Chapitre 13: Aide providentielle
Mélia ne contrôlait absolument pas ses destinations de bonds spatio-temporels, mais depuis quelques jours, elle était capable de s'évader de son corps à sa guise. Elle usait de cette aptitude pour fuir toutes les situations embarrassantes. Au début ses parents s'en amusèrent, mais ils déchantèrent vite. Leur fille devenait insaisissable. Elle sortait de son enveloppe corporelle pour disparaître lors des corvées de ménage ou pour échapper aux reproches. Thys avait essayé de faire partie des voyages de Mélia. Il guettait les yeux de sa sœur. Et dès que ses pupilles commençaient à se figer, il s'emparait d'une de ses mains et se cramponnait pour partager son expédition. Seulement, il se rendit compte bien vite que sa jumelle ne voyageait pas. Elle s'exilait de son corps certes, mais elle restait à proximité de son enveloppe corporelle comme si elle n'arrivait pas à se défaire de tous ses liens de chair. Alors, il avait finalement accepté de l'aider et avait même convaincu Cid et Théo de participer à l'expérience.
— Voilà, vous allez vous donner la main ! Oui, comme une ronde. Je me mets au centre et on se concentre tous.
Cela maintenant faisait trois jours que Mélia dirigeait le petit groupe.
— On a déjà essayé comme ça hier, fit remarquer Thys, ça n'a pas marché !
— Hier, je n'étais pas au centre, mais dans la ronde. Ne fais pas ta tête de mule !
— OK ! T'énerve pas, Mèl ! Voilà, voilà, on la fait ta ronde.
— Merci. Concentrez-vous maintenant !
Dociles, les trois garçons fermèrent les yeux et crispèrent les paupières pour satisfaire la Clairvoyante, mais cela n'eut pas plus d'effets que tous les autres essais entrepris depuis trois jours. Dans un soupir, Mélia se laissa glisser au sol et se prit la tête entre les mains.
— Je n'y arrive plus ! Je ne me déplace plus ! Je croyais qu'avec Cid qui agit comme une batterie, cela me donnerait l'énergie nécessaire pour contrôler mes départs hors du corps ! Mais rien, c'est à peine si je parviens à survoler vos crânes !
— C'est déjà super flippant ! fit remarquer Théo qui avait encore du mal à assimiler les caractéristiques étranges de ses compagnons.
— Mouais en tout cas, c'est pas ma faute, grommela Cid piqué au vif, moi je ne suis qu'une pile à qui on n'a rien appris.
— Oh ! Cid ne ramène pas tout à toi ! Tu n'as rien à savoir. Contente-toi de me fournir ton énergie ! Il doit bien y en avoir dans ce gros ventre-là ! explosa la jeune fille en pointant les rondeurs du garçon.
Thys et Théo grimacèrent tandis que Cid pâlit. Il passa une main tremblante dans sa chevelure revêche pour se donner une contenance, puis il se dirigea vers la porte. Ses yeux brillaient, il n'osa même pas regarder ses copains.
— Mélia, tu deviens odieuse, dit-il d'une voix chevrotante en sortant.
— Non ! Cid, attends ! Je ne le pensais pas ! Je suis une idiote ! Excuse-moi !
Mélia était au bord des larmes. Elle fixait la porte ouverte et Cid qui hésitait à la franchir totalement.
— Reste ! S'il te plaît ! dit-elle doucement.
Le garçon poussa un soupir et revint sur ses pas. Il attrapa Mélia par les épaules et la secoua légèrement.
— Tu as de la chance d'être la sœur de mon meilleur ami, toi !
— Merci ! Je suis tellement désolée pour ce que je t'ai dit ! C'est que j'ai vraiment envie de retourner dans la chambre de la Belle au Bois dormant. Heu ! De la mère de Briac ! Je sens que je pourrai l'aider !
À peine ces mots prononcés, Mélia se figea dans les bras de Cid. Son Ingéni se manifesta par un sifflement aigu avant de scintiller intensément sous son tee-shirt rose. De surprise, Cid la lâcha. La jeune fille s'effondra mollement sur la moquette.
— Mince, Mélia, ça va ? glapit Cid surpris.
— Ça y est, elle est partie ! Ça a marché ! clama Thys le cœur battant.
— Comment sais-tu qu'elle n'est pas restée dans la pièce juste au-dessus de nos têtes comme les autres fois ? l'interrogea Cid, en contemplant le corps mou de Mélia recroquevillé sur le sol.
— Un truc de jumeau !
Thys était bien incapable de l'expliquer, mais il sentait que sa sœur était loin et il commençait déjà à s'inquiéter.
