Chapitre 23
« La chouette effraie la nuit, et le jais se moque de ta terreur. Il ne s'agissait que du salut d'un coucou. »
Moi (paroles de Strix)
Parfois, l'envie de tout plaquer pour simplement m'enfuir me prenait.
Parfois, l'envie de sourire à la vie pour enfin la vivre m'envahissait.
Parfois, ce désir de laisser de côté ce que le passé avait fait de moi me déchirait.
Et à chaque fois les mots de ma mère me revenaient à l'esprit, me ramenant à la réalité difficile que dans la vie survivre comportait des sacrifices. Être forte alors même que l'on voudrait hurler de douleur et pleurer de chagrin. Ne pas tomber parce que cela n'était pas permis. Et avec un sourire aux lèvres pour ne révéler aucune autre émotion sur ton visage que le mépris envers ton ennemi et la sympathie envers l'innocent. La justice n'existait pas, ici ne subsistait qu'une loi. Celle du chacun pour soi.
Ma mère m'avait prévenue. Il n'y aura jamais d'ailleurs.
— J'ai aussi rêvé d'un autre monde plus jeune, me confia ma grand-mère. Lorsque l'on me parlait de sorcellerie, j'y voyais l'occasion d'être différente et d'aider les gens. Puis j'ai fait face à la réalité.
Elle sirotait son thé avec une tranquillité agaçante.
— Si tu veux vivre en paix dans ce monde, tu dois être puissante. J'ai créé mon coven et suis devenue un Mage.
Strix se tenait debout, adossée à un mur, le menton pointant vers le sol. Et moi ?
Disons que je n'étais pas très fière de ce qu'il m'arrivait. On m'avait tellement prévenu qu'être une Laga m'obligeait à me méfier de tout et de tous que finalement je pouvais presque entendre Oanelle rire de moi, Michael me murmurer « C'est bien fait » et Hunter soupirer pour mon cas désespéré.
Mon voyage jusque chez ma grand-mère n'avait pas été trop difficile. La sorcellerie offrait des avantages certains lorsqu'on prenait le temps de poursuivre sa formation d'apprentie sorcière. Mais après quelques tentatives, ma magie n'étant apparemment toujours pas revenue, j'avais simplement pris un taxi. Plus cher et plus lent, il avait au moins le mérite d'amener à destination. Seulement, si je m'étais attendue à des étreintes chaleureuses ou ne serait-ce qu'une prise de tête entre ma grand-mère encore furieuse de mon maudit choix d'être une sorcière solitaire et mon entêtement légendaire, la réalité avait été tout autre.
— As-tu lu les livres que je t'ai confiés, Hella ?
Elle se tourna vers moi qui tentais en vain de m'étirer sur ma chaise. Les cordes serrées m'empêchaient de bien bouger.
— Pour la plupart.
— Sais-tu ce qu'il se passe lorsqu'une sorcière quitte son convent ?
— Elle devient une sorcière solitaire ?
— Quelle naïveté.
Elle laissa sa tasse, son regard se posant sur moi. Strix lâcha un grognement, les yeux clos alors qu'elle décidait de partir, incapable d'assister à ce qui suivrait. Une suite que je connaissais parce que j'avais bel et bien lu les bouquins de ma grand-mère.
— Mamie, tu vas vraiment faire ça ?
— Non, bien sûr que non. Tu es de la famille et je t'aime, Hella. Donc je t'offre la possibilité de retourner dans le coven.
— Tu peux toujours courir.
Un soupir lui échappa.
— Tu es têtue. Pourquoi avoir quitté le coven ? Je suis vraiment inquiète maintenant, je n'arrête pas de me faire du souci pour toi, à t'imaginer éventrée par un loup agressif, égorgée par un vampire affamé, déchiquetée entre les griffes d'un berserker.
Si elle avait eu connaissance de ce que j'avais vécu ces derniers jours, elle serait mortifiée. Malheureusement, ma grand-mère me regarda dans les yeux. Et ce que je voyais n'était pas de l'inquiétude.
— Je suis différente de toi, grand-mère. Lorsque je suis rentrée dans ce monde, je ne voulais pas aider mon prochain, je n'y ai vu là que l'occasion de m'amuser et de profiter de tout ça pour moi-même. Et si j'ai eu peur des nouvelles menaces de ce monde surnaturel, j'ai aussi pris conscience d'une chose. Ce monde n'est pas si différent de celui des Hommes. À quelques paillettes près.
Mes mains dans mon dos ne pouvaient pas me détacher. Mais n'étant pas dénuée d'intelligence, je voyais la solution pour fuir.
