Chapitre 12 : Le secret d'un cylindre
Les fleurs du lilas tassées en bouquet mauve livraient leurs derniers effluves du printemps. Quelques tiges de cosmos s'emmêlaient avec entre elles, tandis que leurs fleurs comparaient leur corolle striée. Térence Plomb entretenait ce petit coin de paradis. À genoux, les mains dans la terre, il aimait ces instants de symbiose avec la matière. Il se libérait de ses tensions et oubliait les tracas du monde. Tout était si paisible. Pourtant, cette fois, il sentit l'agitation naître et fut tiré de sa béatitude par les appels incisifs de Mélia.
Térence s'affola quand il vit arriver les jumeaux, il recula même de quelques pas pour éviter la collision. La jeune fille était rouge pivoine, elle ahanait fortement. Ses cheveux lui cachaient la moitié du visage. À sa suite, Thys semblait perdu. Il serrait contre sa poitrine un objet en bois.
— Que se passe-t-il ? Tu n'es pas couchée ? Mèl, tu as eu un malaise ? s'empressa de demander Térence.
— Non, non ! On veut voir le cylindre ! lui répliqua Mélia en essayant de reprendre son souffle.
— Le cylindre ?
— Oui, le cylindre de Tiahuanaco ! Thys a fabriqué une clef, je crois !
— Je n'y comprends rien, calme-toi !
Mais Mélia s'impatientait. Tout excitée, elle piétinait la brume qui s'écartait sous ses pieds en formant un grand cercle.
— Allez, Térence, il faut que je vérifie quelque chose ! Vite !
Le prédicateur restait interdit, les bras ballants.
— Je ne comprends pas ! Expliquez-moi ce qui vous arrive !
Thys crut que sa sœur allait exploser. Elle gonflait ses joues et retenait sa respiration comme elle le faisait quand elle était petite et que Mamina refusait de lui donner un deuxième bonbon. Mais là, en plus, son Ingéni se mit à vibrer et ses pupilles s'agrandirent démesurément.
— Peut-on voir le cylindre de Tiahuanaco, s'il vous plaît ? demanda Thys le plus calmement possible. Mélia est Clairvoyante, rappelez-vous !
Le jeune Ether avait mis dans le mille. Ce fut la phrase magique qui détendit l'atmosphère et permit à Térence Plomb de reprendre ses esprits.
— Oui, oui, le cylindre ! Mais je ne l'ai pas ! Je ne l'ai jamais eu d'ailleurs ! Rinata le garde dans son alcôve pour l'étudier, vous le savez bien ! Mais que...
Déjà, Mélia avait agrippé le bras de son frère et elle le tirait avec une force incroyable en direction du repaire de leur grand-mère.
Tranquillement installée dans son alcôve, Rinata disparaissait presque sous les piles de livres qu'elle étudiait. Après avoir passé en revue des dizaines de pavés traitant des civilisations anciennes, elle s'attaquait maintenant à l'actualité archéologique. Elle compulsait nonchalamment le magazine professionnel « Arch et faits » du mois précédent quand elle pointa fébrilement un gros titre avec un petit cri étouffé de jubilation. Ses yeux firent des va-et-vient entre une photo sous-marine représentant des blocs de pierre empilés et un texte explicatif signé par le célèbre professeur Rochegrès.
— Mais oui, c'est bien ça ! J'y suis ! explosa-t-elle.
Sur ces entrefaites arrivèrent les jumeaux, talonnés par Térence piqué au vif. Mélia, toujours essoufflée, interpela sa grand-mère, à peine un pied posé dans l'alcôve.
— Mamina, tu es là ! J'ai découvert un truc sensationnel ! Où as-tu rangé le cylindre de Tiahuanaco ?
Mais la Maître Arcan n'était pas sur la même longueur d'onde que sa petite fille, et elle aussi voulait partager sa découverte sensationnelle.
— Ma graine de sésame, il se cache à Yonaguni !
— Quoi ? Tu l'as mis où ? grimaça la jeune fille.
