Chapitre 38: Le désastre de Noël
Durant quelques instants ce fut la pagaille ! La peur saisit chacun ! On savait que la menace était présente, mais personne ne s'attendait vraiment à une attaque, surtout un soir comme celui-là ! On venait de manger et de boire plus que de raison. La fatigue s'était installée et la cérémonie finale avait embué de bulles de bonheur tous les esprits. Alors le retour à la réalité fut rude. Une sorte de mouvement de fuite s'amorça dans tous les coins de la pièce, accompagnée d'interjections, de cris, de raclements de chaises.
— Oh ! Oh ! Du calme, du calme ! tempêta Téodor Lux de sa voix autoritaire. Réfléchissons à la situation ! On doit s'organiser. Nous savions que cette situation pouvait arriver. C'est d'ailleurs pour cela que nous sommes si nombreux ce soir. Alors, gardons notre sang froid et pensons en priorité à ceux qui sont sans défense !
— Je vais chercher Nadine, Orine et ses enfants, proposa Anthony prêt à seconder Téodor dans son organisation.
— Oui, il faut tous se regrouper dans une pièce ! Ce salon est spacieux et il offre deux ouvertures sur l'extérieur, constata Téodor.
— Mélia, ma petite fleur de coton, peux-tu essayer de te rappeler de détails qui pourraient nous aider ! demanda Rinata Tournelle à sa petite fille. As-tu une idée de leur nombre ? En as-tu reconnu ?
— Oui ! Mamina, répondit la jeune fille, la respiration bloquée par l'émotion. J'ai reconnu Baldo et le Maître Deprador. C'est lui qui semble diriger le groupe. Ils sont nombreux, plus d'une vingtaine, je pense. Quand j'ai entendu l'horloge sonner une heure, ils encerclaient la maison et attendaient l'arrivée d'un certain Luc Porrexi et de ses amis pour attaquer.
Rinata constata qu'il était 1 h 05 sur la montre fine qui ornait son poignet. L'attaque était imminente. Anthony revint dans la pièce en portant Loris qui râlait dans son sommeil et envoyait d'énergiques coups de pied d'agacement. Il était accompagné de Nadine et d'Orine qui portait sa petite Lise. La jeune femme l'installa confortablement sur le canapé, et posa un doux baiser sur son front avant de rejoindre Paul, son mari et de se presser contre lui à la recherche de réconfort.
— Pas une minute à perdre ! claqua la voix de Téodor. Ils veulent nous attaquer par surprise, mais nous sommes prévenus ! À nous d'être efficaces ! Nous attaquerons les premiers pour essayer de libérer un passage vers le marronnier afin de mettre en sécurité Thys, Mélia et Mélanie sur le plan Ethérique.
— Comment allons-nous faire pour Lise, Loris et Orine ? Ils n'ont pas passé l'Oritis, ils ne peuvent donc pas se réfugier en Ethérie ? demanda Paul inquiet pour sa petite famille.
— Moi non plus ! s'exclama Nadine en passant sa main dans ses cheveux pour aplatir les épis colorés rebelles !
— Pas d'affolement, selon Mélia les Indésiratas veulent nos Ingénis ! Ce sont donc les jeunes novices les plus exposés ! Mais nous allons évacuer aussi ta famille, Paul ! le rassura Téodor. Térence et Solène resteront à l'intérieur avec eux et à la moindre occasion de fuite, ils les emmèneront en voiture chez Marceline Chanfrain. Elle est efficace et elle a un grand réseau d'amis pour les cacher.
Paul, visiblement rassuré, embrassa rapidement Orine et lui demanda de se mettre à l'abri derrière le canapé avec les enfants tandis que Nadine se demandait si ces mesures s'adressaient aussi à elle. Elle se sentait un peu oubliée.
Téodor et Rinata furent les premiers à se faufiler dans la nuit par la porte de la buanderie qui donnait sur l'arrière de la maison. Ils prévoyaient de dégager la voie jusqu'au marronnier et de garder l'accès libre à l'Ethérie. Charles, Anthony, Sylvie, Paul et Anastasia leur laissèrent deux minutes d'avance et sortirent silencieusement à leur tour. Leur mission était de neutraliser un maximum d'Indésiratas avant que l'alerte soit donnée et que le combat commence vraiment. Dans le salon, Solène Donnador et Térence Plomb montaient la garde. Pour l'instant, la nuit était calme. La chouette hululait encore et quelques grenouilles coassaient. Aucun signe d'affrontement.
Thys et Mélia, les mâchoires crispées, main dans la main, tremblaient pour leurs parents et grands-parents qui allaient ainsi s'exposer à l'ennemi.