— Mensonges, manipulations, tortures et menaces. Les créatures surnaturelles et les humains sont les mêmes.
— Je ne vois pas où tu veux en venir. Je suis en train de te demander de retourner dans le coven pour que je puisse te protéger à nouveau.
— Le problème grand-mère c'est que je suis une menteuse. Et entre menteurs, nous nous reconnaissons facilement.
Elle grimaça, se levant tout en brandissant sa baguette.
— Comme tu voudras. Si c'est le seul moyen de te protéger, alors qu'il en soit ainsi.
Lorsqu'une sorcière quittait son coven sans autorisation du Convent ou du Mage de son coven, la sentence était faite : soit le sorcier retournait dans son coven, soit sa sorcellerie lui était arrachée, bridée. En outre, il y avait un petit problème. Seul le Mage qui avait offert son radix fons le pouvait. Sinon, c'était la mort. Et à cette dernière option, seuls les Sièges avaient le droit d'effectuer une exécution.
Ma grand-mère n'étant ni l'un ni l'autre...
— Annette Voisin, Mage du coven des Forêts étranges, 7ème Siège. J'ai le droit et le devoir de punir une sorcière ayant trahi les lois de la sorcellerie en toute connaissance de cause.
Et merde.
« Réfléchis Hella, et vite ! », me mettais-je la pression pour trouver une solution afin de me sortir de ce merdier monumental dans lequel je venais de me fourrer. Dans tous les cas, j'avais aujourd'hui la preuve qu'être devenue une sorcière solitaire avait été l'une des pires et des meilleures de mes décisions.
— Je fais appel à un ami ! abattis-je ma dernière carte.
Ma grand-mère haussa un sourcil. Évidemment, elle ne comprenait pas la référence. Néanmoins, ma réponse était très sérieuse. Enfin, à demi.
— Et merde, Jean-Pierre n'a pas de pouvoir aux États-Unis, pestai-je alors.
Une lumière étrange apparut au bout de sa baguette et je fermais les yeux. Franchement, je n'aurai jamais cru ma grand-mère capable de me tuer.
La magie m'enveloppa, je pouvais la sentir sur moi. Il y avait pourtant un problème. Pas de douleur, je n'avais même pas l'impression d'être décédée. La mort était-elle aussi agréable ? Lorsque le frisson laissé par l'approche de la magie sur moi eut disparu, un rire retentit. Mes paupières s'ouvrirent.
Ma grand-mère était littéralement pliée en deux, complètement « PTDR ».
— Mamie ?
— Par tous les dieux, je n'aurai jamais pensé que cela t'irait aussi bien.
La corde aussi avait disparu, me laissant libre de voir mes mains dont l'état était abominable. Fripées. Je me levai rapidement, accourant vers le miroir le plus proche. À la vision de mon apparence, un cri d'effroi et d'horreur m'échappa.
— Qu'as-tu fait !? Je suis aussi vieille que toi !
Ne tenant même plus sur ses jambes tant elle riait, la maudite sorcière s'assit sur son siège alors que Strix revenait.
— J'ai tenté de la raisonner, je t'assure Hella.
— Strix, je suis vieille ! Et pire que tout, je ne suis pas une vieille sexy à la Victoria !
— Victoria ?
— Oui, dans RED, le film.
Elle haussa un sourcil, n'ayant pas la référence. Mais peu importait, même ma propre grand-mère était plus belle que moi.
— Pourquoi j'ai un nez crochu et une énorme verrue sur le pif ?
— Ta punition. Le livre que tu as lu datait. Les nouvelles règles sont différentes. Aujourd'hui, le Mage a le droit de donner la punition qu'il désire. Et puisque tu aimes les stéréotypes, j'ai fait de toi une vilaine sorcière.
— Non ! Rends-moi ma beauté ! Vieille, je veux bien, mais laide ? Pitié mémé... Strix, aide-moi.
— Elle ne t'aidera pas. Maintenant, débrouille-toi. La remise de diplôme est pour bientôt. Alors, plonge-toi de nouveau dans les livres et essaie de trouver un moyen d'inverser mon sortilège. Si tu le peux.
Quelle vieille bique !
