« Je trouve que l'expression "être dans la merde" n'illustre pas vraiment la description de l'évidence que le futur s'annonce merdique. Quoi que nous restions dans le même registre, n'est-ce pas ? »

Moi (paroles d'Hella)

Les Laga. Que savais-je d'eux au final ?

D'après les rumeurs, il s'agissait d'une descendance qui avait accueilli de terribles sorcières. Et comme pour illustrer leur monstruosité, Strix avait rapidement énoncé un crime commis par Jalil, celui qui avait fait de moi ce que j'étais aujourd'hui. Une sorcière nulle à chier.

Tout ce que je connaissais des Laga n'était que ces rumeurs entre sorcières. Et encore, il était plus que probable que la totalité de leurs histoires ne m'ait pas été contée. Mais Hunter, un loup-garou, un Alpha, que savait-il de cette descendance ? De ma descendance ?

Dressé au-dessus de moi, il attendait seulement que je réponde à sa question.

« Tu es de la descendance Laga, n'est-ce pas ? », voici ce qu'il m'avait demandé. Que lui révéler ?

Après tout, il était un loup-garou. J'avais pu être témoin de son côté « animal ». Il était certain que son espèce était au moins aussi dangereuse que ce que m'en avait présenté Strix. Alors en sachant que j'étais seule, dans une chambre ressemblant à la mienne, avec un Alpha, que répondre à cette fichue question ?

Un « Oui » aurait été la vérité. N'aurait-ce pas été pour autant quelque peu suicidaire ? Après tout, ce gars m'avait bien menacée précédemment. Lorsqu'il aurait tout pris de moi, il me tuerait. Et franchement, la mort ne faisait pas partie de mes projets d'avenir proche.

Mais un « Non » ne m'apporterait-il pas un prolongement inutile et tortueux avant l'inévitable ?

Un haussement d'épaules, surtout pour moi, Hunter sembla croire qu'il s'agissait de ma réponse pour sa question.

— La question est relativement simple, Hella. Quelle est ta descendance ? Peu importe que ton identité ne soit pas complète, mais tu descends forcément de quelque part.

— Qui sait vraiment ? Peut-être que je suis une sorcière depuis la naissance.

— Oui, ça existe. Mais tu aurais tout de même eu besoin d'un sorcier pour te permettre de devenir une sorcière.

— De quoi parles-tu ?

— Tu es une sorcière et ton Mage ne t'a rien expliqué de ton espèce ?

Et c'était un loup-garou qui allait me l'expliquer, n'est-ce pas ? Franchement, il y avait des choses importantes que ma grand-mère devait me raconter.

Hunter s'assit calmement à côté de moi qui restais allongée, repliant les genoux.

— Je n'arrive pas à croire que tu ne saches rien de ta propre espèce.

— Je ne connais ce monde de magie et de trou duc' que depuis quelques jours. N'exige pas de moi l'impossible non plus.

— Très bien, je vais devoir t'expliquer.

— À vrai dire je ne vois pas pourquoi tu t'embêterais puisque tu me tueras juste après.

— Il est possible que je te garde vivante donc ne me tente pas.

— Sérieux ?

Il roula des yeux, se forçant à ne pas soupirer avant de poursuivre.

— Bien, tu n'es pas sans savoir que pour devenir une sorcière il te faut un radix.

— Yep, ça c'est bon. Je l'ai mangé.

— Mangé ?

— Oui, c'était un bonbon.

— Ce n'est pas très... commun. Habituellement, cela se transmet par quelque chose de plus spirituel.

— Tu peux être encore plus vague ?

— Ce n'est pas vraiment descriptible, mais cela ne se fait pas au travers d'un objet. Enfin, tu es tout de même devenue une sorcière alors je suppose que c'est possible.

Il parut réfléchir un instant et je fus obligée de le réveiller d'un claquement de doigts devant les yeux. À ce geste, il se saisit immédiatement de ma main avec une vitesse qui me fit hoqueter de surprise.

— Les sorcières et les sorciers s'unissent entre eux. Encore aujourd'hui, les mariages arrangés ne sont pas rares pour conserver la pureté du sang sorcier dans les veines des nouvelles générations. Mais par le passé, cela engendrait des sorciers à la magie instable et à la santé fragile. Et à mesure que le temps passait, ces sorciers perdaient leur pouvoir. Alors le Convent fut obligé de rétablir l'évènement du Radix fons. Un Mage confiait une part de sa magie en son apprenti. Cette énergie apporte la stabilité et l'équilibre chez les enfants de sorciers et transforme ceux qui ne sont que de simples humains.

— Wouah, alors je suis une sorcière pure qui appartient à la descendance Laga, lâchai-je en comprenant que Jalil m'avait peut-être permis de ne pas avoir un destin de jeune fille fragile.

Mais il y avait quelque chose qui me chiffonnait tout de même dans les explications du loup-garou. Il expliquait que ces enfants de sorciers possédaient une magie instable. Pourquoi n'avais-je jamais exploité la magie par le passé ?