— A Yonaguni, au Japon ! Mais ça va être dur d'aller le chercher là-bas. Il est au moins à vingt mètres de profondeur sous l'océan.
— Mais, que... pourquoi tu l'as enfilé là-bas ? balbutia Mélia consternée.
— Que dis-tu ? Ce n'est pas moi qui l'ai caché, ce sont les Ethers originels ! Tu es toute drôle ! Tu es sûre de ne pas avoir quitté ton alcôve trop tôt ? Il faut te reposer après ta mésaventure.
— Non, non, non !
Mélia agita sa tête nerveusement alors que son pied martelait le sol battu de l'alcôve.
— Mamina, je te parle du cylindre de Tiahuanaco, celui que l'on a été chercher en Bolivie ! Il est par là, hein !
— Ah ! Oui ! Mais moi je te parle du troisième cylindre. Celui qui se cache dans le lieu que tu as visité lors de ton bond spatio-temporel. Selon tes descriptions, il s'agirait d'Yonaguni, un site découvert il y a une vingtaine d'années par des plongeurs. Tiens, regarde !
Et la vieille femme plaça son index sous la photo qui s'étalait en grand sur son magazine. Mélia resta interdite. Coupée dans son élan, elle rassemblait ses idées. Thys s'approcha de la photo et sourit.
— Ouais Mamina, c'est bien là qu'elle nous a emmenés avec Cid. Bon, il y avait un drôle de poisson qui nous narguait, mais sinon c'est absolument identique à ce que j'ai vu.
— Oh ! Ça y est ! On avance, on avance ! Je vais préparer ce nouveau voyage !
Rinata jubilait comme une petite fille à qui on aurait annoncé qu'elle allait rencontrer Superman. Térence restait silencieux, mais un sourire se dessinait peu à peu sur son visage, au fur et à mesure de sa compréhension des événements. Thys et Mélia étaient scotchés à la photo. Peut-être revivaient-ils leur étrange incursion au milieu de l'océan.
— Il va falloir que je me renseigne pour un visa pour le Japon ! Est-ce que je vais pouvoir emporter tout mon matériel là-bas ? Et la météo ? Quel temps fait-il en juillet ? Je ne sais pas si ce site est libre d'accès ! Oh ! Et je n'ai jamais fait de plongée sous-marine ! Je suis peut-être trop vieille pour apprendre !
Comment couper ce flot de paroles ! Rinata était surexcitée et déblatérait en direct ses pensées tout en tournoyant dans l'espace exigu de l'alcôve. Mélia se plaça en face de sa grand-mère. Elle planta son regard limpide dans la chaleur verte aux contours mordorée de l'iris de Rinata.
— Oh ! Mamina ! C'est incroyable, ce que tu as découvert ! Mais moi aussi, je crois que j'ai trouvé quelque chose d'excitant ! Je le sens, tu sais...
Cette fois, la Maître Arcan prêta toute son attention à sa petite fille. Mélia était rouge et contractée. Elle tenait Thys fermement par l'avant-bras comme s'il était son prisonnier. Le garçon affichait une mine pâle, dépassé sans doute par les événements. Il tenait un objet en bois contre son torse et semblait le couver comme s'il renfermait un trésor inestimable.
— Ben, quoi, ma cerise bien mûre ? demanda Rinata alarmée.
— Je crois que Thys a fabriqué une clef ! Regarde !
La jeune Ether arracha le socle de bois des mains de son frère et l'exposa aux regards. Comme les autres restaient circonspects, elle s'énerva.
— Mais enfin, vous la voyez bien la spirale et la pointe, là ! C'est exactement la même chose que l'on trouve sur la base du cylindre de Tiahuanaco. Mais là, c'est en relief, alors que dans le cylindre, c'est gravé.
— Ah ! Et tu crois que ce bout de bois est une clef ? demanda Rinata, incrédule, qui sentait qu'il fallait prendre Mélia avec des pincettes.
Mais étrangement ce fut Thys qui explosa.
— Ce n'est pas UN BOUT DE BOIS ! C'est ma première œuvre !
— Oh ! Pardon, ma tige de roseau, je ne voulais pas...