— Oh ! Mon Dieu, faites qu'il ne leur arrive rien ! Faites qu'il ne leur arrive rien ! geignait Mélia, accroupie derrière un fauteuil, une main sur son Ingéni.
À ses côtés, Thys imaginait ses parents confrontés à de terribles adversaires. Il ne les avait jamais vus combattre des Indésiratas et il imaginait mal, sa mère si fine et fragile, résister à des attaques malveillantes comme celles lancées par Laëtitia Yessel ou Jason Le Tallec. D'ailleurs, est-ce que ces démons faisaient partie des assaillants ?
La jeune Mélanie Donnador restait collée à sa mère et Solène essayait calmement de la repousser pour se tenir prête en cas d'invasion intempestive du salon. Elle dut demander à Nadine de s'en occuper. Tantine n'en menait pas large et elle trouva du réconfort quand la chaleur du petit corps de Mélanie se blottit contre elle.
À l'extérieur, soudain, un cri de douleur creva le silence et une lueur illumina le ciel une dizaine de secondes. S'ensuivirent d'autres cris et des martèlements de pieds. Plusieurs personnes couraient et de forts grésillements se répercutaient tout autour de la maison. Solène Donnador et Terence Plomb étaient sur le qui-vive. Leur ombre se découpa nettement sur le mur blanc lorsqu'un éclair zébrait le ciel et illuminait le salon.
Des bruits de pas encore, des dérapages suivis de chutes ou de gémissements parvenaient aux oreilles du petit groupe terrorisé dans le salon. Des taches de couleurs, des fils d'énergies, des rais de lumières marbraient la grande baie vitrée à peine protégée au tiers de sa hauteur d'un léger rideau ocre.
Dehors, c'était l'horreur ! Le groupe d'Ostendes s'était séparé pour mieux contrer l'assaut des Indésiratas. Profitant de l'effet de surprise, Anthony et Paul avaient anéanti trois Indésiratas avant d'être repérés par un groupe de Péragores. Les deux hommes prirent les devants et se ruèrent sur leurs ennemis. Après avoir déstabilisé leurs adversaires, les deux pères de famille se dégagèrent de ce corps à corps perdu d'avance et usèrent des énergies terrestres pour aveugler leurs assaillants. Ceux-ci ripostèrent immédiatement. Des rais de lumières fusèrent en tous sens, mais chaque camp savait utiliser les protections mentales pour y résister.
Quant à Sylvie, elle avait été surprise par Laëtitia Yessel alors qu'elle contournait le garage. La Milvuit, moulée dans une combinaison de skaï marine, avait surgi devant l'Ostende, un rictus mauvais au coin des lèvres.
— Alors, ils sont à toi, les rejetons que l'on cherche ? Il paraît que leurs Ingénis ont une valeur incommensurable ! J'ai vu celui du garçon, j'ai hâte de faire crisser celui de la gamine !
— Sale garce ! Tu vas regretter d'avoir touché à mon fils ! Et je ne te laisserai pas approcher ma f....
Sylvie n'eut pas le temps de finir sa phrase, la Milvuit avait lancé une attaque sournoise pour aspirer l'air des poumons de son adversaire. L'Ostende hoqueta de surprise, le manque d'air torturait son visage. Le vert intense de ses yeux parut s'éteindre et elle vacilla sous le regard triomphant de la fringante Milvuit. Mais la mère de famille n'était pas prête à renoncer. Elle esquissa quelques mouvements lents et fluides et un craquement perça la nuit. Laëtitia Yessel cessa soudain de sourire et se cabra, les mâchoires serrées, libérant ainsi sa proie de son influence.
Sylvie en profita pour reprendre son souffle. Résolue, à trouver un terrain plus propice à ses capacités d'Ether, elle courut avec agilité en direction de la forêt. Mais la Milvuit la précédait de quelques mètres, sautant comme un félin. En trois enjambées de gymnaste, elle rattrapa sa proie, la saisit par les cheveux et roula au sol en lui serrant la gorge. L'Ingéni de Sylvie, caché derrière son oreille, vibra et libéra un cercle d'une chaleur intense qui fit lâcher prise à la Milvuit. Les deux femmes se redressèrent prestement, face à face, haletantes. S'ensuivit une lutte frontale silencieuse à trois mètres de distance entre les deux adversaires qui ne voulaient rien céder.