« Ouais bah, tu viens tout juste d'apprendre que ta mère était une sorcière et elle ne t'en avait jamais parlé avant. Donc si ça se trouve elle t'a fait perdre la mémoire ou... quelque chose dans le genre. Je n'y connais rien en magie. »

— Tu es donc bien une Laga. Est-ce naturel ?

— Naturel ? Non, je n'ai aucun parent venant de la branche directe des Laga si c'est ta question.

Du moins, je ne le pensais pas. Maintenant que je savais que ma mère était une sorcière, qui sait ce que mon passé pourrait me révéler sur mes origines ?

— J'aurai une dernière question, Hella.

— Non.

— Non ?

— J'ai vraiment besoin de manger.

— Si tu réponds à ma question, je te laisserai repartir. Michael te ramènera au campus.

— OK, ça marche.

— Dans ton Mani, as-tu remarqué la présence de beaucoup d'objets ? Des artefacts anciens ?

— C'est possible.

Il se leva, sortant de la chambre. Cet enfoiré ne comptait pas tenir sa promesse !

Mais au lieu de m'enfermer, il revint avec une sucette qu'il me lança. De la violette !

— Je t'aime Hunter !

— Tu es une sorcière facile à amadouer.

— Je sais.

Il s'approcha de moi qui prenais déjà le bonbon en bouche, heureuse de sentir le sucre anesthésier ma langue, couler dans ma gorge par le biais de ma salive. Puis sa main se tendit, plaçant un drôle d'objet devant moi.

— Un attrape-rêve, donna-t-il pour toute explication en me voyant avec un air interdit.

— Merci Sherlock, j'avais bien vu. Pourquoi tu me donnes ça ?

— Parce que même si les légendes autour de cet objet sont multiples, il demeure un objet protégeant les rêveurs. Toutes créatures se méfiant des sorcières en possèdent au moins un. Il piège ceux qui voudraient pénétrer les rêves du dormeur. Place-le au-dessus de ta taie de lit et il te protègera des Trompeurs. Tu sais ce que sont les Trompeurs ?

— Oui, des sorciers rentrant dans les rêves et pouvant aussi entrer dans les Mani du coup.

— Je ne pense pas que tu puisses encore connaitre les moyens pour protéger ton domaine alors je te donne ceci pour t'aider. Considère ça comme un présent pour une promesse que tu vas me faire.

— Laquelle ?

— Ne fais confiance à personne, et encore moins aux sorciers.

— Sauf à toi, c'est ça ?

— Non, pas même en moi. Je désire également beaucoup de toi.

***

Comme promis, je fus reconduite au campus par Michael. Mais entre lui et sa voiture qu'il avait changée pour une berline – très certainement celle de son frère – disons que mon arrivée ne fut pas des plus discrètes.

De nombreux regards se posèrent sur nous, ou plutôt sur moi.

« N'y prête pas attention. »

Surtout ne pas y prêter attention. Pourtant mon regard se posait sur chacun de ces crétins qui ne pouvaient s'empêcher de laisser transparaître leurs pensées sur leurs visages. Et ces auras de couleurs qui vacillaient à m'en donner des nausées...

— Hella, m'appela Michael.

Je me tournai vers lui, sortant de la voiture.

— Fais attention à toi.

— Le grand méchant loup s'inquiète pour la méchante sorcière ?

— Mon frère m'a raconté que tu étais une Laga. Avec Oanelle on va essayer de veiller sur toi, mais en territoire sorcier tu seras seule.

— Merci mon chou à la crème, mais je suis une grande fille, et bientôt je serai la plus puissante des sorcières du monde.

— Tu le prends pour un jeu, mais ce monde est dangereux. Les armes et les défenses que ta vie humaine t'a permis de créer ne te serviront à rien ici. Alors, apprends rapidement tout ce que tu peux sur ce monde si tu ne veux pas perdre très vite dans ton gameplay pourri.

Quelques personnes s'approchèrent de nous, et Michael décida de repartir pour aller trouver une place où se garer. Ce qui ne fut pas difficile étant donné que certains de ses amis se tenaient debout sur une place pour la réserver à ce dernier.

— C'était bien Michael ? me demanda soudain une fille du petit groupe qui avait surement fait fuir Michael.

La personne qui me parlait était une jolie brune avec un sourire charmeur qui était sincère, certes, mais possédait quelque chose d'étrange. Les menteurs se reconnaissaient entre eux.

Alors à mon tour je leur souriais à pleines dents.

— Oui.

— Est-ce que ça va ? s'inquiétèrent les autres filles du groupe. Michael est un garçon violent. Il ne t'a pas fait de mal au moins ? Parce qu'il ne faut surtout pas rester passive Hella.

