Chaque aide est précieuse, et contribuer à votre lourde tâche était certainement la moindre des choses. Nous espérons pouvoir vous aider de nouveau dans le futur. Je vous souhaite à tous un très bon voyage de retour, que les Valars vous accompagnent, termine Celeborn.
- Je me joins aux remerciements de mon mari, votre aide fut plus que bienvenue et nous avons été honorés de pouvoir vous aider. Arwen, ma tendre petite fille, j'attends avec impatience ta prochaine visite.
- Je reviendrais, je vous l'assure, répond Arwen dans une révérence.
- Lindir, forgerons d'Imladris, quelque chose me dit que nous nous reverrons sous peu alors c'est un au-revoir que je vous adresse.
Lindir s'était tendu d'un coup. J'ai souri en me disant que j'avais vu juste. Myrimir le regardait tendrement.
- Glorfindel, personne ne vous remerciera jamais assez pour tout ce que vous avez fait pour cette terre. Que la lumière des Valars accompagne toujours vos pas. Avoir confiance est une chose difficile, cessez de vous tourmenter sur le passé, l'avenir est obscur, mais l'espoir y demeure.
J'ai caressé le bras de Glorfindel en le voyant baisser la tête sous les mots de la dame.
- Maliha, quelque chose me dit que vous passerez de nouveau les portes de ma cité. Les temps sombres approchent, tenez-vous prête, la tâche qui vous a été confiée arrivera plus tôt que vous ne le pensez.
J'ai baissé la tête en signe d'approbation et elle se pencha vers moi pour murmurer à mon oreille.
- Restez celle que vous êtes, ne vous laissez pas ronger par le désespoir et la peur, ayez confiance en vous. Chaque femme a en elle un grand pouvoir, il est seulement difficile de s'en rendre compte.
Je lui ai fait un sourire et une révérence.
- Je ne l'oublierai pas.
Nous nous avancions vers Estel au côté de Legolas, Hadir et Armetiel, Arwen le regardait avec tristesse et j'ai posé ma main sur le bras de ma meilleure amie. Elle ne lui dit rien, je supposais qu'ils avaient fait leurs adieux l'un l'autre avant le départ. J'ai pris Aragorn dans mes bras et il m'a rendu l'étreinte. Valar qu'il allait encore me manquer...
- Fais attention à toi, écris-moi souvent et s'il te plaît ne tarde pas... Cela fait trop longtemps que l'on ne t'a pas vu à Imladris, Elrond serait certainement heureux de voir son fils adoptif.
- Je reviendrai bientôt, je te le promets. Transmet mes respects à Elrond, faîtes bonne route. Et une dernière chose, fais attention à toi d'accord, prends du temps pour toi, bronze, jardine, cuisine, fais ce que tu aimes.
- Je le ferai, dis-je dans un grand sourire. Peut-être que je te ferai une pizza quand tu rentreras.
- Alors, il me tarde de rentrer.
Il bavarda avec Glorfindel alors que je faisais mes adieux à Haldir et Armetiel.
- J'ai été très heureuse de vous rencontrer, soyez certain que vous faites partie des personnes que je considère comme mes amis. Haldir merci pour tout, j'espère vous revoir dans des circonstances plus joyeuses.
- Tout l'honneur à été pour moi Maliha, sachez que je vous considère également de mon cercle.
- M'en voilà ravie. Armetiel, faites attention, vous êtes encore jeune, mais je peux voir que vous deviendrez un grand guerrier, j'en suis certaine.
- Merci Maliha, j'ai été ravie. J'espère vous revoir, que les Valars protègent votre chemin de retour.
J'ai baissé les yeux en faisant une révérence, puis passais en face de Legolas. Il était droit comme un piquet. Son visage était fermé, mais son regard semblait doux.
- Vous allez certainement me dire que mon départ est une des meilleures choses qui vous sont arrivées durant les derniers mois. Pour ma part, j'ai été heureuse de vous revoir, et ça a été un honneur de me battre à vos côtés. Je vous fais donc mes adieux, que les Valars veillent sur vous et sur votre peuple.
Il n'avait rien dit pendant de longues secondes et je posais ma main sur mon cœur avant de la lui tendre pour en finir.
- Je ne vous ferai jamais confiance, mais je n'oublierai pas ce que vous avez fait pour moi, fille d'Illuviné. Que votre route soit dénuée de danger.
Il m'a salué en répondant à ma révérence gracieusement. Je n'en croyais pas mes yeux... Je crois que je lui ai fait le sourire plus étincelant que je n'ai jamais fait dans ma vie. J'étais heureuse de le quitter de cette façon, sans le souvenir noir d'un reproche ou d'une phrase assassine et me retourna sans rien ajouter pour faire mes adieux à Holorïn et Myrimir.
- Holorïn, merci beaucoup pour la crème et pour tout le reste... Je ne sais comment te remercier.
- En faisant attention à toi certainement.
- Ha ha, je le ferai promis.
- Ne fais pas de promesses que tu ne pourras tenir Maliha.
J'ai passé ma main derrière la tête.
- Alors simplement que j'essaierai.
- Cela me suffit. Je vous souhaite bonne route jusqu'à notre prochaine rencontre.
- À notre prochaine rencontre alors.
Myrimir me tendait les mains et j'ai serré ses doigts entre mes miens en affichant un sourire reconnaissant.
- Je vous remercie du fond du cœur. Il n'y a pas de mots pour décrire ma reconnaissance Myrimir.
- Merci à vous Maliha, cela faisait longtemps que je n'avais eu un aussi grand défi, et je suis heureuse de l'avoir fait pour vous. Qu'elle vous protège, vous et tous ceux qui croiseront votre chemin tout au long de votre vie. Je me souviendrais éternellement du jour où je l'ai vu étinceler pour la première fois entre vos mains Maliha. Faites-moi confiance, cette lame fait de vous celle que vous devez être, une femme parmi les femmes de ce monde.
- Je ne l'oublierai pas. Encore merci, prenez soin de vous Myrimir, j'espère vous revoir bientôt.
- Je l'espère aussi, faites bon voyage Maliha.
Je montais sur mon cheval en même temps que les autres, Liméas semblait pressée de rentrer, piaffant comme pas permis pour suivre Glorfindel qui partait déjà vers les portes.