— Ce n'est pas un bout de bois, ce n'est pas une œuvre, c'est une CLEF ! glapit Mélia. Où as-tu donc caché ce fichu cylindre ?
La frêle jeune fille avait hurlé d'une voix rauque et glaçante qu'on ne lui connaissait pas ! Ses pupilles étaient dilatées ! On aurait dit qu'elle était possédée ! Rinata ne chercha pas à la calmer, mais obtempéra. Elle souleva le couvercle d'un vieux coffre qui, à côté du lit, faisait office de table de nuit.
Elle sortit le cylindre qu'elle avait emmailloté dans un linge pour le préserver des chocs et de la poussière. Elle jeta quelques livres sur son lit pour faire de la place sur la petite table et y déposa le précieux artéfact. Aussitôt Mélia s'en empara. Elle le retourna et afficha un air à la fois satisfait et provocateur. La face circulaire du cylindre qui lui servait de base d'appui était bien gravée. Une spirale au tracé très net enlaçait un losange au centre duquel un trou large d'un demi-centimètre semblait s'enfoncer au cœur même du cylindre. Thys approcha alors son socle de bois pour le comparer au travail de l'artiste d'un autre temps. La similitude était saisissante. Les formes se répondaient en échos au millimètre près. On n'avait qu'une envie : essayer de les emboîter. Et Mélia ne laissa le temps à personne d'autre qu'elle d'en prendre l'initiative.
— Donne-moi ça, ordonna-t-elle à son frère en lui arrachant des mains son bout de cèdre. Tu vas voir, c'est la clef !
— Mais, tu es sûre que...
Déjà la jeune fille assemblait les deux éléments alors que Térence et Rinata réfléchissaient encore à l'étrangeté d'une telle coïncidence de formes.
Il y eut comme un déclic lorsque la tige de cèdre torsadée enfonça son aiguillon dans l'orifice en pierre. Puis la spirale de bois s'incrusta parfaitement dans celle du cylindre. Aussitôt, des cliquetis se répondirent à l'intérieur de la pierre comme si tout un mécanisme se réveillait.
En alerte, les quatre Ethers reculèrent d'un pas sans lâcher du regard le cylindre qui se mit à trembler. La face circulaire du sommet s'ouvrit et libéra une poussière ocre qui fit toussoter Rinata. Les jumeaux s'éventèrent à grands mouvements de bras tandis que Térence époussetait sa barbiche toute poivrée de particules de terre. Les cliquetis s'enchainèrent jusqu'à un craquement sec. Alors quatre triangles de verre émergèrent lentement du cylindre. Leurs sommets se réunirent pour former une petite pyramide parfaite.
— Oh ! Ben mince, alors ! Qu'est-ce que c'est ? demanda Thys dont les dents s'entrechoquaient sans qu'il ne s'en rende compte.
— Attends, on va voir ! Ne t'approche pas trop ! le conseilla Rinata, qui saisit le bras de son petit-fils ainsi que celui de Mélia et les força à reculer encore d'un pas.
Tous les quatre étaient au comble de l'excitation. Ils vivaient un moment unique. Ce cylindre des Ethers Originels avait été activé et s'apprêtait à délivrer son secret. Ils attendirent cependant en silence, muselés par la crainte de rompre l'enchantement. La pyramide de verre étincelait de pureté. Pourtant, elle n'était pas transparente, mais d'un argenté miroitant comme les yeux des chats la nuit.
Sans avertissement, le cylindre se mit à tourner lentement sur lui-même et la pyramide émit des crépitements étranges. Le mouvement s'accéléra et un rai de lumière prit naissance au cœur des triangles de verre.
— Bon sang, c'est flippant ce truc ! chuchota Thys pour lui-même.
— Chut ! ordonnèrent les trois autres.
Une boule de lumière rouge sortit du gypse écarlate et se lova au cœur de la pyramide. Elle tournoyait en vrombissant. Le spectacle était extraordinaire et les Ethers, fascinés par cette magie, oublièrent leurs précautions et se rapprochèrent, hypnotisés par la sphère de lumière.
