Chapitre 20: lecture d'esprit
— D'ailleurs, vous allez tous rester et bien m'écouter ! Il est hors de question que l'un d'entre vous me cache encore quelque chose. Les enjeux sont trop importants, je croyais que Téodor l'avait assez répété. On ne peut plus rester concentré sur sa petite personne, il faut penser au groupe tout entier, comme l'a fait Marceline.
Les yeux de Rinata s'emplirent de larmes et sa voix chevrota. Elle ferma les yeux et prit une inspiration avant de poursuivre.
— Pendant ces quelques jours avant d'embarquer sur le Polarius, je veux que vous vous rendiez utiles. On a encore un cylindre à ouvrir, celui que j'ai trouvé en Bosnie. Chacun peut y aller de son ingéniosité. Les systèmes d'ouverture de ces artéfacts sont tous différents. Faites marcher votre imagination et tentez tout ce qu'il vous vient à l'esprit.
— Même nous, on peut essayer ? demanda Cid en se désignant, ainsi que Théo.
— Bien sûr, j'ai dit que toutes les bonnes volontés étaient les bienvenues. J'aimerais aussi que Mélia se concentre sur notre destination. L'Antarctique est un continent extrêmement vaste. J'ai fait le choix d'une zone pointée par la NASA pour son désordre énergétique, mais la surface à explorer est immense. Cid, comme tu es un Ki, reste avec elle le plus souvent possible, je suis sûre que tu pourras lui être utile.
— Un Ki ? interrogea Briac.
— Votre ami a une capacité exceptionnelle, lui expliqua Rinata. Son corps tout entier agit comme un Ingéni et engrange de l'énergie. C'est un booster fantastique.
Cid bomba le torse inconsciemment en entendant Rinata vanter sa faculté et Briac le regarda d'une drôle de façon.
— Bien, mes petites larves dodues, vous avez maintenant quartier libre jusqu'à ce soir, ne faites pas de bêtises.
Thys et Mélia se sourirent, rassurés par les qualificatifs employés par leur grand-mère. Si Rinata recommençait à les affubler de doux surnoms, c'est que sa colère était retombée. D'ailleurs celle-ci grommela quelque chose en partant qui ressemblait bien à : « Je vais aider cette pauvre Nadine. ».
— On va faire un tour au bord de l'eau. Qui veut venir avec nous ? proposa Blandine.
Ils acquiescèrent tous, ayant besoin de rester ensemble pour commenter l'attitude de Nadine. Dehors, le vent froid les saisit, ils refermèrent bien vite leur blouson et les mains dans les poches, la capuche sur la tête, ils longèrent la route sur une centaine de mètres pour trouver un petit chemin qui les conduisit directement devant l'eau argentée de la baie. Le spectacle grandiose de l'immensité bordée de pics enneigés les laissa sans voix. Blandine frissonna, Damien la prit aussitôt dans ses bras et lui frotta le dos sous l'œil narquois de Briac.
À son tour, Mélia grelotta en claquant des dents.
— Tu as froid ? lui demanda le Péragore en s'approchant.
— Elle ne s'est pas assez habillée, s'empressa de dire Thys en prenant sa sœur par les épaules. Mamina nous avait pourtant bien mis en garde sur le climat.
L'attitude protectrice de Thys amusa Cid et Théo qui ricanèrent dans son dos, tandis que Briac se contenta de hausser les épaules. Mélia secoua la tête et lança une œillade assassine à son frère.
— Oh ! Regardez ! s'exclama Mélanie. Là-bas, au large, c'est une baleine, non ?
Tous les visages convergèrent dans la direction pointée par l'index de la petite Donnador. Une masse sombre émergeait de l'eau en projetant un jet puissant. Fascinés, les jeunes observèrent l'animal robuste nager avec aisance, au cœur de la baie, avant de les gratifier d'un saut majestueux.