Mon regard croisa une dernière fois celui d'Estel qui me fit un signe de la main, puis les yeux de Legolas. Je ne saurais jamais quoi penser de notre danse et de chaque instant où j'avais eu l'impression de voir autre chose que la haine qu'il me porte. Je me perdais dans ses yeux une dernière fois, le temps parut s'arrêter, comme toutes les fois où nous nous étions regardés de cette façon. Son visage était de marbre, mais ses yeux dégageaient quelque chose que je ne pourrais jamais comprendre, jamais oublier... Liméas se cabra légèrement pour me faire réagir et me presser. Je l'ai laissé m'entraîner à la suite de Glorfindel, détournant finalement mes yeux avec regret.
Mon cœur tira à l'instant même où je passais les portes, fronçant les sourcils en reconnaissant la sensation qui parcourait mon âme, le manque.
- ça va passer... murmura Arwen à côté de moi. Je te promets que ça va passer...
Elle était au bord des larmes. Je le voyais, elle souffrait sans doute beaucoup plus que moi à cet instant. J'ai approché Liméas d'elle pour lui passer une main rassurante dans le dos.
- Oui Arwen ça va passer... Il sera bientôt de retour, j'en suis certaine.
Le temps passa au ralenti sur le chemin du retour, baigné dans une mélancolie nostalgique imbuvable. En plus de cela, le temps n'était qu'hésitation, un nuage de pluie, un rayon de soleil, un nuage de grêle, un rayon de soleil... Les giboulées, pourtant annonciatrices d'un printemps chaud, me déprimaient, alors que je serrais un peu plus ma cape pour me cacher des grosses gouttes qui tombaient en rafales.
Arwen était dans le même état que moi, mélancolique au possible et silencieuse. J'espérais à chaque colline que nous passions, reconnaître un buisson familier annonçant notre arrivée sous peu, mais il n'en fût rien... Les montagnes étaient magnifiques, avec leur visage encore blanc de l'hiver. Je m'arrêtais pour contempler le ballet de nuages, entraînés par un vent fort, ils sculptaient avec les rayons du soleil un spectacle éblouissant sur leurs flancs.
À chaque fois que je voyais ça, je me disais que j'étais certainement la seule humaine venant de la Terre à voir la neige, autre que sur du papier glacé ou sur une publicité mensongère pour une glace. Que s'est-il passé depuis cinquante-deux ans sur ma Terre ? L'humanité a-t-elle finalement fini par succomber ? Les images sombres de mon imagination se bousculaient dans mon esprit. Avaient-ils fini par tout détruire ? Par boire les dernières gouttes d'eau ? Ou simplement fait la guerre pour ces dernières, finissant par anéantir toute forme de vie ne supportant pas de s'éteindre seul ? L'homme sur ma Terre était beaucoup trop orgueilleux pour s'ensevelir seul dans sa perte...
J'ai serré les reines et poussa Liméas à prendre un grand galop, j'avais besoin de raviver mes idées positives et de penser au futur ici...Le futur, après quatre-vingt-trois ans de vie, me paraissait comme le présent, dans l'instant. Ça avait pour moi une dimension bizarre, devenue inexplicable et même presque inutile. Parce que j'attendrai seulement que le temps passe, indéfiniment...
oOo
Les années avaient défilé lentement, je me laissais emporter par les saisons. Les journées étaient redevenues les mêmes et ma routine avec. S'entraîner, manger, méditer, parcourir les frontières, bronzer... Tout était redevenu comme avant, il ne me restait que des souvenirs.
J'ai pris la tasse entre mes doigts en entendant discuter les couturières devant moi. Arwen était, elle aussi, silencieuse. On écoutait, nous nourrissant de la joie de vivre des trois elfes. Mais malgré cela, même si elles n'étaient pas directement confrontées aux choses du monde, elles sentaient aussi que le mal était bel et bien revenu.
- Il paraît que la guerre est proche vous savez, lance Sunniva en découpant du tissu.
- Nous ne savons même pas qui est réellement notre ennemi, murmure Oilossë.
- Elle n'a pas tort pour autant, j'ai entendu dire que nos voisins avaient fermé leur frontière. Il sera bientôt temps pour nous de faire de même, voire de quitter cette terre, enchaîne Vairëla.
- Mon père ne laissera pas la terre du milieu à son sort sans rien faire.
- Arwen... je murmura.
- De toute façon, tant que vous êtes ici Maliha, nous pouvons garder espoir, dit Oilossë.
- Si l'ennemi est toujours le même, je ne suis pas certaine que l'on y arrive... Les elfes ne font plus partie des grandes puissances de ce monde...
- Voilà un bien sombre discours Vairëla, dis-je en buvant mon thé.
- Je suis ici depuis longtemps vous savez. J'ai connu les guerres et je peux vous dire que je ne suis pas prête à en vivre une autre.
- Elle a pourtant déjà commencé.
- Oui... Bien que je me refuse à croire que les derniers des nôtres y participeront...
- Vairëla, Imladris n'a pas la puissance nécessaire pour seulement y penser, je suis ici pour ça, alors ne vous en faites pas.
- Votre destin est bien sombre Maliha, dit Oilossë.
- Et si nous parlions de choses un peu plus... Joyeuses ? lança Sunniva l'air gênée.
- Vous avez raison... je murmure en buvant une gorgée.
- Il paraît que le prince Legolas était avec vous à Caras Galadhon !
- Ma parole, les nouvelles vont vite.
Arwen lâcha un faible rire à côté de moi. Elle restait une elfe très bavarde derrière ce visage d'ange...
- Oh que oui, et que vous avez même danser avec lui !
- Ça je n'en reviens toujours pas.. dit Dame Vairëla en tirant un tissu de soie.
- Comment c'était ? enchaîne Sunniva impatiente.
- Ma cousine vous dirait...
- Aux ténèbres votre cousine Oilossë, laissez la répondre...
J'ai des souvenirs comme dans un rêve... Je me souvenais encore de ses yeux, de sa main, de la lumière de son âme devant moi, s'infiltrant dans mes veines... Comme un rêve fou, celui d'une imagination débordante. J'ai laissé le sourire étirer mes lèvres en posant mon menton contre ma main.
- Et bien, c'était... Bizarre.
- Bizarre ? C'est tout ?
