Chapitre 14 La Cité
Le retour en Ethérie était prévu dès le lendemain. Thys et Mélia devaient quitter la très polluée rue Trévallon pour leur reprendre leur cycle des Transformations. Mélia ne tenait plus en place, elle avait des révélations à faire à grand-mère Tournelle concernant les Cités Originelles. Elle l'avait clamé haut et fort dès le retour des parents le soir, malheureusement Rinata était déjà retournée en Ethérie avec Téodor Lux. Il était tard, on décida donc d'attendre le lendemain pour informer l'archéologue et les Maîtres Arcans des visions de Mélia.
Dès l'aurore Anastasia Tix, Maître Arcan, initiatrice de second cycle, était venue chercher les jumeaux pour les conduire sur le plan supérieur. La grande femme noire portait comme à son habitude une ribambelle de bracelets fins qui cliquetaient en rythme avec les mouvements gracieux de son corps. Sa seule présence rendait l'appartement soudain plus lumineux et accueillant.
Les jumeaux embrassèrent leur famille qu'ils quittaient pour un mois et emboîtèrent le pas à leur guide. Elle les conduisit en voiture dans un petit village voisin où un nœud d'énergie près du lavoir des Pleureuses leur donnait accès à l'Ethérie. Il n'avait pas le choix, l'ouverture près du marronnier était inaccessible. Plus personne ne pouvait accéder aux abords de la demeure Ano. Une barricade de blocs de béton fermait le sentier de L'Aval-Pierres juste après la ferme des Foissart.
La propriété de famille avait aussi été entourée de grandes grilles de fer branlantes. Et comble de tout, des chiens au regard affamé montaient la garde.
— Ces précautions sont totalement démesurées pour une simple expropriation ! Cela prouve bien que les Péragores tirent toutes les ficelles ! avait fait remarquer la gracieuse femme noire.
— Ils veulent nous empêcher de retourner en Ethérie ?
— Oui, c'est sans doute la première raison, mais je pense aussi qu'ils cherchent l'ouverture pour tenter d'accéder au plan supérieur.
— Mais, je croyais qu'ils ne le pouvaient pas ! souligna Mélia soudain glacée.
— C'est vrai ! Les Indésiratas refusent l'évolution évidente de notre espèce. Ils voient leur avenir dans l'opulence matérielle et le contrôle des esprits faibles. L'accès à l'Ethérie n'est possible que si on accepte l'ouverture de l'esprit et du corps aux sensations, au partage et à l'écoute de notre Terre. Et on y parvient aux prémices de cette évolution uniquement en passant l'Oritis.
— Les Indésiratas ne passent pas l'Oritis donc, ils ne peuvent pas accéder au plan Ethérique, c'est bien ça ? demanda Thys
— Oui en théorie...
— En théorie ! clamèrent en chœur les jumeaux.
— Pas de panique, sourit Anastasia. Les Indésiratas ne sont pas entrés en Ethérie, vous n'avez pas à vous inquiéter pour ça !
— Explique-nous ! insista Mélia dont les yeux avaient pris l'aspect de billes de verre irisées d'inquiétude.
Anastasia poussa un soupir. Elle était consciente d'en avoir trop dit, mais elle ne pouvait pas laisser ces jeunes Etherss ainsi dans l'ignorance.
— Ces derniers temps, la Terre semble se dérégler : les catastrophes naturelles sont plus fréquentes et plus dramatiques. Vous l'avez remarqué, les séismes s'enchaînent le long des failles, des volcans se réveillent, les ouragans s'activent bien plus que d'ordinaire, des inondations terribles anéantissent des villes... Et les hommes ont des comportements de plus en plus irresponsables, des guerres insensées naissent à foison, l'intolérance règne, l'exploitation des ressources est poussée à son paroxysme... Tout cela a des conséquences !
— Quelles conséquences ? demanda Mélia sans attendre qu'Anastasia ne développe.