Mélia fut la première à être touchée par un filament luminescent qui se détacha de l'ondulation centrale pour venir percuter son Ingéni. Le cœur de cristal de la jeune fille se mit alors à étinceler en crépitant tandis que son corps se hérissa d'un halo brasillant. Thys, Rinata et Térence furent, à leur tour, happés. Trois filaments de lumière s'échappèrent de la boule et atteignirent leur Ingéni.
Aussitôt, l'étoile d'or de Rinata vibra, tandis que cristal de Thys commença à scintiller comme un phare dans la tourmente. La calcite qui siégeait sur le menton de Térence colora sa barbiche d'un velours orangé tout en grésillant. C'est alors que la pyramide s'activa. Son sommet s'ouvrit et libéra un flux de lumière rectiligne qui semblait vouloir percer la voûte rocheuse de l'alcôve.
— Qu'est-ce que c'est ? hoqueta Mélia, surprise par la puissance du faisceau.
— On dirait un rayon laser ! Ne le touchez surtout pas ! les mit en garde Rinata.
Ils étaient tous les quatre connectés à la pyramide de verre. Le faisceau de lumière se divisa alors en deux, puis des centaines de filaments colorés s'entrecroisèrent. Une image commença à se former.
— Regardez, un visage ! Je vois un visage ! s'étrangla Thys.
— Il a raison ! Ça ressemble à un hologramme !
Une forme luminescente vacillait au sommet de la pyramide. Les contours flous cherchaient leurs limites. L'image s'ajustait. Le halo d'une chevelure blanche apparaissait puis disparaissait, comme balayé par un courant d'air. Deux yeux d'une douceur bleue se dessinaient clairement et cherchaient un interlocuteur.
La pyramide émit alors des sons et des souffles étranges couverts par un fort grésillement. Parfois un mot s'échappait du brouillamini d'onomatopées.
— C'est un message ! On nous transmet un message ! fit remarquer Mélia en tendant l'oreille pour décrypter cette étrange transmission.
— On n'y comprend rien ! gémit son frère.
— Chut ! Concentrez-vous !
Rinata se rapprocha encore du cylindre pour essayer de capter les mots que le personnage aux yeux bleus délivrait. L'espace d'un instant, l'image se stabilisa et le son s'éclaircit. Puis de nouveau des grésillements vinrent parasiter le message. Thys et Mélia s'étaient, eux aussi, avancés instinctivement pour essayer de saisir quelques mots.
— Stop, ne bougez plus ! Je crois que j'ai compris ! s'exclama Térence.
De sa barbiche scintillante, il pointa la pyramide.
— C'est un émetteur et nous sommes les antennes ! Il faut que nous nous placions correctement. Thys et Mélia, alignez-vous chacun sur un des angles de la pyramide du côté droit et Rinata et moi ferons de même sur le côté gauche !
— Très pertinent, mon cher ! commenta Rinata en rejoignant fébrilement l'angle que l'agenceur de l'Ethérie lui avait désigné.
Les filaments de lumière étaient toujours connectés aux Ingénis. Et quand les quatre Ethers furent en place, les rais lumineux qui les reliaient à la pyramide formèrent une croix parfaitement perpendiculaire. Aussitôt, l'image se stabilisa et les grésillements cessèrent. Ils virent très nettement un vieillard en toge blanche qui planait au-dessus du cylindre.
— C'est Alexander ! Je l'ai vu quand j'ai fait mon bond spatio-temporel ! expliqua Mélia.
— Il est impressionnant ! Est-ce qu'il est vraiment là ? demanda Thys mal à l'aise. Je veux dire, il nous voit, il nous entend ?
Mais avant que le jeune homme n'obtienne une réponse, une voix rauque aux nuances métalliques résonna fortement dans l'alcôve.
