Chapitre 28: Renforts en déroute
Les abords de la ferme aquacole étaient sombres et silencieux. Pas de trace de Mélia ni de ses amis partis quelques heures plus tôt à la rescousse des Ostendes. Anthony tenta quelques imitations de cris d'oiseaux en reconnaissance, jeu qu'il avait instauré avec ses enfants lors de leurs promenades dominicales en famille dans les bois de Dressons. Mais aucun chuintement ne lui répondit.
Alors, ils décidèrent de foncer tête baissée. Ils sentaient tous les trois l'urgence. Ils savaient qu'ils ne feraient pas le poids face à la horde d'Indésiratas que Cid avait décrit, mais ils comptaient sur l'effet de surprise et beaucoup sur la chance.
Et la chance leur sourit par trois fois. Tout d'abord quand le portail s'ouvrit pour laisser sortir un camion et qu'ils purent se faufiler sans que les vigiles s'aperçoivent de leur présence. Une deuxième fois, lorsqu'ils entrèrent dans le hangar et se trouvèrent face à Allan Le Tallec qui portait un gros trousseau de clefs. Anastasia n'eut qu'à frotter doucement ses pouces contre ses index pour ramollir le jeune Péragore qui s'affala instantanément sur le sol. Térence prit les clefs pendant qu'Anthony cacha le corps évanoui derrière un monticule de caisses. Puis ils firent les bons choix de portes et de couloirs et débouchèrent en quelques minutes dans la salle de contrôle vide sans avoir croisé d'autres Indésiratas.
— Regardez, s'exclama aussitôt Cid en désignant des écrans. Y a des gens enfermés dans des cages de verre. Je crois que je vois Thys. Et il y en a un qui ressemble à Maître Lux.
— Montre-moi, s'écria Anthony en poussant plus violemment qu'il n'aurait voulu le garçon qui perdit l'équilibre et se rattrapa à une console de surveillance.
— Mince, j'ai appuyé sur un bouton, paniqua Cid. Là, il clignote rouge.
Sur le qui-vive le petit groupe, s'apprêta à faire face à un vigile alerté. C'est alors que la voix de Laetitia Yessel les figea.
— Voilà votre toute dernière demeure, mes enfants.
Ils se tendirent, prêts à tout donner, prêts à combattre le bataillon d'Indésiratas jusqu'à leur ultime souffle. Pour leur survie et celle de leur camarade. Mais, incrédules, ils constatèrent qu'il n'y avait aucune trace de leurs ennemis. Pourtant le timbre impérieux de Laëtitia Yessel les nargua encore :
— Vous allez regretter votre curiosité.
Les mains chauffaient, les Ingénis grésillaient. Dos à dos, Cid au milieu, les trois Ostendes ne comprenaient pas d'où venaient ces menaces.
— Thys, Mamina, Maître Lux ! Je suis désolée, sanglota une voix emplie d'effroi.
— Mais comment est-ce possible ? C'est Mélia ! Cette voix, c'est celle de Mélia, gémit Anthony. Ma puce, papa est là ! Tu es où ? hurla-t-il.
— Chut ! Chuttte ! paniqua Cid. Surtout, taisez-vous. Regardez, ce n'est pas nous qu'on a repérés. J'ai dû activer un micro en m'appuyant sur la console. On a le son d'une de ces pièces. Regardez, là, sur l'écran de droite, c'est Mélia. Il y a Théo aussi, je crois, dans le coin. Et la femme ici, c'est la remplaçante de monsieur Levasseur, Laetitia Yessel.
Cid désignait tour à tour des silhouettes floues sur un des écrans aligné contre le mur.
— Où sont-ils ? Trouve-les-moi ! Vite ! ordonna Anthony d'une voix autoritaire où perçait pourtant le désespoir.
À qui s'adressait cette supplique ? Cid, Anastasia et Térence se sentirent chacun concernés et s'activèrent à leur façon pour découvrir une issue, un indice.
Cid scrutait l'écran pour comprendre où ses amis étaient enfermés, Térence sondait la pièce à la recherche d'une clef ou d'un badge, Anastasia se concentrait en caressant l'air de ses longs doigts fins. Elle voulait communiquer avec Mélia.