Si je connaissais ces filles ? Pas du tout. Mais à dire vrai je ne connaissais personne à l'exception faite de Strix et de quelques têtes à l'occasion. Le campus était grand, les étudiants nombreux, et si je commençais à retenir le nom de toutes les personnes qui m'abordaient je n'étais pas prête de m'en sortir.

— Je vous assure, il ne m'a rien fait. Il est vrai qu'il lui est arrivé de hausser la voix sans raison, mais il a juste eu pitié de moi en me voyant marcher et il m'a proposé de m'emmener puisqu'il était sur le chemin de l'université.

— J'espère que tu n'as pas d'ennuis avec sa famille. Il parait que ce sont des mafieux.

— Et comme tu trainais avec Oanelle ces derniers temps...

Ouais, trainer avec des loups-garous allait salement amocher mon image.

La fille brune passa un bras sous le mien, m'attirant à elle.

— Ne t'en fais pas Hella, tu n'es pas seule. Si tu as des problèmes, nous t'aiderons.

Mais quelque chose n'allait vraiment pas avec elle.

— Je m'appelle Thérésa. Thérésa Dubois.

— Elle est originaire de France, comme toi, expliquait ses amies.

Et en la regardant mieux, je compris ce qui n'allait pas avec Thérésa. Ses yeux brillaient, luisaient d'un rouge rubis alors que de ses lèvres écarlates s'échappaient du sang. Son sourire révélait l'horreur de dents pointues à la place d'une dentition humaine que l'on aurait pu voir. Une image cauchemardesque qui s'effaça tout aussi vite. Je reconnaissais bien là cette vision étrange que le bonbon de Jalil m'avait permis de pouvoir user.

— Tu es...

Je fus stoppée par la main de Thérésa qui se posait sur ma bouche pour m'empêcher de parler.

— Désolé les filles, mais j'ai des trucs à faire avec Hella.

— Roh Thérésa, t'es pas sympa de nous faire des cachotteries.

— Je sais, à plus tard.

Et le petit groupe s'éloigna. Thérésa me relâchait, faisant voler ses cheveux ondulés derrière elle avant de passer ses doigts à la manucure parfaite dans des mèches splendides à la manière d'une pétasse que j'aurai voulu rabaisser, mais bon, il m'arrivait d'être gentille aussi.

— Fascinant, s'exprima-t-elle. C'est la première fois que je rencontre une sorcière adulte avec un don oraculaire.

— Un don quoi ?

— Oh, tu ne sais pas ce que c'est ?

Ses doigts se retiraient de ses cheveux tandis qu'elle posait l'un de ses ongles pointus sur mon torse, le laissant glisser pour tirer mon haut, révélant ma marque qui avait grossi apparemment.

— Pourtant c'est ce que tu es, non ? Une sorcière ayant un don naturel pour voir ce qui est caché, ce qui n'existe pas ou plus.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, vampire.

Ses yeux pétillèrent avant que son visage monstrueux ne m'apparaisse de nouveau. Me voyant réagir à cette vision elle sautilla sur place.

— J'adore ta réaction. Bien que te voir terrifiée m'aurait davantage fait plaisir. Il n'y a que les personnes avec un don oraculaire qui peuvent me voir comme je suis réellement. Enfin, si je me transforme, tout le monde pourra le voir.

— Sérieusement, après les loups-garous qui me donnent des cours sur l'Histoire de la sorcellerie, c'est au tour d'une vampire de m'en apprendre un peu plus.

— Alors la rumeur est vraie. Tu es la dernière Laga ?

— La rumeur ? Hé ho, n'invente pas des trucs comme ça.

— Je n'invente rien. Les rumeurs dans notre monde vont très vite. Les fantômes voient tant de choses et s'ennuient tellement qu'ils balancent tout ce qu'ils voient et entendent.

Hier, des loups-garous. Aujourd'hui, un vampire. Demain ce serait quoi ? Un Yokai ?

— Hell ! hurla une voix rassurante.

Strix courrait presque pour se placer devant moi, se saisissant de ma main au passage pour me garder tout contre elle tandis qu'elle était occupée à fusiller Thérésa le vampire du regard.

— Tu es un vampire. J'ai pu reconnaitre ton odeur putride, accusa-t-elle avec une haine sur le visage tandis qu'elle la décrivait de ses yeux furieux.

— Une autre sorcière ? Je suis servie aujourd'hui.

Puis les amies de Thérésa l'appelèrent.

— Je vous laisse les Hex Girls.

Et elle repartit comme si de rien n'était. Même Strix ne paraissait pas comprendre ce dont elle avait été témoin.

— Déjà qu'avec les loups-garous ta grand-mère était inquiète. Mais maintenant un vampire au campus ? Il y a de plus en plus de diversité ethnique ici, ce n'est pas bon signe.

— C'est bien la mixité, non ?

— Non, ça ne l'est pas. Là, nous ne parlons pas de la race humaine, Hella. Nous parlons de monstres qui sont dangereux. Et si chacune de ces espèces possède des règles qui leur sont propres, ensemble c'est l'anarchie totale.