— Ce message s'adresse aux survivants de la Grande Pression comme nous avons appelé le cataclysme qui a ravagé notre planète. Si vous avez pu enclencher le mécanisme du cylindre, c'est que vous appartenez à la famille des Ostendes ou que votre Éveil approche. Je me nomme Alexander, je suis un Sciens. Je canalise les savoirs de toutes les générations. Grâce à ce transmetteur, j'espère prévenir la nouvelle humanité des dangers qui la guettent et lui communiquer le remède pour lutter contre la Grande Pression qui va renaître. Mes frères et moi avons encrypté huit cylindres. Chacun d'eux contient une partie du savoir de notre civilisation. Nous étions un peuple très évolué, mais nous avons fait une série de mauvais choix quant à notre développement. Une branche puissante a décidé de vivre en permanence sur le plan terrestre et a renié nos valeurs spirituelles. Là, le déséquilibre est né au sein de la matière et n'a fait que s'amplifier pour créer une Faille qui a englouti l'Ethérie. Le plan terrestre connaît maintenant de terribles distorsions d'énergie qui sont en train d'anéantir la vie. Nous n'avons pas su lutter contre la Faille, mais nous avons découvert récemment un moyen de la bloquer si elle venait à renaître. Ce cylindre renferme l'énergie nécessaire à l'amplification du champ électromagnétique d'une zone. L'activation de tous les cylindres permettrait de créer un champ de force de la puissance d'un trou noir et la Faille s'affaisserait sur elle-même.
— Je n'y comprends rien ! fit remarquer Thys.
— Chut, écoute bon sang !
— Mon monde meurt, continua l'hologramme, je souhaite que des survivants puissent utiliser la sagesse tardive enfouie dans ces cylindres pour reconstruire une vie en adéquation avec la planète et...
Il y eut une interruption brutale du son. L'image se désintégra en petits filaments colorés qui émirent des crépitements furieux. Les Ethers, désemparés, fixaient encore l'endroit de l'apparition.
— Pourquoi ça ne marche plus ? Il n'y a plus d'énergie ? demanda Thys.
— Il a dit que ce cylindre renfermait l'énergie nécessaire pour créer un champ de force colossal. Alors, le problème ne doit pas venir de là.
— Bien vu, le problème c'est Thys ! Regarde où tu te tiens, jeune écervelé ! fit remarquer Térence.
Instinctivement, durant le discours de l'hologramme, le garçon s'était petit à petit rapproché de sa sœur. Un truc de jumeau. Il avait senti le besoin de percevoir sa chaleur dans cet instant oppressant. Et il s'était éloigné de l'angle Est de la pyramide. La transmission s'était alors interrompue.
— Vite, retourne à ta place ! lui conseilla Mélia. Pourvu que ça marche encore.
À peine Thys eut-il atteint le bon angle que la communication reprit. Alexander se matérialisa une nouvelle fois devant eux et poursuivit là où il avait été interrompu.
Rinata laissa échapper un soupir de soulagement et adressa un petit sourire à son petit-fils qui se ratatinait sur lui-même tout contrit.
— ... pour suivre la bonne voie de notre évolution. Ce cylindre est donc précieux. En aucun cas, il ne doit tomber dans les mains des Umbilics. Il deviendrait alors une arme épouvantable.
— Il doit parler des Indesiratas, constata Rinata.
— Les gravures qui le recouvrent sont des rappels de nos facultés et indiquent la voie à suivre. Pourvu que l'Humanité qui va naître soit plus sage que les précédentes ! revendiqua Alexander avec sa voix métallique.
Cette fois, la communication s'interrompit en douceur. Alexander s'évapora peu à peu. Ses yeux prirent le temps de fixer sereinement les quatre angles de la pyramide avant de s'éteindre.
— C'est fini ? demanda Thys qui vérifia s'il se trouvait toujours bien à sa place.
— Oui, mon écaille de poisson ! le rassura Rinata. Nous avons là de quoi cogiter !
— Mamina, pourquoi a-t-il parlé des Humanités précédentes ? Y aurait-il eu d'autres civilisations avant les Ethers Originels ?
— Je ne sais pas. Il faut que j'en parle à Téodor. Il faut qu'il écoute ce message ! Merci à tous les deux ! Vous êtes formidables !