— C'est magnifique, souffla Blandine.
Et tous acquiescèrent d'un signe de tête, rendus muets par le spectacle. Mélia ressentit un élan d'amour inhabituel envers l'animal aquatique. C'était comme si, au loin, l'énorme cœur de la baleine battait à l'unisson avec le sien. Même Chinchou, blotti dans la poche ventrale de son sweat, sortit la tête pour comprendre ce qui perturbait ainsi sa maîtresse.
— C'est une toute jeune femelle, leur indiqua un homme qui s'était arrêté à leurs côtés. C'est une habituée des lieux. Je l'ai appelée Yisha. Je suis pêcheur et je la vois tous les matins quand je prépare mes filets, elle me salue d'un coup de nageoire caudale. Vous êtes en vacances ici ?
Mélia avait sursauté au son rauque de la voix de leur interlocuteur. Sortie de son état hypnotique, elle jaugea l'individu avant de répondre. Il s'agissait d'un jeune homme, à la peau dorée par le soleil. Son regard lumineux et perçant pouvait mettre mal à l'aise, mais son sourire chaleureux le rendait plutôt sympathique.
— Vous parlez vraiment bien français, lui dit-elle en le dévisageant. Vous venez d'où ?
— Oh ! Je suis né ici, mon père est un autochtone, mais ma mère est effectivement française, c'est une chercheuse à la base Concordia. Alors, vous êtes en vacances ? insista-t-il.
— On reste ici quelques jours, répondit Mélia, hypnotisée par le regard bleu acier de son interlocuteur. Après on part en expédition.
— Vous allez faire un circuit en Patagonie ?
— Non, intervint Thys, on fait juste une croisière.
Il s'était placé à côté de sa sœur et lui aussi évaluait le pêcheur qui lui semblait bien curieux. Ils avaient vécu trop de mésaventures pour faire confiance d'office à un inconnu. Celui-ci ne paraissait cependant pas se formaliser de l'attitude des jumeaux. Il reporta son attention sur la baleine qui continuait son show.
— Je crois que c'est pour vous qu'elle fait ça, commenta-t-il. Vous devez lui plaire. Habituellement, elle n'est pas aussi expressive devant les étrangers.
Il sourit à la mer et se retourna vers Mélia en lui tendant la main.
— Moi, c'est Sébastian et vous ?
Mélia fit les présentations, charmée par la simplicité et le sourire du jeune homme.
— Si vous voulez faire un tour en mer demain, je suis disponible, c'est mon jour de congé et la météo devrait être clémente, proposa Sébastian.
— Ça serait super, merci, répondit la jeune fille sans consulter l'avis de ses compagnons.
— Alors, rendez-vous ici, demain matin, à six heures, cria-t-il en s'éloignant.
Mélia le regarda partir, un grand sourire toujours affiché sur son visage.
— T'es folle, pourquoi t'as dit oui ? s'agaça Thys. On ne le connait pas, ce gars, et en plus, à six heures, on sera tous morts de fatigue avec le décalage horaire.
— C'est vrai, Mélia, je ne crois pas que ce soit prudent, renchérit doucement Blandine, et Rinata risque de ne pas être d'accord.
Mélia haussa les épaules et reporta son attention sur Yisha qui quittait la baie et disparaissait au loin dans l'océan.
Ils regagnèrent leur chambre à vingt heures pétantes, incapables de tenir plus longtemps, pressés de se glisser dans un bon lit pour rattraper la fatigue accumulée. Thys, appuyé par Cid, Théo et Briac, râla encore un coup pour la forme face à Mélia au moment de lui dire bonne nuit.
— Tu crois vraiment qu'on sera frais et dispo demain à six heures pour aller batifoler en pleine mer avec ton pêcheur ?
— D'abord, ce n'est pas mon pêcheur et puis ne viendront que ceux qui auront envie ou qui seront en forme, lui répliqua-t-elle malicieusement en lui embrassant le front.