Anthony, quant à lui, était hypnotisé par l'image pixellisée du visage torturé de sa fille. Il vit un colosse roux l'attacher sur un siège de dentiste, tandis que Laëtitia Yessel alignait nonchalamment un ensemble de bistouris tranchants sur un plateau.
— Qu'est-ce qu'elle va lui faire ! Non ! Je ne veux pas ! On doit l'aider, sanglota Anthony, les yeux toujours rivés à l'écran, happé par le film d'horreur qui se déroulait juste pour lui.
— Reprends-toi, Anthony ! intima Anastasia d'une voix ferme pour masquer l'angoisse qui l'habitait elle aussi. On va la secourir. On va trouver. Je ne peux pas communiquer avec elle, elle est trop paniquée, elle a fermé involontairement tous les canaux. Mais, je sais où elle est. J'ai capté une résonnance particulière de son signal énergétique. Elle est en profondeur, dans une cache souterraine.
— Oui, juste sous nos pieds, s'excita Cid. Regardez sur l'écran, le tuyau bleu, derrière Théo, c'est le même que celui qui est contre le mur !
— Et là, il y a un clavier dans un boitier, compléta Térence. Je suis sûr que le code permet d'ouvrir une porte secrète cachée dans la cloison.
— Trouve le code, le supplia Anthony, tandis que la voix de la Milvuit résonnait dans la pièce.
« Le mélange va commencer à faire son effet. Ça va gratter un peu fort à l'intérieur. C'est normal, l'acide va dissoudre quelques membranes pour que j'atteigne plus facilement ta pierre », ricanait-elle à l'adresse de Mélia.
Térence s'acharnait contre le boitier. Il ne trouverait pas la combinaison à temps. Il devait court-circuiter le digicode, quitte à déclencher l'alarme. La vie de Mélia se jouait maintenant. Chaque seconde comptait. Il y eut un petit arc électrique et un cliquetis. Le sol vibra légèrement et la trappe s'ouvrit aux pieds d'Anthony. Il s'engouffra dans l'escalier sans réfléchir, suivi par Térence. Anastasia hésita, elle aurait voulu mettre Cid en sécurité avant de plonger dans la gueule du loup. Le garçon comprit les réticences de la belle Maître Arcan, alors il la contourna et s'élança à son tour dans le sous-terrain.
Anastasia Tix se résigna et adressa une prière muette aux Éthers Originels pour que le jeune homme n'ait pas à être confronté aux Indésiratas. Mais ses espérances furent vaines, car après quelques mètres seulement parcourus dans les boyaux souterrains, le quatuor se trouva face à deux individus en blouses blanches. Malgré leur allure de scientifiques gringalets, ils furent tout de suite en alerte et lancèrent une attaque acoustique simultanée. Un simple sifflement qu'ils modulèrent frénétiquement de l'index et du majeur devint une panoplie d'ultrasons à forte densité. L'effet fut fulgurant, les Ostendes et Cid portèrent d'abord les mains aux oreilles, mus par un réflexe. Puis, ils se replièrent sur eux-mêmes pour protéger leurs organes vitaux. Le son agissait comme un scalpel qui découpait la chair et s'insinuait en profondeur. Plus les Indésiratas se rapprochaient plus l'intensité et la précision de frappe était accrue.
Courageusement, Anastasia renonça à se prémunir pour attraper Cid, elle devait intervenir avant que les scientifiques soient sur eux. Elle aspira en Cid juste le Ki nécessaire pour créer un rempart acoustique qu'elle projeta devant ses compagnons. Encore hébétés, Térence et Anthony eurent néanmoins la présence d'esprit de livrer une attaque en duo. Cela demandait moins d'énergie, mais une belle coordination et de la précision. Dos à dos de profil par rapport à leurs adversaires, ils placèrent leurs mains en prière sur leur poitrine et frictionnèrent leurs bouts de doigts. Alors un flux d'air condensé émana de leurs paumes et fusa sur les scientifiques qui furent balayés et projetés contre le mur à une dizaine de mètres. Cid émit un sifflement sidéré, mais n'eut pas le temps de s'extasier, Anastasia le tirait par la manche. Anthony et Térence étaient déjà au bout du couloir sans un regard pour les Indésiratas en tas inerte sur le sol. La confrontation avait fait du bruit, la discrétion n'était plus de mise, la rapidité d'action était leur unique chance. Ils arrivèrent devant une porte blindée protégée par un digicode.
