Il était une fois, un royaume qui dominait la Vallée Scintillante des Ombres. Malgré la faune et la flore tout aussi épineuse que sauvage, un étonnant équilibre régnait entre les espèces. Humains comme dragons, licornes et autres farfadets vivaient en parfaite harmonie, et ce depuis des millénaires.

Comment était ce possible ? Cette question était bien légitime. La raison était pourtant simple, c'était à cause d'un magicien. Survivant d'une terrible guerre entre tribus, voyant les terres dévastées, les cœurs et les corps détruits, la vie périssant partout, il avait décidé de se sacrifier pour la paix. Usant alors de tous les sortilèges possibles et des magies les plus claires, il avait réussi. Grâce à sa puissance, il créa un arbre immense, doté de toute la magie du monde. Puis il y avait glissé son âme, quittant ainsi le monde des vivants avec l'assurance que celui-ci serait en sécurité.

Depuis, l'équilibre était maintenu grâce à la force des branches, à la souplesse des feuilles, à la liberté des oiseaux et des petits écureuils qui vivaient.

Les années passaient et les premiers paysans s'installèrent, bientôt rejoint par d'autres nomades en quête d'un nouveau peuple. Les toits poussèrent comme des pâquerettes. La vie fleurissait de jours en jours, et, quelques centaines de siècles plus tard, un royaume était né.

Malheureusement, un jour d'automne, l'arbre tomba malade. Évidemment, une telle nouvelle fut rapidement répandue dans toute la Contrée. On racontait que ses écorces devenaient grises, que ses feuilles tombaient et que bientôt, tous ses habitants serait contraint à quitter les lieux.

Le peuple s'inquiétait et la peur ne tarda pas à montrer le bout de son nez. Si jamais l'arbre du sorcier tombait, ce serait la fin de leurs vies paisibles et harmonieuses. Il fallait faire quelque chose.

Un jour, alors que l'heure était grave, le chevalier le plus réputé du royaume enfourcha sa monture sous le regard admiratif de plusieurs demoiselles. Déterminé, il fit un dernier signe de la main au peuple, puis partit du château au galop. Le chevalier devait rejoindre une petite ville au sud du royaume pour y retrouver le magicien le plus puissant du pays. Évidemment, bien des mages avaient tenté de guérir l’arbre, sans succès. C'était leur dernière chance.

Mais la route était longue et périlleuse. Le chevalier dut traverser bien des obstacles sur son chemin. Cette dangereuse aventure l’amena à se battre contre les plus viles des créatures et les plus cruels des hommes. En effet, tous ne désiraient pas le rétablissement de la paix, opportunité pour les plus lâches de prendre le pouvoir !

Son fidèle destrier galopa durant des jours entiers, ne s’arrêtant pas même la nuit dans des tavernes pour y manger ou y dormir. Les sentiers les plus courts étaient les plus vicieux, et plusieurs fois, le chevalier dut dégainer son épée pour se battre. Heureusement, aucun ne vaincu sa force et sa bravoure.

Une semaine passa et notre héros arriva finalement à destination. Couvert de blessures, le teint sale mais toujours la tête haute, fier, Rémi chercha des yeux la demeure du fameux magicien. Il la reconnu bien vite.

Lorsqu’il arriva devant celle-ci, il descendit de sa monture puis frappa quelques coups sur la grande porte de bois. N’entendant aucune réponse, il se permit d’entrer dans la maison. Il s’avança prudemment, l'oreille tendue, car même si le soleil éclairait le ciel, l'intérieur était sombre. N'importe qui -ou n'importe quoi- pourrait s'y cacher.

Sur les étagères poussiéreuses, des bocaux de toutes sortes y étaient éparpillés, et pas le moindre bruit ne s'échappait de l’immense bâtisse. C'était trop calme, songea Rémi en passant le pas d'une porte. Il entreprit alors de vérifier l'état des lieux. Si quelqu'un ou quelque chose s’était introduit ici, il le retrouverait, et le tuerait.