— Bah, il faut bien que l'on te surveille, petite girouette, rétorqua son frère.
Mélia lui tira la langue, salua les autres garçons et se dirigea avec les filles vers leur partie de l'appartement.
La chambre de Blandine et Nadine était éclairée et la voix de Rinata répondait aux chuchotis reniflés de Tantine. Blandine se tenait derrière la porte et n'osait pas entrer. Mélia allait lui proposer de venir dans sa chambre quand Rinata les héla :
— Ne restez pas là, entrez, les filles.
Assises sur le même lit, Nadine et Rinata se faisaient face. La Maître Arcan avait le visage marqué par la fatigue et les joues de Nadine gardaient la trace des sillons de larmes.
— Les symptômes de Nadine sont étranges, commença Rinata et je vais avoir besoin de les étudier demain. Je pense, Mélia, que tu pourrais m'aider à comprendre ce qu'il lui arrive. Et toi, Blandine, ton soutien apaisant sera le bienvenu, car cette situation nous affecte beaucoup.
Blandine hocha la tête, tandis que Mélia s'agita un peu.
— Qu'est-ce qu'il y a, ma crevette frétillante ?
— Demain, on a un rendez-vous en mer avec un pêcheur, plaida Mélia d'une petite voix plaintive.
— Tu... mais qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? Je t'ai chargée d'une mission, vous n'avez pas le temps de jouer les touristes, et puis, c'est qui ce pêcheur ?
— Sébastian, on l'a rencontré tout à l'heure. Il... il a une connexion particulière à la nature. Je sens que c'est important de faire cette sortie avec lui. Je suis sûre d'apprendre quelque chose d'utile pour localiser le cylindre.
Mélia jouait de son statut de Clairvoyante. Elle avait bien ressenti quelque chose de spécial en présence de Sébastian, mais c'était plutôt le charme du pêcheur qui motivait son désir de sortie aux aurores. Et puis, elle avait l'envie irrésistible de revoir la baleine Yisha, cela, elle ne se l'expliquait pas. Rinata soupira en regardant sa petite fille.
— Hum, cette histoire ne me plait pas beaucoup, mais je sais que je dois faire confiance à ton ressenti. Je vous donne la matinée, mais à quatorze heures, je veux te voir ici avec une carte de l'Antarctique, affairée à localiser l'emplacement du cylindre. Et tous les autres devront chercher à ouvrir le cylindre de Tiahuanaco. C'est compris ?
Les yeux verts au liseré d'or de la Maître sondaient les trois jeunes filles face à elle, tandis que Nadine se faisait toute petite. Mélia et ses amies acquiescèrent et un discret soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de la jeune Éther.
— Je n'ai pas fini, les rappela Rinata, alors que Mélia et Mélanie faisaient mine de quitter la pièce. Il y a deux conditions. La première c'est que vous restiez un moment ce soir avec moi pour essayer de comprendre ce qu'il arrive à cette pauvre Nadine, puisque demain vous ne serez pas disponibles. Et la deuxième, c'est que je veux voir de mes propres yeux à quoi ressemble ce pêcheur qui a fait tourner la tête de ma petite fille.
Mélia rougit instantanément, alors que ses camarades retinrent un gloussement.
— À quelle heure avons-nous rendez-vous avec ce jeune homme ? poursuivit Rinata en masquant à peine son sourire.
— À six heures tapantes, lui répondit Mélia revancharde.
À la vue de la grimace de Rinata, elle sut qu'elle avait fait mouche.
— Eh bien, soupira la Maître Arcan, occupons-nous de Nadine tout de suite, sinon on ne va pas dormir beaucoup.
En entendant ces paroles, Tantine se redressa, pleine d'espoir, mais comme tous les yeux étaient braqués sur elle, elle se ratatina aussitôt sur elle-même.