— La poisse, encore un code ! Je ne sais pas si je vais pouvoir le court-circuiter celui-là. Le système parait plus sophistiqué. Préparez-vous, il pourrait y avoir du monde derrière, décréta Térence.
— T'inquiète, on est prêts !
Anthony, bien campé sur ses jambes, les bras levés à une trentaine de centimètres du visage, avait les traits tendus et décidés. Sous l'intensité de son Ingéni, le torse de l'Éther s'auréolait de bleu qui transperçait à travers sa chemise blanche. Les longs doigts ébène d'Anastasia crépitèrent et tout son corps fut nimbé d'un halo violet diffusé par son améthyste joliment placée sur le front entre ses sourcils, comme un bendi indien.
Cid, en retrait, aurait voulu se faire tout petit. Sans aptitude particulière au niveau de la manipulation des énergies ni compétence en sport de combat, il était le maillon faible du quatuor.
Les mains de Térence étaient agiles et précises. Il avait ôté le couvercle du boitier et jouait avec les fils et les transistors comme il l'aurait fait d'une construction de Lego.
— J'y suis presque ! J'ai atteint la configuration de la platine, je n'ai plus qu'à changer le code d'accès. Voilà, encore une minute...
— Vous ne surveillez jamais vos arrières ? Le danger n'est pas toujours là où on le croit, ironisa une voix glaciale dans leur dos.
Malgré la vitesse de leur volteface, ils ne purent que constater que les jeux étaient déjà faits. Luc Porrexi tenait fermement Cid et crispait ses doigts crépitants sur le cou du pauvre garçon devenu aphone. Dux Deprador les toisait, l'air mauvais, tandis qu'Allan et Daniel Le Tallec ricanaient. Quelques mètres plus loin, les Mansar, le couple de Nigrefacs, arrivait au pas de course, suivis par Jason Le Tallec, visiblement ravi de cette visite surprise.
— Vous allez placer sagement vos mains dans le dos et baisser vos yeux, sinon je crains que ce petit porcelet ne perde définitivement l'usage de la parole, précisa le Milvuit en accentuant sa prise sur le cou de Cid.
— Regardez-les, ils sont figés. Ils ne savent plus quoi faire. Faut-il laisser celui-ci mourir pour tenter vainement de secourir ceux à l'intérieur ? C'est cela, hein, qui se trame dans votre minuscule cervelle d'Ostende ? demanda d'une fausse voix mielleuse Dux Deprador. Mais mes pauvres amis, c'est fini ! Rendez-vous à l'évidence, vous êtes dans notre nid, à notre merci ! Et nous avons de beaux projets pour vous ! Les mains dans le dos !
Anthony bouillonnait littéralement. Il ne voulait pas abandonner Mélia, il donnerait sans la moindre hésitation sa vie pour sauver celle de sa fille, mais pourrait-il se résoudre à sacrifier la vie de Cid ? Anastasia pinça ses lèvres et renonça à une contre-attaque. Térence délaissa rageusement le boitier pour se rendre aux exigences de ses ennemis. Il y eut alors un déclic et un petit souffle d'air, la porte blindée venait de se débloquer.
— Tiens, fit ironiquement Jason Le Tallec qui reprenait les commandes, vous y étiez presque ! Mais ne vous inquiétez pas, vous vouliez rentrer, nous n'allons pas vous décevoir. Vous allez même faire un séjour dans nos locaux.
La cohorte d'Indésiratas se resserra près de ses proies soumises. Par la porte entrouverte, ils entendirent Laëtitia Yessel qui s'agaçait et la voix d'un homme blasé qui répondait : « Il est deux heures moins deux. »
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