Et elle embrassa les jumeaux en une seule brassée, les serrant tous les deux contre elle. Puis Térence eut droit aussi à un bisou retentissant sur le bout du nez ce qui le laissa aussi pensif que l'apparition de l'hologramme quelques minutes plus tôt.
La nouvelle de l'ouverture du cylindre fit le tour du Jécorum et s'étendit à toute l'Ethérie en une poignée d'heures. Thys et Mélia furent portés aux nues. L'un, pour avoir fabriqué la clef, l'autre, pour avoir su l'utiliser. Thys profita de son moment de gloire avec délice.
Téodor Lux, Anastasia Tix, Marceline Chanfrein et Pedro Cezar furent les suivants à se connecter au cylindre. Ce fut une expérience qui émut au plus haut point le Grand Lux.
— Par les âmes des Ethers Originels, on a communiqué avec le passé ! C'est insensé ! Je n'aurai jamais cru que cela arriverait de mon vivant ! Et c'est grâce aux gamins en plus !
— Cet Alexander a vécu il y a plus de douze mille ans et il a connu la fin du monde ! constata, songeuse, Anastasia.
— Il nous donne une chance d'y échapper, mais il faut trouver les autres cylindres. C'est dommage qu'il n'indique pas leur emplacement.
— C'est sans doute pour ne pas donner trop d'informations au cas où ce cylindre tomberait dans les mains des Indésiratas, intervint Marceline.
— Des Umbilics comme ils les appelaient à l'époque, je trouve que ça leur va bien ! Ils se croient au centre de tout. Les nombrils du monde ! répliqua, amer, Téodor en retroussant sa lèvre supérieure et laissant apparaître ses célèbres canines.
Suite à la communication transtemporelle, les choses se précipitèrent. Les Ostendes étaient plus motivés que jamais pour retrouver les cylindres et les fouilles archéologiques se multiplièrent dans tous les coins du globe. Par ailleurs, les frères Targent alertèrent une nouvelle fois les Maîtres Arcans, car la Faille ne cessait de s'étendre et les anomalies en Ethérie se multipliaient. Une jeune Uentel et sa mère avaient disparu aux abords d'une zone neutre. Le père inconsolable avait vu sa fille et sa femme s'illuminer puis se disloquer comme si elles se dématérialisaient alors qu'elles s'étaient juste assises sur un bloc rocheux pour se reposer après une cueillette de fruits. L'alerte était donnée et l'ordre de ne pas s'éloigner des Jecorums fut transmis dans toute l'Ethérie.
Thys et Mélia eurent l'autorisation de retourner sur le plan terrestre. L'Ethérie était de moins en moins sûre et leurs hauts faits leur conféraient un prestige qui ne convenait plus à leur situation de punis confinés loin du monde. Dès leur retour dans le petit appartement rue Trévallon, ils se prélassèrent de longues heures devant leur console de jeux. Cette activité n'était pas possible en Ethérie. Puis ils eurent l'honneur d'assister, dans le salon, à un spectacle orchestré par Tantine.
La dernière lubie en date de Nadine était le dressage d'animaux. Elle avait pris plusieurs heures de cours. Elle s'était ensuite acheté une perruche qui répondait au doux nom de Gertruda. Puis elle avait enrôlé Plix, le matou et Electric son petit chien fou. En deux semaines seulement, les artistes avaient mémorisé un petit numéro. C'est donc dans le salon, devant toute la famille Ano, que Nadine vêtue d'une tenue saillante en cuir et équipée d'un fouet, présenta « le trio cascadeur ». Electric fit une apparition remarquée. Il entra sur deux pattes en jappant. Il arborait une cape rouge et une casquette dont il réussit à se débarrasser dès les premières minutes. Ce fut ensuite au tour de Plix de monter sur scène. Le matou, plus retors, avait le poil hérissé et crachait chaque fois que Nadine l'encourageait à sauter par-dessus un ballon. Néanmoins, il accepta d'avancer le long d'une poutre pour pouvoir se régaler d'un bout de jambon. La perruche voleta docilement de perchoir en perchoir puis se posa sur la tête de Charles Ano et se mit à siffler. Ce dernier tour n'était pas prévu, mais il enchanta les spectateurs et la dompteuse qui félicita chaleureusement son volatile.