— Nadine, s'agaça Rinata, il est temps d'assumer tes bêtises. On est là pour t'aider, mais on a besoin de ta réactivité, alors détends-toi, et surtout, sois attentive à tout ce qu'il va se passer.
La Maître Arcan s'adressa, ensuite, aux trois autres jeunes filles.
— J'ai passé un moment à la questionner et à lui faire énumérer ses symptômes, le rythme de ses crises et leurs durées. Il en ressort que le phénomène s'accentue, les visions sont de plus en plus fréquentes et des voix les accompagnent toujours, mais impossible de comprendre ce qu'elles disent. Damien m'a certifié qu'il ne s'agissait pas d'hallucinations et je veux bien le croire. Comme on a très peu de temps, et avec l'accord de Nadine, je souhaiterais tester une lecture de son esprit. C'est un procédé compliqué qui exige une grande concentration et beaucoup d'énergie, mais qui pourrait nous expliquer son état.
— Heu, tu veux faire quoi concrètement ? demanda Mélia.
— Je vais infiltrer son cerveau et communiquer avec les parties de son inconscient.
— C'est possible ça ?
— Oui, on l'évoque lors du troisième cycle des apprentissages, mais très peu d'Ostendes en sont capables. Ta mère est l'une des meilleures pour ce genre de performance, c'est bien dommage qu'elle ne soit pas là.
— Et ce n'est pas dangereux ? demanda timidement Blandine.
Rinata baissa les yeux et tapota du bout des doigts le bord du lit. Ce fut Nadine qui prit la parole :
— C'est apparemment très délicat, ça pourrait changer ma personnalité, n'est-ce pas Rinata ?
La Maître Arcan dodelina de la tête avant de répondre :
— Ce n'est effectivement pas une pratique anodine, elle comporte certains risques si elle est mal menée et...
— Je suis prête à tenter l'expérience, j'ai confiance en vous toutes et j'ai besoin de savoir ce qu'il m'arrive, l'interrompit Nadine.
Rinata posa une main apaisante sur la jeune femme et s'adressa aux trois autres :
— Prêtes pour suivre mes directives sans vaciller ? Je ne prendrai aucun risque, à la moindre anomalie, je stoppe tout, mais je dois être sûre que vous respecterez toutes mes consignes. C'est bien le cas ?
Elles acquiescèrent de concert, néanmoins crispées, et regardèrent la Maître Arcan se préparer. Celle-ci se frotta vigoureusement le visage pour chasser la fatigue et se plaça bien droite face à Nadine. Elle inspira et expira plusieurs fois dans la chambre devenue silencieuse. Mélanie laissa échapper un petit bâillement et fut vertement réprimandée par Rinata.
— Ce n'est pas le moment de céder à la fatigue, il faut toute votre vigilance, si vous ne vous en sentez pas capables, il est encore temps de me le dire.
— Ça va aller, répliqua la jeune Donnador, le visage cramoisi par la vexation.
— Bien, alors on commence. Ce soir, nous ne tenterons que la première étape du processus, ce sera suffisant vu notre état énergétique et cela nous donnera peut-être déjà quelques éléments de réponse.
Rinata se leva et fit signe aux autres de prendre une chaise. Seule Tantine resta sur le lit et dut s'allonger.
— Il faut te détendre au maximum, Nadine. L'idéal serait de rentrer en méditation. Je sais bien que tu n'es pas habituée à cette pratique, mais je te demande de faire au mieux pour déconnecter ton cerveau de toute pensée.
La jeune femme se crispa, inspira un bon coup et ferma les yeux. Aussitôt, sur une injonction de Rinata, Blandine lui saisit la main et se mit à l'œuvre. Comme elle l'avait fait des dizaines de fois malheureusement, ces derniers jours, elle se fraya un chemin au cœur des émotions négatives de Nadine et aspira à petites goulées les signaux de détresse que celle-ci envoyait à son corps. L'effet fut immédiat, le visage de la tante de Mélia se détendit, tandis que celui de Blandine devint plus sombre et concentré.