La jeune Ether filait à une vitesse vertigineuse dans une spirale de lumière. Elle naviguait légère et libre. Sa course ralentit peu à peu et des formes se profilèrent. Elle reconnut aussitôt le vieux coffre en bois mité, le portemanteau aux bras dégarnis et surtout le grand lit caché sous une sorte de moustiquaire.
« J'ai réussi, je suis revenue dans la chambre des Le Tallec ! Oh ! Elle est toujours là sur le lit, la mère de Briac. »
Fanny Clivier semblait statufiée dans sa position de recueillement. Sa peau pâle ne cillait pas. Aucun souffle ne soulevait sa poitrine.
« Bon, et maintenant, qu'est-ce que je fais ? Je connais son histoire, mais je ne vois pas comment je vais pouvoir l'aider ! »
Mélia flottait au-dessus du lit. Elle ne maîtrisait pas vraiment ses mouvements, mais elle parvenait à influencer plus facilement ses directions. Elle décida de partir inspecter la villa pour découvrir où Jason Le Tallec cachait les Ingénis qu'il avait arrachés aux Ostendes.
« Heureusement que Thys ne m'a pas suivie. Il n'aurait jamais voulu que je m'éloigne en exploration » pensa Mélia avec un sourire nerveux.
Elle réussit aisément à quitter la chambre pourtant fermée à clef.
« Me voilà, fantôme ! Je traverse la matière, c'est flippant ! Alors, j'espère qu'il n'y a pas trop d'Indésiratas, par-là ! »
Elle glissa le long du couloir comme si un souffle chaud la propulsait. Plusieurs portes s'offraient sur sa droite, mais elle ne parvint pas à changer de trajectoire pour visiter ces pièces.
« Zut ! Comment on s'arrête ! J'ai pas de freins ? »
Elle prenait de la vitesse et la panique la gagna.
« Bon sang, je ne contrôle rien ! On dirait que quelque chose m'attire ! Je sens que j'ai encore fait une bêtise en venant ici ! Thys ! Au secours ! »
Elle fonçait droit sur un mur qu'elle traversa sans mal, pourtant elle hurla et ferma les yeux. Heureusement son cri était muet, elle n'avait aucun organe ici, mais rue Trévallon, elle imagina l'angoisse que son cri avait dû susciter. Elle se trouvait maintenant dans une vaste pièce sombre. Elle distinguait pourtant deux murs de livres qui se faisaient face et quatre fauteuils Louis Philippe en attente d'hôtes.
« La bibliothèque ! Impressionnante ! Il doit y avoir des milliers de bouquins là ! Mais pourquoi, j'ai été aspirée jusqu'ici ? Est-ce que Jason Le Tallec ou un de ses fils se cache par-là ? »
Cette fois, la jeune Ether était totalement immobile. En suspension dans l'air, face à des rangées de livres neufs qui n'avaient sans doute jamais été lus par les propriétaires de la villa. Alors qu'elle inspectait les lieux, un souffle s'engouffra dans la pièce. Les rideaux se mirent à danser, un roman ouvert effeuilla ses chapitres. Mélia observait ce phénomène avec une angoisse incontrôlée.
Soudain, une force l'aspira et elle se trouva plaquée contre une vitrine derrière laquelle des exemplaires poussiéreux finissaient leur vie. La jeune fille était terrorisée, mais elle décida de rester immobile pour se faire oublier.
« C'est là ! Oui là ! Cherche ! » susurra une voix chaude juste dans le creux de son oreille.
La surprise fut si violente que l'être éthéré de Mélia s'étira d'un coup et qu'elle traversa le plafond tout en effleurant aussi le sol. Dès qu'elle reprit ses esprits, elle retrouva une dimension plus proportionnée. Elle sonda craintivement autour d'elle pour trouver l'intrus, mais personne n'était visible dans la bibliothèque. Pourtant, elle percevait bien un souffle insidieux à ses côtés qui se déplaçait à une vitesse inquiétante. Puis une nouvelle fois, elle se sentit bousculée et fut aimantée par la vitrine.
« Cherche ici ! Aide-moi ! »
Les mots étaient à peine audibles, néanmoins ils suffisaient à terroriser Mélia.
« Fanny ? Est-ce vous ? » tenta-t-elle de demander très mal à l'aise.
« Aide-moi ! »
« Je vais faire mon possible. Votre Ingéni est par là ? C'est bien ça ? »
La fenêtre qui était entrouverte claqua brusquement.