- Je ne sais pas quoi vous dire de plus...
- Les elfes de la Forêt Noire sont...
- Je sais Sunniva et il l'a été en effet...
- Vous avez dansé une danse de l'âme avec lui, cela n'a pas pu être uniquement bizarre !
- Cette danse était une erreur, nous ne savions pas que ce serait celle-ci.
- Avez-vous vu son âme ?
Je regarda Arwen qui visiblement elle ne me donnerait aucune aide.
- Bien sûr que non. Quelle question...
J'avais beau y réfléchir... Je ne comprendrai jamais pourquoi je l'avais vu. Ça m'avait tracassé pendant de nombreux jours. Je ne savais pas vraiment ce que j'avais vu, pour ne rien y lire en plus. Non, je n'avais absolument rien lu dans son cœur, mais alors pourquoi l'avoir fait apparaître ? Arwen disait qu'il l'avait laissé échapper... Quel elfe laisserait échapper son âme au juste ? Non il a sans doute voulu me remercier à sa façon... Non mais, me remercier comme ça ? Etait-il aussi orgueilleux pour remercier une personne en montrant son âme ? Tss, comme si la vue de son âme valait une vie ? Non c'était débile...
J'ai arrêté d'y penser au fil des années... Je ne connaîtrai jamais la raison, et puis, je ne suis pas près de le revoir et encore moins de le lui demander...
oOo
- Maliha?
Je tournais mon visage vers l'origine de la voix pour y touver l'elfe que je connaissais si bien. Glorfindel était là, masqué par les rayons du soleil brûlant, penché au-dessus de moi. J'ai retiré les mains de la terre pour le voir hors du contre-jour. Le matin était encore frais en ce mois d'août, mais l'après-midi était insoutenable.
- Tu désherbes ton petit jardin ?
- Et oui, et ramasse les tomates mûres. Je vais commencer à faire les conserves de sauces. Et toi mon ami ?
- Rien de particulier, je flâne dans la fraîcheur...
- Vous les elfes, ne craignez pas la chaleur Glorfindel...
- C'est vrai. Tu as reçu un message.
- Un message ?
- Estel.
- Oh, c'est vrai ?!
- Et oui, dit-il avec un petit rire.
Je me levais, époussetant mon short et rajustant mon chapeau qui se faisait la malle emporté par une brise.
- Tu devrais saluer le messager d'ailleurs.
Il avait ce petit sourire en coin que je connaissais par cœur.
- Qui est-ce ?
- Tu verras.
Je le regardais, lui et son petit air joueur en me disant que ça devait être une personne importante et que je connaissais. Piquée par la curiosité, j'ai couru à travers les rangs de petit poids et les grands cerisiers. J'ignorais de qui il s'agissait, mais j'avais l'intuition que je serais bien plus qu'heureuse. Je passa les portes, tenant mon chapeau d'une main pour m'engouffrer dans les couloirs frais de la cité elfique, puis arriva en face du pont, mais je n'y avais trouvé personne.
- À la bibliothèque Maliha, m'indique Elladan du bout du doigt.
- Qui est-ce ?
Un air surpris passa sur son visage avant qu'il ne comprenne en voyant Glorfindel reprendre son souffle l'épaule contre un poteau, qu'il ne m'avait rien dit.
- Tu verras.
Je poussa un soupir avant de reprendre ma route vers la bibliothèque. Les elfes me laissaient passer en ne disant rien. En soixante-huit années à Fondcombe ils s'étaient fait une raison... Me voir me balader en short et débardeur était devenue une habitude estivale... J'ai passé la porte de la bibliothèque dans un courant d'air en reprenant mon souffle. Chapeau pointu sur la table, un grand bâton contre les rangées débordantes de livres. J'ai vu Gandalf sur le balcon avec Elrond.
- Par les Valars Gandalf ! Dis-je en me précipitant pour sauter dans ses bras en perdant mon chapeau de paille.
- Que je suis heureuse de vous revoir ! Combien d'années ?!
Il a répondu à mon étreinte en riant doucement.
- Ah Maliha, c'est un grand bonheur de vous voir. Cela doit bien faire plus de cinquante ans, soixante mêmes peut-être.
- Cinquante-huit pour être exact, lance Elrond.
- Cinquante-huit ans... Et votre visage est toujours le même.
- Mes cheveux sont plus blancs que les vôtres maintenant.
- Quel âge avez-vous ?
- Quatre-vingt-dix-neuf ans cette année...
- Oh, bientôt la centaine.
- Je ne suis pas prête à entendre ça...
Ils ont ri tous les deux.
- Et vous resterez toujours une enfant pour moi, répond Gandalf.
Je me retournais pour voir Glorfindel fermer la porte en rentrant.
- Que faites-vous ici ?
- Et bien, j'ai été invité à l'anniversaire de notre cher Bilbon. Cent-onze ans qui l'aurait cru ?!
-Cent-onze ans ? Quand même !
- Comme vous dites. J'ai décidé de profiter de ce voyage pour m'arrêter vous voir.
- Vous avez bien fait, dis-je en prenant appui sur la table. Quelles sont les nouvelles du monde ?
Je l'ai vu échanger un regard avec Elrond et Glorfindel croisa les bras doucement en s'installant à ma gauche.
- Pas celle que je souhaiterais... Les temps sont sombres mon amie. Un conseil à été donné par mon ordre. La cité de Dol Guldur est de nouveau remplie d'orcs et l'obscurité toujours plus grande en Forêt Noire.
- Et je suppose que Thranduil laisse faire...
- Maliha, me reprit Elrond.
- Vous pouvez bien dire ce que vous voulez, les faits sont là.
- Le Seigneur Thranduil s'est toujours tenu loin des affaires en dehors de ses frontières, lance Glorfindel
- Crois-tu que je ne sois pas au courant ?
- De toute manière, si cela ne concernait que Dol Guldur je ne serais pas aussi inquiet, mais c'est loin d'être le cas. La tour sombre s'illumine de nouveau.
- Gandalf, êtes-vous sûr ? dit gravement Elrond.
- Oui et cela ne veut dire qu'une seule chose.
- L'esprit de Sauron a survécu. Mais Gandalf, sans l'anneau... finit-il.