— Bien, commençons, déclara Rinata, visiblement satisfaite. Mélia, tu m'accompagnes dans mon exploration, je te prends la main et, en aucun cas, tu ne dois la lâcher. Quant à toi, Mélanie, tu es la veilleuse. Tu observes nos visages. Si tu y décèles la moindre anomalie, quelle qu'elle soit, tu nous fais revenir.
— Heu... comment ? balbutia la jeune fille.
— Tu apposes simplement tes paumes sur nos têtes et tu charges notre lobe frontal en énergie. Prêtes ?
Elles acquiescèrent, tendues. Seule, Nadine paraissait endormie et paisible. Rinata saisit la main de Mélia, ferma les yeux, inspira trois fois et remua de manière circulaire son index droit au-dessus de la tête de Nadine. Elle renouvela cette opération plusieurs fois avant d'obtenir satisfaction à sa huitième tentative. Alors que Mélanie étouffait le plus discrètement un nouveau bâillement, de légers grésillements prirent naissance au bout du doigt de la Maître Arcan et un vortex imperceptible s'ouvrit à l'endroit où l'index touchait le front.
— Nous y sommes, souffla Rinata pour Mélia, apprête-toi à découvrir le fonctionnement du cerveau humain.
Avant que la jeune fille n'eût le temps d'analyser les propos de sa grand-mère et d'en comprendre les implications, elle ressentit une puissante décharge la parcourir, et tous les poils de son corps se hérissèrent. Puis les sensations perçues furent assez similaires à celles de ses voyages spatio-temporels, elle vibra intérieurement comme si tous les atomes de son corps se désolidarisaient. Rien de désagréable, cependant. Le vortex au bout du doigt de Rinata parut s'élargir et ce fut comme si le crâne de Nadine s'ouvrait. La chambre et ses occupantes disparurent de leur champ de vision. Mélia et sa grand-mère, aspirées par les ondes cérébrales de Nadine, pénétrèrent dans une zone de turbulences électriques. Pourtant, il n'y eut aucun choc, juste des vibrations et une sensation de haut-le-cœur vite passée. Tout autour d'elles, un incroyable réseau de fibres grésillantes projetait des lueurs intermittentes qui illuminaient un espace infini.
— Le processus est engagé, déclara Rinata à ses côtés. Nous sommes entrées dans l'esprit de Nadine comme deux particules dans un réseau électrique. Soyons efficaces et surtout ne touche à rien sans ma permission, tu risquerais d'endommager des connexions essentielles dans le cerveau de ta tante.
Mélia vibra en réponse aux mises en garde de sa grand-mère. Elle n'était plus chair, juste une paillette énergétique chargée d'une envie d'explorer.
— Le cerveau est un réseau tentaculaire de cent milliards de neurones avec au moins un million de points de connexion, lui enseigna Rinata. C'est cet ensemble qui donne lieu à nos pensées. Il s'agit de ne pas s'y perdre, mais d'en explorer la plus grande partie possible et d'en percevoir les anomalies.
— Il faut que l'on cherche au hasard dans cet imbroglio électrique, gémit l'onde de Mélia.
— C'est ça, ma petite pile électrique. Au travail maintenant, car notre énergie n'est pas illimitée et plus notre intrusion sera longue, plus le risque de faire des dégâts augmente. Je compte sur tes dons de Clairvoyance pour nous diriger.
Mélia aurait aimé répliquer que ses dons n'étaient pas à ses ordres et qu'ils agissaient selon leur bon vouloir, mais elle préférait ne pas perdre de temps en tergiversations et choisit de s'engager dans une voie qui lui semblait plus lumineuse. Sa grand-mère sur ses talons, ou plutôt l'onde de Rinata collée à la sienne, Mélia orienta sa course le long d'une longue fibre ondulante qui rejoignait un halo sphérique d'où s'échappaient d'autres fibres.