« Fanny ? »
La jeune Ether était attentive au moindre souffle, elle attendait un message, mais il n'y eut plus la moindre manifestation.
« C'est comme si j'avais parlé à un fantôme, j'ai senti une présence ! Était-ce Fanny ? Peut-elle communiquer en sortant de son corps endormi ? Elle voulait me montrer quelque chose ! »
Mélia observa soigneusement l'étagère remplie de livres contre laquelle elle avait été plaquée. De gros ouvrages en partie mités y somnolaient côte à côte. Leur couverture était craquelée et le papier jauni. Elle parcourut machinalement les titres. Il s'agissait de traité d'anatomie, de botanique, de sciences humaines. Un intitulé cependant retint son attention : « secret et pouvoirs des minéraux ». Elle observa plus sérieusement le livre. Il devait être très ancien. Les lettres et des symboles dorés étaient incrustés dans une couverture en cuir ocre.
« Est-ce que Jason Le Tallec avait lu ce livre pour comprendre le rôle des Ingenis ? Était-ce cela que la présence fantôme voulait lui montrer ? »
Il fallait qu'elle atteigne cet ouvrage, qu'elle en prenne connaissance. Il y avait sans doute là un message que souhaitait lui transmettre Fanny Clivier. Mais Mélia ne pouvait pas toucher les objets qui l'entouraient. Son corps immatériel savait se déplacer d'un endroit à l'autre, par contre il lui était totalement impossible d'attraper quelque chose. À force de lorgner l'ouvrage, la jeune fille finit par se coller à lui. Elle se trouvait elle aussi sur l'étagère, serrée entre un manuel d'alchimie et un lexique sur les champignons.
« Zut, mais qu'est-ce que je fais là ! C'est pas vrai, je suis coincée au milieu des livres ! Comment j'ai pu rentrer là-dedans ! »
Il lui fallut une concentration extrême pour se décoller du manuel sur les minéraux. Par contre, elle ne parvenait pas à descendre de l'étagère. Une force la retenait. D'abord agacée, elle se mit à paniquer.
« Par les âmes ancestrales des Ethers, je ne vais quand même pas moisir ici pendant des décennies comme ces vieux bouquins ! Au secours, les garçons ! Ramenez-moi à mon corps ! »
Elle luttait pour se dégager, mais s'enfonçait de plus en plus profondément dans la bibliothèque. Elle se retrouva très vite derrière les livres dans la poussière. Il faisait sombre. Elle crut discerner des insectes et un haut-le-cœur de répulsion la tassa davantage dans son coin. Pourtant, la place n'était pas libre, une petite mallette de cuir noir, toute rutilante avec ses serrures neuves se tenait bien sagement cachée derrière les livres usés.
« La mallette ! La mallette de Jason Le Tallec avec les Ingénis ! C'est ça qu'elle voulait que je voie ! Bravo Fanny ! Je ne l'aurais jamais trouvée seule ! »
Elle se sentit soudain plus légère comme si une amarre avait lâché la libérant de son carcan de papier. Elle flottait de nouveau au centre, satisfaite. Elle avait déniché ce qu'elle était venue chercher. Elle décida alors de regagner la chambre de Fanny pour essayer de communiquer avec le corps endormi.
Aussitôt pensé, aussitôt envolé. Son entité Ethérique répondait bien à sa volonté maintenant et elle le dirigeait facilement. Mélia s'amusait même à accélérer son allure puis à stopper net. Monter, descendre, zigzaguer entre les meubles ou traverser la matière lui parut presque enfantin.
Elle allait entrer dans la chambre de Fanny quand une porte claqua à l'étage du dessous et des pas pressés s'engagèrent dans l'escalier.
— Je te dis que Briac n'est pas clair. Il faut l'avoir à l'œil ! insistait une voix légèrement essoufflée.
— Bah ! Arrête tes histoires, Daniel. Briac n'a jamais été clair de toute façon. Il est insignifiant comme toujours. Laisse-le et concentre-toi sur ta mission !
— Oui ! Je vais faire le plus de dégâts possible. Ils vont en baver ces bâtards d'Ostendes. Je vais bien m'amuser.
— Ouais, n'en fais pas trop, hein ! Papa compte sur toi !
— T'inquiète ! Je maîtrise !
Les deux fils Le Tallec avaient atteint le palier de la chambre de leur mère. Mélia s'était faufilée dans la pièce et elle faisait l'étoile de mer au plafond.
« Qu'est-ce qu'ils font là ? Pourvu qu'ils ne me sentent pas ! »
Alan s'assit sur le bord du lit, caressa les mains glacées de sa mère et sortit le journal qu'il se mit à lire à haute voix.
