Chapitre 18: L'intrus
Chinchou essayait d'attraper un lambeau de brume rose qui zigzaguait au gré du vent. Le pauvre petit animal devenait fou, il enchainait les bonds prodigieux pour sa taille, mais ne parvenait jamais à saisir ce ruban coloré qui lui chatouillait pourtant les moustaches.
— Arrête, petit monstre, ça suffit ! Tu n'as pas encore compris que ce n'était pas un adversaire qui visait ton territoire ! Tu m'écoutes, vilaine bestiole ! s'égosillait Mélia.
Mais le chinchilla n'avait que faire des brimades de sa maîtresse. Il ne voulait pas renoncer à son combat. Il l'aurait ce curieux de serpent volant et il le mordillerait jusqu'à ce qu'il s'avoue vaincu ! Il se précipita pour effectuer une nouvelle pirouette, mais fut arrêté net dans son élan par une main ferme. Mélia l'avait attrapé par la queue ! Elle l'enfouit prestement dans sa poche qu'elle maintint bien fermée.
— Oh ! Tu peux couiner, petit polisson ! Ça fait une heure que je te cours après ! Regarde, je ne sais même pas où tu m'as amenée ! Si les Maîtres Arcans se doutaient que je me promène dans le périmètre non sécurisé, je me ferais encore remonter les bretelles !
Deux heures auparavant, elle avait quitté la salle hydrophile, mécontente, avec l'impression de ne pas réussir à se faire entendre. Les Maîtres Arcans semblaient plus préoccupés par l'origine des Ingénis qu'elle leur avait apportés que par le sort de Fanny Clivier. Elle aurait voulu partager sa déception avec son frère, mais celui-ci s'était avéré introuvable. Alors, elle avait choisi de s'isoler avec Chinchou pour profiter de la douceur chaude de son petit compagnon à poils.
Mais l'animal n'était pas d'humeur câline et avait saisi la première opportunité pour quitter la poche ventrale du sweat de Mélia et crapahuter sur les chemins du Jécorum. Tout d'abord, la jeune fille s'était amusée à le voir s'agiter et sauter partout. Mais quand il avait franchi le voile du Jécorum, elle avait commencé à le gronder et essayer de le rattraper. Peine perdue, le chinchilla, leste comme une anguille, se faufilait sous les pierres et ressortait quelques mètres plus loin, encore plus excité. Et ce petit manège avait amené Mélia hors des sentiers balisés par les frères Targent. Elle redoutait, par-dessus tout, la gueule putride de la Faille. Elle l'avait vue de bien trop près déjà pour avoir envie de s'aventurer en terrain incertain. Pourtant, elle ne pouvait pas abandonner Chinchou.
Elle s'était égosillée à rappeler le petit inconscient, elle avait même fait mine de repartir pour l'inquiéter en espérant qu'il la suivrait. Mais non, elle avait dû continuer à lui courir après sur plusieurs kilomètres avant de réussir enfin à lui saisir le plumeau qui lui faisait office de queue. Maintenant qu'elle tenait le fugitif, elle avait tout intérêt à rejoindre rapidement les sentiers sécurisés. Chinchou faisait un sacré remue-ménage dans sa poche. Il donnait des coups, mordillait le tissu et grognait pour manifester son mécontentement.
— Ça suffit ! Tu vas voir si je vais encore t'emmener promener moi, si tu fais un cirque pareil à chaque fois !
Elle gourmanda le chinchilla, mais sa langue s'emmêla curieusement. Les mots s'asséchèrent dans sa gorge. Elle porta les mains à son cou pour apaiser l'impression d'étouffement qui l'assaillait tout à coup. Non, elle vivait une sensation ! Pourquoi ici ? Que se passait-il ?
Elle parvint rapidement à retrouver son calme, elle s'y était entrainée. Par précaution, elle s'accroupit derrière un petit taillis épineux et observa les lieux. Il n'y avait personne et aucun signe de l'activité destructrice de la Faille n'était perceptible. Alors pourquoi la sensation se manifestait-elle ? Elle avait réussi à réguler sa respiration, mais sa tête semblait coincée dans un énorme casque de ski. Elle avait du mal à réfléchir et la peur la tétanisait.