— C'est beau, s'extasia-t-elle. J'ai l'impression d'être dans l'espace.
— C'est un neurone et ses axones qui conduisent le signal électrique du cerveau.
— C'est comme un cours de science, mais en dix mille fois mieux.
— Nous n'avons pas le temps de faire du tourisme, Mélia. Il faut que tu essaies de ressentir si un de ces signaux est défaillant. Commençons par intégrer ce neurone et suivons sa transmission.
L'onde de Rinata s'infiltra à l'intérieur du halo lumineux, entrainant à sa suite le frémissement de sa petite-fille. Aussitôt un courant électrique les engloba et les emporta dans sa course. Mélia se crut dans un manège à sensations. La vitesse extraordinaire de son déplacement et la multitude des arcs électriques qui la parcoururent la grisèrent autant qu'ils l'effrayèrent.
— Mamina, qu'est-ce qu'il nous arrive ?
— Nous empruntons le chemin des informations nerveuses, accroche-toi et repère tout ce que tu peux. N'hésite pas à prendre les bifurcations que tu jugeras intéressantes, lui transmit la voix de Rinata étouffée par le bruit des grésillements.
Mélia ne maîtrisait rien du tout, elle était entrainée à une vitesse vertigineuse et subissait les cahotements de son itinéraire, ainsi que les piqures de tous ces messages électriques qui la traversaient. Elle finit cependant par s'habituer un petit peu et par percevoir des bribes d'information. Elle devina un mot, l'ordre d'un geste, le réflexe d'une respiration, des pensées ou des mécanismes qui œuvraient dans le cerveau de sa tante.
— C'est tellement incroyable, Mamina, ce que nous vivons là !
— Oui, ma graine de tournesol, mais je n'ai rien capté qui puisse nous aider à résoudre la problématique de Nadine. Et toi ?
— Rien non plus, tout va beaucoup trop vite.
— C'est normal, l'information dans un cerveau circule à trois cents kilomètres-heure. Impossible pour nous de la ralentir, cela aurait de graves conséquences sur ta tante. N'essaie surtout pas de résister au flux qui t'entraine.
Mélia se fit la réflexion que sa grand-mère aurait pu la prévenir plus tôt, car l'envie de s'agripper à une fibre ou de résister à la force du flux qui l'entrainait, l'avait prise plus d'une fois. Néanmoins, plus le temps passait, plus elle s'accommodait de cette étrange condition et plus elle captait facilement les messages. Elle localisa d'ailleurs une fréquence différente des autres qui la mit en alerte.
— J'ai trouvé quelque chose, je crois, avertit-elle. Suis-moi, Mamina.
Elle dirigea le binôme, glissant habilement d'un neurone à l'autre, en engrangeant les informations anormales. Elles stationnèrent finalement dans une zone dense qui semblait vouloir les retenir, des données les percutèrent, cherchant à s'infiltrer, à fuir leur propre circuit. Mélia était à l'affût, grisée par tous ces contacts, mais Rinata bataillait, submergée par l'intensité du phénomène.
— Je ne vais pas tenir encore longtemps, l'avertit la Maître Arcan, mon énergie s'épuise bien trop vite. Prépare-toi à sortir.
— D'accord, Mamina, concéda la jeune Éther, déçue.
Et dans la seconde, elle se retrouva assise sur une chaise au bord du lit de sa tante, Rinata à ses côtés, toujours un index posé sur le front de Nadine. Thys était là et Cid aussi, tout près d'elle, les mains plaquées sur son dos. Mélia se leva d'un coup et courut à la salle de bain où elle vomit dans les toilettes en hoquetant. L'arrêt brutal de son tour de manège lui avait retourné l'estomac.
— Ça va ? l'interrogea, avec inquiétude, Thys qui l'avait suivie.