***
Bien loin d'être sportive, Ruth préférait boire et porter plusieurs toasts durant le dîner. En apparence, elle ressemblait à la caricature d'une Anglaise distinguée. Mais en vérité ses origines demeuraient toutes autres. Et cela lui manquait. Heureusement que son Oscar connaissait tout d'elle, se faisant également passer pour un gentilhomme pour la soutenir dans son personnage. Pourtant en privé, tous deux redevenaient ce qu'ils avaient toujours été. Lui, un chasseur américain aimant lire et chasser, elle, une sorcière adorant créer de nouvelles potions et faire des pâtisseries tout en chantant dans sa langue maternelle.
Seulement, depuis qu'elle avait quitté les États-Unis, la sorcière n'arrêtait pas de bouger. C'était fou que dans un aussi petit pays qu'était la France elle ait eu autant à se déplacer que si elle s'était trouvée en Russie. Pas de décalage horaire entre ses voyages de région en région, de ville en ville et de forêt en forêt, mais la fatigue était bien présente.
Ruth avait une mission : Malaurie, la mère d'Hella. Enfin, ce n'était pas vraiment son nom. Les deux femmes changeaient d'identité assez facilement. Un problème rencontré ? Hop, nouveaux noms, nouvelle vie.
Elle avait cherché dans le cimetière où Malaurie avait été enterrée. Mais comme on aurait pu s'en douter, le cadavre de la femme n'y était pas. Pour la retrouver, elle avait décidé de reprendre le parcours de Malaurie et sa fille, leur cavale, ce qui avait demandé du temps et des efforts. Cela n'avait mené à rien. Raison pour laquelle elle se trouvait en forêt, avec ses talons et sa longue robe élégante. Si elle avait su que ce serait aussi difficile, elle aurait acheté d'autres vêtements.
Décidant de faire une petite pause, elle se posa contre un arbre. Son portable choisit ce moment pour vibrer. Avoir du réseau ici relevait d'un véritable miracle.
— « Tantine ? », appela Hella à l'autre bout.
— Que se passe-t-il sucre d'orge ?
— « Comment je fais pour redevenir jeune et jolie ? »
Jeune et jolie ? Que se passait-il en son absence exactement ?
— « Tu sais, mon plan Sorcière Solitaire ? Eh bien, ma grand-mère m'a punie. Je suis une vilaine sorcière du genre comme dans le film Hocus Pocus. »
Ah oui, le fameux « plan ».
Hella était une sorcière un peu étrange. Elle n'en demeurait pas moins intelligente. Consciente de sa nature de Laga, elle en avait eu tellement assez d'entendre à tout va des « Méfie-toi de ton prochain comme de la peste » qu'elle avait décidé de devenir une sorcière solitaire. Son but, bien que risqué, était simple.
Seule, elle savait que des créatures l'attaqueraient ou tenteraient d'autres projets obscurs. Mais surtout, elle espérait que le visage véritable de ses proches se révèle. Les amis voulant profiter des avantages d'avoir une Laga près d'eux se montreraient très amicaux et tenteraient par tous les moyens de la rallier à leur cause, voire à leur coven. Ils demanderaient des objets, ou des services. Certains agiraient « pour son bien ».
Mais pour une sorcière, il n'y avait qu'une créature en qui l'on pouvait avoir confiance : son familier. Pourtant, même ça se trouvait être compliqué pour Hella. Les renards pour familier, elle ne pouvait être sûre de rien. Et avec Loki comme familier proche...
La seule certitude que la jeune étudiante pouvait avoir envers ce dernier était que le rusé animal n'agirait jamais que pour la protéger. Seulement parfois, protéger une personne n'était pas forcément la bonne chose à faire. C'était parce que Ruth n'avait jamais été protégée par le passé qu'aujourd'hui elle était aussi débrouillarde.
— « Tantine, t'es toujours là ? »
— Oui. Du sang de miroir, du sang de cheval, du sang de...
— « Dis-moi juste quel baume prendre dans ton armoire de potion magique. Oscar m'a laissé entrer. »
— Oh, alors tu vois le petit pot Magic Ladies ?
— « Le truc pour les rides ? »
Ruth avait aussi ses soucis de beauté. Et les rides, même si elles revenaient à la mode grâce à des publicités humaines se voulant être l'image positive de demain, ne faisaient pas partie des traces qu'elle voulait posséder sur le visage.
— Induis-en sur ta marque de sorcière, laisse poser cinq minutes sous le soleil et rince. Attention, ne dépasse pas les cinq minutes.
Après quelques échanges brefs, Hella raccrocha et Ruth put retourner à ses occupations. Ses abeilles revenaient à elle avec de bonnes nouvelles. Prenant forme humaine, des triplets apparurent devant elle, un genou au sol et la tête penchée en soumission.