Pourquoi avait-elle encore désobéi ? Elle se retrouvait seule ici, loin des secours et de la sécurité du Jécorum. Elle en voulut à Chinchou qui gigotait toujours comme un forcené dans sa poche.
— Toi, tu te calmes ou je t'étripe ! chuchota-t-elle en serrant ses mains autour de la forme cachée par le tissu.
Elle resta à couvert pendant de longues minutes. Il n'y avait aucun mouvement autour d'elle. Pourtant les sensations ne faiblissaient pas. Elle inspira un bon coup et décida de ne pas trainer ici. Elle se redressa prudemment et se précipita sur le chemin du retour. Mais à peine avait-elle fait quelques pas, qu'elle entendit un étrange grésillement dans son dos.
Toute hérissée, elle fit volte-face. À une dizaine de mètres de là, entre deux pierres couchées, de petites zébrures électriques s'étiraient et disparaissaient pour laisser place à d'autres. Mélia hésitait entre la curiosité et la fuite. Elle n'eut pas le temps de choisir. Une main apparut au milieu d'étincelles. Elle tâtait l'air au hasard et fut suivie d'un pied mal assuré. Enfin, une silhouette entière s'extirpa de l'ouverture entre les plans. C'était Daniel !
Mélia plongea au sol au risque d'écraser Chinchou dans sa poche. Elle était à découvert, à peine recouverte par un léger voile de brume mauve qui lui donnait envie d'éternuer. Heureusement, Daniel semblait perturbé. Il titubait et plissait les yeux. Il portait sur la tête un étrange casque relié à son corps par un ensemble de câbles électriques. Incrustée dans le casque, une fiole en verre transparent renfermait un énorme diamant baigné dans un liquide grumeleux. Mélia reconnut sans peine l'Ingéni qui manquait dans la mallette.
Elle faillit hurler son désespoir. Les Indésiratas avaient trouvé un moyen de se connecter aux Ingénis qu'ils avaient arrachés aux Ostendes et pouvaient pénétrer en Ethérie ! C'était donc ça que manigançaient les pseudoscientifiques que Briac avait aperçus dans son sous-sol. C'était ça, la mission de Daniel. Entrer en traître en Ethérie et faire le plus de dégâts possible. Mais qu'avait-il prévu de détruire ?
Complètement aplatie sur le sol, Mélia priait pour qu'une bourrasque de vent n'emporte pas le fin voile cotonneux qui la recouvrait. A quelques mètres d'elle, le Péragore se tenait le ventre. Il avait l'air sorti d'un mauvais film de science-fiction avec son attirail d'extraterrestre. Il fit soudain quelques pas rapides et vomit au pied d'un pauvre arbuste. Il toussa, son casque grinça, les fils s'emmêlèrent. Pathétique, mais tellement dangereux, pensa Mélia.
Puis, Daniel parut se ressaisir. Il allait mieux, les effets du passage en Ethérie s'estompaient sans doute. Il ajusta son casque, reconnecta un fil électrique et fit un vilain sourire.
— J'y suis, j'y suis ! Ça marche vraiment leur truc, chantonna-t-il d'une voix fausse. Je vais vous en faire baver mes petits Ostendes !
Il se mit à siffloter et s'affaira au-dessus d'une des pierres qui délimitaient l'ouverture. Mélia n'osait pas lever la tête pour observer ce qu'il faisait. Elle l'entendit farfouiller dans un sac puis jurer. Plusieurs minutes s'écoulèrent assez silencieuses, Daniel était concentré sur sa tâche. Mélia se redressa un peu pour laisser respirer Chinchou qui suffoquait, elle risqua un coup d'œil en direction du Péragore. Il lui tournait le dos, accroupi, appliqué à assembler des fils électriques plantés dans une sorte de pâte à modeler. Il se frotta alors les mains l'air satisfait et se releva d'un coup en oubliant l'énorme casque qui dépassait de quarante bons centimètres au-dessus de sa tête. Il heurta violemment une branche et resta sonné quelques secondes.