Mon sang s'était glacé. Le souvenir des vieilles histoires d'Elrond est revenu dans ma mémoire. L'anneau de Sauron, l'anneau dans lequel il déversa son âme.
- Voulez-vous dire qu'il aurait retrouvé son anneau ? demandais-je, inquiète
- Non, sa forme est imparfaite, il ne reste presque rien de lui qu'un œil de flamme au sommet de cette tour noire.
- Mais alors...
- Il le cherche.
Le cherche ? Cet anneau pourrait-être n'importe où.
- Que pense Saroumane de cela ? demande Elrond.
- La seule chose qu'il a à la bouche s'est qu'il a été emporté par les mers et perdu à jamais.
Il y eut un grand silence. Gandalf marchait en long et en large, triturant sa barbe en marmonnant.
- Vous n'en croyez pas un mot n'est-ce pas ? je demandais.
- Évidemment.
- Alors qu'allons-nous faire ?
- Attendre.
- Pardon? Je rétorqua sidérée.
- Nous n'avons rien d'autre à faire. Nous n'avons aucune idée d'où l'anneau pourrait se trouver, absolument aucune... En revanche, si nous trouvons le moindre indice, nous pourrons envisager quelque chose. Gardez les yeux ouverts.
Garder les yeux ouverts...
- Maliha, vous devez vous tenir prête, quelque chose me dit que la guerre est proche.
- Je vois... Je le serais Gandalf.
Il n'était pas resté, reparti dès le lendemain matin sans un bruit... Il était partie à la recherche de l'anneau, chercher le moindre indice, la moindre rumeur à son sujet. j'avais envisagé l 'idée de l'accompagner, mais si Fondcombe était attaquée... Je ne me le pardonnerai pas...
L'annonce qu'il avait faite, me glaçait le sang jour après jour. Les nouvelles étaient peu nombreuses. Je regardais le soleil se lever en serrant le kimono de soie autour de moi. Il y a un mois, la première lettre d'Estel disait qu'il reviendrait bientôt, la seconde, reçue hier disait tout autre chose.
Ma cher Maliha,
Je ne rentrerai pas comme prévu et j'en suis navré. J'ai croisé Gandalf sur la route et les heures sont sombres. Nous savons où est l'objet tant convoité par tu sais qui, il est pour l'instant en sécurité, mais malheureusement, nous ne sommes pas les seuls à posséder cette information, quelqu'un d'autre sait qui le détient. Nous recherchons activement cette créature (que je ne nommerai pas par crainte que le courrier ne soit intercepté) car si jamais elle devait se retrouver entre les mains de l'ennemi les conséquences seraient désastreuses..
Je serai de retour une fois ma mission accomplie. Vous devez renforcer les surveillances aux frontières, l'ennemi se propage dans les terres. Une dernière chose, un visiteur est en route pour Imladris, il devrait arriver sous peu.
Prends soin de toi et d'Arwen.
Estel.
Il avait été dur de consoler Arwen... Il lui avait également laissé une lettre disant la même chose. Elle était triste, mais surtout inquiète. Nous passions des heures avec les couturières à discuter pour nous changer les idées, mais nous savions qu'en dehors de la cité, la tension était palpable... Mais cela nous faisait du bien, autant à elle qu'à moi. Mais ce temps-là n'a été que de courte durée... Nous avions renforcé les frontières et bientôt, j'étais de sortie presque toutes les semaines. Elrond était inquiet, comme visiblement toutes les autres cités elfiques. La cité de Dol Guldur était de nouveau habitée et Thranduil la déclara bien vite imprenable. Désormais son peuple vivrait enfermé dans les cavernes, se coupant du monde jusqu'à nouvel ordre, jusqu'à ce qu'ils prennent la décision de prendre la mer.
oOo
Une fin d'après-midi, alors que je rentrais de la garde, comme l'avait dit Aragorn, un visiteur est venu. Un visiteur auquel je ne m'attendais pas. Il était là, à siroter un thé sur le grand balcon.
- Bilbon ?
Je ne l'avais pas revu depuis des années, il avait vieilli, certes, mais son air souriant était toujours le même.
- Oh Maliha ! J'ai failli ne pas vous reconnaître, vos cheveux sont blancs comme neige !
- Que je suis heureuse de vous voir... Dis-je en posant un genou à terre en face de lui.
- Et moi de même.
- Que faites-vous ici mon ami ?
- J'avais envie de voir le monde, je me suis dit que rendre visite à de vieux amis était un bon début.
- Une autre aventure ?
Je m'étais assise à côté de lui pour prendre une tasse et l'accompagner.
- Si vous saviez à quel point cela me démangeait.
- Je croyais que vous teniez plus que tout à votre foyer ?
- Et bien, après cent-onze années, un changement de temps en temps, c'est quand même relativement satisfaisant voyez-vous. Je ne compte pas rentrer de toute façon...
- Quoi ?
- Frodon s'occupe de Cul-de-sac, je lui ai légué après tout.
- Frodon ? dis-je en levant le nez curieuse.
- Mon neveu, c'est un Sacquet vous savez ?
- Je n'en doute pas. Mais Bilbon, pourquoi pensez-vous ne pas revenir ?
Il y eut un long silence et je le voyais tourner la cuillère dans sa tasse en cherchant les mots.
- Vous savez, Maliha, je suis fatigué, je voudrais simplement finir mon livre et quitter ce monde en paix.
- Quel sombre discours...
- Il y a des choses que je regretterai toute ma vie... Je ne devrais probablement pas vous dire cela, mais j'ai comme l'impression d'être responsable d'un cycle oublié. Du commencement d'une histoire qui n'aurait jamais dû refaire surface.
- De quoi parlez-vous donc Bilbon ? j'ai demandé en fronçant les sourcils.
- Vous le saurez bien assez tôt ma pauvre amie...
oOo
Il restait parmi nous, année après année. Je le voyais écrire son livre paisiblement sous les arbres. Il ne m'a jamais rien dit de plus que ce jour-là. Il n'est jamais parti, son corps avait finalement décidé que cela était assez et qu'il était temps de se reposer enfin. Même si depuis toutes ces années, il était resté chez lui, j'avais l'impression qu'il purgeait des décennies de labeur...