— Itza, Zam, Amna, les nomma-t-elle. Avez-vous des nouvelles ?
— Ma Reine, nous l'avons trouvé.
Redevenant des abeilles, ils guidèrent leur sorcière jusqu'à une église abandonnée. Avant même d'entrer, Ruth pouvait sentir sa puissance. Celle d'une sorcière capable de briser les règles naturelles et divines.
Elle poussa les portes de bois, pénétrant dans le lieu qui l'aspergea de l'odeur putride de la mort. Assise sur l'autel, entourée par des vautours de différentes espèces, dont certains ne venant pas de France, le cadavre en décomposition posa sur Ruth son regard vitreux. Un sourire s'élargit sur ses lèvres.
— Regardez qui nous honore de sa présence. Comment devrais-je t'appeler aujourd'hui ?
— Ruth.
— Eh bien, Ruth, si tu me disais ce qui t'amène à moi ?
— Je cherche un mort.
La femme descendit de son autel de pierre, un sourire révélant la pourriture de ses dents. Pourtant, dès qu'un rayon de lumière passait sur elle, l'apparence exposée au soleil paraissait magnifique.
Elle était la Nécromancienne, Katrina De Molay. Les nécromanciens, assez rares, étaient des sorciers peu appréciés, même des sorciers. Ils étaient... à part. Pour autant, ils pouvaient s'avérer être utiles. Ruth avait besoin du talent de la meilleure des Nécromanciennes. Autrement dit un sorcier De Molay.
— Ils me haïssent, me rejettent pour mes excentricités, mais dès qu'ils ont besoin d'aide, ils se tournent tous vers moi. La Nécromancienne. Et dire que les humains pensent avoir le monopole du racisme.
— Katrina, tu sais qui je suis. Et je n'aurai pas parcouru tout ce maudit pays pour te trouver et ainsi t'exposer si je n'avais pas eu une bonne raison.
Un vautour s'approcha de Katrina en sautillant. Elle posa sa main sur son familier le plus proche, caressant le sommet de son crâne. Les cheveux rêches et sales s'écartèrent de son visage squelettique tandis qu'elle inspirait profondément. L'illusion putride disparue pour laisser une femme seulement négligée d'apparence, un maquillage de crâne sur la face. Elle arracha une plume à son familier qui émit un cri de vautour, secouant des ailes comme pour supprimer sa douleur nouvelle.
Avec la plume, Katrina piqua Ruth dans un geste vif, léchant la goutte de sang recueillie.
— Puisqu'il est difficile d'atteindre l'âme, le sang est le seul moyen de l'effleurer. Et ton âme, Ruth, a un arrière-goût de sucré. Serait-ce de par tes origines maternelles ? Les sorciers Cassonade ont toujours aimé les pâtisseries. Ou bien, peut-être la puissance de ton géniteur oublié de tous ?
— Ne joue pas avec moi, Katrina. J'ai payé le prix, offre-moi tes services.
— Soit, qui souhaites-tu faire revenir d'entre les morts ?
Même ramené à la vie, un cadavre demeurait un cadavre. Son âme ne le réintégrait pas.
— La personne en question est déjà revenue d'entre les morts.
— Impossible.
— Un sortilège de lien. Elle est parvenue à revenir grâce à l'énergie d'une autre sorcière.
— Il faudrait que la sorcière utilisée soit très puissante.
— Pour mon affaire, peux-tu la retrouver ?
— Sans aucun doute. De qui s'agit-il ?
— Malaurie Doux.
Katrina haussa un sourcil.
— Son véritable nom.
Elle hésita, mais finalement, comprenant que sans la vérité Katrina ne pourrait rien faire correctement, elle céda l'information.
— Nastia. Nastia Smirnov.
— Hors de question.
— Katrina, je dois la retrouver.
— Cette femme... Elle est l'engeance d'un cauchemar.
— Moi aussi. Pour autant, tu ne me crains pas.
— Tu es seulement capable d'attirer les enfants perdus à l'aide de sucreries.
Que même Katrina ait peur... Ruth en était surprise. Mais elle avait une mission. Une quête. Elle devait arrêter Nastia dans ses projets égoïstes. Si cela commençait par l'éducation de sa fille, ça se terminerait par Nastia. Morte ou vivante.
— Je t'ai payé de mon sang, ne l'oublie pas.
Elle grimaça et lui sortit des « blah blah » de mépris avant de pester.
— D'accord. Mais si elle me tue, tu auras ma mort sur la conscience.
— Voyons Katrina, les sorcières n'ont pas d'âme. C'est bien connu.
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