Pour clore le spectacle, le trio offrit un surprenant numéro d'équilibrisme. Electric se plaça au centre de la petite scène et pour une fois, il se tint immobile. Aussitôt Plix lui sauta sur le dos afin de lécher le beurre que Nadine avait tartiné sur le poil de son chien puis Gertruda se posa sur la tête du chat et essaya de picorer les quelques graines qui étonnamment se trouvaient là. Ce qui ne fut pas du tout du goût du matou qui claqua des dents et essaya de croquer le volatile. Heureusement celui-ci fut prompt à s'envoler et se réfugia sur la tringle du rideau qu'il récompensa d'une fiente de stress. Les rires et les applaudissements fusèrent et les animaux s'empressèrent de déguerpir abandonnant leur maîtresse, somme toute, assez satisfaite.
Après ces festivités la petite famille se retrouva autour d'un énorme gâteau au chocolat préparé par Nadine, vestige d'une ancienne passion de la jeune femme.
— Waouh ! C'était pas mal ton show, tantine ! La félicita Thys. Je crois que tu as trouvé ta vocation.
— Merci mon Trésor. Vous m'avez manqué tous les deux. Il paraît que vous êtes de vraies vedettes dans le cercle fermé des Ostendes.
Nadine attendait toujours son Oritis et se sentait de plus en plus exclue. Elle était informée des nouveaux événements concernant les Ostendes par son frère, Anthony, mais n'ayant jamais pu mettre les pieds en Ethérie, elle ne pouvait qu'imaginer ce monde étrange et bien des subtilités lui échappaient.
— Ce ne sont pas des vedettes, mais des héros ! Ils ont des qualités qui ont permis de percer le secret des cylindres ! Ils sauveront peut-être la Terre ! clama Charles soudain.
De telles paroles venant de leur grand-père, d'habitude si difficile à satisfaire, impressionnèrent les jumeaux.
— Merci Papou !
— Ne me remercie pas, mon grand ! Mais efforce-toi de façonner la clef du deuxième cylindre. Et toi, Mélia, concentre-toi sur la localisation des autres artéfacts. Vous êtes de bons petits.
Et l'ancêtre se leva en s'appuyant sur le bord de la table. Il caressa successivement les têtes blondes de ses petits-enfants, en passe de le dépasser en taille. Puis, il salua sa famille avec un chapeau imaginaire et sortit.
Quelques jours passèrent lourdement. La canicule de fin juin s'installait et l'appartement était une vraie étuve. Anthony et Sylvie multipliaient les démarches pour récupérer leur maison. La demeure, isolée à l'orée du bois, savait garder la fraîcheur de la nuit derrière ses murs épais et le jardin ombragé était un vrai havre de paix.
Elle leur manquait vraiment et ils espéraient recouvrer le droit sur leur propriété dans les semaines à venir. Anthony avait sympathisé avec un jeune avocat, Maître Dentenier qui s'intéressait beaucoup aux énergies. Il était à deux doigts de connaître son Éveil. D'ailleurs Joanne Fosse, l'Obori, était aux aguets pour le guider.
Les Indesiratas ne pouvaient pas attaquer le magistrat dévoué sans dévoiler leur nature et les intimidations politiques ou les pots-de-vin n'avaient aucune emprise sur ce jeune avocat qui n'avait pas d'ambition de carrière. Il désirait juste aider les autres et s'intéressait aux valeurs humaines. Ainsi, il était le seul à avoir accepté le dossier brûlant de la famille Ano. Jason Le Tallec par l'intermédiaire de ses sbires, l'avait déjà menacé plusieurs fois, mais Maître Dentenier ne cédait pas aux menaces et avait soulevé plusieurs points équivoques pour lesquels les Le Tallec n'avaient pas de parades. Ainsi la restitution de la maison était sur la bonne voie.