À quelques pas de là, l'issue du combat était toujours incertaine. Paul, les cheveux terreux, brandissait une branche noircie pour faire reculer deux Péragores sanguinolents. La chemise bleu nuit d'Anthony était déchirée et derrière les bords de l'estafilade noircie apparaissait le saphir luisant qui siégeait sur son torse. Les deux amis épuisés essayaient de contrer la haine de leurs adversaires.
Anastasia Tix sortit soudain de l'ombre et prit les Péragores à revers. Avec dextérité, elle parvint à immobiliser simultanément quatre hommes en agissant sur la pression de l'air, ce qui donna quelques minutes de répit à ses amis avant un nouvel assaut des Indésiratas. La jeune femme noire se fondait dans la nuit. Elle surgissait de-ci, de-là pour porter main forte à ses compagnons. En quelques gestes précis et décomposés, elle affaiblissait ses adversaires. Mais le groupe des Indésiratas était puissant et organisé. En surnombre, ils épuisaient les Ostendes qui absorbaient les ressources de leur Ingéni pour lutter.
Téodor Lux, de son côté, avait atteint l'ouverture qui donnait sur le plan Ethérique. Apparemment, aucun ennemi n'avait perçu le nœud d'énergie aux abords du marronnier. Il fit un signe à Rinata dont la silhouette se distinguait à peine du mur du garage où elle patientait.
Téodor n'avait pas aperçu Baldo, sentinelle immobile, cachée derrière le tronc de l'arbre. Malgré sa corpulence, il avait su se faufiler silencieusement dans le dos du Maître Arcan. Celui-ci comprit son erreur au moment où les poils de sa nuque se hérissèrent et qu'une rivière de sensations froides coula le long de sa colonne. Il eut le temps de se retourner et de faire face au gros homme noir. Il vit les piercings scintiller puis ce fut la nuit noire. Baldo, renonçant à utiliser les énergies face à un Maître Ether redoutable, avait préféré l'assommer d'un bon direct en plein visage. Au sol, le petit homme formait une boule inerte. Baldo s'apprêtait à jouer au ballon avec, mais Rinata Tournelle, exceptionnellement vive, parvint à dévier le coup de pied en se concentrant sur les fluides aériens. La jambe de Baldo ballota de droite, de gauche et parut même se désarticuler dans un déhanchement comique qui arracha au colosse un cri d'ogre en souffrance. Les muscles du cou du Niemens se tendirent et sa rage afflua en grésillements et arcs électriques au creux de ses poings serrés.
Face à lui, Rinata ressemblait à une petite souris frêle qui aurait voulu affronter un lion. Un gros doigt noir boudiné pointa sur Rinata. Un flux d'énergie incommensurable se déversa sur la petite silhouette qui oscilla comme une brindille prit dans un déferlement, mais la brindille fléchit sans rompre. L'homme aux piercings fut totalement estomaqué de constater que la vieille femme n'avait pas bougé d'un pouce. Certes, ses cheveux étaient en bataille, ses traits tirés et ses mains tremblaient, mais elles étaient toujours là, face à lui.
Baldo fronça les sourcils et découvrit ses dents pointues comme une hyène agacée. Ses mains s'activèrent, les doigts pianotèrent un air endiablé et le corps de Rinata se contracta de toute part. Elle subissait une attaque comparable à l'assaut d'un essaim de guêpes qui la perceraient des pieds à la tête. Chancelante, les yeux larmoyants, elle résistait pourtant et préparait sa riposte. Sa main gauche effleura l'écorce du marronnier gorgé de vie. Sa paume grésilla et tout son être s'auréola d'un voile lumineux. Elle était comme une ampoule sous tension. À la fois dangereuse et prête à imploser. Une autre lueur prit naissance au pied de l'arbre, Téodor, le visage tuméfié, les mèches blanches tachées de sang, s'appuyait aussi au tronc de l'arbre bicentenaire pour se relever. Unis à travers l'énergie royale de l'arbre gardien de l'ouverture, les deux Éthers, en osmose, flamboyaient.
Pourtant Baldo ne se laissa pas impressionner, il concentra son flux vital sur Rinata. La rencontre des énergies diffusées fut violente. Mais les deux Ethers, solides piliers des volontés de la Terre, drainèrent les forces du sol et de l'arbre et irradièrent le Niemens d'une même intensité. Baldo blanchit, ses piercings voulurent fuir son corps et déchirèrent sa peau devenue tendre. L'homme, aux muscles imposants, jeta un regard incrédule aux deux vieillards avant de décoller en douceur à 50 cm du sol, puis toute sa carcasse vibra et craqua alors qu'il poussa son dernier cri. Sous le regard triste, mais vainqueur de Rinata Tournelle, le Niemens qui avait fait souffrir sa petite fille rendit son dernier souffle. Baldo gisait à leurs pieds, démantelé et plat comme une descente de lit.