— Quel putain de pays avec ses putains de branches, finit-il par lâcher en tâtant anxieusement le milieu du casque où se trouvait l'Ingéni dans son liquide.
L'inspection du matériel fut apparemment satisfaisante puisqu'il se remit à chantonner. Il ramassa son sac et examina les alentours. Quelques pas à droite, quelques pas en avant. Il était à deux doigts de découvrir la jeune fille épouvantée qui se mordait les lèvres.
Heureusement, pour Mélia, le regard de Daniel portait à hauteur d'homme et à l'horizon. Il faut dire qu'il ne s'attendait pas à voir une Ostende sortir de terre sous ses pieds. Il fit claquer sa langue pour exprimer son contentement et observa avec un sourire incrédule un rouleau de brume qui s'entortillait autour de son bras. Visiblement cette matière douce et volatile qui ne connaissait pas sur le plan terrestre l'intriguait beaucoup. Il eut l'idée, soudain, de balayer d'un grand coup de bras quelques volutes bleutées qui l'entouraient. Des vaguelettes colorées l'enveloppèrent comme la mousse débordante d'un bain.
Le Péragore s'amusait, mais les remous qu'il avait créés engendrèrent un mouvement au ras du sol et la pellicule légère qui abritait Mélia se dissipa. En quelques secondes, elle fut totalement à découvert et n'échappa pas au regard interloqué de Daniel. Ils restèrent tous deux immobiles, trop surpris pour décider d'une action. Puis tout s'enchaina très vite. Mélia essaya de se lever, mais le Péragore se jeta sur elle et la garda plaquée au sol. Elle se contorsionna pour se soustraire à son emprise. Ses quelques efforts permirent juste à Chinchou de quitter la poche ventrale dans laquelle il commençait à ressembler à une crêpe.
Le petit animal se faufila entre les pieds de Daniel qui poussa un cri étonnamment aigu et lâcha sa proie. Mélia se dégagea à quatre pattes et prit son élan pour fuir vers le chemin. Une poigne de fer lui agrippa les cheveux. Elle fut arrêtée nette avec l'impression d'avoir été scalpée.
— Reste là toi ! lui ordonna Daniel. Quel beau cadeau je vais ramener à mon père ! C'est encore mieux que dans mes rêves !
— Lâche-moi, le supplia la jeune Ether. Tu me fais mal.
— Tant mieux, c'est voulu ! J'aime faire mal aux Ostendes, ça me renforce.
Mélia plaquait ses deux mains sur sa tête, pour essayer d'atténuer la douleur cuisante à la racine de ses cheveux. Pourtant, elle ne renonça pas à s'efforcer de se dégager malgré la poigne de son adversaire.
— On ne t'a rien fait. Pourquoi tu nous en veux autant ? gémit-elle. Aïe ! Laisse-moi partir.
Mais le Péragore renforça sa prise, il jubilait. Fier comme un coq, la jeune fille à ses pieds.
— Tu n'as rien à faire en Ethérie, continua Mélia les larmes aux yeux.
— Oh ! Que si ! Mais il est vrai que je ne m'attendais pas à tomber sur toi, t'es toujours en train de fouiner là où il ne faut pas ! Selon mon indic, il ne devait y avoir personne ici !
— Ton indic ? Qui t'a renseigné ? demanda la jeune fille en essayant de le regarder malgré la position de soumission qu'il lui imposait.
— Tu es décidément bien curieuse ! Eh oui, il y a un traître parmi les Ostendes, mais tu ne pourras pas l'annoncer à ton clan, car tu vas avoir un terrible accident, ici ! Adieu petite Ether.