Je passais le voir souvent et, à chaque fois, j'avais l'impression qu'il avait pris cinq ans. J'étais inquiète, mais Elrond m'assura qu'il allait parfaitement bien. Nous avons fêté mon anniversaire, cent ans... Cent ans de vie... Je m'étais regardé dans le miroir plus que d'habitude ce jour-là. Mes cheveux étaient d'un blanc éclatant, hormis ça, j'étais toujours la même avec ma peau légèrement bronzée et mes yeux vert d'eau. Elrond avait organisé une grande fête en mon honneur. Oui j'avais bu toute la nuit et c'est Glorfindel qui m'avait ramené au lit. Bien que je ne m'en souvienne pas vraiment. Arwen m'a offert une chose à laquelle je ne m'attendais pas, une paire de chaussures, mais pas n'importe laquelle... C'était une paire de chaussures à talon d'été, des sandales d'un bon "dix centimètre", à lanière d'un cuir clair élégant. La paire que j'avais en venant ici avait été détruite depuis un bon moment déjà, comme la plupart de mes vêtements d'ailleurs. Et elle savait à quel point j'avais mal au cœur dès que j'en perdais un...
C'était pourtant quelque chose de simple, une paire de sandales à talon, mais pour moi, ici, c'était un cadeau inestimable. Je les avais portées, encore et encore, leur claquement sur le sol ravivait mon âme à chaque pas, et vu qu'elles étaient faites pas les mains des elfes, leur longévité serait impressionnante. Glorfindel n'a pas été plus discret en m'invitant à danser une danse de mon monde pendant la soirée... Je me sentais tellement bien, une vague nostalgique éphémère, mais agréable.
Le lendemain, gueule de bois et autre désagrément passé, la routine s'était de nouveau installée. Bilbon restait souvent avec moi pour faire les confitures l'été et m'accompagnait au lac en prenant son livre. Les hivers, nous passions le plus clair de notre temps avec les elfes à lire au coin du feu, ou à écouter leur histoire. L'avantage, c'était que l'immortalité donnait chaque soir une nouvelle histoire, et Glorfindel en avait à revendre. Au-delà de ça, le temps passait et les doutes étaient de plus en plus présents. Mon impatience était de plus en plus forte, tout comme ma peur de l'avenir.
Estel resta silencieux ainsi que Gandalf. J'avais le sentiment que quelque chose allait arriver et mes cauchemars en étaient remplis. Les elfes étaient tendues, les montagnes menaçantes et les orcs parcouraient librement les terres avoisinantes. Je n'avais aucune idée de ce qui se préparait, mais j'avais peur...
- Mon cœur est aussi gagné par l'obscurité Maliha, mes craintes et ma peur grandissent, me dit Arwen.
- Que pouvons-nous faire de plus de cette façon... Je ne pense pas que me laisser parcourir simplement les frontières de Fondcombe soit la solution. Je pourrais aller en Forêt Noire, libérer Dol Guldur. Rejoindre Estel, l'aider... Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'il en fait plus que moi et je ne le supporte plus...
- Je sais juste que nous attendons...
- On attend depuis des années Arwen. On attend que l'ennemi se renforce au lieu d'agir... C'est n'importe quoi.
- Nous ne savons rien.
- Nous savons que le Mordor se réveille, c'est déjà bien assez.
- Et que voudrais-tu ? Que nous y allions ? Avec les faibles forces qu'il nous reste ? Y aller seule ?
Je soupira... Je savais qu'elle avait raison. Qui nous suivrait de toute façon ? Thranduil, si loin et déjà reclu par Dol Guldur. La Lórien, déjà prise à ses frontières... Les nains ? Les hommes... Je tournais en rond, jour après jour, attendant l'heure de mon devoir. Non, je n'avais aucune envie de participer à une guerre de plus, mais laisser le temps passer pour la rendre plus meurtrière encore me rendait malade.
Et c'était finalement arrivé. Nous avions été convoqués par Elrond avec Glorfindel un soir de septembre. J'eu peine à reconnaître Gloin, mais c'était bien lui accompagné d'un autre nain qui devait probablement, en vue de sa tignasse rousse et de sa silhouette identique, être son fils.
- Gloin !
- Oh, Maliha ! Que je suis heureux de te voir !
- Moi de même mon ami !
- Je te présente mon fils, Gimli !
- Je suis ravie, dis-je en faisant une révérence.
- Gimli, je te présente Maliha, elle a combattu avec nous pour reprendre Erebor.
- Vous avez tout mon respect Madame, mon père m'a parlé de vos exploits des nuits durant.
- ha ha... dis-je d'un air gêné. Gloin, que venez-vous faire à Fondcombe, c'est assez exceptionnel comme visite ?
- C'est pour cela que je vous ai appelé, dit doucement Elrond.
- L'heure est grave en effet, murmure Gloin. C'est une très longue histoire...
- Nous avons tout notre temps.
- Très bien. Pour commencer au commencement, Balin est retourné prendre possession de la Moria, avec Oin, Ori et d'autres nains. Je vous parle de cela, mais c'était il y a maintenant trente ans et je me souviens que Dain leur avait accordé cette mission à contrecœur. Nous eûmes des nouvelles pendant un certain temps, plutôt encourageantes d'ailleurs, puis ce fut le silence. Des années plus tard, il y a environ un an, il est venu... Un messager enveloppé dans des haillons noirs, prétextant vouloir notre amitié. Mais il a commencé à poser des questions sur Bilbon, disant qu'il possédait un anneau que son maître désirait. Il nous a dit que Sauron demandait à ce qu'on le retrouve de gré ou de force. En échange...
Le pauvre Gloin semblait paniqué...
- Continuez...
- En échange il nous restituerait les trois anneaux de jadis et que la Moria serait notre pour toujours... Dain n'a donné aucune réponse et le messager est reparti, mais il est revenu par deux fois... Nous savons très bien que nous avions été dupés il y a des années et nous ne sommes pas prêts à faire la même erreur, mais lorsqu'il reviendra une troisième fois, j'ose à peine y penser... Dain nous a alors envoyé pour prévenir Bilbon qu'il était recherché, mais aussi prendre conseil auprès de vous, Seigneur Elrond. L'ombre nous guette tous et la paix ne tient qu'à un fil aux frontières orientales. Nous ne savons pas quoi faire, mais en aucun cas nous ferons du mal à Bilbon"
- Attendez... Vous êtes en train de dire que c'est Bilbon qui possède l'anneau ?