— L'Ethérie est fragilisée, on pense que la Faille est une conséquence directe du comportement de l'homme et on craint que les Indésiratas profitent de cette faiblesse pour s'infiltrer en Ethérie ou simplement pour détruire l'équilibre du plan supérieur.
— Mais comment feraient-ils ?
— C'est ce que l'on cherche... Ils sont sur le pied de guerre. Ils se regroupent, s'organisent, s'intéressent de plus en plus aux Ingénis et essaient de prendre le contrôle des nœuds d'énergie. On n'en sait guère plus... Mais on les surveille, on se méfie.
Mélia ne put réprimer un frisson. Cette discussion ravivait les souvenirs de son agression. Le visage long et anguleux du Dux Deprador s'afficha quelques secondes en elle. Elle le chassa en se concentrant sur l'énergie chaleureuse diffusée par son Ingeni. Elle caressa aussi la petite plume de geai rassurante que son frère lui avait offerte.
— Bon, on y va ! proposa la Maître Arcan qui effleurait l'air au-dessus du lavoir.
Ses longs doigts aux ongles nacrés pianotaient un air imaginaire. Elle marqua une pause, un sourire illumina la grâce de son visage harmonieux et elle saisit avec douceur un pan d'énergie à hauteur d'épaule.
— Après vous, les Prudens ! Bon retour purificateur aux sources !
Thys et Mélia jetèrent un regard aux alentours. Personne dans les parages. Il était tôt. Une petite pluie fine lavait les poussières de la nuit. Ils s'engouffrèrent l'un après l'autre dans l'ouverture à peine palpable.
La douce impression d'un chatouillis au creux des reins, un petit grésillement apaisant et un bruit net d'extirpation comme le bouchon d'une bouteille de champagne qui saute. Retour en Ethérie.
C'est avec joie qu'ils redécouvraient les lieux.
— C'est un véritable enchantement cette voûte céleste, j'adore les sensations que ce décor me procure ! commenta Mélia à peine l'ouverture franchie.
— Moi, tu vois, c'est plutôt cette brume-là qui m'enivre, lui répondit son frère en humant à plein poumon l'air cristallin d'Ethérie.
— Allons-y, vous êtes attendus au Jecorum ! Il paraît que Mélia a des révélations fracassantes à faire à Rinata !
La jeune fille ne se demandait plus comment les nouvelles pouvaient se propager si vite, elle se contenta de suivre la majestueuse silhouette d'Anastasia Tix dont les jambes s'évaporaient dans la brume. Les arbres constellés de paillettes cristallines et enveloppés d'une écharpe de brume mauve tendaient des branches victorieuses comme une haie d'honneur pour accueillir les héros. C'est du moins ce que Thys aimait imaginer. Au centre du bois, noyé dans un entrelacs de branches, de mousses et de roches, les jeunes Ethers reconnurent le site du Jecorum protégé par une paroi translucide.
Rinata Tournelle les attendait au bord du bassin naturel creusé par la Vreste. Ils plongèrent avec délectation à travers la paroi souple et opaline qui entourait le centre d'entraînement. Ils se délectèrent des sensations caressantes et molletonnées que le voile laissait sur leur peau. Des effluves de végétaux assaillirent leurs sens pour leur plus grand plaisir. Tout émoustillés, ils rejoignirent leur grand-mère qui cachait mal son impatience.
— Alors, Mélia, raconte-moi, tu as des indices sur une Cité des Ethers, il paraît ?
— Oui Mamina, tu es donc déjà au courant ! Hier soir, j'ai vécu une expérience extraordinaire, j'ai...
— Attends, viens dans mon alcôve ! chuchota l'archéologue en passant un bras sur l'épaule de sa petite fille.
Thys qui avait entendu au moins trois fois le récit de sa sœur durant la nuit et qui en connaissait donc les moindres détails demanda la permission de s'éclipser avec le secret espoir de pouvoir déguster un petit plat de Clotaire. Permission accordée, sans même un regard, tant Rinata était centrée sur Mélia.