— J'ai été les chercher parce que je trouvais Rinata très pâle, expliqua Mélanie en se tordant les mains avant que Mélia ne pose une question.
— Tu as bien fait. Comment va Nadine ?
— Je suis vidée, mais je vais bien, répondit l'intéressée en pointant, elle aussi, son nez dans la salle de bains. J'ai eu un peu l'impression qu'on me grattait à l'intérieur du crâne, mais c'était gérable, et tu vois, j'ai gardé toutes mes capacités.
Elle se mit sur la pointe des pieds et exécuta un pas de danse, les bras en couronne au-dessus de sa tête, ce qui les fit tous rire.
— Et Mamina ? s'inquiéta Mélia en retournant dans la chambre.
Sa grand-mère était étendue sur le lit de Nadine, très pâle, mais elle souriait.
— Juste un coup de fatigue, la rassura-t-elle. Heureusement que Mélanie a eu la présence d'esprit d'aller chercher notre Ki. Je n'avais pas réalisé que j'avais déchargé mon Ingéni à ce point. C'est comme si toute son énergie avait été aspirée par le cerveau de Nadine. Ce doit aussi être dû à la fatigue du voyage. Merci, Cid.
Le garçon fit un salut militaire et, avec un grand sourire, s'écria :
— À votre service, Madame !
Thys secoua la tête face aux facéties de son ami et interrogea sa sœur :
— Vous avez trouvé quelque chose pour aider Tantine ?
— Alors, j'ai une piste, répondit Mélia prudemment en jetant de brefs regards en direction de Rinata.
Celle-ci lui fit signe de continuer.
— Le cerveau de Nadine est incroyable, c'est magnifique. Je n'en reviens pas d'avoir fait cette expérience...
— Mouais ce sont toujours les mêmes qui ont de la chance, bougonna Thys pour lui-même, mais tous purent l'entendre.
— Je disais que c'était vraiment extraordinaire, mais effrayant aussi, poursuivit Mélia avec une grimace adressée à son frère. Et puis, à un moment j'ai ressenti un truc bizarre, un décalage. Je ne sais pas trop comment dire. Comme si les informations venaient de l'extérieur.
— De l'extérieur ? s'étonna Nadine. Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je ne sais pas, répondit Mélia, il y a eu comme une interférence, légère au départ, puis elle a gagné en intensité et c'est devenu presque agressif. C'est vraiment dur à exprimer ce que j'ai ressenti.
— Je l'ai perçue moi aussi, intervint Rinata. Mais je n'arrive pas encore à interpréter ce phénomène. Il m'a semblé que... Hum, je ne sais pas. J'ai besoin d'y réfléchir. Il faudrait que l'on réessaie pile au moment d'une crise de Nadine, on obtiendrait peut-être des informations plus pertinentes. Bon, il est temps d'aller se coucher, surtout s'il faut se lever à six heures demain.
— Ah ! Tu es au courant du crush de Mélia pour ce pêcheur ? s'étonna Thys.
— Crush ? Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Rinata.
— Rien, rien, juste que Briac ne paraît pas ravi de cette rencontre, ricana le jeune Éther.
— Bon, ça suffit ! Tout le monde au lit, maintenant, ordonna la Maître Arcan en donnant une tape amicale sur la tête de son petit-fils.
Ils quittèrent la chambre, trop heureux de gagner le droit d'aller se coucher. Mélia s'attarda dans le couloir afin d'échanger encore avec sa grand-mère.
— Mamina, je voulais te dire quelque chose. J'ai ressenti un truc étrange dans l'esprit de Nadine, mais je ne sais pas si c'est juste, alors je n'ai rien osé dire devant elle, chuchota-t-elle.
— Je t'écoute, ma canette déplumée, s'inquiéta la Maître Arcan.
— L'anomalie dans le cerveau de Nadine avait la même signature énergétique que... l'Ethérie.
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