- C'est exact, lance Elrond. Gandalf s'en est rendu compte lors de son anniversaire il y a maintenant dix-sept ans.
- Mais alors, l'anneau est ici.
- Non... Bilbon a légué son anneau à son neveu Frodon Sacquet.
- Et il est resté dans la Comté... je murmure.
Un froid me traverseale dos... Le message d'Aragorn, même s'il avait maintenant dix-sept ans, disait qu'une créature qui, d'après Elrond, s'appellant Gollum, savait qui possédait aujourd'hui l'anneau et cette personne c'était Bilbon... Ne sachant pas qu'il était venu finir sa vie chez les elfes et si jamais l'ennemi mettait la main sur lui avant Aragorn et Gandalf... Tout mènerai le mal en Comté...
- Vous avez bien fait de venir, commence Elrond en s'adressant à Gloin. Je vous invite à rester ici, Bilbon est déjà entre ces murs et nous assurons sa protection. Par mon savoir, je sais que le peuple nain n'est pas le seul à avoir rencontré ce messager noir et cela me laisse à penser que les heures sombres sont à notre porte.
- Aragorn et Gandalf ont-ils trouvé Gollum ? je demande.
- Là est tout le problème... dit Elrond. Ils l'ont trouvé et fait emprisonner en Forêt Noire. Gandalf a interrogé la créature, et ainsi confirmé que l'anneau que possédait Bilbon était bien celui que le Seigneur des ténèbres cherchait. Mais ce n'est pas tout, il dit également avoir été fait prisonnier du Mordor, et leur avoir révélé où était l'anneau...
- Non...
- Les derniers mots de Gandalf disaient que la Comté était surveillée.
- Seigneur Elrond, nous devons aider les Hobbits à se défendre, lance Glorfindel.
- Cela n'est pas nécessaire, le porteur de l'anneau est déjà en chemin et Aragorn avec lui pour le mener ici en lieu sûr. Laissons-les avancer, la discrétion est de mise... En revanche, je n'ai pas de nouvelle de Gandalf depuis un bon moment maintenant....
- Quoi ?
- Aux dernières nouvelles, il devait se rendre en Isengard pour prendre conseil auprès de Saroumane le blanc. Mais je n'ai aucune nouvelle depuis ce mot.
J'étais tendue, la situation était hors de ma portée et Elrond désirait que je reste ici à surveiller les frontières au lieu de rejoindre Aragorn pour protéger leur chemin. Il semblait qu'ils devaient rejoindre Bree et attendre Gandalf là-bas après un arrêt en Isengard. Mais quelque chose me tracassait sans savoir pourquoi...
Gandalf aurait forcément donné des nouvelles à Elrond après un entretien avec Saroumane. Pourquoi restait-il silencieux ?
Les jours défilaient, les uns après les autres, nous n'avions pas trouvé d'orc aux alentours de Fondcombe et cela me semblait bizarre. Je regardais les collines dans le soleil du matin, la nuit avait été calme et reposante. Aujourd'hui était la fin de ma semaine de garde et je devais simplement rentrer. Alors que je perdais mon imagination dans les suppositions d'où pouvait bien se trouver Aragorn à cet instant et de pourquoi je ne pouvais simplement pas partir sans rien dire pour le retrouver, un bruit de sabot me parvint. J'ai tiré Laureline en voyant loin sur ma droite un cavalier galoper à la hâte.
- On y va, j'ai murmuré à Liméas.
Une fois à quelques dizaines de mètres de lui, je voyais qu'il n'avait pas l'allure de l'ennemi. C'était un homme, il portait une grande lame sur son côté et un large bouclier dans le dos. Mais Elrond avait été clair, les espions étaient nombreux et le cœur des hommes depuis longtemps corrompu.
Il me repéra, ralentissant son allure en me voyant arriver à toute vitesse sur lui. J'ai mis en avant Laureline lui signifiant de loin qu'il était loin d'être tiré d'affaires avant de m'arrêter à quelques mètres.
- Je ne vous ferai rien ! Il hurle quand je m'approche, lame dehors en face de lui.
- Vous avez pénétré sur les terres du Seigneur Elrond. Veuillez faire demi-tour avant que je ne vous tue.
Il regardait Laureline avec de grands yeux surpris. Sa main s'est rapprochée de sa lame dans un tremblement réflexe, mais il l'a retirée pour montrer la véracité de ses mots.
- Je... Je suis le Seigneur Boromir, fil de Denethor intendant du Gondor. Je suis porteur de sombres nouvelles qu'il me faut faire part au Seigneur Elrond en toute hâte.
Je l'ai dévisagé.
- Nombreux sont ceux qui tiennent ce discours. Je suis la gardienne de ses frontières, mes ordres sont de ne faire confiance à personne.
- Madame, je vous en supplie, je ne suis qu'un homme en quête de réponse... J'ai voyagé des mois entiers en cherchant désespérément Fondcombe sur ces terres sans succès, vous êtes mon seul espoir...
Je baissa la lame, son cheval était plus que fatigué et ses traits indiquent bien un long voyage. Ses vêtements étaient plutôt riches et d'une belle coupe, avec les armoiries du Gondor comme il venait de le dire. J'ai hésité, mais me suis vite ravisée, car au pire, c'était un espion et dans ce cas un seul mouvement me suffirait pour lui couper la tête.
- Bien. Suivez-moi.
J'ai rangé Laureline dans mes reins en lui indiquant de me suivre sans histoire. Il me suivit en silence, il semblait fatigué et las.
- Vous n'êtes pas une elfe, je me trompe ?
Je l'ai regardé surprise.
- Non, en effet.
J'avais répondu froidement, ne souhaitant pas rentrer dans cette conversation. Après deux heures de voyage silencieux, nous sommes arrivés à Fondcombe.
- Je n'aurais jamais trouvé cette cité à moi seul.
- Imladris est impossible à trouver si l'on ne connaît pas les chemins secrets.
- Vivez-vous ici Madame ? Il demande poliment.
- Depuis longtemps oui.
- Pourquoi une humaine vivrait parmi les elfes ?
- Pourquoi poser autant de questions, mon Seigneur ? Cela pourrait facilement me faire revenir sur mon choix de vous laisser en vie.