L'alcôve creusée dans la roche claire, était tapissée de pierres opalines bleues gorgées de lumière. Rinata s'assit sur la seule chaise et désigna à sa petite-fille le lit adossé à la paroi minérale.
— Alors ? Raconte ! demanda la vieille femme en ajustant coquettement des lunettes à fine monture.
Elle s'apprêtait à prendre des notes et ses yeux verts moirés d'or témoignaient de son excitation. Mélia s'installa confortablement dans le moelleux de la couette.
— Hier, on a organisé une séance de spiritisme pour appeler les esprits !
— Oh ! Quelle idée saugrenue !
— C'est vrai, mais ça nous paraissait amusant et excitant aussi.
— Et alors ?
— Je pense que l'ambiance un peu mystérieuse et la concentration de chaque participant m'ont aidé à me projeter hors de moi !
— Comme ça, devant tous tes amis ?
— Oui, apparemment, ça les a bien effrayés, les pauvres ! Selon Thys, j'aurais dégagé des ondes lumineuses et mon cœur a même bourdonné. En fait c'était mon Ingéni ! Les copains ont cru que j'étais possédée par un démon !
— Oh ! Non ! Il faut éviter ce genre de chose en public, Mélia. Ça trouble les esprits et attire les Indesiratas.
— Mais je n'y peux rien, je ne contrôle pas moi, ce qu'il m'arrive ! répondit Mélia vexée.
— Bon, bon continue ! Qu'est-ce que tu as vu ?
— Nous y voilà, tu veux bien que je voie des choses, mais tu me cries dessus quand ça m'arrive !
— Non, non, ma praline adorée, excuse-moi !
Mélia fixa plusieurs secondes sa grand-mère avant de poursuivre dans un soupir :
— Je me suis sentie aspirée. J'ai pris de la vitesse, survolée le groupe d'amis et tourbillonné dans un kaléidoscope de couleurs et de formes. C'était gigantesque ! Je ne savais plus où étaient le bas et le haut. J'avais perdu tous mes repères. Soudain, tout s'est arrêté de tourner et j'ai flotté dans un espace jaune. Je me suis une nouvelle fois sentie attirée fortement dans une direction, j'ai cru que je regagnais mon corps, mais non ! J'ai intégré l'enveloppe corporelle d'une petite fille. Ce n'était pas moi, c'était une brunette avec le teint mat et deux belles nattes. En fait, je voyais par ses yeux et je ressentais des vagues de sentiments familiers. C'était super étrange comme expérience ! À la fois excitant et complètement déroutant.
— Mais cette petite fille, elle savait que tu étais en elle ? interrogea la Maître Arcan sidérée.
— Je ne sais pas ! Elle ne parlait pas ma langue ! Mais elle était agitée. Une bonne énergie, je crois, mais toute désorganisée.
— C'est fascinant ma poule rousse, mais quel est le rapport avec la Cité des Ethers Originels ?
— J'y arrive ! La petite fille était assise en tailleur dans une pièce sombre. Quand j'ai intégré son corps, elle s'est tout de suite levée et elle a quitté la pièce. Je ne la contrôlais pas, mais je voyais par ses yeux. J'ai d'abord été éblouie par le soleil dont je sentais bien la chaleur sur la peau de la petite fille. Puis peu à peu, j'ai découvert une immense Cité remplie de constructions massives. Impressionnant ! Tout autour, il y avait un plateau sableux à perte de vue. De gigantesques statues de pierres montaient le guet. Et puis, j'ai vu des gens. Des hommes, des femmes, et même des enfants sillonnaient des rues de terres battues. Il y avait ausis des sortes de petites pyramides qui s'élevaient aux quatre coins de la ville. Tout était coloré, rempli de vie.