Mélia vit le regard de son adversaire s'assombrir. Il avait les mêmes yeux que Briac, mais la flamme qui les animait paraissait plus froide et calculatrice. Une pointe de démence s'allumait même comme un rougeoiement dans sa pupille. Il lui saisit le cou d'une main et de l'autre agita ses doigts juste au-dessus de son front.
Immédiatement, la jeune fille sut que Daniel ne plaisantait pas, il voulait la tuer. Elle ressentait des ondes s'infiltrer dans son cerveau et éclater comme de bulles dévastatrices. En même temps, elle suffoquait, privée d'oxygène par la main qui resserrait son étau autour de son cou. Son regard devint vitreux, elle allait s'évanouir.
Elle réagit à temps en lançant un coup de pied dans le tibia du Péragore, mais la force lui manquait pour vraiment le déstabiliser. Il y eut juste une brève interruption de la douleur dans son cerveau alors que la main restait agrippée à son cou. Elle ne voulait pas renoncer à la vie sans se battre. Mais, elle ne voyait aucune issue. Ses ongles grattaient la terre sans trouver de prise. Elle allait perdre connaissance quand son regard fut ébloui par le gros diamant que renfermait la fiole sur le casque de Daniel. C'était un Ingéni et tous ses sens lui criaient qu'elle pouvait y gagner un allié.
Alors, elle concentra ses dernières forces sur le joyau, elle voulait atteindre le cœur de la matière. Aussitôt, comme s'il n'attendait que ça, l'Ingéni devint étincelant, il vrombit, puis sans prévenir explosa en détruisant la fiole. Daniel hurla et chercha à enlever le casque qui paraissait le brûler. Il se débattait avec tous ses fils électriques qui entravaient ses mouvements. Mélia saisit sa chance et se sauva. Le Péragore n'essaya même pas de l'arrêter, il hurlait toujours. Quand elle atteignit le chemin, elle risqua un coup d'œil derrière elle. Mal lui en prit, car dans son affolement, son pied crocheta une vilaine racine et elle chuta la tête la première dans un petit ravin qui bordait le sentier. Elle ne se releva pas, sa tête avait percuté une pierre.
À cet instant, Thys eut un haut-le-cœur. Cela faisait deux bonnes heures qu'il cherchait Mélia en dehors du Jécorum. Il savait qu'elle était en danger, mais il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire. Il porta machinalement une main à sa tête et se massa une bosse imaginaire juste au-dessus de son Ingéni.
— Mèl, où es-tu encore ? Que t'est-il arrivé ? Contacte-moi, bon sang !
Le jeune Ether avait beau se concentrer sur une éventuelle communication télépathique, il n'obtenait aucun résultat. Pourtant, par le passé, il avait déjà fait l'expérience de cette connexion avec sa sœur. Mais là, elle restait totalement muette. Aucune voix ne s'infiltrait dans son cerveau. Seule une migraine gonflante battait contre ses tempes et la nausée le contraignait à prendre régulièrement de grandes inspirations. Il arriva à une bifurcation. À droite, un sentier arborisé couvert d'une brume poudreuse et blanchâtre ; sur la gauche, une montée bleutée, jalonnée de blocs granitiques.
Le garçon soupira. Il n'avait aucune idée du chemin qu'il devait suivre. Si seulement son instinct voulait le guider ! Dépité, il s'adossa à un jeune frêne retors qui poussait difficilement sur un sol de caillasse.
Machinalement, il en caressa l'écorce qui vibra aussitôt en harmonie avec lui. Il perçut la volonté du jeune arbre pour s'affirmer sur ce terrain hostile et il ressentit les efforts incommensurables qu'il devait faire pour drainer l'eau nécessaire à sa survie. Thys éprouva énormément d'empathie pour ce frêne poussif et sans même s'en rendre compte, il puisa dans les ressources de son Ingéni pour lui fournir un peu d'énergie. Le cristal grésilla, les mains du garçon s'auréolèrent de bleu et le feuillage frissonna. Lors de ce partage, Thys s'infiltra au cœur de l'arbre et les images commencèrent à défiler. Il vit la graine à peine germée qui souffrait déjà de la sécheresse des lieux. Il ressentit la tristesse de cette longue tige fine à trois feuilles qui ployait sous le vent glacial.