Je m'engouffrais sur le pont et il m'a suivi sans répondre. Une fois arrivé, la garde a encerclé l'homme et Elrond apparut derrière eux, comme s'il attendait cette visite. Je ne comprendrais jamais cet elfe, il était impossible de le surprendre...
- Je suis ravi de vous voir Seigneur Boromir du Gondor. Je vois que vous êtes tombé sur Maliha, vous avez eu de la chance qu'elle ne vous prenne pas pour un espion.
- Je sais reconnaître les armoiries du Gondor Elrond... dis-je avec humour.
- Je dois bien avouer qu'être frappé par une telle lame m'aurait sans doute coûté la vie, dit l'intéressé.
- Que venez-vous faire à Fondcombe ? Cela fait longtemps que notre dialogue avec les gens du Gondor a été coupé.
- Mon Seigneur, si cela ne vous dérange pas, j'aimerai discuter de cela en privé.
Elrond obtempéra à sa requête et une fois l'homme débarrassé de ses effets, nous nous étions dirigés vers la bibliothèque. C'était un homme plutôt grand, le Boromir, fort et gracieux. Son port de tête me paraissait un peu trop fière, mais je n'avais jamais croisé de Gondorien avant ce jour. Une coupe de cheveux courte, les cheveux châtains, de grands yeux verts, une mâchoire de chevalier et une petite barbe propre de trois jours. Agréable à regarder, mais pas du tout mon genre... Et puis ce port de tête... Le narcissisme, très peu pour moi, me dis-je en le voyant ranger ses cheveux en arrière d'un geste nonchalant.
- Parlez Boromir, ne craignez rien en ces murs.
Il se tourna pour me regarder et j'arqua un sourcil en croisant les bras.
- Cette femme... il commença, mais vite coupé par Elrond.
- Maliha est une habitante de Fondcombe, cette cité est sous sa protection, parlez sans crainte.
Il me lança encore un regard méfiant pendant quelques secondes, puis parla.
- Bien...
Il baissa la tête avant d'afficher un visage de tristesse. J'ai froncé les sourcils, ne m'attendant pas une seule seconde à voir ce visage-là apparaître devant nous. Il était désespéré...
- Nous avons perdu Ithilien... Nous avons été balayés par une armée composée d'orcs, mais aussi de Ceux de l'Est et des Haradrim.
Il prit l'arête de son nez en soupirant, ravalant la terreur de ses mots qui refusaient de sortir.
- Mais il n'y a pas que ça... Si l'armée en question avait été composée que de cela, je crois que nous aurions pu tenir... Mais, il est venu des profondeurs du Mordor des chevaliers aussi noirs que la nuit... Les hommes sont devenus fous, les uns après les autres. Nous avons perdu Osgiliath, mais nous avons tenu les rives d'Anduin, peu de guerriers du Rohan sont venus, mais nous avons réussi à ne pas leur laisser ça...
- Je vois de sombres nouvelles, en effet, mais Boromir avec tout le respect que j'ai envers votre peuple, vous devez comprendre que mes forces ne sont pas en mesure de vous aider à reprendre Ithilien.
- Je ne demande pas cela mon Seigneur, je suis venue, car mon frère et moi avons tous les deux fait le même rêve.
- Un rêve ?
Je plissai des yeux, alors que Glorfindel entra doucement à ce moment-là. Il me demanda à l'oreille pourquoi un Gondorien se tenait devant Elrond et je lui ai fait un topo rapide auquel il pencha la tête en signe d'approbation en croisant les bras.
- Dans ce rêve, le tonnerre grondait à l'est dans une obscurité persistante, mais une lumière à l'ouest semblait m'appeler. Elle m'a crié de chercher l'épée brisée et qu'elle se trouvait ici. Que le fléau d'Isildur se réveillera et qu'un Semi- Homme se dressera. Mon père nous indiqua à mon frère et à moi, qu'Imladris était votre demeure. Je me suis chargé de faire ce voyage et j'ai erré à la recherche de votre maison. Ma recherche a pris fin en rencontrant votre garde-frontière.
- Ce rêve semble en effet du destin. Restez ici et reposez-vous. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus, mais vous trouverez bientôt réponse à vos questions.
Après Bilbon, les nains, voici que l'on accueillait un homme, du Gondor qui plus est. Les choses prenaient une tournure bien singulière et Glorfindel était de mon avis. Boromir ne sortait que rarement de sa chambre, les elfes disaient qu'il dormait beaucoup et que le long voyage l'avait épuisé. S'il venait en effet du Gondor et avait tourné autour des frontières depuis des semaines, il devait l'être, je me demande même comment il ne s'est pas écroulé en arrivant.
Il nous indiqua que Gandalf était passé à Minas Tirith, cherchant visiblement des informations sur le passé du Gondor. Mais ces informations datent d'il y a plus de dix ans... Pour moi, c'était hier, mais pour Boromir c'était une éternité et ses souvenirs étaient confus et lointains.
- L'heure approche Maliha, me dit Glorfindel ce matin-là.
- L'heure de quoi exactement, on ne fait rien d'autre qu'attendre.
- Tu as toujours manqué de patience...
- Glorfindel, tu le vois bien toi aussi non ? Qu'attendons-nous donc ? Que toute la terre du milieu vienne passer un séjour à Imladris ?
- Peut-être bien...
- Je ne comprends pas Glorfindel, pourquoi ne faisons-nous rien !
- Maliha... Laisse les choses faire, le destin te rattrapera bien assez tôt.
- Le destin ?! Il est où le destin hein ? Regard le Mordor a déjà déclaré la guerre au Gondor, les nains sont à deux doigts de se faire tuer et Estel est quelque part avec le porteur de l'âme de notre ennemi ! Je fous quoi ici ?!
Il me regarda surpris, alors que j'avais frappé durement mon poing sur la table.
-Nous sommes tous dans l'attente Maliha, ne va pas croire qu'il y a que toi qui trépignes ! Moi aussi, je vois le mal se répandre, peut-être même plus que toi !
Il fronça les yeux, je pouvais y lire qu'il était dans le même état que moi, à la différence qu'il le cachait bien.
- Je sais que tu es inquiète, je le suis également. Mais nous ne bougerons pas tant que la situation ne sera pas claire.
- Claire ? Je crois qu'elle est suffisamment claire non ?