Mélia fermait les yeux pour raconter et au fur et à mesure de son récit, elle semblait revivre son incroyable voyage. Rinata impressionnée ne l'interrompit surtout pas.
— Un cours d'eau traversait la Cité en remplissant les bassins et les fontaines sculptées. La vie était agréable, c'est ce que j'ai ressenti à travers le corps que j'habitais. Puis d'un seul coup, un voile noir a tout enveloppé. La petite fille s'est liquéfiée, je n'ai pas senti de terreur, juste de la résignation. Un courant d'air m'a ballotté de droite et de gauche tandis que défilaient autour de moi plein d'images comme une sorte de diaporama noir et blanc : des visages, des sculptures, des objets curieux. J'ai ressenti une forte angoisse et soudain tout s'est arrêté, une seule image s'est figée. C'était une immense porte de pierre sculptée au milieu d'un champ de ruines. J'avais déjà vu ce paysage dans un de mes rêves et même que dans ce cauchemar je cherchais quelque chose au milieu des vestiges. Mais je n'avais pas vu cette porte.
— Décris-moi cette porte ! demanda Rinata, toute fébrile.
— Je vais essayer. Il y avait deux gros blocs de pierre verticaux bien larges sur lesquels reposait un bloc horizontal tout ciselé ou sculpté J'ai remarqué un personnage central avec une sorte de masque d'où s'échappaient en guise de cheveux des têtes de félins comme des rayons de soleil. Il brandissait deux sceptres qui finissaient par une tête de condor. C'était impressionnant !
— La porte du soleil de Tiahuanaco ! C'est la porte du soleil de Tiahuanaco que tu me décris là !
Rinata avait retiré ses lunettes, ses yeux papillonnaient comme si elle cherchait très vite en sa mémoire les images de cette fameuse porte.
— Oui Mamina, c'est ça, la porte du Soleil, c'est ce que m'a soufflé la fillette avant de disparaître. Elle est où cette porte ? Tu le sais ?
— En Bolivie, sur le site de Tiahuanaco ! J'ai déjà fouillé ce site, mais je n'ai rien trouvé !
— Pourtant Mamina, je suis sûre de moi. Le message était clair !
— Oui, oui ma fleur des sables ! As-tu vu le cylindre dans ta vision ?
— Non, je t'ai exactement tout décrit !
Mamina resta songeuse, elle tapotait nerveusement la pointe de son crayon sur sa feuille si bien qu'une multitude de petits points décorèrent les quelques notes qu'elle avait prises.
— Bien, toi et moi, nous allons partir là-bas ! Tu auras sûrement d'autres visions quand tu seras sur les lieux !
— Quoi, on part en Bolivie ! Waouh, mais c'est trop cool ! C'est où la Bolivie déjà ?
Rinata Tournelle parut s'amuser de la réaction de sa petite fille.
— En Amérique du Sud, entre le Pérou et le Brésil ! Mais laisse-moi le temps d'organiser le voyage !
— Et Thys, au fait !
— Quoi Thys ?
— Ben, mon frère, il vient avec nous, hein ?
— Heu ! Je... On verra ça !
La vieille femme semblait sur son nuage. Son cerveau en ébullition calculait, organisait, imaginait, rêvait. Elle ne voyait plus sa petite fille et se concentrait déjà sur le plan du site de Tiahuanaco. Mélia s'éclipsa donc discrètement pour rejoindre Thys. Elle le trouva dans le réfectoire, en compagnie de Clotaire qui lui faisait tester ses dernières recettes de desserts aux fruits. Le garçon s'empiffrait alternant la moelleuse mousse à la banane, le dessert crémeux à l'orange et le léger flan fleurant l'ananas.
— Hum ! J'ai faim ! clama-t-il à l'adresse de sa sœur en enfournant une énorme cuillerée de mousse mielleuse.
— Je pars en Bolivie avec Mamina, lança tout de go Mélia.
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