Non, il voulait rompre le contact ! Il ne souhaitait nullement subir encore une fois la colère et l'humeur belliqueuse d'un arbre. Pourtant quelque chose le retint comme une branche amicale coincée dans le maillage de son pull. Il hésita et continua à découvrir la vie de ce frêne qui l'avait touché et le jeune arbre lui offrit le plus beau des cadeaux. Une image de Mélia ! Thys vit sa sœur frôler l'arbuste en poursuivant son chinchilla. Il la vit courir dans la montée derrière un Chinchou ivre de liberté. Puis plus rien. Où était-elle allée ensuite ?
Le garçon ne capitula pas. Il voulait ses informations et ne lâchait plus la branche salutaire. Il incita ainsi l'arbre à lui fournir d'autres renseignements. D'abord rétif, le frêne céda. Il puisa encore dans le cristal de Thys et établit la communication avec l'ensemble des végétaux environnants. Des souffles rauques, semblables à des murmures, se firent échos dans la tête du jeune homme Il se sentait tiraillé, interpellé de toutes parts. Puis il capta l'intégralité des souvenirs concernant Mélia. Comme des lambeaux d'images qu'on essaierait d'assembler pour créer une histoire, il suivit les péripéties de sa sœur. Il vit tout ! Il était horrifié, Daniel était en Ethérie et avait attaqué Mélia !
En moins de dix minutes, Thys réussit à atteindre les lieux de la mauvaise rencontre. Il avança alors à couvert de peur de se retrouver nez à nez avec le Péragore. Il ne vit pas Daniel, mais trouva son casque éventré au milieu de débris étincelants. Oubliant toute prudence, il courut au bord du petit ravin qui bordait le sentier. Sous une couche de brume bleue, il devina la silhouette de sa sœur, allongée au milieu de feuilles mortes et d'orties écrasées. Le cœur de Thys se serra, sa gorge était tellement contractée par l'angoisse qu'elle lui faisait mal. Il sauta dans le talus, glissa, tomba et faillit rouler sur sa sœur. Il la palpa les larmes aux yeux.
— Mélia, dis-moi que tu vas bien ! Mélia !
Elle tressaillit, ses lèvres frémirent et ses paupières s'entrouvrirent.
— Ça va, lui répondit-elle d'une voix mal assurée sans esquisser le moindre mouvement.
— Bon sang, t'es vivante ! J'y crois pas !
— Merci ! Aide-moi plus tôt à me relever, j'ai trop mal au crâne !
Une bosse de la taille d'une balle de ping-pong finissait de gonfler sur le front de la jeune fille. Elle était pâle et son Ingéni qui vibrait intensément l'auréolait d'une lueur argentée. On aurait dit un spectre sorti du brouillard. Thys hésita à la prendre dans ses bras.
— Il ne faut pas rester ici, le prévint Mélia. Daniel a réussi à entrer en Ethérie. Il est dangereux !
— Je sais. J'ai tout découvert à travers la mémoire des arbres. Tu vois, ça sert d'être un Grand Passeur, lui répondit son frère assez fièrement.
Mélia l'observa pleine d'interrogations. Mais elle ne posa aucune question, tellement soulagée de contempler le visage de son frère plutôt que celui du Péragore. Un craquement de bois mort fit sursauter les jumeaux qui s'accroupirent et s'aspergèrent de brume pour échapper aux regards. Quelqu'un se déplaçait sur le sentier. Le pas était léger, un simple frôlement.
— Mélia ! Ouh ! Ouh ! Tu es là ? appela la voix inquiète d'Anastasia.
— Ici ! crièrent les jumeaux en sortant de leur cachette.
Anastasia poussa un soupir et se précipita vers la jeune fille sans remarquer la bosse qui ornait son front.