Il s'arrêta net devant une porte plus petite que les autres. Un bruit sourd venait de retentir derrière celle-ci. Avec assurance, il sortit son l’épée de son fourreau et posa sa main sur la poignée. Trois courts battements de coeur et il l’ouvrit brusquement. Il pointa son arme tranchante droit devant lui, prêt en empaler la source de ce bruit. Effrayé par cette attaque, le sorcier sursauta. Il étouffa un petit cri et posa sa main sur son cœur. S'il avait pu, il l'aurait serré si fort entre ses doigts que celui-ci aurait rétrécit. 

- Oh Rémi, tu m’as fais peur, souffla-t-il quand il croisa le regard brun noisette du chevalier.

Rémi sourit en entendant la voix du magicien et rangea activement son épée après avoir vérifié que personne ne se trouvait dans la pièce à part eux.

- Excuse moi de t’avoir fait peur. J’ai entendu un bruit et j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose. Quelqu'un aurait pu pénétrer facilement, c'était ouvert, dit-il en s’approchant du jeune mage.

Ses cheveux étaient couverts d’une étrange poussière brillante. Son coeur s'enflamma alors. Vincent était toujours surprenant ! Rémi osa doucement lever la main et la glissa entre ses mèches pour en faire tomber les paillettes. Puis ses doigts s’échouèrent sur sa joue et il vint enfin poser ses lèvres sur les siennes. Ces douces lèvres magiques qui lui avait tant manqué...

- Toujours à me protéger, mon preux chevalier, sourit Vincent contre ses lèvres. Mais non, il n'y a rien que moi.. et toi à présent.

Les deux hommes se prirent dans leurs bras, profitant du sentiment de sécurité que cette étreinte leur procurait. Cinq mois sans se voir, cinq mois à s'écrire... c’était définitivement trop long pour le chevalier.

- Tu m’as manqué Vincent, avoua Rémi après de longues minutes contre son coeur.

- Toi aussi. Je ne veux plus que tu repartes. Ici, c’est trop vide sans toi.

- Tu sais que je ne peux pas rester. Pas pour l’instant en tout cas.

Vincent, à l’entente de cette réponse négative, se blottit un peu plus contre Rémi. Il savait bien que son souhait n'était pas raisonnable, mais il ne pouvait s'empêcher d'espérer encore.

- Mais pourquoi ne monterais-tu pas à la capitale avec moi ? Demanda Rémi. Je sais que tu peux emporter ta maison avec toi alors ne me baratines pas. De plus... l'arbre a besoin de tes pouvoirs. Sans ta magie, il va mourir. Alors viens.

Ces paroles ne sonnaient guère comme une proposition. Vincent n'avait pas le choix ; mis à part celui d'élire domicile à la capitale une fois que tout serait terminé, si du moins il arrivait à sauver le grand arbre.

Le magicien s'éloigna lentement des bras de son amant et planta son regard gris vipère dans le sien.

- Tu es sérieux ? Tu veux bien que je vienne habiter avec toi dans la capitale, même après que..?

- Bien sur que oui, le coupa Rémi en reprenant son amour dans ses bras et tournouillant sur lui même, emporté par l'enthousiasme de son bonheur. Puis, plus sérieusement, je ne veux plus être loin de toi. Une semaine de voyage pour être dans tes bras, et ce seulement pour quelques jours... C’en est assez ! Je veux être avec toi constamment, et pouvoir rentrer chez nous le soir.

Rémi se tut. Il cru percevoir quelque chose bouger dans les iris de Vincent. Mais qu'était-ce ? Il n’eut pas l'occasion de lui demander, car ce dernier avait récupéré ses lèvres. Il pressa sa bouche avec force sur la sienne et soupira. C'était un oui ? Rémi voulait un oui. Sa poitrine réclamait un oui avec la puissance d'un tambour.

- C’est d’accord, on rentre ensemble, confirma finalement le magicien dans un souffle qui se mélangea bien vite à celui du chevalier.

L’amour embaumait la maison du sorcier, et pourtant, les grains du sablier continuaient leur chute et la paix était toujours menacée.

Le départ de la petite ville du sud se fit en fin de journée. La maison de Vincent fut miniaturisée grâce à quelques sortilèges puis ils purent repartir au galop vers la capitale. Les jours du royaume étaient comptés.

La semaine de voyage passa rapidement. Évidement, la magie était bien utile et ils parvinrent à destination sans une égratignure.