À l'intérieur de la demeure, on écoutait attentivement les cris et les craquements significatifs de l'extérieur. Térence Plomb était tendu. Plusieurs fois, il adressa un sourcil interrogateur à l'autre bout de la pièce où se tenait Solène Donnador. La petite femme rousse était concentrée, mais elle ne manquait pas de rassurer son compère d'un hochement de tête serein. Elle se tenait au bord de la porte vitrée et espérait être camouflée par la lourde tenture en velours vert qui encadrait les vitres. Par moment, elle faisait quelques signes à sa fille toujours accrochée à Nadine.
Au moment où Solène adressait un énième signe d'encouragement à Mélanie, la porte-fenêtre se fendit de bas en haut en un craquement sinistre puis éclata en projetant des éclats de verre dans tout le salon. Alors que les filles rivalisaient de hurlements aigus, Thys osa un coup d'œil par-dessus le canapé. Il hoqueta quand il vit Solène Donnador encore debout, mais chancelante, la joue percée d'un losange de verre plus gros qu'une main. Le sang ruisselait sur le col blanc de son pull. Elle porta une main à son visage, sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait. Puis tout s'enchaina si vite ! Comme un courant d'air malveillant, un grand homme osseux suivi de trois compères s'infiltra dans le salon. Tout de suite, il aperçut la tête torturée de Thys qui pointait derrière le canapé.
— Ils sont là ! Cette fois, je ne veux pas de maladresse ! Attrapez-les ! hurla la grande écorce sèche aux yeux exorbités !
— Avec joie ! répondit Jason Le Tallec, l'œil revanchard, en surplombant le canapé. Ce n'est pas la peine de vous cacher, sales gosses ! Votre heure a sonné !
Sa tête grisonnante s'imposait au-dessus des enfants terrifiés. Il tendit la main pour saisir le poignet de Mélia, mais une tornade colorée l'aplatit au sol. C'était Tantine, qui dans un mouvement irréfléchi, avait sauté sur l'homme d'affaires. Une seconde, déboussolé par l'étrange femme aux cheveux bariolés, Jason en resta les fesses clouées au carrelage. Mais sa fierté mise à mal, il ne tarda pas à réagir. Quelques mouvements rapides accompagnés d'un regard oppressant et la jeune femme se mit à hoqueter comme si sa respiration était coupée. Elle semblait chercher de l'air et portait les mains à sa gorge désespérément en roulant des yeux implorants en tous sens.
Ce petit intermède permit à Térence et Solène de se ressaisir. Les deux Ethers expérimentés unirent leurs efforts côte à côte. Très concentrés, ils tentaient apparemment d'établir un champ de force pour protéger la zone où se tassaient les enfants et leurs tantes. Les veines de leur cou saillaient sous l'effort, pourtant ils paraissaient totalement immobiles. Ils effectuaient des gestes très lents et précis pour canaliser l'énergie de leur Ingéni. La turquoise que portait Solène au poignet grésillait et clignotait comme un phare alertant les navires en détresse. Quant à Térence Plomb, sa barbichette se colora soudain laissant supposer qu'une calcite orangée rayonnait à travers les poils argentés de son bouc. Ils réussirent étonnamment à compacter une masse d'air autour du canapé ce qui eut pour effet d'envelopper les enfants d'une sorte de gros airbag invisible. Mais les Indésiratas ne tenaient pas à les laisser agir ainsi à leur guise. Jason Le Tallec, aidé par son fils Alan, fit face à Térence Plomb, tandis que Dux Deprador, sous le regard admirateur de Daniel Le Tallec déstabilisa d'un geste impérieux Solène Donnador.
La Maître Arcan sentit ses pieds patiner sous le sol devenu soudain instable, elle en perdit l'équilibre et sa concentration. Le long Niemens en profita pour chercher les failles de la jeune femme rousse. En quelques gestes, il raviva la douleur dans la joue percée de Solène pour la distraire, puis s'apprêta à infiltrer son système vital comme les Niemens savent si sournoisement le faire. Mais son adversaire était Maître Arcan de deuxième cycle et même si elle n'avait jamais eu encore à livrer un combat contre les Indésiratas, elle avait étudié de nombreuses années au sein de l'Ethérie toutes les énergies et leur utilisation. Elle réussit donc magnifiquement à stabiliser et déjouer l'élan destructeur de l'homme ligneux qui l'attaquait.
— Intéressant, fanfaronna le Niemens, enfin une adversaire à ma taille ! On va pouvoir s'amuser !
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