- Vous les hommes êtes tellement pressés.
- Et vous les elfes tellement lent !
J'ai pris une miche de pain et de la confiture en allant voir Bilbon. Déterminée à partager ma vision de l'avenir avec lui plutôt qu'avec les elfes... J'étais à cran, plus le temps passait et plus cela m'énervait de voir les murs de Fondcombe autour de moi... J'ai continué ma route abandonnant Glorfindel sans me retourner. J'ai cherché Bilbon, mais j'ai finalement croisé Gloin fumant sa pipe sur une terrasse. J'ai déposé mon pain et le reste sur la table.
- Une fringale Maliha ? Il est dix heures passées, vous savez !
- Je mange beaucoup.
- Encore une chose qui n'a pas changé ! Ha ha ! !
- Comment se passe ce séjour Gloin ?
- Ma foi, ça pourrait être pire... J'ai juste peur pour l'avenir de mes enfants, un peu plus chaque jour...
- Nous ferons ce qu'il faut, j'ai été appelé pour ça après tout.
- Et je sais que vous ferez le maximum Maliha, mais je l'ai vu, ce cavalier noir, vous savez... C'est comme si la vie m'avait quitté, je ne sais pas comment Dain a pu tenir face à lui, comment il a pu garder la tête haute. Sa voix, cette voix, elle était comme... sortie des enfers.
La panique du nain traversait son visage alors que je voyais les souvenirs passer dans ses yeux. Si mon instinct disait vrai, alors je les avais déjà rencontré... Cette fois-là, à Dol Guldur. Ils n'étaient pas drapés de noir dans mes souvenirs, peut-être avaient-ils pris une autre forme, une forme plus réelle.
- Je suis certain que nous arriverons à mener cette aventure à bien, lance un Bilbon tout sourire en nous rejoignant. Comme toutes les autres ! Ne perdez pas espoir Gloin, c'est justement ce que notre ennemi veut.
- Vous avez raison mon ami, dit le nain souriant derrière sa barbe.
- Bilbon, je vous cherchais, c'est l'heure du second petit déjeuner.
- Bénis soit les Valars et votre confiture Maliha !
Nous étions restés à cette table, bientôt rejoints par Gimli à qui Bilbon et Gloin racontèrent une énième fois leur aventure conjointe. Mais au fond, je ne me lassais pas d'entendre cette histoire. Il fallait dire que Bilbon était un compteur merveilleux.
- J'ai vu votre lame la dernière fois. Lors de votre entraînement avant-hier matin. Ce n'est plus la même qu'autrefois.
- Non, celle-ci a été forgée par les elfes de Lórien.
- C'est une arme impressionnante, lance Gimli. Et puis vous la maniez avec brio.
- Merci Gimli, dis-je tout sourire.
- Madame, êtes-vous vraiment un titan ?
- Gimli, cela ne se fait pas ! Puis je te l'ai déjà dit, Maliha est une fille d'Illuviné.
- Mes excuses Madame.
- Ce n'est rien...
C'était quand même agréable d'avoir de la compagnie autre que les elfes. Rare était mes rires avec les elfes, du moins beaucoup moins fréquents. Ils étaient toujours trop sérieux, toujours avec ce visage parfait, rien n'arrivait par hasard avec les elfes. Gloin, son fils et Bilbon ont écarté ma solitude et seuls les Valars savaient à quel point j'avais besoin de ces moments-là parfois. Pas que je n'appréciais pas les moments avec Glorfindel ou Arwen, voir même Elladan, mais ceux-là n'avaient rien à voir. Ils étaient dans l'instant présent, loin de l'éternité et de sa lenteur, beaucoup plus spontanés.
J'étais encore jeune et les elfes avaient tendance à m'emmener vers cette éternité. Je ne sais pas vraiment si j'en avais envie... Car pour moi, elle signifiait la solitude. Les elfes donnaient l'impression d'être loin du présent, comme si les instants n'avaient aucune signification pour eux. Dans mon monde, l'instant présent était devenu une chance d'être vécu, car pour chacun d'entre nous, nous savions que c'était peut-être le dernier. Nous avions appris bien trop tard à vivre dans l'instant, de faire attention aux moments de calme, à ces petits moments où l'on se sentait finalement vivant.
Savourer un coup de vent, savourer un goût particulier, savourer le rire d'un ami. Je sais que les elfes étaient attentifs à tout ce qui les entoure, comme si c'était devenu des événements automatiques pour eux, trop communs. Ils passaient au-dessus d'eux, comme l'eau qui glissait sur du verre, ils en percevaient la nature, mais la laissait passer, l'observant attentivement sans en être affecté pour autant.
Je regardais le plafond de ma chambre en pensant à tout ça... L'âge m'avait appris à rentrer dans des réflexions bizarres, proche du non-sens. La nuit était douce pour le début d'un mois d'octobre et le vent faisait voler les rideaux doucement sans un bruit.
Je savais que j'allais encore m'entraîner dans un cauchemar cette nuit, que j'allais encore voir les corps sur le sol, inerte. Ils n'étaient jamais vraiment partis. En même temps, peut-on vraiment s'habituer à la guerre ?
Il y a eu un bruit sourd. Je me redressai vivement, mais le silence était revenu comme si de rien n'était. Je restais sans bouger encore un instant, avant d'entendre la voix de Glorfindel hurler je ne savais quoi et me lever en vitesse pour courir vers le balcon de ma chambre.
Un aigle. Un grand aigle passa devant moi dans un bruissement d'aile léger.
- Appelez le Seigneur Elrond, il a besoin de soin ! Vite ! hurle Glorfindel.
J'avais rapidement enfilé un kimono avant de sortir en trombe de ma chambre et mis mes balerines entre deux foulées. Quelque chose au fond de moi me disait que c'était important, que quelque chose de bien plus grave encore qu'un blessé était arrivé. J'arriva finalement devant le pont pour voir Glorfindel tenant Gandalf par le bras, le magicien semblait épuisé, faible et dans un état pitoyable.
- Glorfindel...
- Que se passe-t-il ?! Cria Elrond en arrivant derrière moi.
- Les aigles viennent à peine de le déposer.
- Je vais bien, je vais bien. Seigneur Elrond, nous devons faire vite, Frodon et les autres sont en danger.
oOo
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