— Mélia, je t'ai senti en danger ! s'exclama la Maître Arcan. Je suis si heureuse de te retrouver en un seul morceau.
Elle saisit la jeune fille dans ses bras et la contempla alors en fronçant les sourcils.
— Tu as même un morceau de plus, fit la femme noire en désignant la bosse de la jeune fille. Et toi, Thys, qu'est-ce que tu fais là ? On t'avait dit de rester à l'abri dans le Jécorum !
Le garçon haussa les épaules.
— C'est quand même moi qui l'ai trouvée le premier.
Quand Anastasia apprit qu'un Le Tallec avait réussi à pénétrer en Ethérie, elle demeura plus d'une minute sans voix puis pressa Mélia de questions.
— Mais il était seul ? Comment il est rentré ? Où est-il maintenant ?
La jeune fille donna tous les renseignements qu'elle possédait et elle dut répéter son histoire une bonne demi-douzaine de fois de retour en Ethérie. D'abord, trois fois à Téodor qui ne voulait pas la croire, puis à Térence Plomb qui n'en finissait plus de se lisser la barbichette. Elle dut donner tous les détails à Rinata qui se mit à la couvrir de bisous et de mots doux. Les frères Targent demandèrent à tour de rôle une version pour essayer de comprendre comment un Indésirata avait pu pénétrer en Ethérie.
Il était évident que Daniel avait réussi à s'infiltrer dans leur sanctuaire grâce à son casque qui contenait un Ingéni. C'était sans doute à la mise au point de ce casque que s'affairait l'assemblée de savants dont avait parlé Briac. Les Indésiratas avaient réussi ce qu'ils avaient toujours désiré : s'introduire en Ethérie.
La mission de Daniel semblait claire, il devait détruire un maximum d'ouvertures pour empêcher les passages sur le plan terrestre. Sylvain Targent avait découvert un système explosif fixé sur les pierres qui bordaient l'ouverture par laquelle le fil Le Tallec s'était infiltré. Il y avait encore une dizaine de pains explosifs dans le sac qu'avait abandonné le Péragore.
— Mais je ne comprends pas pourquoi ils veulent tout faire exploser, demanda Mélia.
— Pour que l'on soit bloqué ici pour toujours et qu'on leur laisse le champ libre sur le plan terrestre, répondit Térence rageusement.
— Je ne pense pas, grogna Téodor en retroussant les babines.
Il ne dit pas un mot de plus. Tous les autres attendaient une explication. Mais comme le Maître semblait prêt à mordre, personne ne posa de questions. Il y eut un long silence, puis il reprit d'une voix rauque :
— Ils préparent sans doute une invasion du plan Ethérique. Ils ne veulent pas que l'on s'enfuie par les ouvertures. Ils espèrent nous capturer pour nous prendre nos Ingénis. Cette race est vicieuse et l'on doit s'attendre au pire.
Une série de soupirs lui répondit. Térence Plomb hocha plusieurs fois la tête comme pour assimiler cette nouvelle hypothèse.
— Il faut donc, nous préparer à un assaut, je vais avertir chaque zone.
— Vous oubliez Daniel, fit remarquer Mélia qui était aussi blanche que la chemise immaculée de Térence.
— Comment ça ? Que veux-tu dire ?
— Vous vous rappelez que son casque s'est brisé, il n'a pas pu sortir d'Ethérie, il est coincé ici !
— Mais elle a raison, s'exclama Rinata. Par les Ethers originels, cet animal des cavernes peut faire d'autres dégâts !
— Non, il doit être terrorisé comme une biche et nous allons le chasser, éructa le Grand Lux en faisant tressauter sa moustache touffue. Je veux que chaque parcelle de brume soit retournée, chaque gouttelette suspendue identifiée. Les Prudens restent tous dans le Jécorum, les autres se partagent le territoire. Je le veux vivant, mais en pleurs. Je veux qu'il regrette d'avoir osé fouler le sol de notre Ethérie.
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