Vincent n'avait pas perdu une minute. Voilà déjà des jours qu'il était planté devant l'imposante source d'équilibre, essayant multiples sorts et potions pour la soigner, en vain. La nuit du deuxième jour, voyant la sueur et la fatigue s’incruster sur les traits du sorcier, Rémi s'en approcha. Les mains fébriles et la gorge sèche, le chevalier cherchait son courage si réputé, et qui pourtant semblait l'avoir quitté.

-Vincent..?

-Rémi ! S'exclama le sorcier à bout de souffle. Rémi je.. Je te jure que je vais y parvenir. Cette maladie est source de magie noire mais je..-

-C'est ma faute, avoua brusquement Rémi, sans lui laisser le temps de poursuivre.

Le chevalier prit rapidement ses mains, comme pour l'empêcher de fuir, et les serra.

-Comment ça c'est ta faute ?

-J'ai demandé au sorcier de la forêt des Ombres d’affaiblir un peu l'arbre, histoire qu'on te réclame à la cour et que je puisse te voir. Mais je ne pensais pas que cela allait être si grave et maintenant je me sens horrible. Regarde ce que j'ai fait Vincent.. Je suis un m..-

Vincent couvrit précipitamment sa bouche pour le faire taire. Ses doigts sur ses lèvres, ses pupilles vicieuses dans les siennes, il secoua la tête.

-Ne le dis pas. Rémi ne dit rien. Ce que tu as fait est..  stupide. Vraiment stupide.

Le regard de Vincent se fit plus sombre, et Rémi, dont la culpabilité ne cessait de ronger sa poitrine, détourna le regard.

Les répercussions seraient sans doute conséquentes, mais en attendant, grâce à cet aveu, le jeune magicien pût cibler le problème. Après avoir rendu une visite de fortune au sorcier de la forêt des Ombres, Vincent parvint à concocter le remède parfait, qui guérit l'arbre et lui rendit toute sa puissance majestueuse. Des le lendemain, les feuilles bruissaient plus que jamais, et déjà ! On apercevait les habitants aux poils roux gambader entre les branches.

Les deux amants décidèrent de garder la culpabilité du chevalier secrète, même s’ils savaient pertinemment que rien ne restait impuni. En attendant, malgré le ciel lourd sur leurs épaules, ils faisaient de leur mieux pour vivre comme si de rien n'était.

Ils cherchèrent un endroit où Vincent pourrait résider, ce qui se trouva rapidement au milieu d'une plaine, au pied d'une colline fleurie. Les deux hommes entrèrent dans la chaumière nouvellement agrandie, un fin sourire gravé sur leurs lèvres. Satisfait, Vincent posa une main sur la taille de son homme et murmura “ Bienvenue chez nous” au creux de son cou. Le chuchoteur parvint à rendre le sourire du chevalier plus rayonnant qu'il ne l'avait jamais été. Ils avaient engin un "chez eux".

La nuit était déjà bien avancée quand les deux hommes partirent se coucher dans leur unique chambre. Rémi ne sut jamais ce que son sorcier de petit copain avait fabriqué, mais cette pièce frissonnait de douceur. Ils s’endormirent rapidement l'un dans les bras de l'autre.

*

Rémi se réveilla le premier. Il avait toujours Vincent dans ses bras mais l’environnement de la chambre avait changé. Il fronça les sourcils et mit quelques secondes avant de réaliser qu’il avait rêvé, encore. Inconsciemment il commença de douces caresses dans le dos de son amant. Très chatouilleux, ce dernier se réveilla. Il avait sa tête du matin, les cheveux en pagaille et les yeux encore plus ronds.

- Bonjour mon amour, dit-il de sa voix endormie.

Rémi sourit. Ce timbre de voix rauque lui foutait le frisson.

- Viens habiter avec moi, lui répondit-il d'ailleurs, comme une simple demande, sans filtre.

Vincent arqua un sourcil.

- Tu es sérieux ? Tu veux que je vienne habiter avec toi dans ton appartement ? Et tu me demandes ça maintenant, quand j'suis encore assez dans le flou pour accepter sans réfléchir ?

-  Oui. Puis sérieusement, je ne veux plus être séparé de toi, je veux rentrer chez nous le soir…

Comme dans son rêve, Rémi fût coupé par les lèvres sèches de Vincent, écrasées sur les siennes.

- Bah ouais alors. C'est oui.

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