En attendant, il fallait tenir dans la fournaise de la rue Trévallon. Anthony et Sylvie emmenaient chaque jour leurs enfants se rafraîchir au lac de la Creumière. Il était hors de question que les jumeaux vaguent seuls comme la plupart des collégiens qui se retrouvaient en bande à la piscine municipale. Sous la surveillance parentale, ils passaient de bons moments à se chamailler dans l'eau ou à essayer la planche à voile. Cid et Théo se joignirent à eux plusieurs fois. Les deux garçons étaient toujours en quête d'identité. Cid, en tant que Ki, se cherchait des pouvoirs et voulait comprendre son rôle dans cette nouvelle saga. Quant à Théo, il était encore marqué par sa rencontre avec les Indésiratas et avait continuellement besoin de parler de ce qui lui était arrivé.
Allongés paresseusement sur leur serviette, à l'ombre éphémère d'une branche de saule, les quatre amis écoutaient de la musique. Une guêpe, peut-être enivrée par l'odeur de crème solaire, vint leur tourner autour. Insatiable, elle commença une danse qui la mena d'épaule à jambe ou de ventre rebondi à dos cramoisi. Elle finit par se poser sur la tête de Théo qui se mit à loucher pour essayer de la localiser.
— Enlevez-moi ça ! s'énerva-t-il pour masquer sa crainte.
— On dirait qu'elle a pris ta mèche pour une fleur, se moqua Cid.
— Ma mère n'en peut plus avec cette mèche, se plaignit Théo en secouant la tête et expulsant l'insecte.
La guêpe bourdonna son agacement en tournoyant autour du genou de Mélia qui lui infligea une belle baffe et l'envoya valdinguer dans la chaussure de son frère.
— C'est charmant ce blanc fluo, on ne risque pas de te perdre dans une foule, gloussa Thys en secouant sa chaussure avec un grognement pour sa sœur.
— Vous êtes graves, les mecs ! J'attends un peu de soutien moi ! Je lui dis quoi à ma mère, hein ? J'ai été attaqué par un groupe de dégénérés qui m'a torturé, mais je n'ai rien senti. Y a juste cette mèche-là qui a décoloré et qui maintenant m'éclaire la nuit !
— Cool ! C'est vrai ça ? Tu as plus besoin d'allumer la nuit pour aller pisser ! s'esclaffa Cid.
— T'es vraiment une quiche ! râla Théo.
— C'est vrai que c'est dur à expliquer, concéda Mélia. Mais tu ne dois surtout pas parler des Indésiratas. Continue à faire croire que tu t'es teinté les cheveux et que c'est ton style.
— D'ailleurs, au collège, tu as eu du succès avec ça, fit remarquer Cid. Même que Diana n'a pas arrêté de te regarder.
— Mouais !
Théo faisait la moue, mais son regard rêveur en disait long.
— Vous avez des nouvelles de Briac, demanda subitement Mélia. Cette question lui brûlait les lèvres depuis son retour sur le plan terrestre.
— Ouais, il est revenu au collège comme si de rien n'était. Il ne nous a plus adressé la parole. Je l'ai croisé hier au bowling avec ses frères, mais il m'a totalement ignoré ! répondit Cid visiblement affecté. Que pense Maître Lux de son histoire ?
— On ne lui a rien dit, avoua piteusement Thys.
— Quoi ?
— Ouais, il était tellement en rogne contre nous qu'on a préféré se taire.
— Et vous comptez faire quoi avec Briac alors ?
La question s'adressait aux jumeaux, pourtant tout le monde fixait Mélia. La jeune fille grimaça un sourire.
— Ben. J'avais prévu une escapade au stade où Briac retrouve souvent ses potes et puis je voulais faire un bond spatio-temporel dans la chambre de la belle au bois dormant chez les Le Tallec.
— Ah ! Tu contrôles tes destinations maintenant ? s'étonna Cid.
— Non, mais je pourrais m'y entrainer avec vous, proposa malicieusement Mélia.
— Oh ! Je sens que les ennuis vont recommencer, grogna Thys.
Mais déjà sa sœur se figeait. Ses pupilles se dilatèrent et fixèrent un point lointain. Elle était partie loin de son corps comme pour clore la discussion.
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