— Tu y crois encore ? dit soudain Daniel d'une voix méprisante.
— À quoi ?
— À son réveil !
Il désigna Fanny d'un coup de menton sans même la regarder.
— Je ne sais pas. Parfois, j'ai l'impression qu'elle nous écoute, pas toi ?
— Pff ! Des conneries ça ! C'est un légume ! Du vide ! Allo ! La mère, tu m'entends ? crâna Daniel en jetant un coup d'œil crispé à Fanny. Allez ! fais-moi un signe, t'as assez dormi !
Malgré sa fanfaronnade, le garçon affichait un sourire tendu et lançait des œillades craintives en direction du lit. C'est alors qu'il capta quelque chose qui l'intrigua. Il inclina la tête, surpris et interrogea son frère du regard.
— Tu sens pas un truc curieux ?
— Ouais, c'est ça, arrête de te foutre de moi, répondit Alan.
Mais il plissa à son tour le front et scruta la chambre. Mélia formait une fine couche collée au plafond. Elle ne pouvait pas plus s'affiner.
« C'est moi qu'ils ont sentie ! Non, j'ai déjà vécu ça ! Pourquoi, je suis revenue ! Thys, ramène-moi ! »
— Je devine aussi une présence, tu crois que c'est maman ? interrogea Alan en lâchant la main de Fanny.
Daniel ne répondit pas. Il était en train de localiser Mélia. Ses yeux inquiets furetaient partout et il commença une danse des doigts qui alarma la jeune Ether.
À cet instant précis, un battant de la fenêtre s'ouvrit et vint frapper violemment le poignet de l'Indesirata qui laissa échapper un cri de terreur. Puis le tulle léger qui décorait la tête de lit s'envola et se plaqua sur le visage d'Alan qui suffoqua de surprise.
— Tu... tu crois que c'est notre mère qui a fait ça ? balbutia Daniel, le teint livide.
— Je.... Je sais pas, mais on s'en va. Viens !
Ils sortirent à reculons comme s'ils avaient vu un fantôme. Et Mélia entendit leur cavalcade dans les escaliers.
« Waouh ! Bon timing, merci Fanny ! »
La jeune fille eut alors l'impression qu'un courant d'air s'enroulait autour d'elle pour lui livrer un gémissement déchirant.
« Oh ! Je vais faire tout ce que je peux, promis ! »
— Promis ! criait-elle encore alors que trois têtes la dévisageaient avec anxiété.
— Mélia, ça va ? demanda Thys en secouant un peu trop fort sa sœur.
La jeune fille était tout hébétée de se retrouver à l'appartement, entourée des garçons. Elle avait réintégré si vite son corps !
— Je suis revenue ? Comment ?
— On n'en sait rien ! On a tout essayé à la fois ! Les chatouilles, les baffes, le verre d'eau... l'essentiel c'est que ça ait marché ! se vanta Cid.
— Je vois, marmonna-t-elle gênée en tirant sur sa jupe et en massant sa joue endolorie.
Son regard se rembrunit en dévisageant ses compagnons. Elle essora ses cheveux qui dégoulinaient et elle frissonna. Théo riait jaune et laissa Thys et Cid au premier plan alors qu'il cacha derrière lui un verre vide.
— C'est qu'on s'inquiétait, tu m'as appelé, je l'ai senti ! argumenta Thys.
— Et tu t'es crispée, raide comme un piquet, ajouta Cid avec une grimace.
— OK ! OK ! Ça va, on reparlera de vos façons de me ramener plus tard. J'ai un tas de trucs à vous dire. Asseyez-vous.
Sans prendre son souffle, elle leur révéla la découverte de la mallette dans la bibliothèque, son contact glacial avec Fanny, l'apparition des frères Le Tallec et leur conversation alarmante.
— Une mission ? Qu'est-ce qu'ils ont prévu ! demanda Thys.
— Je ne sais pas, mais ça fait peur. Il faut prévenir Téodor et on va encore se faire engueuler !
— Et qu'est-ce que l'on fait pour la mallette ? interrogea Cid.
— On indique à Briac où elle se cache et il nous la rapporte.
— Et on en fait quoi, nous ?
— Nous rien, mais Téodor et Rinata trouveront bien une idée !
Thys poussa une série de soupirs. Ils allaient vraiment être obligés de faire un rapport à Téodor, ce vieux bourru. Il entendait déjà ses grognements et voyait ses babines se retrousser en libérant sa dentition canine prête à mordre ses Prudens.
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